6- Mr. Herbow


J'observe d'un œil distrait les sommets enneigés qui pointent au travers des nuages lorsque l'arrivée à Chamonix est annoncée par le haut parleur. J'attrape mes affaires et soupire de soulagement. Je ne me suis heureusement pas fait surprendre par un contrôleur, ce qui aurait pu me valoir une visite au poste de police. Une mineure voyageant clandestinement pourrait sans aucune difficulté être prise pour une fugueuse.

J'appuie ma joue contre la fenêtre glaciale et dessine des formes abstraites du bout du doigt, dans la fine couche de buée qui recouvre le verre. Des gouttes de pluie glissent sur la vitre, laissant des traînées humides. Dehors, la nuit est presque tombée, et le ciel est noir de nuages.

Le train freine, les roues crissent sur les rails, et je vois le quai de gare se rapprocher.

-On est arrivés ? demande une petite voix ensommeillée.

-Oui, Nyx. On entre en gare !

Quelques secondes plus tard, le train s'arrête et je sors discrètement par une porte éloignée de celle qu'empruntent Hava et Alwey. Dehors, je suis saisie par le froid mordant. Mes baskets usées laissent passer le froid et des gouttes glacées me tombent sur la tête. Je rabats vivement ma capuche et m'enveloppe de mes bras tout en me dirigeant vers la sortie de la gare.

La porte passée, je manque de glisser dans une flaque d'eau et me rattrape de justesse au bras d'un homme à la barbe brune. Il me regarde d'un air étonné.

-Euh... Désolée ! je bafouille. J'ai glissé et...

-Ce n'est pas grave, me rassure-t-il. Ç'aurait été plus problématique si vous étiez tombée.

Il m'adresse un petit sourire et entre dans la gare. Je secoue la tête pour reprendre mes esprits et me mets à la recherche des deux Drimels. Ils sont au bout de la rue et s'apprêtent à pénétrer dans une petite ruelle. Je cours le plus vite possible, tout en essayant de ne pas me faire remarquer, ce qui n'est pas chose aisée avec les protestations de Nyx, ballotté dans mon sac.

-Tais-toi ! je chuchote. On va se faire repérer !

Sur la pointe des pieds, je m'approche de la ruelle. J'entends la vois d'Hava.

-On fait quoi, maintenant ?

-On va prendre un train pour aller jusqu'à Les Houches où on dormira, après quoi on partira à pied pour aller à la porte de l'Air, répond Alwey.

-Tu n'aurais pas pu dire plus tôt qu'on reprenait le train ?! s'agace Hava. Allez, on retourne à la gare !

-Mais... c'était pour qu'on ne nous entende pas, s'explique-t-il.

Je panique. Pour retourner à la gare, ils vont devoir passer par ici, et ils vont forcément m'apercevoir. Je prends mes jambes à mon cou et traverse la rue. Arrivée sur le trottoir d'en-face, j'enfonce ma capuche sur mes yeux tout en espérant qu'ils ne me voient pas. Soudain, j'entends Hava crier :

-Mademoiselle ! Attendez !

Je presse le pas. Ça y est, ils m'ont reconnue. J'entends leurs pas se rapprocher et serre les dents, mais rien ne vient. J'entends juste Alwey dire :

-Vous avez perdu votre pochette.

Surprise, je tourne la tête un quart de seconde et entraperçois Alwey tendre un portefeuille à une jeune femme. Je soupire de soulagement et me remets en marche. J'ai bien cru que c'était à moi qu'ils s'adressaient.

Je cours vers la gare et une fois à l'intérieur regarde le panneau des départs. Il y a un train en destination des Houches toutes les trente minutes, et le prochain est prévu d'arriver dans huit minutes. Je décide de l'attendre cachée derrière un panneau publicitaire.

Pour passer le temps, je m'amuse à compter les dalles au sol. Au bout de la cent-cinquante-sixième, l'arrivée en gare du train est annoncée. Il a trois minutes d'avance, ce qui n'est pas pour me déplaire, au vu de mon état de lassitude. J'attrape mon sac et me dirige vers les portes, après avoir vérifié que les deux Drimels ne puissent pas me repérer. Je m'installe sur un siège et m'affale contre le dossier.

Le sommeil m'envahit, et je tente de résister, mais je suis trop fatiguée. Je m'écroule de fatigue et sombre dans le sommeil...

Une main rude me tapote l'épaule.

-Hm ? fais-je.

J'ouvre difficilement les yeux. Devant moi se tient une femme assez forte, avec un air rustre.

-Qui êtes-vous ? je demande, encore dans les vapes.

-Bah la contrôleuse, pardi ! Et c'est pour ça que tu vas me montrer ton billet, répond-elle en tendant la main.

-Ah... Mon billet... C'est que... Je n'en ai pas... balbutie-je.

-Eh ben c'est contre les règles, mam'zelle. Je vais devoir te coller une amende, moi !

-Mais... Je... Je n'ai pas d'argent ! C'est pour ça que je n'ai pas pris de billet !

