16. Come Back


La matinée s'éternise ; j'en ai ras-le-cul au bout de trente minutes. Au début c'est presque marrant, puisque les gars et moi on trouve toujours matière à se bidonner, mais très vite ça devient lassant. Déjà, tout est pas prêt quand on arrive. Ses fichus français sont toujours à la bourre, toujours paniqué : à croire qu'ils aiment bosses sous le joug du stress.
 Alors on se fou de la gueule de l'équipe de production supposée filmer notre échange avec la journaliste, tout en nous goinfrant de ces délicieux croissant et pains au chocolat - sans rire, pour le retour en Amérique, je repars avec une de leur fameuse boulangerie. Et puis arrive l'heure de passer sous la caméra pour subir l'affreux interrogatoire de cette pimbêche si surchargée de maquillage qu'elle en devient presque hideuse. En d'autres circonstances, je suis certain que ce doit être une nana très... convenable, on va dire, mais là : elle se transforme en bouffonne qui rit à chacune de nos phrases, même quand c'est pas drôle. Je sais même pas si elle parle anglais, puisque pour la caméra elle est obligée de parler en français. Un autre débile de journaliste est à côté d'elle et traduit ce qu'on dit tout en nous posant des questions à son tour. A eux d'eux, ils me vident de mon énergie. 

Le plateau de tournage est, en prime, terriblement inconfortable. Plutôt que nous installer dans un canapé, on est assis comme des cons sur des chaises, à une table ronde bidon qui semble être en plastique. Si je donne un coup dedans, j'suis sûre qu'elle se brise. 
Bref : une mâtinée merdique qui promet de ne pas vouloir prendre fin, étant donné qu'après ça, rebelote pour le même cinéma mais pour une fichue chaîne française. Et ensuite - ou avant, je sais déjà plus - on a une séance photo. A moins que ce soit demain. 

Contrairement à moi, mes bro* s'éclatent durant les interviews, sauf peut-être Sean qui est pas causant. Moi, ça me fait juste chier, même si j'avoue bien me marrer parfois. Mais jamais tout seul. 

- Comme beaucoup de personnes qui vous suivent sur les réseaux sociaux, nous avons remarqué que votre chienne - du nom de "Patch", si je ne m'abuse ? - avait été égarée, me demande la journaliste. C'est exact ?

Le gars à sa gauche traduit ce qu'elle vient de dire, et je décoche un regard meurtrier à la gonzesse qui a osé parlé de la pire situation qui me soit arrivée ces derniers temps. Elle déglutie, baisse un instant les yeux mais ne se départi pas de son sourire. 

- Ouais, je finis par répondre. 

- Mais vous l'avez retrouvé ? 

- Ouais.

- Et peut-on savoir comment c'est arrivé ? 

William, le plus à l'aise devant la caméra de nous tous, se met à rire.

- Une jolie française l'a trouvé.

- Oh, pouvez-vous nous en dire plus sur cette française ? répond la nana, avide, traduite par son collègue. 

Et là, William se retrouve comme un con, sachant pertinemment qu'il n'a absolument pas le droit de parler d'elle. Par réflexe, il tourne la tête vers Stanley qui se tient plus loin avec l'équipe de tournage. Il lui fait aussitôt les yeux ronds en faisant une croix avec ses mains. Traduction : ferme ta gueule. 
J'esquisse un sourire.

- Désolé, se rattrape Wiliam. Je n'ai pas le droit d'en parler.

La meuf est déçue, ça se voit, mais comprend que le combat est perdu d'avance. Elle passe donc à autre chose :

- Vous devez être ravie de la retrouver. Qu'avez vous ressenti quand on vous a appris sa disparition ? 

Ravi. C'est pas le mot. Mes bro' se crispent et je serre les dents. Je peux pas saquer cette meuf. Mais un coup d'œil vers le manager qui m'enjoint de répondre me force à prononcer la réponse tant espérée. Alors je fais tout pour la rendre mal à l'aise.

- J'ai eu l'impression que ma mère mourrait une seconde fois.

Bim, dans tes dents. Ca la calme net. Elle s'éclaircit la gorge et change aussitôt de sujet.

Du coup, quand le blabla et les questions se terminent enfin, je pousse un soupir de plaisir. Alors que mes potes continuent à draguer la journaliste qui poursuit ses minauderies, je me lève avec dans l'idée de me dégourdir les jambes. Le second gars français s'approche alors de moi.

- Est-ce que c'est possible d'avoir une photo de vous et de votre chienne ? 

Stanley se matérialise à mes côtés avec un grand sourire.

- Bien entendu, donnez nous le temps de la ramener et on fait ça, répond-il à ma place. 

Je grince des dents, mais je sais que c'est pas la peine de râler puisque pour ce genre de choses, c'est à lui de gérer. Je le paie pour ça. Et puis, dans tous les cas il aurait fallu que je fasse une photo pour marquer le coup : je préfère autant que ce soit avec ma chienne. Stan me demande de prévenir la fille de venir avec Patch et j'obtempère de mauvaise grâce. Je sors mon téléphone, vais dans mes contacts et clique sur le nom de "Servante de Patch" pour envoyer un message.

Vingt-minutes plus tard, on prend l'ascenseur pour descendre au rez-de-chaussé pour traverser le hall et passer dans un second bâtiment, accolé au premier mais par lequel on ne peut accéder qu'en quittant le premier. 

- Moi je me la taperai pas, dit Nico pour répondre à la blague salace que William vient de sortir sur la journaliste.

