Chapitre 5
Kidou poussa la porte de son appartement, retirant ses chaussures. Fudou en fit de même observant l'entrée.
« Tu vis seul ?
— Oui.
— A vingt-deux ans seulement ?
— Tu connais des choses sur moi ?
— C'est juste que Sakiyama te vénère presque... et tous les deux jours, il me parle de toi.
— Sakiyama, celui avec le masque ?
— Ouep. »
Une fois qu'ils furent dans le salon, le danseur décida d'aller chercher à boire dans sa cuisine. Il sortit une bouteille de vodka, et deux petits verres. Fudou ricana en voyant la bouteille, lâchant ensuite que Kidou avait de bons goûts.
« J'espère que tu tiens bien l'alcool.
— T'en fais pas, rétorqua Fudou en se servant. »
Fudou fixa son "professeur" pendant quelques minutes, sous un silence total. Il voulait en savoir plus sur lui, surtout après les révélations qu'il lui avait faites. Mais il ne voudrait pas si facilement.
Kidou ne savait pas s'il pouvait tout lui raconter. Pourtant, il avait bien vu que les élèves de la Teikoku avaient connu la même chose que lui. La présence pesante de Kageyama, ses exercices...
Il ferma les yeux et finit par sombrer.
◤❦◢
« Onii-chan ! Onii-chan ! »
Le garçon aux yeux ambrés leva la tête de son livre.
« On peut danser ? S'il te plaît ! »
Il hocha la tête doucement, posa son livre et se leva, avant de danser avec la fillette aux cheveux bleus.
« Yuuto ! Haruna ! Venez nous voir ! » Lança la voix affective de leur mère.
Les deux enfants avaient neuf et huit ans, ils étaient inséparables et adoraient danser. Et quand ils ne dansaient pas, ils jouaient au football. Les parents des deux enfants partaient pour le travail et prenaient l'avion le soir-même. Yuuto, très mature pour son âge - il savait faire des pâtes tout seul et il y avait plusieurs plats à réchauffer dans le frigo -, devait veiller sur sa sœur, mais aussi sur la maison.
Lorsque les parents refermèrent la porte, les deux enfants ne savaient pas que c'était la dernière fois qu'ils se verraient. Tout passa très vite après ça. Ils trouvèrent refuge dans un orphelinat. Ils devinrent encore plus proches, car ils dansaient tous les deux, oubliant leurs soucis. Ils étaient encore plus seuls qu'avant.
« Viens, Onii-chan, on va danser, ça ira mieux après, tu verras... »
Il oubliait tous ces problèmes en dansant avec Haruna. Et puis il découvrit Kageyama Reiji. La Teikoku Gakuen avait un club de football et de danse, qui avaient un très bon niveau.
« Les Kidou veulent m'adopter. Je vais intégrer la Teikoku.
— Onii-chan... pourquoi ? Tu ne veux plus rester avec moi ?
— Haruna... »
Ils avaient désormais douze et onze ans. Yuuto proposa à sa sœur :
« Dansons ensemble une dernière fois, tu veux bien ? »
Elle hocha la tête doucement. Ils adoraient danser la valse tous les deux. Ils ne répétaient pas une scène, ils inventaient une scène, rien qu'à eux. Une danse inconnue. Leur danse. Ils dansaient comme bon leur semblait, souriant et riant.
Puis Yuuto devint Yuuto Kidou. Il rejoignit la Teikoku. Il admirait Kageyama. Il excellait aussi bien au football qu'en danse.
« Très bien, Kidou-kun ! Tu t'es encore bien débrouillé aujourd'hui ! »
Seulement, il commençait à s'intéresser davantage à la danse. Il faisait un peu moins d'efforts pour le football.
« Plus haut, les bras, Kidou-kun ! Pas comme ça ! »
Il avait l'impression que les exercices se corsaient de jour en jour. Comme si Kageyama augmentait la difficulté pour qu'il abandonne. Il n'abandonna pas si facilement et continua. Yuuto avait reçu des lunettes de la part de Kageyama après une victoire au football. Mais c'était à la danse qu'il voulait être félicité.
« Nous avons eu des nouvelles de Haruna, Yuuto. Elle a été adoptée par les Otonashi, d'après ce que nous a dit la directrice de votre orphelinat. » dit la mère adoptive de Yuuto, un soir.
