Chapitre 1
L'étudiant ouvrit les yeux. Il fixa son plafond quelques minutes. Il n'était pas mort durant la nuit. Dommage. Il se redressa après quelques secondes et attrapa son téléphone sur sa table de chevet. Il avait quinze minutes avant que le bus passe devant son immeuble. S'il le ratait, sa journée était foutue.
Il prit l'élastique bleu près de ses lunettes, également sur la table de chevet, et attacha ses dreadlocks habituelles en une queue de cheval, se levant de son lit. Il laissa tout de même quelques mèches sur ses épaules. C'était sa coiffure depuis des années, pourquoi il en changerait ? Il se fit couler un café, avec deux sucres. Laissant son café refroidir, il remplaça son pyjama pour un panta-court de sport gris foncé, et un haut à manches longues décolleté jusqu'à la naissance de ses pectoraux.
On était jeudi aujourd'hui. Et le jeudi, il était étudiant en master de droit et professeur. En parallèle à ses études plutôt compliquées, il trouvait le temps d'être professeur de danse, à l'université Raimon, qui comportait de nombreux cursus. Littéraire, scientifique, politique, mais pas de danse ou art de la danse.
Son nom était connu dans toute l'université, voire même dans toute la ville, car il avait gagné plusieurs concours. La danse était son élément. Il pouvait tout danser. Enseigner n'importe quelle danse, du hip-hop à la valse, étant le seul professeur de danse de l'université. Les étudiantes se bousculaient pour venir le voir s'entraîner tous les jours, que ce soit entre deux cours, à la pause déjeuner ou après les cours quand il n'avait rien de prévu.
Le danseur s'étira les bras doucement, les tendant vers le haut, une fois qu'il eut pris son sac, fait depuis la veille. Il avala son café d'une traite, replaça ses lunettes et sortit, fermant la porte de son appartement derrière lui. Il descendit calmement, plaçant ses écouteurs dans ses oreilles.
Si on venait le voir tous les jours lors de ses entraînements, dans sa salle de danse, on pouvait remarquer qu'il s'exerçait à toutes les danses, seul, horriblement seul, quand il n'avait aucun élève. Il refusait les cours supplémentaires. Le plus souvent, il dansait la valse, réputée pour être triste si l'on avait pas de partenaire. Les élèves ayant cédé à la tentation de l'espionner disaient toujours la même chose : "C'est beau, mais triste. Ce qui fait que ça le rend encore plus beau."
Le bus s'arrêta devant l'immeuble au moment où il ouvrit la porte de celui-ci. Il continua d'avancer et grimpa dans l'autobus, montrant sa carte au chauffeur. Comme toujours, il alla s'installer au milieu, où quatre sièges étaient tournés les uns vers les autres. Devant lui, il y avait deux lycéennes qui parlaient. Mais il ne les entendait pas. La musique se déversait dans ses oreilles. Il ne pensait à rien d'autre qu'à danser. Quand il fermait les yeux, il dansait. Quand il rêvait, il dansait. Chez lui, il dansait, sauf le matin, n'étant pas échauffé.
Quand il ne dansait pas, il écoutait de la musique de ballet, de valse, de tango, de hip-hop, parfois. Il n'était pas ce genre d'étudiant à écouter les musiques qui passaient à la radio, sauf s'il avait un coup de cœur. En matière de musique dite "du moment", il avait deux ou trois ans de retard. Voilà pourquoi il ignorait tout de la chanson "Despacito". Et peut-être était-ce mieux ainsi.
Lorsque le bus s'arrêta, il descendit avec les deux lycéennes. Il partit à gauche, vers l'université, et elles, à droite, au lycée Raimon, juste à côté. Le collège Raimon n'était pas loin non plus, à vrai dire. Ignorant les jeunes étudiantes, il entra dans le bâtiment. Il était sept heures cinquante, et il était pile à l'heure pour son cours.
Pour lui, le jeudi matin, c'était cours, et l'après-midi, danse. Il entra dans la salle pour le cours de... bah, il ne savait même plus quel cours il suivait. Il s'en moquait. Il voulait juste danser. Danser.
Danser, encore, et encore, même s'il devait finir avec les os des orteils brisés, la plante des pieds brûlante de douleur, ses muscles et sa peau déchirés, le laissant saigner et se vider de son sang. Danser jusqu'à son dernier souffle de vie.
« Tu devrais suivre le cours au lieu de dormir... » Lui souffla son voisin.
Il ouvrit les yeux et les leva vers son voisin, Fubuki Shirou. Il lui faisait un sourire doux et inquiet à la fois. Les examens approchaient, ce n'était pas le moment de dormir, même si les professeurs n'en avaient rien à faire.
« Tu as dormi, hier soir, au moins ? Demanda à nouveau le blanc.
— Oui...
— Sans doute pas assez, alors. Tu devrais rater un cours et aller te reposer.
— Non, c'est bon... Je boirai un café ou deux, ça ira. »
Shirou lâcha un soupir, comprenant qu'il n'arriverait à rien. Il nota quelques phrases sur son ordinateur portable avant de tirer son camarade de sa somnolence.
