10. Ô Mamma Mia !
Tom a débarqué dans les alentours de vingt-trois heure trente en me tirant d'une léthargie proche de l'activité journalière d'un mollusque.
Dix minutes plus tard, installés au bar de ma cuisine américaine avec des tartines de tzatziki sous les yeux et une bière fruitée pour chacun de nous, je finis de raconter ma journée dingue.
Et forcément, la première réaction de mon ami à laquelle je m'attendais plus ou moins ne tarde pas à venir :
- Je suppose que tu y vas ?
Ses yeux écarquillés n'en reviennent toujours pas ; je ne lui en veux pas, moi-même, j'ai du mal à m'en remettre.
Je grimace cependant.
- J'hésite...
- Comment peux-tu hésiter ? s'écrit-il, prêt à s'arracher les cheveux. Tu ne peux juste pas refuser cette offre ! Les occasions en or, elles attendent pas que madame ait réfléchis un mois pour revenir proposer gentiment avec une coupe de champagne. Bon sang ! Une coupe de champagne ! Tu pourrais t'acheter une bouteille tous les jours que tu ne le sentirais pas passer sur ton salade !
Mon cœur ne peut s'empêcher de s'emballer à l'idée, et je me mets à saliver. Bon sang de bordel de merde, il a tellement raison ! Alors qu'est-ce qui me retiens ?
- Et puis, putain, Elijah quoi ! Dans le genre star internationnal, tu choppes le gros lot du premier coup ! C'est aussi ouf que si on te demandait de garder le golden du président ! poursuit-il, des étoiles dans les yeux.
- Hollande a un golden ? m'étonné-je, surprise.
Il frappe la table du plat de la main, me faisant sursauter.
- Bien sur que non, El, c'était une image ! Ceci dit il me semble qu'il a un labrador... enfin bref c'est pas le sujet !
- Un labrador ? Je ne savais pas non plus, c'est quoi son nom ? Mâle ou...
- El !
Je glousse de nervosité.
- Ouais pardon, je t'écoute.
- Tu peux pas refuser. Tu refuserai si on te proposait de garder les enfants du président ?
- De Hollande ou de Macron ? Parce que comme Macron est plutôt jeune, je dirai pas non : il doit connaître du monde de son âge dans la haute sphère et....
Tom éclate de rire, d'un rire si communicatif que mes lèvres s'étirent à leurs tour.
- Quoi ?
- Tu vois cet état d'esprit ? C'est celui que tu dois avoir maintenant, être un requin, totalement intéressée. Penses à ton avenir. Imagines un peu ! Tu ne serai peut-être plus obligée de promener cinquante chiens différents : à la façon d'une nounou, tu n'en aurai plus qu'un seul, tous les jours. Et puis avec le salaire qu'il te propose... Il faudrait être fou pour dire non !
- Je suis un peu folle, relevé-je. Mais je comprends où tu veux en venir. Sauf que j'aime promener mes chiens... J'aime balader mes cockers, Magnum, ta terreur... je les aime tous. Et puis cinquante chiens, tu exagères : je n'en promène pas plus de trente différent en fonction des mois... là, je n'aurai certainement plus de temps à leur consacrer. Et comment je leur explique ça, aux proprios ? Ils comptent sur moi...
- Rien ne t'empêche de continuer. Dis leur que tu prends des vacances, et pour les cockers, continue à les balades en même temps que la chienne de Elijah.
Je secoue la tête. Il peut difficilement comprendre où je veux en venir. Je sais parfaitement que tout ce bordel ne sera pas aussi simple que ce qu'il y paraît. Comment ça pourrait l'être ? On parle d'un chanteur mondialement connu ! Et quel est le risque que je finisse exposée à la une des journaux ? Allé-je voir ma tête exhibé sur des magasines people ? Je m'inquiète certainement trop, mais puis-je avoir la certitude que ça ne devienne pas un risque ? Bien entendu, on ne placarde pas les femmes de ménage des stars, mais je suppose que c'est différent... Non ?
Il faudrait à tout prix que je prenne le temps de voir sur internet si les baby-sitter de grande star tel que Angelina Jolie se retrouvent avec leur tête sur les grandes affiches.
- Je ne sais pas, geignis-je en me prenant la tête dans les mains. Déjà pour demain, je suis pas trop dans la merde : j'avais que ta chienne et les cockers. Mon chihuahua a annulé donc... les dégâts sont plutôt limités, si tu veux mon avis. Je ne sais pas, Tom...
- Vas-y, et vois ce qu'il en est. Lis le contrat, arrange toi, et choisis en conséquence !
Je pousse un soupire et termine ma bière d'une traite. Puis je file chercher mon paquet de clope, et m'en grille une à la fenêtre de ma cuisine, faisant grimacer Tom qui me foudroie du regard.
- Ah non, hein, ne commence pas, lui dis-je. A situation exceptionnelle, plaisirs exceptionnels !
Il garde sa moue boudeuse mais hoche la tête. Subitement, je pousse un cris en sursautant. Mon ami fait un bon sur la chaise et se retourne alors que Juno vient se jeter sur moi en pensant que je viens de l'inviter à jouer.
- Quoi ?! s'écrit-il. Ça va pas ?
- J'ai oublié Nanny ! m'écrié-je.
