7. Take My Breathe Away
Y a des jours comme ça, qui arrivent d'on ne sait où et qui chamboulent notre quotidien. De la même façon qu'il est possible de tomber sur une voisine qui gagne à l'euro-million, le destin peut parfaitement choisir que finalement, on mérite le meilleur.
On appelle ça le karma.
J'y ai toujours cru : c'est pas pour rien que je prends le temps de donner des pièces aux sans-abris, que j'aide une femme enceinte à ramasser son sac de course, que j'offre mon épaule à une grand mère pour traverser un passage piéton ou encore que je retiens les ascenseurs quand quelqu'un se précipite pour l'avoir. Je pense à mon avenir, voyez vous. Et mon altruisme, j'en suis persuadée, me sauvera la vie un jour.
Ceci dit, pas un seul instant je n'ai pensé qu'il m'arriverait ce genre de chose.
C'est donc béatement que je regarde l'écran de mon ordinateur, telle une carpe sur la table d'un chef, qui affiche sournoisement la plus belle blague de l'année. Le téléphone est comme mort entre mes doigts, et j'en oublie le gars à l'accent anglophone qui m'a appelé.
Sous mes yeux, sur la page facebook où j'ai posté la photo de Patch, je vois un lien internet, envoyé par une internaute hystérique. Elle a écrit, avec la phrase la plus courte et la plus bourrée de fautes que je n'ai jamais vu :" C'est la chienne de Eli !!! ", sans les fautes, bien entendu.
Sur le coup, j'avoue ne pas comprendre, et je ne prête plus trop attention à ce qu'il se passe à l'autre bout du fil - de toute façon, leur conversation en anglais s'entend à peine, et je dois faire un effort pour comprendre ce qu'ils se disent. Je clique donc sur le lien, qui me renvoi aussitôt sur un article du Closermag. Et là, je défaille.
Le titre me transperce l'œsophage, et je sens une grosse goutte de transpiration glisser dans mon décolleter.
" LA STAR DU TOP 3 MONDIAL PERD SA CHIENNE "
Avec, en photo de couverture, une superbe image du chanteur Elijah, torse nu et accroupi avec un bras passé autour de la nuque de Patch. Je la reconnais illico. Je n'ai pas besoin de lire l'article pour comprendre la béquille que vient de me mettre le destin.
Pendant un instant, mon premier réflexe est de ne pas y croire. Mes yeux vont alors de la boxer roulé sur mon tapis à celle sur la photo.
IM-PO-SSIBLE.
Je balbutie, la main crispée au téléphone, paniquée et hallucinée. Je n'en reviens pas. Je prends une inspiration tremblotante et parcoure le texte en diagonale. Toutes les infos que je gratte ne parviennent qu'à affirmer l'insensé. Tout concorder. La date, l'heure approximative, l'apparence de la chienne et, bien entendu, le nom.
Merde, comment j'ai pu ne pas l'apprendre avant ?
- Vous... Vous êtes... ? Je lis sur internet que Patch est la chienne du chanteur Elijah... C'est... est-ce que c'est vrai ?
Je m'exprime avec difficulté, ayant de nouveau du mal à trouver les mots, comme si je parlais une autre langue. Une locomotive vieille de cent-an a remplacé mon pauvre cœur, et mes yeux deviennent tout rouges tant je les écarquille. Le manager me parle, mais son accent hachure son monologue et j'ai dû mal à le suivre. Je comprend toutefois où il veut en venir, et je jette un œil à mes messages privés sur facebook. Quand je me suis connectée, j'imaginais que c'était une amie qui m'avait floodé, mais maintenant que je vois s'afficher "15 nouveaux messages privées", j'avale ma salive.
Merde, merde, merde !
Même si j'ai toujours du mal à y croire, je fais la première chose qui me semble le plus censé : Je supprime toutes les annonces que j'ai pu posté sur le web, soupirant de soulagement en me rappelant que je ne mets jamais mon vrai nom de famille sur internet. Cependant, celui de ma société, lui, est bien visible par tout le monde. Je secoue la tête.
Subitement, j'entends un grognement à l'autre bout du fil, ce qui fait que je prête de nouveau attention à ce qu'il se passe, tout juste à temps pour me concentrer sur les paroles en anglais qui fusent :
- Hey, on s'en fou de tout ça, je veux Patch. Tu es où ? Amènes la moi.
