1- Orage et tartiflette
Une brise fraîche caresse mon visage. Je me retourne entre mes draps rêches. Trop rapidement, j'ouvre les yeux, pour les refermer aussitôt, aveuglée par les rais de lumière qui percent à travers les trous de la tôle qui me sert de toit. J'enfouis ma tête sous mon oreiller, prête à me rendormir, quand une petite voix bien connue me retient dans mon élan de paresse.
-Allez, debout, feignasse ! Il est tard !
Un petit museau poilu vient se fourrer dans mon cou.
-Je veux dormiiir... je grogne.
-Mais il est déjà midi passé !
-Hein ?!
Je me redresse vivement, tout en me cachant les yeux avec la main. Je m'étire en baillant mes muscles engourdis. J'ouvre lentement les yeux, tentant de m'habituer à la vive lueur matinale (même si selon Nyx, il est plutôt l'après-midi).
Je jette un coup d'œil à ce dernier, qui s'étire nonchalamment sur mon lit. Nyx est un «Snaelow», une sorte de chat des neiges. Je l'ai découvert alors qu'il n'était qu'un bébé, dans un camion de ravitaillement en provenance du Mont-Blanc. Selon lui, sa mère aurait tenté de le cacher dans le camion, mais le véhicule était partit tandis que la Snaelow allait chercher ses autres petits. Malgré le fait que ses souvenirs sont très flous, Nyx en est persuadé.
Apparemment, les Snaelows noirs sont très rares, ce qui fait de mon ami un spécimen peu commun. De plus, il parle. Selon lui, ce serait car il a des cordes vocales similaires aux humains. Les Snaelows sont de biens étranges créatures...
J'enlève ma chemise de nuit mangée aux mîtes pour enfiler un vieux jean noir délavé et un tee-shirt à manches courtes noir trop grand. L'air est frais, par conséquent, je passe aussi un sweat-shirt à capuche gris, plutôt en bon état. J'essaie une nouvelle fois de mettre un peu d'ordre dans mes cheveux, sans succès. Si on peut appeler « cheveux » l'épaisse crinière de mèches rouge sombre, coupées inégalement, qui me recouvre le crâne.
Finalement, je me retourne et lance un regard insistant à Nyx.
-Pourquoi tu me regardes bizarrement ? me demande-t-il en plissant ses grands yeux bleus-argentés.
-Parce-que j'ai hâte que tu aies fini de te lécher l'arrière-train pour qu'on aille manger !
Il lève les yeux au ciel puis se passe un dernier coup de langue sur la queue avant de bondir hors du lit et de me rejoindre à petits pas élégants.
-C'est bon ? je demande sarcastiquement. Monsieur a fini ?
Sans répondre, il saute sur mon épaule et s'accroche en plantant ses griffes dans ma peau. Il ne me fait pas mal, car à cet endroit, mon épiderme est durcie à force d'être lacérée par les griffes pointues de Nyx. Il se blotti contre ma joue et je sors de mon abri.
Ce dernier est en réalité un vieux local à outils, situé sur le toit d'une ancienne école, aujourd'hui sur le point de s'effondrer. J'aurais pu habiter dans le bâtiment, me direz-vous, mais c'est parce-que vous ne l'avez pas vu : des murs couverts de mousse, les plafonds qui s'effondrent, le sol jonché de débris... Cette école est une ruine totale ! Il est vrai que mon abris en tôle n'est pas un pas un palace, mais tout de même...
Je me dirige rapidement vers le bord du toit et observe les alentours. L'école n'est pas très loin du Thiou, le cours d'eau qui traverse la ville d'Annecy. Les toits de tuiles rouges contrastent avec le ciel gris automnal. L'air est lourd et chargé d'électricité, orageux.
-Il va pleuvoir... annonce Nyx, confirmant ma prévision.
-Il vaudrait mieux se dépêcher, alors ! dis-je en déroulant l'échelle de corde.
Je l'ai fabriquée après m'être aperçue que je n'étais pas la seule à m'en servir. En effet, certains voyous s'amusaient à me chaparder mes affaires, ce qui m'embêtait au plus haut point, d'autant plus que ce n'est pas chose aisée de me les procurer honnêtement.
Nyx saute de mon épaule et je descends les échelons quatre-à-quatre, poussée par la faim. Le Snaelow réenroule l'échelle à grand-peine, puis grimpe dans le petit seau en fer accroché à la poulie, avec lequel je le fais descendre.
Arrivé en bas, Nyx remonte sur mon épaule. Il ne me gêne pas, je suis habituée, et il est léger. Il est plus petit qu'un chat adulte, et arriverait à l'épaule de l'un d'eux.
