15. Jump the run
Une fois les dingos disparus, la matinée se transforme en mon quotidien, celui auquel je suis habitué et qui consiste à ne pas croiser des visages qui sont supposés rester dans un écran de télé. Ou, au pire, sur une scène.
Et alors seulement, je peux réaliser ce qui m'arrive. Dans aucun rêve, même les plus fou, je ne me serais attendue à devenir la dogsitter particulière d'une star mondiale. J'ai bien promené quelques chiens vedettes, eu certains clients politicien très connu ou d'autres qu'on aperçoit régulièrement à la télé. Mais dans une moindre mesure, et ils sont tous français.
Avec ce Elijah, mon monde se retrouve inversé. Je me retrouve comme une bouteille jeté à la mer, avec le mot d'alerte "HELP" écrit en lettres capitales.
Je n'en ai pas encore parlé à ma famille, ni à ma meilleure amie, mais rien que le fait d'y penser me donner un ulcère à l'estomac. Déjà, j'ai bien peur de passer pour une mytho : ma famille me fait confiance, bien entendu, mais qui serait prêt à croire son entourage pour une farce pareille ? Parce que c'est bien l'impression que j'ai : ma vie se transforme en bonne grosse blague.
Alors que je me promène dans un quartier du cinquième arrondissement de Paris, je remarque combien ma vie, en cet instant précis, n'a pas changé : je me promène avec deux chiennes, aussi vive qu'attentives, qui trottinent à mes côtés. Vêtue de mon accoutrement de pimbêche mais terriblement confortable à porter - merci Nike pour le prix de tes vêtements qui ont au moins le mérite de valoir le coup, même si je les ai pas payé -, je réalise combien je suis vraiment heureuse.
Pas parce que ma vie vient de prendre un virage à 180° ni parce que j'ai la chance - on peut pas appeler ça autrement, soyons honnête - de parler avec un chanteur multi-millionnaire. Non, simplement parce que, en faisant ce que j'aime le plus, je vais bientôt pouvoir réaliser mon rêve. Grâce à cette fameuse star.
Et même si pour l'instant il apparaît aussi invivable que tous les médias le prétendent, je ne peux que le remercier pour le contrat qu'il m'a proposé. Faut avouer que pas une seule seconde durant ces nombreuses années je ne m'étais imaginé pouvoir vivre ce genre d'aventure, et pour parvenir à mes fins, je m'attendais à devoir travailler encore vingt ans sur Paris.
Il fallait croire que le destin me réservait de sacré surprise.
Alors que je sors mon téléphone de ma poche et observe le dernier numéro enregistré au nom de "Mr Chihuahua" - parce que monsieur avait au-préalable inscrit "Ton dieu", rien que ça !Il n'était pas question que je le laisse -, je décide de retourner à la limousine, garée non loin de l'immeuble appartenant à Universal Music France où le groupe Hell a disparu plus tôt. Rosco est dehors, adossé à la voiture, et encore une fois, je me dis qu'il est loin d'être discret. Lorsque je jette un œil plus loin dans la rue, je remarque un petit groupe de filles, certainement des fanes, qui attendent patiemment que sorte leur idole de toujours.
C'est un truc que je n'ai jamais compris et que je ne comprendrais surement jamais. Pour ma part, passé l'age de treize ans, je n'ai plus été fan de qui que ce soit. J'aime toute sorte de musique et apprécie beaucoup de groupe ou chanteurs et chanteuses variées, au point d'aller voir un certain nombre de concert chaque année, mais j'ai clairement passé ce stade de folie dépendante pour un inconnu qui n'a que faire de mon existence.
Je respecte le talent de tout ces artistes, et j'ai même de grosse préférence pour quelques uns évoluant dans ce métier, mais pas au point de jouer le piquet des heures durant devant un bâtiment dans l'espoir d'apercevoir le saint Graal.
Moi, je suis cette fille qui arrive trente minute avant un concert et qui choisi une place assise dans les tribunes et qui vient juste pour profiter de la voix de celui ou celle qui se produit sur scène.
Chacun son truc, hein.
- Hi, Roscoe, appelé-je le chauffeur en m'approchant de lui.
Le men in black tourne son visage toujours masqué par une paire de lunette aux verres fumés vers moi et me sourit gentiment, sans pour autant ouvrir la bouche. Je tend le doigt vers un café possédant une petite terrasse sur le trottoir, à dix mètres de là.
- Je vais me prendre quelque chose à boire, je te ramène quelque chose ? lui proposé-je en anglais.