Je reste interdite, tente d'assimiler les mots aux phrases, puis les phrases au contexte, et ensuite... ensuite je réalise que j'ai peut-être une star mondialement connu qui est entrain de m'engueuler dans sa langue maternelle, et je perds tous mes moyens.
Comment on dit bonjour en anglais déjà ?
- Sa... salut, hésité-je. Je peux pas me déplacer maintenant... mais vous pouvez venir la chercher.
Je bute sur les mots, pas vraiment sûre de prononcer tout correctement, ni d'accorder les verbes comme il faut. Mais je suppose que mon interlocuteur comprend, puisqu'il ajoute :
- Je pense que tu trouveras le moyen de venir. Je te promets un autographe et...
Quelqu'un lui reprend le téléphone, et je suppose que c'est son manager. Comme j'ai un peu perdu l'usage de la parole, j'en profite pour écouter la discussion que je parviens à entendre. Ils parlent toujours en anglais, si vite que j'ai un peu de mal à suivre. A côté de ça, mes yeux poursuivent leur lecture sur internet, et plus je lis, plus l'excitation et l'adrénaline m'embaument toute entière. Je me mets bientôt à stresser, et mes doigts tremblent en s'engourdissent.
C'est l'effet qu'on a quand on gagne au loto ? J'ai l'impression d'être plongée en plein rêve, mais j'ai beau me pincer la peau, je suis toujours dans mon corps, bien éveillée.
Je me lève brusquement et file chercher le paquet de clope qui traîne dans un tiroir, spécialement prévu pour les occasions particulière. J'ouvre ma fenêtre, chope le briquet qui sert à allumer mes bougies et me grille une clope. J'inspire profondément et m'intime de me calmer. Je dois absolument réfléchir à la situation. Si ce n'est vraiment pas une blague, je dois cogiter les événements en étant totalement maîtresse de mes agissements. Je ne peux décemment pas péter un plomb et me mettre à hurler hystériquement comme une groupie - ce que je ne suis pas, soit dit en passant.
- La "simple fille" qui vous entends vous dit elle ne vient pas. Vous bougez. Pas moi : je reste chez moi parce que j'ai des affaires. Ce soir.
Bon, au début j'avais prévu de faire une phrase moins concise et professionnelle, mais le stress doublée du peu de pratique de la langue me fait écorcher les mots et buter sur le vocabulaire ; alors je me contente du plus simple. Tant qu'ils me comprennent, tout va bien.
Je sais que je prends un risque en les apostrophant ainsi, d'un autre côté, j'ai Juno la staffie chez moi - qui est actuellement entrain de jouer avec un os comme s'il s'agissait d'un chose vivante - et j'ai promis à Tom de la garder jusqu'à ce qu'il rentre. Ce n'était pas prévu, mais le service qu'il m'a demandé ne pouvait pas être refusé. Il devait emmener sa femme à l'hôpital pour des analyses, et ses parents ont eu un empêchement : ils ne pouvaient donc pas s'occuper de la chienne.
Sauf qu'il ne sait pas lorsqu'ils auront terminé, et qu'il ne m'a pas donné d'horaires précises. Il doit me prévenir quinze-minutes avant de venir, mais si je m'absente, on risque de se louper, et je me sentirai vraiment mal de le faire patienter.
C'est une première excuse.
La seconde et la plus réaliste, c'est que je n'ai pas envie de bouger de chez moi, encore moins pour me plier aux exigences d'une star, sous prétexte que ç'en est une. Et ce que je les ai entendu dire sur moi à l'autre bout du fil m'a conforté dans mon idée qu'il n'était pas question que je me laisse marcher sur les pieds.
Je suis en possession de sa chienne, donc je peux parfaitement marchander.
Soudain je me demande s'il va venir, Elijah, en personne. Ce sera surement son manager. Ne devrais-je pas plutôt y aller ? De toute façon, ils ont l'air d'avoir changé d'avis. Mais j'aurai peut-être dû sauter sur l'occasion. CE n'est pas tous les jours qu'on peut rencontrer un chanteur mondialement connu. Je pourrai lui demander un autographe...
Non.
Je relis l'annonce sur Twitter que la star a personnellement posté.
<< J'offre à celui qui retrouve ma chienne ce qu'il désir le plus au monde >>.
Ce sont ses mots.
Ce que je désire le plus au monde ?
Mon ami, il ne faut pas me le dire deux fois !
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