Je lève les yeux au plafond. Ce mec parle de cul tout le temps, de toute façon. Alors qu'on arrive enfin dans le hall, un vacarme de tous les diables se répercute sur les murs, attirant notre attention sur les portes vitrées de l'entrée à notre droite. Dans le même temps, quatre vigiles présent dans le hall aux différents couloirs menant aux étages se ruent vers le bruit de concert. Mués par une curiosité maladive, William s'immobilise au milieu de la pièce pour regarder tout ce remue-ménage que notre traversée vient de provoquer, alors que ça fait partie de notre quotidien. 
Moi, je poursuis mon chemin en soupirant, laissant ce bordel aux gars payés pour calmer ce genre de dérapement. Parfois, je suis obligé de me fourrer dans ces cohues pour signer ses satanés autographes ou faire des putains de photos, mais aujourd'hui, rien ne m'y force.

- C'est Patch ça, non ? Et la fille là, c'est pas la petite française ? fait Willy pour attirer notre attention.

Ça fonctionne très bien. Je tique aussitôt sur le nom de ma chienne, me retourne et commence à faire demi-tour pour en avoir le cœur net. Effectivement, coincée entre la vitre et les jambes de ses tarées de fanes, ma chienne ne sait plus ou se mettre tandis que cette fichue promeneuse est accroupie, entrain de faire dieu sait quoi pendant que Patch manque de se faire piétiner. 

Mon sang ne fait qu'un tour. 

- Récupérez ma chienne, bordel ! je hurle en courant à moitié.

Un des agent de sécurité me coupe la route et Stan me retient par le bras.

- Tu es fou, tu ne peux pas sortir, aucun périmètre de sécurité n'a été mis en place, m'exhorte Stanley.

- Rien à foutre, récupère ma chienne ! Dis leur de la récupérer !!

Mon manager s'exécute auprès des nouveaux vigiles qui viennent d'arriver pour prêter main forte aux autres déjà occupés à repousser la cohorte devant les portes qui scande mon nom en hurlant. Bientôt, je réussi à ouvrir les portes pour appeler Patch qui cherche à tout prix à se barrer d'ici. Elle m'entend, me voit, mais se retrouve incapable de se détacher de cette putain de laisse que la nana n'a pas lâché, alors qu'elle même est toujours affalée comme une loque par-terre. 
A l'instant où je décide de repousser un des agents qui m'empêche toujours stoïquement d'avancer, du coin de l'œil j'aperçois William qui se lance en avant en poussant les gars de la sécurité. Ensemble, on s'aventure au-dehors sous les acclamations de nos groupies qui n'en peuvent plus. C'est limite si elles n'ont pas des orgasmes rien qu'en nous voyant. Normalement, mon ego apprécie particulièrement ce genre de démonstration : mais là, j'ai juste envie de leur arracher les cordes vocales. 

- Elijah, Will ! Non ! s'écrit Stan dans notre dos.

Tandis que je me précipite sur ma chienne, William dresse son dos entre la promeneuse et les agents de sécurité qui retiennent du mieux qu'ils peuvent les harpies, avant de saisir celle-ci dans ses bras et de la soulever. J'ai pas eu le temps de voir si elle a les yeux ouvert qu'il la force à coller son visage contre son épaule, masquant ainsi ses traits aux yeux de toutes ces folles brandissant leur téléphone dans l'espoir d'immortaliser ce moment. Pendant que je retourne illico à l'intérieur, Patch à mes côtés, j'ai le temps de voir ce débile de Will se tourner vers les groupies pour offrir un de ses sourires de tombeur, clin d'œil en prime.

Cet idiot ne peut pas s'empêcher d'attirer l'attention sur lui pour faire la une du people. Il ramène ensuite la fille dans le hall et on s'éloigne tous de l'agitation extérieur qui a réussi à être contenue par les agents de sécurité qui, pour une fois, on bien fait leur job. 
Je tapote la tête de Patch, heureux de la retrouver en bonne santé - j'ai vérifié, elle n'a rien malgré son air apeuré - et constate avec surprise que la chienne - un berger roux - de la promeneuse nous a docilement suivi à l'intérieur sans prendre peur. 
Si la mienne n'avait pas été aussi bien tenue en laisse par son esclave - je veux dire la française -, elle se serait fait la malle à la seconde où les filles se seraient mise à crier.

- Non mais qu'est-ce qui vous a pris ?! surchauffe Stan. 

Je prends pas la peine de lui répondre. Je fixe la promeneuse qui a les yeux bien ouverts et nous regarde tous à tous d'un air ahuri. Je m'apprête à lui gueuler dessus, moi aussi, pour avoir risqué la vie de ma chienne comme l'idiote qu'elle est ; mais je me retiens au dernier moment.
Son visage est blanc, et son arcane sourcilière est fendue de telle sorte qu'une longue rigole sanguinolente coule dans son œil et le long de sa joue, jusqu'à tâcher le col de son t-shirt.

Elle doit finir par réaliser qu'elle est toujours dans les bras de mon pote puisqu'elle s'agite brusquement en lui enjoignant de la lâcher, ce qu'il fini par faire avec une moue amusé. Ce gars prend toujours tout comme une bonne blague. 

La française vérifie en premier lieu sa chienne, avant de porter la main à sa tempe et la ramener devant ses yeux couverte de sang.

- Bon sang, marmonne-t-elle en français avant de me foudroyer du regard et d'ajouter en anglais : tout ça, c'est ta faute ! 

Pardon ? 

*Diminutif de 'Brother' en anglais qui signifie 'frère'. Très souvent employé entre 2 potes anglophones. Succès auprès des jeunes majoritairement. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top