- No, merci, répondit-il en hochant négativement la tête.
Je lui souris, attendrie par le fait qu'il m'ait partiellement répondu en français, avant de m'éloigner avec les chiennes. Ca fait déjà quarante minute que je tourne dans les rues, sans possibilité de lâcher Patche en liberté - puisque la mienne l'est tout le temps - et je commence à en avoir ras-la-casquette. Je pourrai continuer de marcher comme ça pendant longtemps, mais comme je n'ai reçu aucune restrictions de la part du manager et que je ne préfère pas m'éloigner de trop, au risque de devoir rappliquer en courant à la demander de Mister Chihuahua, je ne vois aucun inconvénient à ce que je prenne une pause.
Vingt minutes plus tard, mon chai latte a fini dans mon gosier et j'ai parcouru la moitié du web à la recherche d'informations sur mon nouvel employeur. Autant savoir à qui j'ai affaire. Mais comme beaucoup de renseignement sur la toile, j'ai du mal à séparer le vrai du faux, alors je me dis que je vais me faire mon propre avis.
Une chose est certaine : Mr Chihuahua a un sérieux grain. Peu importe où il se rend, tout le monde s'est clairement mis d'accord sur le fait que c'est un vrai con suffisant. Chose assez surprenante, puisqu'en règle général, les stars font de leur mieux pour paraître plus... disons qu'ils donnent le meilleur d'eux-même et tentent de garder le pire en sourdine, à l'ombre, dira-t-on. Cela dit, je ne peux que tirer mon chapeau à Elijah qui, pour la peine, reste honnête en toute situation et ne cherche pas à plaire.
Au moins, pas de surprise de ce côté là, je sais à quoi m'en tenir.
Pour ce qui est des renseignements personnels, je ne trouve pas grand chose à me mettre sous la dent. Il enchaîne les conquêtes évoluant dans son milieu sans jamais avoir de relation sérieuses - ouh, quelle surprise ! Une star célibataire ! - , et il entretient de très mauvaises relations avec son paternel, seul parent encore vivant de son entourage. Ainsi, j'ai appris que sa mère, ancienne chanteuse, était morte à la suite d'un cancer du sein foudroyant.
Triste fin. Cela dit, c'est loin d'excuser son caractère à la mord-moi-le-nœud.
Avec un soupir, je paie l'addition, récupère mes grosses loutres qui sont vautrées à mes pieds - dites donc, quelle énergie aujourd'hui ! - et, après avoir demandé un double expresso dans un gobelet, je retourne à la limousine. Roscoe s'est assis à l'avant, fenêtre ouverte, et regarde la télévision américaine sur son téléphone portable - qui tient plus d'une tablette, au vu de la taille .
Je toque doucement contre la carosserie pour attirer son attention et lui tend le café fumant.
- C'est un double expresso noisette, dis-je en anglais (j'avais vérifié auprès du serveur la traduction exacte). Si jamais vous n'aimez pas, je peux le boire.
Le chauffeur privé regarde le gobelet, visiblement surpris - difficile à dire avec ses lunettes ! - avant d'afficher un immense sourire qui lui monte limite aux oreilles, s'emparant de la boisson presque avec entrain. Il sort ensuite de la voiture et nous faisons le tour pour nous adosser contre le capot en nous tenant sur le trottoir.
- Merci beaucoup, dit-il et je souris à mon tour.
Je commence à croire que "Merci" est le seul mot qu'il connaisse en français. Les gens qui refusent quelque chose par politesse est assez fréquent ; j'étais curieuse de savoir s'il était ce genre de personne, d'où le fait de lui avoir pris un café. Ça ne me coûtait rien et me permettait de faire connaissance.
- Je m'appelle Eleonor, fis-je alors en français.
Il me tandis sa main. Ah ! Il comprenait donc déjà ça, c'était un bon point.
- Roscoe.
- Enchantée, assuré-je avec sincérité en lui présentant la mienne.
Alors que je m'apprête à saisir sa paume, un bruit de trompette retenti si brusquement que je trésaille violemment. Le bruit se répète et il me faut une seconde avant de comprendre que ça vient de ma poche. Je sors aussitôt mon téléphone en me débattant contre la fermeture éclair de la petite veste de sport.
Appel entrant : Mr Chihuahua.
Je fixe l'écran une seconde de plus encore, le temps que mon cerveau fasse le lien entre la réalité et le rêve, puis je décroche maladroitement, le cœur battant la chamade.
