"Venez tous !"

Mon cœur battait plus vite qu'il ne l'avait jamais fait. Je ne pensais qu'à une seule chose : ce que j'allais dire. L'adrénaline s'empara de moi et ma voix fut deux fois plus forte quand je répétai à tous l'invitation.

Je réitérai plusieurs fois ma demande. Ces simples mots "venez tous", n'étaient, selon Dahra, pas à broder. Ils étaient frappants, solennels et indiquaient l'urgence. Tout ce qu'il fallait, encore selon Dahra, pour que tous accourent.

Et ils vinrent.

Ils étaient nombreux, en tout cas plus qu'il ne me semblait en avoir vu dans cette caravane. J'avais donc manqué autant de choses en restant dans mon carrosse. "C'est le moment", me dis-je. Et je me mis à déclamer.

"Gardes, serviteurs, aides, il est temps de vous dévoiler la vérité. La vérité sur cette expédition. Sur cette tromperie. La vérité, c'est que mon père a décidé que vos destins à tous seraient une mort prématurée."

Leurs visages changèrent du tout au tout. Certains prirent un air étonné. D'autres rougirent de colère. D'autres encore me dévisagèrent comme si j'étais folle. Je cherchais Dahra des yeux en guise de soutien. Mais je ne la trouvais pas. Où était-elle allée, au moment où j'avais le plus besoin d'elle ?

"Mon père, seigneur Valor, de la maison Ekhar n'a nulle intention de négocier avec le seigneur Arkus. Son seul désir est que celui-ci croit que nous sommes des otages d'importance afin qu'il puisse l'attaquer par surprise. Son plan est aussi simple que cela."

La diversité d'émotions qu'affichaient jusque-là leurs visages diminua drastiquement. Désormais, seuls le scepticisme et la colère étaient présents. A une exception près. Celui de Ker, derrière tous les autres, n'affichait que satisfaction. En aurait-il été de même pour celui de Dahra, me demandai-je.

"Nous ne pouvons faire qu'une seule chose, nous enfuir vers le Nord. Retournons à Ekhar et notre tête sera accrochée au bout d'une pique par mon père. Allons à Ark et il en sera de même par le seigneur Arkus à l'instant où mon père l'attaquera. Allons au Nord et demandons asile au seigneur Tus, réputé d'une grande générosité. Mon père n'osera nous y poursuivre jusque là-bas, par peur de se froisser avec le seigneur du Nord ou les Raïs." Je m'interrompis et repris d'une voix entrecoupée de sanglots intérieurs :

"Et sans doute parce qu'aucun de nous ne lui est d'une quelconque importance."

Ils étaient tous attentifs et il était temps de prononcer la phrase. Celle qui montrerait si j'étais digne de tout cela. Si le travail de la jeune fille et de l'invisible servante avait porté ses fruits.

"Qui est avec moi ?"

Un tiers des bras se levèrent sans la moindre hésitation. J'aperçus celui de Ker parmi eux, ainsi que ceux de toutes les personnes proches de lui. Il avait fait son travail. Un sentiment de bien-être m'envahit. De voir que tant de personnes croyaient en moi me réchauffait le cœur. D'autres bras se joignirent à la marée montante. Il ne resta bientôt qu'un tiers des bras encore baissés. Les paroles que je prononçai n'avaient pas été minutieusement créées. C'étaient simplement des mots nés de l'instinct, ceux que celui-ci m'indiquait de prononcer.

"Merci de croire en moi. Je ne peux pas vous promettre que nous réussirons. Mais vous pouvez être sûrs que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que ce soit le cas."

Leurs visages, à ce moment, ne respiraient que détermination. Il était temps de poser l'autre question fatidique.

"Qui n'est pas avec moi ?"

Un tiers des bras se levèrent. Parmi eux, le soldat pervers vu avec Ker.

"Qu'allez-vous donc faire ?"

Un homme bouscula tous les soldats et se plaça devant. Il portait ses longs cheveux bruns en queue et son visage était anguleux. Il semblait de la côte est mais avec un petit quelque chose du Sud. Ses lèvres charnues s'ouvrirent.

"Je suis Kyde, fils d'Erral. Mes amis me considèrent comme éloquent et leur ressemblant, c'est pourquoi je parlerai en leur nom à tous. Madame, je ne vous concède pas le droit de nous commander. A cause de votre sexe et de votre non-crédibilité. Je propose, quant à moi, de fuir vers le Sud. Là-bas, je suis sûr que nous trouverons refuge."

Je m'apprêtais à ouvrir la bouche pour répondre mais le couteau de Dahra sortant de la gorge de Kyde m'interrompit. Celui-ci s'écroula. Je hurlai :

"Dahra, que fais-tu ?"

Elle me répondit, tout en criant :

"Je vous sauve la vie."

Et, sur ce, elle fonça sur tous ceux qui avaient dit qu'ils étaient contre moi, et alors qu'ils étaient trop choqués pour réagir, les décapita. Les derniers tentèrent de résister mais ce fut en vain tant elle était rapide. Finalement, l'un réussit à lui arracher sa dague. Elle appuya sur sa nuque et celui-ci tomba.

Une fois tous ceux qui avaient osé suivre Kyde, fils d'Erral, à terre. Elle me regarda d'un air triste alors que j'étais plus choquée que je ne l'avais été de mon entière existence. Et c'est alors que je m'évanouis.