ELLA IX

Le rassemblement eut lieu une semaine plus tard. Notre entrée dans les Montagnes-Sans-Nom se passa sans encombre. Sous prétexte de me préserver des cahots, Dahra me garda dans le carrosse. Mais, une fois dedans, elle me révéla le vrai but de ce stratagème : préparer et peaufiner le texte que je dirais une semaine après dans les Montagnes-Sans-Nom. Nous y travaillâmes sans cesse, tentant de faire de ce texte une œuvre d'art en quelque sorte.

Nous le travaillâmes entièrement à l'oral ; l'écrit ne permettant pas selon Dahra de transmettre d'une façon suffisamment puissante et émouvante ses émotions. Je découvris dans le même temps la puissante mémoire de Dahra. Celle-ci réussissait à retenir chacune de mes paroles, au mot près sans jamais ne serait-ce qu'une seule fois se tromper. Des questions fusaient dans mon esprit mais celui-ci était tellement occupé par le texte qu'il n'avait guère le temps ni l'énergie de penser à autre chose. Dahra était une excellente professeure, du moins par rapport aux divers autres que j'eûs après. Elle m'enseignait de la façon la plus méticuleuse et attentionnée qui pût être. Elle m'impressionnait à chaque instant , mais je ne sais si c'était par sa pédagogie ou par le simple fait qu'elle en possédait un tant soit peu, n'ayant jamais eu d'autre professeur qui n'avait point de bouche pour parler ni d'oreilles pour écouter, atouts que possédait Dahra. Avec elle, il me semblait oublier pourquoi faisions-nous cela, il me semblait que nous jouions. Je m'étais en tout cas rendu compte d'une chose.
Dahra n'était ni ce qu'elle disait ni ce qu'elle paraissait être.

Sa façon d'enseigner, de bouger, de parler, de dormir, de me conseiller ; tout était des plus intrigants chez cette femme qui se disait servante. Je ne lui ai demandé qu'une seule fois d'où venait-elle, quelle était son histoire et d'où tenait-elle toutes ses connaissances sur l'écriture et la condition humaine. Elle me répondit, d'une voix qui me sembla des plus sincères :
« Je viens d'un château, comme toi. Je me suis enfuie, comme toi. J'ai appris et côtoyé la mort de longues années, comme tu ne l'a pas fait. Elle m'a appris la condition humaine. Ses condisciples m'ont, eux, appris mon art. »

Cette réponse m'intrigua, mais je n'eus guère le temps de réfléchir car elle me noya par la suite d'exercices de diction. Ces connaissances que j'apprenais là ; je n'en discernais point la valeur. Je ne l'appris que plus tard. Nous nous entraînâmes longtemps et, le jour où nous entrâmes dans les montagnes, je fus fin prête.

J'étais dans mon carrosse quand Dahra vint me voir. Son visage exprimait tant la satisfaction que l'espoir.

« C'est l'heure et le moment, Ella. »

Nous avions abandonné nos masques de madame et de servante entre nous. Par là, je pouvais remarquer la complicité qui s'était formée entre nous. J'écoutais les bruits ambiants du paysage autour de nous un instant avant de sortir. Le chant mélodieux des oiseaux, le bruissement des arbres qui me semblait l'être toit autant. Il me semblait que les écouter, me concentrer dessus, pour ne penser à rien d'autre, oublier tous les problèmes qui étaient l'apanage des humains vivant en ce bas-monde, tout cela suffisait à ce que je me sente moi-même. Et, m'abandonnant à cette écoute apaisante pour obéir à ce que me dictait mon destin, je sortis du carrosse, et hurlais à la cantonade :

« Venez, venez tous et écoutez-moi tous. Venez, si vous ne souhaitez pas mourir... »

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