-Alors pourquoi tu prends le train ?

Je tremble, cherchant quoi répondre.

-P... pour aller voir ma grand-mère, qui est malade... Elle habite à Les Houches, mais je suis partie précipitamment et j'ai oublié de prendre de l'argent. Voilà comment...

-Tut tut tut tut ! me coupe-t-elle. Ça ne prend pas avec moi, ça ! Donne-moi l'adresse de tes parents.

Je reste muette, sans oser la regarder dans les yeux.

-Et voilà ! s'écrie la contrôleuse. Encore une gamine des rues qui veut voyager sans argent ! J'en ai ma claque, moi, de ces voyous ! Espèce de...

Elle s'apprête à m'insulter, quand une main d'homme se pose sur son épaule, l'arrêtant dans son élan.

-Je ne vous permettrai pas de parler ainsi à une enfant, madame, dit une voix qu'il me semble avoir déjà entendu.

L'homme en question apparaît et repousse doucement la femme. Je le reconnais ! C'est l'homme à la barbe brune auquel je me suis rattrapée en sortant de la gare, après avoir glissé.

-Cette jeune fille a peut-être commis une faute, mais ce n'est pas une raison pour être violent avec elle, explique-t-il calmement. Mais ne vous inquiétez pas, vous pouvez partir, je me porte garant de sa bonne conduite jusqu'au prochain arrêt, où elle descendra, tout comme moi.

La contrôleuse fait demi-tour, sans voix, et repart vérifier les billets. Quant à lui, l'homme s'assoit sans mot dire à côté de moi. Je le regarde, interloquée. Il doit avoir la quarantaine. Il a une barbe, des cheveux châtains parfaitement coupés, et de petits yeux d'un gris argenté. Il porte un pardessus gris en feutre et un pantalon noir, tous deux impeccables, ainsi qu'un chapeau de cuir gris, tout aussi raffiné. Mais... Il y a quelque-chose, un je-ne-sais-quoi chez lui qui force le respect.

Il tourne la tête vers moi et m'adresse un petit sourire, faisant ressortir les plis, déjà bien marqués, qu'il a au coin des yeux. Je sursaute et détourne le regard, gênée.

-Tu n'as pas à avoir peur, tu sais, me rassure-t-il d'une voix douce et agréable, mais avec une certaine assurance.

-Merci... dis-je d'une petite voix.

-Avec plaisir. Je ne peux tout de même pas laisser une enfant se faire frapper.

J'aperçois Nyx sortir son museau du sac et observer l'homme, qui n'a, étrangement, pas le moins du monde l'air étonné par le Snaelow.

-Au fait, moi c'est Alfred Herbow, et toi ?

-Moi ? C'est Rhuwen.

Il écarquilla légèrement les yeux.

-Rhuwen ? Rhuwen comment ?

-Rhuwen tout court.

-Ah ! Eh bien... enchanté, mademoiselle Toucour, dit-il en me tendant la main.

-Hein ?! Mais non ! Je m'appelle Rhuwen tout court ! je réplique.

-Oui, c'est bien ce que j'ai dit, répond-il en arquant un sourcil. Vous êtes Rhuwen Toucour.

-Mais noooon ! Je m'appelle Rhuwen ! Sans nom de famille !

-Aaaah ! comprend-il enfin. Hum, désolé !

Il pousse un petit rire gêné.

-C'est que... en ce moment, je suis très occupé et je n'ai pas toutes mes capacités de réflexion, se justifie-t-il.

-Occupé à quoi ? je demande, intriguée.

-À une multitude de choses dont je ne peux pas te parler, désolé.

Je m'affale contre le dossier

-Ne vous inquiétez pas, je suis habituée... je soupire.

Il recale sa valise de cuir sur ses genoux et annonce :

-Nous arrivons.

Je regarde par la fenêtre. Effectivement, le train est déjà entré en gare. Lorsqu'il arrivé, Mr. Herbow se lève et se décale afin que je puisse passer. Une fois dans l'allée principale, je vois Alwey et Hava près de l'une des deux portes du wagon. Je vois l'homme se diriger vers la porte en question. Mon sang ne fait qu'un tour et je le retiens par la manche.

-Attendez ! On sort par l'autre porte ! m'écrie-je.

-Pourquoi ? s'étonne-t-il.

-Parce-que... parce-qu'il y a moins de monde !

-Ah ? Si tu veux, accepte-t-il, pas dupe

Il se retourne et s'en va vers la porte. Je soupire de soulagement et le suis à l'extérieur. Une fois sur le quai, il se retourne et me tend la main.

-C'était un grand plaisir de vous rencontrer, mademoiselle. Mais je dois vous quitter, le devoir m'appelle !

-Pour moi aussi, c'était un plaisir. Au revoir !

Je lui serre la main, puis il porte sa main à son chapeau et fait quelques pas avant de s'arrêter.

-Une dernière chose... commence-t-il.

-Oui ?

-La prochaine fois, évitez de prendre le train sans billet !

Il se remet en marche et disparaît bientôt derrière un pilier.

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