ELLA XI

Il me semblait avancer dans le brouillard le plus épais que j'eusse jamais vu. Tout autour de moi, des hommes se tenaient et se dirigeaient vers moi, en colère. Leurs visages m'étaient familiers mais je n'aurais su mettre de noms sur ceux-ci. Je tentais de m'enfuir mais j'étais comme immobilisée. Alors qu'ils allaient arriver sur moi, le visage de Dahra apparut, transperçant le brouillard. Celle-ci hurla un "je vous sauve la vie" et tous les hommes s'écroulèrent dans le brouillard, devenant invisibles. Et c'est sur un lit que je me réveillai.

Le visage de Dahra se tenait au-dessus de moi, mais se transforma graduellement en celui de Ker. Ma vision devint nette et celui-ci apparut clairement. Il me donna une petite claque pour achever de me réveiller.

"Madame, allez-vous bien ?"

J'allais lui demander pourquoi il me parlait si formellement avant de m'apercevoir qu'il n'était pas seul dans la pièce. Des soldats s'y tenaient, nombreux et en uniforme. Je cherchai Dahra parmi eux. Mon esprit était encore à moitié endormi ; c'est pourquoi je demandai machinalement :

"Où est Dahra ?"

Je me rendis compte de ce que je venais de dire, mais, heureusement, un soldat, mineur, et aux cheveux bruns, se chargea de ma réponse.

"Ah ! Je comprends bien que vous vouliez la retrouver, cette diablesse ! Elle nous a tués tant de camarades. Je sais que c'était pour vous protéger, mais je choisirais à votre place des hommes non habités par Pok pour vous défendre, madame !"

Dahra, habitée par Pok, dieu de la mort...Non, c'était improbable. Mieux valait dans tous les cas ne pas y réfléchir. Je décidai d'aller dans le sens du soldat qui avait l'air pour l'instant embarrassé de m'avoir parlé aussi familièrement. Je lui souris.

"Effectivement, je ne rêve que du jour où je pourrai la voir sur une belle potence. Mais l'avez-vous retrouvée ?"

Ker eut un éclair de compréhension.

"Non, nous n'avons pas encore découvert sa cachette ; mais cela ne saurait tarder. Nous estimons qu'elle doit être cachée quelque part dans la forêt. Je vais reprendre les recherches cette nuit pour ma part."

J'avais traduit : "Tu dois être dans la forêt cette nuit ; elle viendra te parler."

Je lui souris de mon plus beau sourire, pour lui signifier ma compréhension.

"Merci Ker pour ces précieuses informations. J'aimerais participer aux recherches. Nous devons tous venger nos frères avant de partir vers le nord. Ne pas le faire serait un déshonneur envers eux."

Certains soldats eurent l'air émus, surtout celui qui avait parlé au début. Celui-ci fit de même.

"J'y mettrai tout mon cœur, madame ! Biol, fils de Guz, pour vous servir !", dit-il en s'agenouillant.

Il sera aisé à manipuler, me dis-je. J'avais déjà changé...

"C'est un honneur pour moi de connaître le nom de mon plus ardent défenseur. Et, relevez-vous, après tout, nous sommes tous humains !"

Son visage s'illumina. Oui, décidément, très facile...

Un autre soldat, plus vieux, interrompit sa joie.

"Madame, nous devons planifier notre trajet vers le château de Tus. De plus, je ne suis pas certain qu'attendre d'avoir attrapé votre ancienne servante soit une bonne idée. Si j'étais elle, je me serais déjà enfui vers le Sud."

"Je suis d'accord avec vous ; je ne suis néanmoins pas certain que tous vos compagnons d'armes seront du même avis que vous. Mais je pense que nous pourrions arriver à un compromis qui satisfît le plus de monde possible dans cette caravane."

Il garda son expression neutre.

"Effectivement ; mais nul besoin de réunion ou de vote pour cela ; cherchons votre démone cette nuit et la nuit prochaine et nous pourrons ensuite repartir, avec elle ou sans elle."

J'hésitai à accepter, devinant je ne sais comment qu'il allait me rendre plus ardue la rencontre avec Dahra. Mais quand je vis Ker, il avait l'air sûr de lui. De plus, j'ignorais combien de partisans cet homme comptait. C'est pourquoi je répondis :

"Vous êtes très sage ! Effectivement, votre compromis est parfait et me satisfait. Mais, pour ne pas avoir sur la conscience le fait d'avoir laissé mes fidèles soldats chercher sans moi celle qui a tué leurs frères par ma faute, je me joindrai aux recherches."

"Je m'y oppose !" répondirent à l'unisson Biol, le vieux soldat dont j'ignorais le nom et deux autres soldats dans le même cas.

"Je ne veux pas vous laisser seule sans rien faire. J'irai, que vous le vouliez ou non."

Et dans le visage de beaucoup de soldats, l'admiration côtoyait désormais la peur.

D'une pierre deux coups, me dis-je. Maintenant, Dahra, j'arrive ! Le temps des explications est venu.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top