-On mange quoi, aujourd'hui ? me demande-t-il. J'aimerais bien quelque-chose de chaud...
-Une tartiflette de Chez Ern, ça te dit ? je demande avec un sourire en coin.
-Ouiii ! ronronne-t-il.
Je marche d'un pas vif dans le dédale des ruelles d'Annecy. J'observe mes baskets rappées qui cognent contre les pavés inégaux, lorsqu'une grosse goutte s'écrase sur ma tête.
-Oh oh... je murmure.
Je rabats la capuche de mon sweat-shirt et me mets à courir. Les pavés humides glissent et je manque de tomber à plusieurs reprises.
Finalement, j'arrive en bon état devant Chez Ern. C'est un petit chalet typique de Savoie, fait bois au toit renforcé de poutres, servant à soutenir le toit en cas de grosses chutes de neige.
J'ouvre la porte en bois et entre. À l'intérieur, il fait chaud et l'air a une bonne odeur de fromage fondu et d'autres mets bien chauds. Un comptoir en chêne est installé au fond de la petite salle, où sont dressées une demi-douzaine de tables en bois.
Le patron sort de derrière le comptoir. Il a les cheveux gris, la soixantaine, et un peu d'embonpoint.
-Ah ! Rhuwen ! s'écrie-t-il de sa grosse voix en me voyant. Comment tu vas ? Et ta bestiole ?
-Bien, Ernest ! je réponds. Et vous ?
-Je ne suis pas une bestiole ! grommelle Nyx en réprimant un sourire.
-Bien ! Ça fait une paie qu'on ne s'est pas vu !
-Eh bien... C'est que je n'avais pas assez de monnaie pour m'offrir un repas...
-Rhoo... fait-il en fronçant ses sourcils broussailleux. Tu prendras quoi ?
-Une tartiflette au reblochon, s'il-vous-plaît.
-Très grosse ! ajoute Nyx.
-Ça marche ! Je vous l'amène, asseyez-vous, dit-il en allant vers la cuisine, dont l'entrée se trouve derrière le comptoir.
J'obtempère et m'installe à une petite table, non loin de la vitrine. Nyx saute sur mes genoux et se roule en boule. Je le caresse, appréciant son pelage doux et chaud sur ma peau glacée. Dehors, un mélange d'eau et de neige à moitié fondue tombe du ciel. J'ai bien fait de me dépêcher. La voix d'Ern me sors de mes pensées.
-C'est prêêêt ! Et une grosse tartiflette, une ! s'écrie-t-il en posant le plat fumant sur la table, devant moi.
-Merci ! dis-je en souriant.
-Allez, j'ai du travail, moi ! À plus tard ! sourit-il en s'en allant.
-À plus tard ! je réponds.
Nyx grimpe sur la table et renifle le plat. Il se penche et lèche une goutte de fromage fondu. Brusquement, il pousse un cri de douleur.
-C'est sauuud !!! crie-t-il, la langue pendante.
Je me dépêche de lui donner un verre d'eau, dont il lape le contenu à grands coups de langue.
-Quelle idée de lécher un plat fumant ! je le réprimande, inquiète.
-Oh, c'est bon ! râle-t-il.
J'attrape une fourchette et prends une pomme de terre, sur laquelle je souffle, avant de la tendre à Nyx. Il me regarde d'un œil suspicieux.
-C'est bon, j'ai soufflé dessus.
Il en prend une bouchée, et j'entends un léger ronronnement monter de sa gorge. À mon tour, je prends une pomme de terre et la mange avec un grand sourire.
-Pfouh ! J'ai bien mangé ! dis-je en m'affalant contre le dossier de ma chaise.
-Mhh... moi aussi, et, maintenant, j'ai sommeil ! déclare Nyx en s'étirant.
-Alors, on va rentrer et se piquer un bon petit roupillon ! je décrète en me levant.
Je paye et sors du petit restaurant, après avoir salué Ernest, Nyx perché sur l'épaule. Je fronce le nez. Il pleut toujours, et les gouttes sont glacées. Un violent coup de tonnerre résonne dans l'air froid, précédé par un lumineux éclair. Je me mets à courir sous la pluie.
Je finis par arriver devant l'école. Je monte rapidement Nyx à l'aide du seau et il me jette l'échelle de corde. Je grimpe rapidement et cours m'abriter dans ma petite cabane. À l'intérieur, j'enlève mon sweet trempé et le mets à sécher. Je me glisse dans mon lit et rabats la couverture sur moi, glacée jusqu'aux os. Nyx vient se blottir contre ma poitrine, me diffusant sa chaleur. Je ferme les yeux et plonge dans le sommeil, bercée par le bruit des gouttes sur le toit de tôle.
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