14 . Under the weather


Je me retrouve coincée entre le surfer californien qui a abusé des protéines et de son acolyte maigrichon qu'il prend un malin plaisir à maltraiter. La limousine dans laquelle on m'a fourrée pratiquement de force est assez commune et moins sophistiquée que je ne le pensais, mais je comprend qu'elle est prévu pour passer plutôt inaperçue. Enfin, autant que puisse le faire une limousine.

Personne ne se préoccupe de moi, à tel point que je me sens mortellement mal à l'aise. Sans oublier que la tenue que William m'a proposé n'aide pas à me relaxer : elle est ultra-moulante et ultra-voyante. Le style sportif de la marque Nike est immanquable ; la matière élasthanne super confortable qui couvre mes jambes les galbes comme une seconde peau, exhibant mes muscles jusqu'alors discret dans leur survêtement large. Le pantalon est accordé avec le haut - forcément, les stars ne savent pas être dépareillés ! -, qui se résume à une brassière longue qui s'interrompt au niveau de mes dernières côtes.
L'imprimé de l'ensemble sportif est composé d'une couleur bleu roi, sur lequel repose un décors New Yorker de nuit constellé de lumières blanches et d'effet rose tape-à-l'œil.

Pour la discrétion, on repassera : j'ai l'impression d'être une starlette prête à faire son footing du matin. Inutile de préciser que je n'ai pas osé dire que ce  genre ne correspond non seulement pas à mon style vestimentaire, mais qu'en plus ça ne s'accorde pas le moins du monde avec ma coiffure frisée. Je crois que ce qui m'exaspère le plus, c'est que le débardeur-qui-n'en-est-pas-un dénude une partie de mon ventre et découvre à la vue de tous mon piercing de tortue. 
J'ai horreur que n'importe qui puisse mater mon ventre, mais j'ai beau eu batailler contre le grand dindon blond, pas moyen de le faire changer d'avis. Pour ne rien arranger, il m'a tellement pressée que je n'ai pas eu le temps de récupérer une veste.

Résultat, zero moyen de cacher ma peau nue. Et si jamais il fait un peu frisquet dans la journée... je n'aurai plus qu'à me faire une écharpe avec le pelage de ma chienne. Génial, ça s'annonçait merveilleux.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? demande brusquement monsieur-je-suis-ton-nouveau-patron qui a déjà une paire de lunette de soleil perchée sur le nez.

Je n'ai jamais compris le principe des stars à vouloir masquer leur regard à la vue de tous quand ils ne prennent pas la peine de porter une casquette et qu'ils  se baladent dans une limousine. Ils pensent que le peuple est stupide ? 

Son manager baisse les yeux sur la boîte en carton qu'il tient sur ses genoux.

- Rien d'important, répond-il.

- Depuis quand tu te trimbales avec des trucs qui n'ont pas d'importance ? réplique aussitôt le chanteur. 

Je vois Stan retenir un soupir, et je me demande une seconde ce que ça doit faire de vivre suspendu aux désirs d'une star mondialement connue. Surtout de cette star. Il doit vivre un véritable calvaire.

J'observe l'échange et en profite pour analyser le comportement des membres de son groupe. Sean est désintéressé par la situation et regarde dehors, dévorant les monuments parisien des yeux. Nico a les jambes et les bras croisés et s'attarde sur l'échange de son ami tandis que William ne se gène pas pour me dévisager ouvertement, un sourire amusé peint sur les lèvres. J'ai envie de lui faire un gros doigt d'honneur, mais je me retiens. Je suis mature, voyez-vous.
Aucun n'apporte d'attention aux deux chiennes, allongées entre nous tous sur la moquette de la limousine. Une moquette, sans déconner ? Quel enfer pour nettoyer ! 

Stan me jete subitement un coup d'oeil, avant de revenir sur Elijah. Elijah semble comprendre un truc puisqu'il se tourne à son tour vers moi avant de hausser les épaules.

- Elle en entendra forcément parler maintenant. Et puis elle a signé la clause de confidentialité, non ? 

Ah ! La fameuse clause ! Elle fait un quart du contrat que j'ai mis au point avec son manager, décryptant en détail tout ce que je dois garder pour moi : en gros, absolument tout ce que je vois, entends et apprend sur Elijah et son entourage. Jusqu'au couleur des vêtements qu'il porte. C'est à pleurer de rire.

- Oui, répond Stan avant d'agiter vaguement la boîte. Ce sont les nouveaux cadeaux de Crazy.

Elijah marmonne.

- C'est pas encore fini cette histoire ? Il m'a suivi en France ?

- Il faut croire. Je dois le donner à l'inspecteur qui s'en charge ici.

Curieuse, j'ouvre grand les oreilles. Crazy ? Inspecteur ? De quoi ils parlent ?

- Ils vont bien finir par le coincer, ce taré, dis Nico.

- Je l'espère, soupire le manager. 

