ELLA VI

Mon humeur fut morose des jours durant. Je ne sais pas combien s'écoulèrent pendant cette triste période. Je n'osais même plus regarder Ker et Dahra, si elle continuait à s'occuper soigneusement et consciencieusement de moi, restait murée dans son silence. Ce silence me pesait mais je préférais le vide aux paroles que nous aurions échangées. Je sortais rarement du carrosse et, quand je le faisais, c'était parce que j'y étais obligée. Je n'avais plus grand espoir de survie et avais sérieusement réfléchi à l'éventualité de mon suicide. Mais, quand j'y avais pensé, je n'avais ni le matériel, ni la tête claire et m'en rendais compte ; j'avais donc abandonné ce projet, sans toutefois arrêter mes débats intérieurs pour savoir s'il était justifié. Je ne pleurais jamais, sans doute par fierté ; mes larmes étaient intérieures. Et ainsi était également ma rage. Contre qui était-elle dirigée ; je ne sais guère. Peut-être contre Ker ou Dahra, pour avoir dit la vérité. Peut-être contre mon frère, d'être capable de me tuer. Peut-être contre les Ordekaro, de m'avoir parlé. Peut-être contre ma mère ou contre le monde de m'avoir fait naître. Mais, et j'en suis sûr, contre mon père, qui m'avait envoyée dans cet enfer ! Mon père qui m'avait reniée. Mon père qui m'avait conçue.

Je commençais à devenir paranoïaque, croyant Ker, venu me tuer, les Ordekaro ayant conseillé à mon père de m'envoyer. Je n'étais que peur et rage ; si toutefois j'étais quelque chose.

Ce fut étrangement Dahra qui me sortit de ma tristesse. Un jour, alors qu'elle me coiffait avec son soin habituel, elle sortit enfin de son mutisme.

"Allez-vous bien, Madame ?"

Emporté par un sentiment qui n'était ni la colère, ni la joie, mais un mélange des deux, je lui répondais d'une voix forte et autoritaire :

"Ah, vous voilà enfin !"

Elle sourit puis me regarda tristement d'un air compatissant, et rétorqua :

"Vous revoilà aussi ! J'ai cru croire que vous aviez disparu !"

Sa phrase me mit dans un état de culpabilité. Je me rendais compte à présent que ce n'était pas Dahra qui était murée dans son silence mais moi, et ce silence n'était juste que contagieux. Et sa réponse m'ôta et cette fois-ci heureusement mon envie de solitude.

"Vous êtes triste, madame ; et cela est contagieux. Ressaisissez-vous ; il ne m'est guère agréable de m'occuper d'un cadavre ! ».

« Vais-je si mal pour que vous me considéreriez comme tel ? », dis-je timidement.

« Si tel était le cas, cela n'a pas intérêt à le rester ! »

Je pris conscience de ce à quoi je devais ressembler. Et me promit, en même temps que d'abattre les murs qui régnaient entre Ker,Dahra et moi, de remédier à cela. « Je ne suis pas encore morte », songeais-je, « que je profite de ma vie ».

« Ah, au fait, si je vous ai « réveillée », ce n'est pas pour vos beaux yeux ! J'ai trouvé un moyen de nous échapper ! »

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