Yuuto commençait à regretter son choix. Il aurait dû proposer aux Kidou d'adopter Haruna également, même s'ils ne voulaient qu'un seul enfant.
« Je voudrais la voir, s'il vous plaît. Je voudrais revoir Haruna...
— Bien entendu. Tu es grand, fais comme bon te semble. »
Sa mère adoptive était quelqu'un de compréhensive, et elle comprenait parfaitement l'envie de Yuuto. C'est en mars que Yuuto implosa.
« Kidou-kun ! Plus haute, la jambe !
— Ou-Oui ! »
Yuuto était le seul à prendre des cours de danse ce jour-là. Kageyama soupira et vint se coller dans son dos, soulevant sa jambe, ce qui le fit tomber.
Pourquoi l'homme qu'il admirait avait-il pu ? Yuuto avait trop de fierté pour tout révéler. Alors il se tut. Il se laissa faire. Il apprit à cacher ses sentiments. Sa douleur, ses pleurs, sa joie. Une poupée sans âme.
Mais il en eut marre. Il craqua et en parla un jour à son ami d'enfance, Shuuya, de qui il se sentait le plus proche. Shuuya Gouenji lui révéla alors qu'il avait vu Haruna. Elle était au collège Raimon. Yuuto n'hésita pas. Il mit la danse de côté et rejoignit Raimon, jouant au football, s'entraînant seul, chez lui. Haruna était la manageuse du club de football. Longtemps, ils se regardaient sans rien se dire. Puis ils se réconcilièrent. Comme s'il ne s'était rien passé.
« Yuuto ! Faut que tu nous aides ! Il nous manque un joueur pour le FFI !! »
Ryuugo, l'autre ami d'enfance de Yuuto et Haruna, ainsi que Shuuya, suppliait presque le brun à genoux.
« S'il te plaît !! On a plus Shuuya, faut que tu viennes avec nous !
— Mh... d'accord... je le fais seulement parce que tu me le demandes. »
Et ils avaient gagné, après avoir affronté des dizaines d'équipes, venant d'Asie et du monde entier. Ils étaient champions du monde. Il avait alors organisé un rendez-vous avec Haruna, le jour de son anniversaire, pour fêter ça.
« Je porterai une robe blanche, et toi ?
— Ma cape ! » Rigola Yuuto.
Il ne se doutait pas que ce serait la dernière fois qu'il l'entendrait rire. Il arriva devant la fontaine de la rue commerçante avec un peu de retard. Il y avait foule, et une ambulance. Il passa parmi la foule, cherchant Haruna. Il savait qu'elle n'aurait pas résisté à la tentation de regarder et prendre des notes. Il savait que sa sœur avait une incroyable soif d'informations. Mais en dépassant la foule, ce qu'il vit le cloua sur place, lui nouant la gorge. Il amena ses mains à son cou, l'impression que sa respiration était bloquée.
C'était Haruna, en robe blanche, maculée de sang, qui était étendue au sol. Sa gorge se dénoua, relâchant le nom de sa sœur, dans un cri déchirant. Il tomba sur ses genoux, près de Haruna.
« Onii... chan... ?
— Tais-toi, ça va aller, je suis là... je suis là...
— Onii-chan... viens... on danse... une dernière... fois... notre danse... à nous...
— Autant que tu voudras, c'est promis... c'est promis ! »
Il l'avait accompagnée tout le long. Il ne voulait pas lui lâcher la main. Il lui répétait "c'est promis". Il ne voulait pas perdre le dernier fil qui le maintenait en vie, qui le reliait à ses défunts parents. Il ne voulait pas perdre Haruna.
« Yuuto Kidou ? »
Il releva les yeux. Un docteur l'amena près de Haruna, sous perfusions et bandée.
« Haruna... tu m'entends ? »
Sa voix tremblait. Il se retenait de pleurer. Les garçons, ça ne doit pas pleurer, se répéta-t-il. Il ne devait pas pleurer...
... mais il pleura, devant Haruna, endormie.
Elle n'était pas morte. Durant deux semaines, Yuuto refusa d'aller en cours. Il refusa les appels de Ryuugo. Le lundi suivant l'accident, Ryuugo et Shuuya étaient venus, Shuuya tenant un bouquet de fleurs.
« Yuuto... tu comptes participer au FFI, pour le lycée ? Demanda Ryuugo, tandis que Shuuya s'occupait de mettre les fleurs dans un petit vase.
— J'ai autre chose à faire que participer au FFI.
