11- Estris et délices


Nous nous reprenons et, bientôt, nous marchons le long des tunnels de verre, guidés par Hava. Nous finissons par arriver devant un petit bâtiment, également en forme de bulle, aux murs faits de centaines de triangles de verre bleus et turquoises. À notre arrivée, la porte se lève, nous laissant passer. Nous entrons et j'entends le discret chuintement du panneau qui se referme derrière nous.

Je regarde autour de moi, impressionnée par le sentiment de sérénité que dégage le lieu. Quelques personnes discutent çà et là, installées confortablement sur des poufs, des canapés, des fauteuils, ou des coussins, tous bleus nuits, près desquels sont disposées de petites tables en forme de bulle, à la surface aplatie.

Mais le plus beau est la lumière. Celle-ci, diminuant à mesure que le jour tombe, pénètre par les triangles colorés des parois, créant des reflets bleutés qui dansent sur le sol de nacre. Afin d'ajouter un peu de lumière dans l'établissement, de petites bougies à la flamme tremblotante sont déposées sur les tables.

Nous nous dirigeons vers une table, autour de laquelle sont installés un canapé et un grand coussin. Je m'installe sur ce dernier, qui s'avère extrêmement confortable. Très vite, une femme, vêtue d'une robe du même bleu que les sièges, vient à notre rencontre.

-Que souhaitez-vous prendre ? demande-t-elle en souriant.

-Trois jus Galaxy et un bol d'estris, s'il-vous-plaît, répond Alwey.

La femme acquiesce et s'en va. Elle revient rapidement avec trois grands verres et une petite coupe remplie d'étonnantes feuilles. Celles-ci, très charnues, ont une couleur bien étrange : elles sont bleues. D'un bleu nuit brillant, et veinées de violet.

Remarquant ma curiosité, Alwey m'invite à goûter. J'obtempère et prends une feuille. Je la mets dans ma bouche et croque. La pellicule cireuse éclate entre mes dents, et une sorte de gel jaillit dans ma bouche. Tout d'abord surprise, je me concentre ensuite sur le goût. Sucré comme il faut, ni trop ni pas assez, légèrement acidulé. Il y a également un petit arrière-goût frais, pas désagréable, qui pique un peu la langue. Alwey me regarde en souriant.

-Alors ?C'est bon ?

-Non...

Il affiche une mine déconfite.

-C'est délicieux ! m'écrie-je.

Il pousse un petit soupir de soulagement.

-Ouf !J'ai eu peur ! Comment aurai-je pu être ami avec quelqu'un qui n'aime pas les estris ?

-Il ne peut pas résister aux estris, me confie Hava avec un clin d'œil.

-Eh bien, je sais quoi t'offrir si je dois me faire pardonner, Alwey, ris-je.

-Appelle-moi Al', s'il-te-plaît, me demande-t-il en souriant.

-D'accord, Al' !

-Bon, et maintenant, tu DOIS goûter le jus d'estris, m'ordonne-t-il, reprenant soudain son sérieux. 

Je me penche et attrape un verre. Je retiens un cri d'admiration devant son contenu. Le jus bleu aux volutes violettes est constellé de minuscules billes argentées. J'ai l'impression que le verre contient un ciel nocturne liquide.

-Qu'est-ce que c'est que ces petites billes ? je demande.

-Des baies d'estris qui ont échappé au mixeur, répond Hava. Mais on en rajoute pour l'esthétique et la texture.

-Incroyable...je murmure.

Je porte le verre à mes lèvres et prends une petite gorgée. La texture est très lisse, j'ai l'impression de boire de l'air. Le goût est assez similaire à celui des feuilles entières, mais il y a un peu plus d'acidité et de fraîcheur, ainsi qu'un étrange goût herbacé. Un peu comme du basilic. Mais d'où provient-il ? Je comprends en écrasant une des minuscules baies entre mes dents. Un puissant parfum de basilic envahit ma bouche.

Une fois ma gorgée avalée, je souffle :

-Waouh...

-T'as vu ?! s'écrie Al'. C'est trop bon, hein ?!

