2- Foudre et poussière
Cinq jours. Cinq longs jours que la pluie tombe sans discontinuer. Mon abri est trempé, j'ai été obligée de tendre une bâche sur le toit troué. Malgré cela, mes draps sont mouillés, du fait de l'humidité de l'air. Mes muscles contractés par le froid sont devenus plus lents et plus faibles. J'ai des courbatures partout et très faim.
-Je vais sortir, j'annonce à Nyx.
-Quoi ?! Par ce temps ?!
-Oui, il faut bien qu'on mange, non ?
-C'est sûr... Mais je viens avec toi ! annonce-t-il en sautant sur mon épaule.
Quelques minutes plus tard, nous marchons sous la pluie dans les ruelles de la ville. J'enfonce un peu plus la capuche de mon poncho en toile cirée rouge sur mes yeux. Nyx se frotte à ma joue, tremblant. Il s'est glissé sur mon épaule, à l'abri de la pluie, sous ma capuche.
-Je suis glacééé... gémit-il en se recroquevillant sur lui-même.
-Moi aussi, mais je suis affamée ! dis-je en rentrant mes mains dans les manches de mon sweat-shirt.
Il ne répond pas. Je sais que lui aussi meurt de faim. Je presse le pas, courant presque. Je finis par arriver devant une petite épicerie, dont je pousse la porte. Elle s'ouvre, faisant tinter les clochettes accrochées à l'entrée. L'intérieur est rempli de dizaine de rayons, presque collés les uns aux autres, laissant parfois à peine la place de passer. Je déambule parmi les étagères, cherchant des produits peu chers et nourrissants.
Je me présente quelques minutes plus tard à la caisse, un pain, des biscuits, et du fromage de chèvre dans mon sac en tissu. La caissière, une jeune femme aux cheveux noirs me lance un regard étonné.
-Tes parents te font faire les courses par ce temps ? me demande-t-elle en mâchant son chewing-gum.
-Ils ne sont pas là, je mens. Ils sont en voyage d'affaires, au Mexique.
Elle ne pose pas plus de question et me tend le ticket de caisse. Je lis la note et paye, puis me dépêche de m'en aller, profitant que la pluie s'est légèrement calmée. Malheureusement, cela ne dure pas, et elle redouble d'intensité. Je me mets à courir, mais glisse et tombe à plat-ventre. Un éclair déchire le ciel noir. Il a dû atteindre une installation, car immédiatement, les fils électriques se mettent à grésiller. J'entends soudain des voix venir du coin de la rue où je me trouve.
-Non, on doit rester jusqu'au bout ! dit une voix féminine.
-Mais Hava ! C'est bien trop dangereux... et froid ! réplique une deuxième, masculine.
-Tais-toi ! J'aurai ma Marque, un point c'est tout ! On doit tenir une semaine, et pas moins !
-Mais on va finir congelé, et...
-Eh bien rentre, si tu y tiens tellement ! Moi, je reste. Je sais même pas pourquoi les Owlaes m'ont mise avec un boulet pareil.
Je fronce les sourcils. Qui sont ces gens ? Ils parlent de choses étranges. Quelle est cette « Marque » ? Et ces « Owlaes » ?
Je suis coupée de ma réflexion par le bruit des pas qui se rapprochent. Qui que soient ces gens, ils sont étranges, anormaux. Je décide de me cacher derrière un camion gris afin de les observer.
Ils apparaissent au coin de la ruelle. Ils sont deux, une fille et un garçon, d'environ mon âge. La première a la peau assez foncée et des yeux en amande bleu océan. Des cheveux brun sombre encadrent son visage fin et lisse de deux mèches tressées, colorées d'un turquoise sombre. Elle porte un pantalon large en toile beige, des bottines, et une étrange cape grise, ainsi qu'un foulard blanc autour du cou.
Le second a les cheveux blonds-foncés obstinément en bataille. Sa peau est claire, il a de grands yeux bruns chaleureux, et un long nez fin. Il est vêtu d'une sorte de tunique bleue marine et d'un jean noir, accompagné de baskets grises.
Le garçon a l'air plus « normal » que la fille, qui, elle, semble tout droit venue d'un autre monde. À cette pensée, mon cerveau se met à délirer. Et si ces deux personnes venaient d'un autre monde ? Un monde parallèle ?! Si cela se trouve... Je me reprends et secoue la tête. Je suis ridicule. C'est complètement insensé ! Mais... ces deux énergumènes m'intéressent, et je décide d'en savoir plus sur eux.
Soudain, un grand craquement retenti, venant du ciel. Le fil électrique se met à émettre des étincelles. Le nouvel éclair a produit un puissant courant électrique, qui a engendré une surtension.
