7- Humidité et engelures
À mon tour, je commence à marcher et j'arrive bientôt à l'entrée de la gare, d'où j'aperçois Hava et Alwey au bout de la rue, en train de regarder un panneau sur lequel est affiché un plan des environs. Je dissimule de nouveau mes cheveux sous ma capuche, puis baisse la tête et me dirige vers eux.
-Bon, on va par-là, du coup, annonce Alwey en pointant du doigt un endroit sur la carte.
-On se dépêche si on veut y être avant qu'il ne fasse totalement noir, dit-elle avant de se mettre en route.
Le plus discrètement possible, je me mets à les suivre. Nous parcourons quelques rues, puis nous nous retrouvons sur une route en pleine forêt. Je dévie de la voie pour marcher entre les arbres, afin de ne pas être repérée. Au bout d'une petite -mais épuisante- demi-heure de marche, ils commencent enfin à ralentir, puis finissent par s'arrêter dans une petite clairière entourée de sapins, et tapissée d'aiguilles.
-Ici, c'est bon ? demande Alwey.
-Oui, on va s'en contenter, lui répond Hava en ouvrant son sac.
Elle en sort une boîte d'allumettes et un paquet de biscuits secs, puis s'assoit en tailleur et tend le bras pour ramasser une branche. Elle la regarde et fronce le nez.
-C'est trempé, ça ! Je ne vais jamais pouvoir faire de feu avec du bois aussi mouillé ! râle-t-elle. Si j'osais...
Elle lève la main et ses doigts se contractent légèrement.
-Non ! la freine Alwey, affolé. Mais t'es dingue ! On n'a pas le droit de faire ça au dehors, sauf extrême nécessité !
-Ho ! Mais c'est bon ! De toute façon, personne ne peut nous voir, ici ! On est en plein milieu d'une forêt glaciale ! Et puis c'est un cas d'extrême nécessité, on va mourir de froid.
Alwey reste cois et fait une moue agacée, avant de se retourner pour aller ramasser quelques branches. Hava, quant à elle, fait une chose bien étrange. Elle relève la main et tient le bâton au-dessus, puis elle contracte à nouveau ses doigts. Je me penche en avant, intriguée. Son visage affiche une extrême concentration. Soudain, une flammèche jaillit de sa paume et vient lécher le bout de bois, qui émet un petit crépitement lorsque le feu entre en contact avec l'humidité. Je sursaute, n'en croyant pas mes yeux. Je secoue la tête, pensant que la fatigue me donne la berlue, mais les flammes sont toujours là, dansants dans la main d'Hava.
Au bout d'un moment les flammes de sa main s'éteignent et du bout du pied, elle écarte les aiguilles entassées au sol, jusqu'à former un petit cercle de terre dégagé, dans lequel elle dépose la branche enflammée.
Bouche bée, je me laisse aller contre un tronc d'arbre et glisse jusqu'à terre. C'est incroyable ! Mais totalement impossible ! Faire sortir des flammes de sa main... Je dois divaguer, c'est tout. Et pourtant... Quelque-chose au fond de moi me dit que ce n'est peut-être pas si étrange que cela...
La sensation de mes orteils gelés et trempés me font revenir sur terre. Le plus silencieusement possible, je sors ma couverture de mon sac et m'enveloppe dedans. Je touche mon nez. Il est glacé et rougi par le froid. Mon souffle forme de petits nuages blancs qui se dissipent bien dans la brume. Heureusement, il s'est arrêté de pleuvoir, mais le tapis d'aiguilles gorgé d'eau est glacial. De ma main tremblante, j'écarte les aiguilles et me forme un petit espace dégagé. Je pousse un tout petit soupir de soulagement. La couche d'aiguilles est si épaisse qu'elle a retenu une bonne partie de l'eau, de ce fait le sol est un peu plus sec.
Du bout de mes doigts engourdis, j'attrape le paquet de biscuits au fond de mon sac et grignote quelques gâteaux, tout en observant les deux autres. Entre temps, Alwey est revenu avec une brassée de branches mortes et s'est assis en face d'Hava. Entre eux flambe un petit feu très tentant.
Soudain, je m'aperçois que je ne sens presque plus mes orteils. Inquiète, je retire difficilement mes chaussures, suivies de mes chaussettes et retiens un petit cri d'effroi. Mes orteils commencent à virer au violacé ! Je souffle dans mes mains puis attrape mes pieds. Je les frictionne le plus fort possible, mais rien à faire.
Nyx sort du sac, tout tremblant, et me voit. Il me regarde d'un air intrigué puis comprend et se précipite vers mes pieds. Il pousse mes mains du bout du museau et se couche sur mes orteils. Mais ils restent obstinément glacés, et, malgré tous les efforts, je ne les sens plus. J'ai lu quelque-chose sur les engelures : les membres deviennent de plus en plus violets, puis insensibles, et finissent par tomber. Je commence à paniquer, quand soudain une voix retentit derrière moi.
-Rhuwen ?!
Je me retourne lentement pour me retrouver nez-à-nez avec... Alwey.
-A... Alwey ??? je m'étonne.
-Mais... Qu'est-ce que tu fais là ?! s'écrie-t-il. Hava ! Viens-vite !
Elle accourt et se penche vers moi. Je tombe à la renverse.
-Elle est glacée ! s'écrie Hava en posant sa main sur ma joue.
Je commence à tourner de l'œil. Elle s'accroupit à côté de moi.
-Rhu !? Rhuwen ?! Tu m'entends ?!
Je tente d'articuler quelque-chose mais mes lèvres refusent d'obéir. Tout devient noir et je sombre dans le Néant.
***
Est-ce que je suis morte ? En tout cas, il fait tout noir autour de moi. Et j'ai l'impression de flotter... Je ne sens plus mon corps, et je ne le vois même plus, d'ailleurs. J'ai le sentiment de n'être plus qu'un esprit, ou qu'un nuage insignifiant, capable d'être éparpillé à la moindre petite brise, au moindre petit souffle de vent. Soudain, il me semble entendre un écho... Comme une voix qui m'appellerait.
-...hu..e... ...hu...en...
Qu'est-ce qu'elle dit ?
-Rhuwen !
J'ouvre les yeux d'un coup réveillée par les cris inquiets. Je
ferme mes paupières à demi, le temps de m'habituer à la lumière du jour. Hava et Alwey sont penchés au-dessus de moi, et je sens des draps doux et confortables sur ma peau.
Des draps ? Mais... Où suis-je ? Je regarde autour de moi. Je me trouve dans une petite pièce aux murs de pierre, éclairée par une lumière chaude, en provenance d'une petite boule en lévitation au-dessus d'un cercle de métal noir posé sur une petite table.
Je tente de me relever, mais trop brusquement, et je retombe sur mon oreiller.
-Doucement, me conseille Alwey. Tu as tout de même été inconsciente trois jours.
-T... Trois jours ?
Je me redresse lentement, suivant son conseil. Je m'aperçois soudain que je suis en sous-vêtements et rabats immédiatement la couverture sur moi. Hava me tend une longue tunique blanche et se retourne, imitée par Alwey. J'enfile le vêtement, surprise par sa consistance. Le tissu est extrêmement fluide, et, bientôt, je ne le sens quasiment plus.
-C'est bon, je signale aux deux autres.
Ils se retournent et me regardent sans mot dire.
-Où sommes-nous ? je demande.
-Dans la clinique du Secteur Eau. À Al-Drim.
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