4 - Sandwich et train
Allongée sur mon matelas, je regarde les vieilles poutres de bois pourri depuis bientôt un quart d'heure, lorsque j'entends enfin des pas dans l'escalier. Je me redresse vivement et aperçois Alwey et Hava descendre précautionneusement les marches branlantes.
-Alors ? je demande, impatiente.
Hava s'approche de moi, un air contrit sur le visage.
-On a longtemps discuté, commence-t-elle, et avons finalement décidé que nous ne t'emmènerons pas.
J'écarquille les yeux, interloquée.
-C'est trop dangereux, explique Alwey, et c'est l'une des lois les plus importantes de notre société. Quant au logis, nous trouverons autre chose. Ton hospitalité ne vaut pas la sécurité de notre peuple, désolé...
Je prends une mine renfrognée.
-Très bien, au revoir.
Hava me lance un regard peiné avant d'aller chercher son sac à dos, imitée par Alwey. Ce dernier part d'un pas traînant vers la porte et l'ouvre.
-Adieu... me salue Hava en le suivant.
Elle resserre jette sa cape sur ses épaules avant de franchir la porte, puis de la refermer derrière elle.
Je reste seule en compagnie de Nyx, qui est tapis à côté de moi. Leur départ laisse un vide. Je ne me suis jamais sentie aussi seule. Je me lève lentement, avant d'attraper mon sac et d'y remettre le pain, le fromage, et les biscuits. J'enfile mon poncho puis balance mon sac sur mon épaule.
-Allez, viens Nyx, dis-je en me dirigeant vers la porte à pas lents.
Je sors de la maison poussiéreuse et commence à marcher vers l'école. Un rayon de soleil moqueur perce à travers les nuages gris. L'air est rempli d'électricité, ce qui me fait penser à l'éclair. C'est moi qui l'ai dévié, j'en suis sûre. Cette sensation étrange que j'ai ressentie à ce moment-là... C'était comme si je ressentais l'énergie de l'éclair en moi, comme si je ne faisais qu'un avec lui. J'ai eu l'impression que modifier sa trajectoire était comme fermer la main.
Mon cerveau est en effervescence. Tout ce que j'ai appris aujourd'hui est beaucoup trop. Mon monde est bouleversé, je ne sais plus quoi penser.
Je m'aperçois tout-à-coup que mes pas m'ont conduit instinctivement à l'école. Nyx monte dans le seau et je le remonte, après quoi il déroule l'échelle. Je grimpe, puis la réenroule avant de me diriger vers mon abri. Une fois à l'intérieur, je m'écroule sur mon lit. Je ferme les yeux et me laisse doucement emporter par un sommeil agité.
Je déambule dans les rues d'Annecy, appréciant l'absence de pluie, bien que le ciel soit encore sombre. Il est près de midi et je meurs de faim. Je décide d'aller me chercher un petit sandwich.
Quelques minutes plus tard je me retrouve en face d'une petite échoppe d'où s'échappent des odeurs de nourriture. Mon ventre se met à gargouiller de plus belle. La serveuse me demande :
-Tu veux quoi ?
-Un sandwich jambon-fromage, s'il-vous-plaît.
Elle s'en va et revient bientôt, un sandwich à la main.
-Merci, dis-je en le prenant.
Je paye puis pars. J'attends d'être arrivée sur un petit pont au-dessus de la rivière pour commencer à manger. Là, je m'installe au bord du pont, les jambes pendant dans le vide, les bras par-dessus le garde-fou. Je découpe un morceau du sandwich avec mes doigts, avant de le donner a Nyx. Il se met à le dévorer. Je l'imite bien rapidement, tout en observant les langues de brume qui flottent au-dessus des eaux lisses.
Le temps s'est calmé, il n'y a plus d'orage ni de pluie, mais le ciel est gris et l'air affreusement humide. Toute la ville est enveloppée dans un épais brouillard blanc, accompagné par les fumées des cheminées. Comme j'envie ceux qui en possèdent une... Un bon feu devant lequel se détendre et se réchauffer... Mais il ne faut pas rêver. Ma vie est ainsi, et pas autrement.
Je soupire avant de me relever et de frotter mes mains l'une contre l'autre afin de faire tomber les miettes.
-Tu viens Nyx ? je demande. On y va.