- Allo ?
Ma voix est terriblement hésitante. J'ai l'impression d'être sur le point d'annoncer à mon employeur que j'ai laissé sa chienne se faire écraser. Ou bien qu'on vient de me mettre en contact avec l'Elysée pour me demander de garder la chienne du président.
Je marche sur la tête ma parole.
- Apporte-moi Patch, j'ai besoin d'elle.
Et Chihuahua raccroche. Juste comme ça. Un ordre donné à sa servante, ni plus ni moins. Je serre les dents. Mon cœur vient de remonter dans ma gorge, mais déjà la colère a pour mérite d'apaiser mon malaise.
Une star mondiale, hein ? Monsieur va vite déchanter.
Roscoe me regarde par-dessus ses lunettes, sourcils haussés.
- C'est Elijah, il veut que je lui apporte Patch.
- Alors vas-y, me conseille-t-il.
Evidemment que je vais y aller, mais pour lui dire de redescendre un peu de l'Olympe pour apprendre à parler au commun des mortels. Vu ce que le contrat m'apporte, je me vois mal déchirer ce dernier : cela dit, vu que je dois travailler pour lui durant une période indéterminée, il est parfaitement hors de question que ma fierté et mon intégrité se fassent piétiner de la sorte.
Je ne suis pas née inférieure à lui. Juste avec moins d'argent et moins de notoriété. Pour autant, nous sommes sur un pied d'égalité en ce qui concerne l'âge et le respect mutuel que nous nous devons.
- A tout à l'heure, dis-je à Roscoe.
Ce sale petit... songé-je tout en me dirigeant à pas déterminés vers le petit groupe de filles attroupé devant la porte automatique du bâtiment. Certaines sont assises contre le mur, d'autres débout et quelques-unes fument. Leur âge n'excède pratiquement pas la trentaine, à vu de nez.
Je n'y avais pas prêté attention avant, mais deux agents de sécurité en costard et cravate - rien que ça ! - se tiennent devant l'entrée. Un troisième homme, voiturier celui-ci, se tient un peu plus prêt de la route.
Tandis que je m'approche, certaines filles plissent les yeux et m'observent approcher, se demandant sans doute si je suis une groupie - et donc potentielle alliée - ou une ennemie, autorisée à entrer dans le sacro-saint de tout leur désir. Alors que je commence à me poser la même question - j'entends par là, réussir à entrer - l'une d'elle se met à fixer Patch avec insistance. C'est seulement là que je me souviens que je me balade avec un chien de star et que, si ces filles sont aussi accro à son maître qu'il y paraît, elles ne vont pas manquer de remarquer la ressemblance flagrante avec LA chienne de Elijah.
J'accélère le pas et me campe devant le premier des cerbères qui me barre l'accès avec son bras par réflexe - vu que j'ai même pas essayé d'entrer. Je m'éclaircie la voix et me penche au plus près pour n'être entendue de personne d'autre que le vigile :
- Elijah m'attend pour que je lui rende sa chienne.
Au passage, je fais un petit mouvement de tête le plus discret possible vers Patch tout en exagérant mon écarquillement d'yeux. Je dois passer pour un poisson globe ayant une conjonctivite. Ou pour une folle.
Mieux encore : Un poisson globe fou .
- Montrez-moi votre laisser-passé.
Encore ! Ce doit être une blague.
- Je n'en ai pas, c'est mon premier jour de boulot.
Aïe, je n'aurai probablement pas dû dire ça. Je n'ai pas le temps de le regretter que déjà je commence à entendre distraitement les filles derrière moi prononcer le nom de Patch. Si elles comprennent que c'est la chienne de Elijah, je suis dans la mouise, j'en suis sûre. Mais tandis que je me fais la réflexion que Roscoe a peut-être un de ces fameux laisser-passé dans sa poche, des hurlements hystérique résonnent derrière moi, me faisant sursauter.
- Elijah !!!
Brusquement, une nuée de groupie vient m'écraser contre les agents de sécurité qui bloquent aussitôt l'accès aux fanatiques. On se retrouve entourés de filles qui pètent un plomb en s'égosillant pour attirer l'attention de leur dieu - que je n'ai même pas le temps de d'apercevoir, d'ailleurs.
Dans l'action, une des fane me donne un méchant coup de coude dans la tempe et je m'écrase contre le coin de la porte, sonnée, des étoiles virevoltant devant mes yeux.
Ça commence bien !
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