« On va faire du patinage avec Atsuya et Ryuugo, ce soir. Tu veux venir, après tes cours ?
— Volontiers. D'ailleurs, je maintiens qu'il devrait écouter ce que je lui dis, s'il veut progresser.
Le plus jeune, âgé de seulement vingt-et-un ans, rit à la blague de son camarade. Someoka comprit rapidement qu'on riait de lui. Il préféra ne pas s'énerver et suivre le reste du cours.
***
Le premier cours, celui de treize heures, était enfin arrivé. Il avait deux cours de deux heures. Ses cours étaient toujours complets, sachant qu'il acceptait vingt élèves maximum à chaque fois.
Jusqu'à quinze heures, c'était la valse, et, jusqu'à dix-sept heures, le hip-hop. La première, il l'enseignerait avec l'un de ses meilleurs élèves, et le second, tout seul. Le professeur soupira, remettant sa queue de cheval comme il fallait, et laissant quelques cheveux retomber sur ses épaules. Il ouvrit la porte de la salle de danse, devant laquelle se tassaient une bonne trentaine d'élèves, même si les filles étaient plus nombreuses.
« S'il vous plaît, lâcha-t-il d'une voix forte, obligeant les étudiants à se taire. Je prends vingt élèves, vous le savez. Vous êtes ici car vous êtes inscrits, ou bien parce que vous espérez pouvoir vous glisser dans mon cours. Sachez que si je découvre ne serait-ce qu'une seule personne ici qui est entrée sans être inscrite, elle passera un sale quart d'heure. Alors partez maintenant si vous ne voulez pas être punis. »
Une dizaine de filles s'en alla, lâchant des "il est trop autoritaire !", "allons nous inscrire à un autre cours", ou même des "au moins, on l'aura vu et entendu en vrai !", ce qui désespérait l'étudiant. Il ne voyait pas vraiment ce qu'il avait de spécial.
Il laissa entrer vingt étudiants. Il accepta les deux dernières, pensant que deux de plus iraient, pour une fois. Il ordonna à ses élèves, dont certains étaient des habitués et suivaient ses cours pour le cours, et pas pour le voir lui, de s'étirer. Les bras, les jambes, les poignets, les chevilles, et le cou. Puis, il lâcha :
« Je vais passer vous voir. Si je juge que vous n'êtes pas assez sérieux ou que votre tenue laisse à désirer, vous devrez partir et attendre le prochain cours, à moins d'avoir une très bonne raison. Je suis sévère, mais je ne veux pas juste vous faire le spectacle. Je veux danser avec des gens qui partagent mon envie. »
Chose dite, chose faite. Il passa entre les étudiants, zieutant chacun de leurs gestes. Six filles durent partir, ce qui laissa cinq garçons et neuf filles, qui continuèrent de s'échauffer pendant dix minutes.
Les élèves restants étaient des habitués, qui se connaissaient à peu près tous. Le professeur sourit et commença finalement son cours. A quinze heures moins cinq précises, il laissa sortir ses élèves, les invitant à s'entraîner chez eux et revenir la semaine suivante. Il avait dix minutes. Dix minutes pour danser. Dix minutes pour s'évader, laisser tout tomber, et danser.
Il saisit sa télécommande et appuya sur une touche. Sa musique de tango du moment commença. Comme si une partenaire était dans ses bras, il se laissa aller, dansant comme bon lui semblait. Il s'arrêta quelques minutes après, entendant un bruit de porte. La musique s'était elle aussi arrêtée.
« Ce n'est pas encore ouvert. » lâcha-t-il, reprenant son souffle doucement, relâchant ses bras.
Un jeune étudiant se tenait près de la porte, la bouche mi-close, les yeux brillants. Il semblait impressionné par la performance de son aîné. Il bégaya finalement quand il se rendit compte qu'il était repéré.
« Tu viens pour le prochain cours ?
— N-Non, non ! Et je ne viens pas t'espionner, non plus ! Je cherchais un ami à moi et puis je suis passé, et...
— Comment te nommes-tu ? Coupa le brun.
— Endou Mamoru, monsieur...
— Je suis un étudiant, comme toi. Ne me vouvoie pas, sauf si tu suis mes cours, dit l'élève aux dreads, avec un léger sourire.
— C'est toi, celui dont tout le monde parle ? Le fameux élève danseur ?
— Oui, c'est bien moi. Tu m'as vu danser, non ? »
Endou hocha la tête. Il était éberlué. Il était resté à regarder le garçon aux dreads, complètement hypnotisé par ses gestes. Il avait même oublié ce pourquoi il était venu.
« On aurait dit qu'il y avait un partenaire dans vos bras... lâcha le brun au bandeau.
— Endou Mamoru, c'est bien ça ? Moi, je suis Kidou Yuuto. »
Il sourit doucement. Oui, Kidou était étudiant, et en même temps, professeur de danse, ce qu'il aimait le plus au monde. Il ne se doutait pas qu'une personne se mettrait entre la danse et lui.
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