Je soupire à nouveau avant de me remettre en marche.
-Rhuwen... commence Nyx. Qu'est-ce qu'il y a ? Ce sont ces gens ?
-Hmm... J'aurais voulu aller avec eux et découvrir ce mystérieux peuple, qui ne me semble, étrangement, pas si mystérieux. Et puis... l'éclair, je pense que c'est moi qui l'ai dévié, mais je ne sais même pas comment ! Bref, je suis un peu (ou plutôt complètement) perdue...
Nyx ne répond pas mais saute sur mon épaule et vient se blottir dans mon cou. Je le caresse en souriant légèrement. Il se met à ronronner doucement. Je commence à me détendre quand soudain des voix bien connues parviennent à mes oreilles.
-Non ! On en a déjà parlé Al' ! C'est trop dangereux, on ne peut pas la laisser venir. Et puis, même si nous changions d'avis, il serait trop tard ! On doit être le plus loin possible avant la nuit, si nous voulons rejoindre le Al-Drim demain soir. N'oublie-pas que notre train part à quinze heures huit, on n'a plus beaucoup de temps.
Je cours me cacher derrière une voiture.
-Tu as raison... Désolé, s'excuse Alwey.
J'attends que leurs voix s'éloignent avant de jaillir de ma cachette. Je cours à toutes jambes vers l'école et arrive avec un grand dérapage devant l'échelle de corde, que Nyx a -heureusement- oublié de remonter. Je grimpe les échelons quatre-à-quatre puis cours jusqu'à mon abri, où je prends une grande besace dans lequel je mets tout le reste de mes provisions et mon poncho. Ensuite, je soulève mon matelas et attrape la petite pochette cachée en-dessous. Je regarde à l'intérieur. Il n'y a pas grand-chose, mais c'est suffisant pour ce que je veux faire. Je jette la pochette dans le sac et sors précipitamment de l'abri, imitée par Nyx, qui a fini par comprendre.
Quelques minutes plus tard, je cours dans les rues humides à en perdre haleine, talonnée de près par le Snaelow. Je m'arrête devant la gare et regarde l'horloge. Il est quinze heures deux, mais j'ai encore le temps. Je me précipite vers l'intérieur de la gare, puis vers le distributeur de tickets.
Jeme rappelle soudain que je ne connais pas la destination du train.Heureusement, il n'y a qu'un train prévu pour quinze heures huit, endestination de la Roche-sur-Foron.
Mes doigts tremblants ont du mal à appuyer correctement sur les touches de l'écran. Finalement, je sors la pochette de mon sac et en sors quelques pièces, que j'introduis fébrilement dans la fente. L'impression du ticket me semble durer des heures, lorsqu'enfin il tombe dans son réceptacle. Je le ramasse, puis cours vers les quais. Je regarde l'écran où sont affichées les horaires, afin de trouver le quai d'où part mon train.
Plus qu'une minute. Je pique un sprint vers le quai, mais dans ma précipitation, je trébuche et tombe. J'entends une sonnerie : celle des fermetures des portes. Je me redresse et cours le plus vite possible entre les voyageurs indifférents. Les portes se ferment, je n'y arriverais pas... Soudain, une étrange sensation me traverse, et les portes se bloquent, une seconde. Une seule seconde, mais qui va changer ma vie. Je me rue vers la porte et saute dans le train avant que ne retentisse le « clac » significatif de la fermeture. Je me laisse glisser contre le mur, épuisée.
Je m'apprête à me détendre quand, tout-à-coup, je me rappelle qu'ils ne doivent pas me voir. Je dois trouver un compartiment éloigné du leur, mais suffisamment proche pour ne pas louper leur descente du train. Je me relève lentement avant de parcourir le compartiment du regard. J'aperçois alors Hava en train de discuter avec Alwey, à seulement quelques sièges de moi. Je me baisse rapidement et entreprends de passer inaperçue.
Quelques minutes plus tard, je m'allonge sur une banquette du compartiment voisin. Je remonte ma capuche sur mon visage, afin de cacher mes cheveux trop voyants. J'ouvre ma besace et en sors Nyx, pour le serrer contre moi. Je chuchote :
-Nyx, je sens que ceci est le début d'une longue suite d'aventures incroyables !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top