- Ta tante ?
- Ma grande tante. Elle doit m'attendre pour aller se coucher !
Tom regarde sa montre et me jette un regard qui m'explique clairement qu'il pense que je débloque.
- Tu as vu l'heure ? Elle dort déjà.
Je secoue la tête et écrase ma cigarette.
- Ça se voit que tu ne la connais pas. Faut que j'aille la voir. Tu peux rester là si tu veux, lui fais-je en me précipitant vers ma porte et en prenant mes clefs et celles de Nanny
- Non, je vais filer ; ma femme doit m'attendre aussi. Mais penses à ce que je t'ai dit, ok ?
- Ok, lui promé-je avant d'ajouter : claque bien la porte en partant !
Jenna bondit du canapé, s'étire, et vient me rejoindre tranquillement, pensant sans doute que c'est sa dernière balade du soir. Nous sortons en trombe - enfin, moi je sors en courant, ma larve canine se traîne avec molasse à mes côtés - et après avoir tapé le code de la deuxième porte du sas pour monter à l'étage, je grimpe les marches quatre à quatre, tandis que Jenna va tranquillement se positionner devant l'ascenseur. J'évite toujours aux maximums les escaliers à mes chiens - question de dysplasie - et ma chienne est tellement rodée qu'elle a une fâcheuse manie de vouloir emprunter la méthode facile à tous les coups.
Je la siffle un coup et après s'être assuré une seconde - ben ouais, pas folle la guêpe, imaginons que je change brusquement d'avis ? Ça lui épargne de redescendre les marches - elle me rejoint finalement.
- Nanny ? demandé-je doucement derrière sa porte en toquant doucement. C'est moi, désolée pour le retard. J'entre.
Inutile que j'attende une réponse, quand bien même elle me répondrait, la possibilité pour que j'entende sa voix est infime.
Son appartement est plongé dans le noir, mais la voix étouffé de la télévision me parvient néanmoins. Je me dirige vers le salon à pas feutrés et y découvre mon adorable grande tante, endormie dans son fauteuil électrique. Le plaid tout doux que je lui ai offert a glissé de ses genoux et ne tient qu'à la force du saint esprit. Je m'approche doucement et touche la joue de ma Nanny. Elle ouvre ses tout petits yeux bleus délavés et papillonne des paupières.
- Eléa ? chouine-t-elle d'une voix cassée à peine perceptible.
- Pardon Nanny, j'ai eu quelques soucis : mais je suis là maintenant, viens on va se coucher.
J'appuie sur les boutons et son sofa se redresse de lui-même. Je m'empare du bras de Nanny et patiente le temps qu'elle s'éveille et se sente capable de tenir sur ses jambes.
Elle est maigrichonne, mais à cause de la maladie, ses muscles ne sont plus ce qu'ils étaient, et le haut de son dos voûté n'aide pas à sa stabilité.
On se dirige très lentement jusqu'à sa chambre, pas à pas, laborieusement. La maladie de Parkinson se développe différemment chez chaque personnes atteintes : ma Nanny ne tremble presque jamais, mais sa motricité est extrêmement réduite : elles chancellent sur ses pieds, marche toujours de façon hésitante comme si elle se méfie que sa jambe cède au dernier moment - ce qui n'est pas totalement impossible - et finis par avancer de plusieurs petits pas d'affilé en traînant ses chaussons sur le sol. Lever les talons normalement comme je le fais lui est pratiquement impossible.
Mais depuis le temps que je la connais, elle a confiance en moi et ne cherche plus à m'impressionner ; comme sa maladie a une partie psychologique dû à la confiance, savoir que c'est moi qui la soutient l'aide énormément. Parfois, lorsqu'elle a vraiment du mal et qu'elle reste figée quelques secondes en se balançant très légèrement d'avant en arrière, je la taquine en lui disant d'enlever le frein à main : mon humour suffit à la faire avancer.
Mais lorsqu'il est très tard comme maintenant, c'est toujours plus compliqué car son corps est tout engourdi de sommeil.
On arrive finalement jusqu'à sa chambre et je l'aide à s'allonger dans son lit. Elle a déjà enfilé sa robe de chambre, donc je n'ai qu'à lui retirer ses chaussons et à l'installer confortablement.
- Tu as pris tes médicaments ?
Elle marmonne quelque chose que je comprends comme étant un assentiment, et je sors les pilules de sa table de chevet, que je lui tend avec un verre. Elle dort déjà à moitié, et tenir le verre lui retire ses dernières forces. Les médicaments qu'elle prend le soir à tendance à l'assommer, mais vu l'état dans lequel elle est, elle n'en aura même pas besoin pour s'endormir.
- 'n'uit, murmure-t-elle.
Je lui embrasse le front et caresse les rares cheveux duveteux qui peinent à couvrir son pauvre crâne couvert de cicatrice. On lui a fait des opérations pour tester de nouveaux traitements par électrodes implantés dans le cerveau. J'ai un doute quant à leur efficacité, ceci dit, depuis que je la connais vraiment, l'évolution de la maladie est très lente. C'est déjà mieux que rien.
- Bonne nuit Nanny, demain je te raconterai ma journée, il s'est passé un paquet de choses. Dors bien. Je t'aime.
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