ELLA VII
Le plan était simple ; comment avais-je pu ne pas y penser ? Sans doute à cause de mon éternelle méfiance envers tout ce qui ne s'appelait pas Ella. Ce n'était pas un plan sans risque, loin de là, mais, honnêtement, des plans sans risques équivalaient maintenant pour moi à des plans sans humanité. C'était simplement une vision de mon plan à laquelle on avait ajouté de la confiance. Nous n'étions pas encore dans les Montagnes-Sans-Nom, nous allions donc attendre d'être loin de mon père ; et puis nous agirions.
Je décidai d'aller voir Ker, en attendant, par espoir de renouer avec lui. Il se tenait hors du camp avec deux de ses compagnons gardes. Je ne connaissais les noms ni de l'un, ni de l'autre. Ils me saluèrent militairement, à l'exception d'un qui ne fit que me lorgner. Je n'en fus nullement vexée, ayant déjà subi cette situation toute ma vie et à l'époque, je ne regardais déjà que le bon côté des choses, tant il était difficile à discerner.
« Bonjour », dis-je simplement. Je ne savais tout simplement pas quoi dire. Je pense que l'un de mes plus grands défauts a toujours été le fait d'appliquer toutes les initiatives que je prenais sans la moindre préparation, sans la moindre planification. Ils me regardèrent du même air qu'ils auraient eu, en regardant un animal du même nom qu'un autre qui leur était connu mais pas de la même espèce. « Dahra a-t-elle raison ? », me dis-je. « Tous les Guerriers sont-ils comme les membres de mon illustre famille ? »
La gêne s'empara de moi ; ces regards fixés sur moi me donnaient l'impression que chacune de mes paroles serait analysée en détail. C'était chose nouvelle pour moi que quelqu'un attende de moi quelque chose. À force d'observer leurs regards, je me rendis compte que celui de l'homme au salut absent ne me lorgnait dans l'entièreté de ma personne. Il ne lorgnait que mon émergente poitrine. Ma compagnie au château n'ayant que presque entièrement féminine, je ne savais que penser d'un tel acte et de ses raisons. J'interpellai Ker :
« Viens tout de suite. »
Ne pouvant refuser un ordre de celle qui était sa supérieure grâce à son père, il vint. Sa réaction me fit davantage croire au plan de Dahra. Je l'attirai dans le carrosse.
« Que me voulez-vous ? », me demanda-t-il, d'une voix qui suggérait que ce que lui me voulait était que je le laissâsse tranquille. Mais, montrant déjà que je n'étais pas moins Guerrière que le reste de la maison Ekar, je n'en pris pas compte. Je décidais de lui expliquer le plan de Dahra, car, venais-je de remarquer, nous pourrions avoir besoin de lui pour en faciliter la réussite.
« Je veux avant tout que vous m'écoutiez le plus attentivement que vous pouvez. Si cela vous est impossible, faites-le du moins de vos deux oreilles. »
Sa réponse fut dite d'une voix sarcastique.
« Ne vous inquiétez ; je suis tout ouïe. Surtout si c'est pour me proposer une nouvelle idée de plan destiné à tous nous tuer. »
Je ne me laissais pas atteindre et répondis sur le même ton.
« Celui-ci n'a pas pour but de vous tuer mais de vous sauver la vie, sombre crétin. »
Il fut surpris l'espace d'un instant, mais se reprit vite.
« Et quel est-il alors, ce plan miraculeux ? »
« Le voici : enfuyons-nous tous ensemble. Prenons les gardes, prenons les aides, prenons Dahra, et ensemble allons-y. »
Il éclata de rire.
« Pauvre idiote ! Ils ne vous suivront jamais ! Peut-être n'avez-vous pas envie de vous marier, mais nous autres, nous en fichons complètement, sachez-le. »
Soudain, une lumière se fit dans mon esprit. Depuis le début, j'avais cru qu'il était au courant des manigances de mon père, mais à présent, je me demandais comment cela aurait-il été possible. Je tentais désespérément de me souvenir d'un moment où il aurait mentionné l'avoir deviné comme moi ; mais, malgré tous les efforts de mon esprit, ce moment semblait inexistant. Je me demandais à présent si Dahra était au courant. Mais, en voyant cet homme qui croyait m'avoir une fois de plus prouvé que je me trompais, la colère prit le dessus.
« Imbécile ! Tu crois que c'est pour que je me marie qu'il m'a envoyé ! Il m'a envoyé comme faux otage ! Et vous autres, comme as-tu si bien dit, avez été cordialement envoyés à la mort ! »
Les mots étaient sortis tout seuls. Mon interlocuteur eut deux secondes de réflexion puis une expression entre celle de l'effroi et celle de la satisfaction de la compréhension s'empara de ses traits.
Sans lui laisser le temps de répondre, je lui dit :
« Si vous pouviez laisser entendre à vos rustres compagnons que vous avez entendu la réalité de ma bouche, tout en citant ladite vérité, dite à ma servante, je vous en serais reconnaissante. »
Et, sans ajouter quelque question oiseuse ni quelque mot inutile, il partit, me laissant songeuse du plan de Dahra, ou peut-être était-ce tout simplement plus confiante. Toujours est-il que je me mis à supposer que sa réaction à la vérité devrait être similaire à celle des autres membres de cette expédition. Et, si tel était le cas, alors, je serais sauvée. Et, pour ce qui fut peut-être la première fois de ma vie, je ressentis de l'espoir.
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