— Arrête de te morfondre ! Haruna n'est pas morte ! Tu peux très bien continuer de jouer au foot !
— Ryuugo, ferme-la, s'il te plaît.
— T'as dit quoi, là ?!
— Calmez-vous, tous les deux, dit Shuuya d'une voix douce. Nous sommes dans un hôpital. Ryuugo, je rejoins Yuuto. Il ne compte pas arrêter définitivement, il va juste faire une pause jusqu'à ce que Haruna aille mieux. N'est-ce pas ? »
Yuuto n'avait pas répondu. C'est après deux semaines que Yuuto sombra. Il était retourné à Raimon pour la première fois depuis l'accident. Ryuugo et Shuuya avaient demandé aux autres du club de ne pas mentionner Haruna, ce qu'ils firent sans problème. Il avait décidé de passer tous les soirs après les cours, tout comme Shuuya l'avait fait pour Yuuka, sa petite sœur.
« C'est moi, Haru... »
Un bip prolongé le stoppa. Il laissa tomber son sac. Il s'approcha doucement de sa sœur. Elle ne respirait plus. Son cœur ne battait plus. Pourquoi ? Pourquoi ?
« Haruna... !
— Yuuto-kun... ? »
La mère adoptive de Haruna était venue la voir en même temps que lui. Rapidement, elle appela un médecin. Haruna était morte. Quelqu'un avait débranché ses perfusions, et arrêté la machine respiratoire. On pensa rapidement à Yuuto, mais il fut défendu par les Kidou et les Otonashi.
« Yuuto Kidou ?
Il avait erré de longues heures dans Tokyo, vide de toutes émotions, réfléchissant. Qui lui voulait du mal ? Qui l'avait débranchée ? Pourquoi ? Il sortit enfin de ses pensées ; un collégien portant l'uniforme de la Teikoku l'avait stoppé. Il lui tendit une sorte de magnétophone.
« C'est de la part du commandant, pour toi. »
Le commandant. Kageyama. Il n'y avait que quelques mots enregistrés. La petite machine s'était cassée juste après, mais Yuuto avait gravé la phrase dans sa tête.
J'ai débranché Haruna Otonashi, après avoir pris soin de la mettre sur un lit d'hôpital. Traître.
C'était Kageyama. C'était lui. Juste parce que Yuuto était parti de la Teikoku. Juste pour ça, Haruna était morte. A cause...
De lui.
Et si il n'avait pas donné rendez-vous à Haruna ? Et si il n'avait pas été en retard ? Et si il n'avait pas quitté la Teikoku ? Et si il ne s'était pas laissé faire ? Et si il n'avait pas rejoint la Teikoku ? Et si ses parents n'étaient pas morts ?
Et si il n'avait jamais été son frère ?
Et si il n'était pas né ?
Et si il n'y avait eu que Haruna ?
Yuuto pensa plusieurs fois à se suicider. Mais il n'en eut jamais le courage. Shuuya et Ryuugo le soutenaient trop pour cela. Le premier comprenait sa douleur, Yuuka, sa petite sœur, avait elle aussi été plongée dans le coma. Ryuugo s'était d'ailleurs excusé de nombreuses fois, pensant que peut-être, ainsi, il aiderait son ami.
Avec le temps, Yuuto remontait peu à peu. Il dansait. Il avait repris la danse, seul. Il s'était perfectionné dans chaque danse pour oublier Kageyama et garder un lien avec sa sœur. Il donnait des cours, et, seul, il dansait avec le fantôme d'Haruna.
Il dansait à leur façon.
On aurait dit qu'il y avait un partenaire dans vos bras...
Il y avait Haruna, dans ses bras. Il dansait toujours avec elle. Il danserait toujours avec elle. Et le jour où il pourrait mourir, elle serait là pour lui.
◤❦◢
Fudou observait Kidou, allongé sur le canapé, endormi depuis une bonne demi-heure.
Le brun essuya les larmes qui perlaient aux yeux de Kidou. De quoi rêvait-il, pour pleurer ainsi ?
Même s'il était fan de lui, quand il entendait des rumeurs sur lesquelles un traître avait quitté la Teikoku, il se rendit compte qu'il ne savait rien de lui. Il ne connaissait pas son vrai lui.
Il avait de plus en plus envie de le connaitre. De l'aider. Il avait fait des efforts, mais à présent, il l'aimait bel et bien, il en était convaincu.
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