Le silence revient finalement et Elijah sort son iphone dernière génération  - celui que personne ne peut se permettre de s'acheter à moins de chier de l'or - et disparaît dans la contemplation de... et bien, je n'en ai pas la moindre idée, à vrai dire. Bien que je meurs de curiosité, je suis bien obligée de garder la bouche fermée, me promettant d'en apprendre davantage plus tard. Stanley attend quelques minutes avant de relancer la discussion sur le planning de la journée avec prudence, comme s'il s'apprêtait à annoncer une mauvaise nouvelle à tout instant. C'est atroce de devoir prendre des pincettes sans arrêt, j'ai de la peine pour lui. Peut-être craint-il de se faire virer ? 
Je me demande depuis combien de temps il est à leur service, et si d'autres sont passés avant lui.
Au début, j'écoute avec attention ce qu'il leur explique, concernant l'interview, le shooting photo et... j'ai déjà oublié. J'ai essayé de tenir, mais il déballe tellement d'information à la seconde qu'à moins d'être un robot, c'est impossible de tout retenir. A tel point qu'à part Elijah, tout le monde fini par se concentrer sur lui avec minutie. Même Sean se force à quitter son observation du paysage pour rester attentif.

Au bout d'un moment, je sors discrètement mon téléphone, histoire de tâter le terrain : est-ce que j'ai le droit de m'en servir devant eux, ou est-ce que je risque un blâme ? J'ai le temps de lire un message de Tina, ma meilleure amie, et de lui répondre avant que Stan ne cesse de parler pour me fixer avec insistance. Je lui rend son regard, interrogative.

- Oui ? 

- Que fais-tu ? 

- Je... 

Sa question me laisse au dépourvu. Pourquoi ça l'intéresse ? Oh... Bien sûr. Il s'inquiète certainement du fait que je puisse être entrain de divulguer toutes les informations qu'il vient de donner sur le net. Bigre ! Dans quel boulot je me suis embarquée, moi ?

- Je cherche un nouveau godmichet à m'acheter, pourquoi ? 

A part Sean, qui éclate brusquement de rire, ma blague tombe à plat. Malgré son incroyable compréhension du français, la subtilité de mon langage vient de lui passer par-dessus la tête.

- Je plaisante, ajouté-je rapidement. Je réponds à un message de ma meilleure amie. Je n'ai pas le droit ? 

Tandis que Sean semble explique à voix basse ce que je viens de dire à William, qui rit à son tour, Stan secoue la tête.

- Du moment que ça n'a rien à voir avec nous, m'assure-t-il.

- Je n'ai pas oublié le contrat, répliqué-je en soupirant. 

Mon regard dérive vers Elijah qui a basculé la tête contre le dossier de la banquette. Avec ses fichues lunettes, il m'est impossible de savoir s'il a les yeux ouverts ou fermés ; mais au vu de son corps détendu, je suppose qu'il pique un somme. 

- C'est dans ton propre intérêt, me fait remarquer le manager avant d'ajouter en anglais : On arrive. Elijah, j'aimerai que tu sortes en dernier car je ne sais pas le nombre de fans qui sont parvenus à avoir notre destination. Comme il est assez tôt, on devrait être tranquille. Mais dans le doute... 

Il se tourne vers moi et baisse les yeux vers les chiennes, qui ont visiblement compris qu'on était proche de la fin du trajet étant donné qu'elles sont toutes les deux aux aguets. 

- Eleonor... Tu vas devoir attendre dans la limousine. Roscoe restera avec toi durant toute la durée de notre rendez-vous. On ne sait pas combien de temps on...

Stanley est forcé de se taire lorsque Elijah le pousse pour tendre la main vers moi, s'empare de mon poignet et récupère mon téléphone. Je pousse une exclamation outrée, magistralement ignorée par cette satané Star qui se réinstalle sur son côté de la banquette et qui brandit son iphone contre le mien.

- Qu'est-ce que tu fais ? m'agaçé-je en tendant la main pour récupérer mon smartphone. 

Incroyable ça, c'est possible d'être aussi mal élevé ? 
Quelques secondes plus tard, tandis que la limousine s'immobilise enfin, Elijah me rend mon téléphone et me fixe intensément - enfin je suppute que c'est ce qu'il fait -derrière les verres fumées qui cachent ses yeux :

- J'ai entré mon numéro personnel. Tu promèneras Patch jusqu'à ce que je te demande de revenir, c'est clair ? Et s'il lui arrive la moindre chose, je ferais de ta vie et celle de ton entourage un enfer. Surveilles ton téléphone à tout moment.

Puis, sans plus de cérémonie et sans respecter les recommandations de son manager, il quitte la voiture sans un regard en arrière. Tandis que des hurlements se font brusquement entendre à l'extérieur, les autres membres de son groupe se lèvent aussitôt pour le suivre et je me retrouve seule avec un manager désemparé au regard horrifié.

- Je te déconseille fortement de partager le numéro qu'il t'a donné à qui que ce soit, me menace Stan avant de sortir à son tour et de claquer la porte.



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