-Oui !J'adore ! je réponds avant de me remettre à boire, m'interrompant uniquement pour manger les quelques feuilles que Nyx n'a pas englouti.

Une fois tous les récipients vidés, je m'affale sur le coussin.

-C'est décidé, je vais créer un fan-club des estris ! je décrète.

-Je te suis ! déclarent Nyx et Al' d'une même voix.

Hava éclate de rire, tout en regardant la montre accrochée à son poignet. Elle s'interrompt soudain et plaque la main contre sa bouche.

-Le rendez-vous ! s'écrie-t-elle avant de courir jusqu'à la caisse.

Elle paie rapidement puis se précipite vers moi et m'attrape la main, et sort de l'établissement à toute vitesse. Entraînée à sa suite, je ne peux que courir en espérant que Nyx, les griffes plantées dans la toile de mon sac, tienne le coup.

Dehors, la nuit est tombée. Les poissons émettent maintenant une douce lueur argentée, tels des étoiles vivantes. Mais je ne peux profiter du spectacle, car, bientôt, nous émergeons du tunnel pour nous retrouver dans les rues bondées du Secteur Eau. Hava m'entraîne le long d'une longue avenue, pour terminer sa course devant un petit édifice de marbre blanc, veiné de bleu. Al' nous rejoint, essoufflé, et me tend une chose noire et poilue.

-Tiens, tu as fait tomber quelque-chose, halète-t-il.

-Nyx !Merci ! dis-je, pantelante.

J'attrape le Snaelow et le fourre dans ma besace, puis je me tourne vers Hava.

-Alors ?Ce rendez-vous ?

-Là, c'est pour toi, décrète-t-elle en désignant la porte. Nous, on doit partir, il est tard. On se retrouve demain au parc du Secteur Terre !

Elle me fait un signe de la main et s'en va, imitée par Al'.

-Euuh... Mais c'est où, le Secteur Terre ?

Je pousse un soupir exaspéré puis me tourne vers la porte. Il n'y a pas de petit carré, et elle ne s'ouvre pas devant moi. Comment faire... ? Une voix agacée résonne derrière moi :

-Eh bien, jeune fille ? Vous ne savez pas pousser une porte ?

Je sursaute et me retourne, pour me trouver face à un vieil homme rabougri.

-Ben, si, mais je croyais qu'ici... je bafouille.

-Pousse-toi, grogne-t-il.

Il pose sa paume sur la porte et émet une légère pression. Les battants s'ouvrent et l'homme entre en grommelant.

Irritée, je pénètre à mon tour dans le hall de l'édifice. Celui-ci est simplement meublé d'un bureau noir et d'un canapé beige. Le tout est éclairé par une boule de laquelle émane une lumière chaude, flottant au-dessus d'un disque de métal. Le vieil homme présente une carte à la femme de l'accueil, qui hoche la tête. Il s'en va vers un escalier et se met à monter les marches péniblement. Bientôt, le bruit de ses pas s'estompe et le hall plonge dans le silence.

Je m'approche du bureau et toussote. La femme se tourne vers moi.

-Oui ?C'est pour quoi ? demande-t-elle.

-Je ne sais pas trop... On m'a dit que j'avais un rendez-vous...

-Nom ? Prénom ?

-Rhuwen tout c... je me reprends. Rhuwen, et je n'ai pas de nom de famille !

Elle aurait pu se méprendre, elle aussi...

La femme consulte la tablette posée devant elle, puis relève la tête.

-Premier étage porte trois, indique-t-elle.

-Merci, dis-je avant de me diriger vers les escaliers.

Je grimpe les marches quatre-à-quatre, puis, arrivée à l'étage, je cherche la porte numéro trois. Je la trouve rapidement et j'appuie sur la porte. Rien ne se passe. Soudain, je remarque le petit carré lumineux encastré dans le panneau. Je grogne, agacée. Pourquoi ne font-ils pas les mêmes portes partout ?!

J'ouvre et entre dans la pièce, au centre de laquelle trône un bureau similaire à celui de l'accueil. Sur celui-ci est installé un homme brun, penché sur un livre. À mon entrée, il lève la tête, révélant son visage. Surprise, je m'écrie :

-Vous !  

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