Un second éclair illumine le ciel, encore plus puissant que le précédent. Au ralenti, je le vois tomber sur un poteau électrique, attiré par l'énergie. Mais au lieu de toucher le poteau, il vient frapper le sol, juste à côté, provoquant une déflagration puissante. Je tombe à la renverse, déstabilisée par le choc. Je me relève, le regard flou. Les deux adolescents sont étendus près du poteau qui a failli être touché par la foudre.
Je me précipite vers eux, encore sonnée. Ils sont vivants, mais si la foudre n'avait pas fait un écart... Le résultat ne serait pas le même !
Une sirène retentit au loin. Mon instinct me pousse à ne pas les laisser aux mains des secours. Je décide de les ramener chez moi. Mais... comment ? Je ne suis pas bien loin de l'école, mais ils sont deux, et je suis seule -si on excepte Nyx, blotti dans ma capuche-. Mon regard tombe alors sur une grande brouette, -presque une charrette- posée non-loin de là contre un mur de pierre.
Je vais la chercher et charge les deux adolescents dedans, ce qui n'est pas chose aisée, compte tenu de leur taille. Je recouvre la brouette d'une bâche verte qui traînait sur un perron, et me mets en marche. C'est extrêmement lourd, je ne peux pas aller ainsi jusqu'à l'école. Et encore moins les monter sur le toit...
Je décide de les mener à un vieux bâtiment en ruine, inhabité. Arrivée devant, je pousse la porte, qui émet un horrible grincement. Je serre les dents et entre, poussant ma cargaison devant moi. Je me trouve maintenant dans une pièce en bois, éclairée par trois petites fenêtres aux vitres brisées. La poussière règne en maître sur les lieux, et me fait éternuer et tousser plusieurs fois.
Je monte à l'étage. En haut d'un escalier aux marche brinquebalantes, je débouche sur un couloir, dont les murs sont agrémentés de portes de bois. Je pousse l'une d'elle. Devant moi se tient une petite pièce aux murs en faïence, agrémentée d'une vieille baignoire à la peinture écaillée. Je referme la porte et continue mon exploration. La deuxième pièce est vide. La troisième porte, en revanche, s'ouvre sur une chambre. Exactement ce qu'il me faut.
Quelques minutes plus tard, trois matelas poussiéreux sont entreposés dans un coin du rez-de-chaussée. Je les tape fortement, afin d'enlever le maximum de poussière, puis étends à grand-peine les deux adolescents sur deux des matelas. Je vérifie leur pouls, puis me redresse et me dirige vers la porte. Je m'appuie contre l'encadrement, et regarde sans les voir les éclairs déchirer le ciel.
Mon cerveau est en effervescence. Ce mot étrange, « Owlae » ne m'est pas inconnu. Je cherche dans ma mémoire, mais pas moyen de mettre le doigt dessus. Mais je suis habituée. J'ai été abandonnée à Annecy vers mes sept ans, et je n'ai aucun souvenir de ma vie avant cela. Si ce n'est quelques bribes, telles mon nom et mon âge. Aujourd'hui, j'ai le double de l'âge que j'avais à l'époque. Quatorze ans, dont sept oubliés, et sept passés à la rue.
-Rhu ! me chuchote Nyx en se frottant à mes chevilles.
-Hmm ? je marmonne.
-Ils sont en train de se réveiller !
Je me retourne et aperçoit en effet les deux énergumènes en train de tenter de se redresser. Je m'approche d'eux.
-Ça va ? je demande.
-Je... je crois... répond le garçon en se tenant la tête, chancelant. J'ai mal au crâne.
-Pas étonnant, vous venez de recevoir un choc électrique !
-Merci de nous avoir emmené dans cette... euh... ruine, me dit la jeune fille.
-Avec plaisir. Comment vous appelez-vous ? Moi, c'est Rhuwen.
-Moi, c'est Alwey, et elle, c'est Hava, se présente le jeune homme. Mais appelle moi Al'.
-Salut, Rhuwen ! souri Hava.
Elle écarquille soudain les yeux.
-Al' ! Regarde, c'est un... un Snaelow ! s'écrie-t-elle en désignant Nyx.
Elle plaque vivement sa main sur sa bouche en me jetant un regard consterné.
-Euh... oui, effectivement, je réponds. Vous êtes les premiers à connaître cette espèce !
Alwey me regarde bizarrement.
-Tu as compris ce qu'elle a dit ? s'étonne-t-il.
-Oui, pourquoi ? je demande.
Il se tourne vers Hava.
-Elle... Non, ce n'est pas possible ! murmure-t-il.
-Quoi ?! je m'étonne.
Hava me regarde gravement.
-Tu parles Drimel.
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