ELLA I

J'écris ces lignes avant tout pour ne pas devenir folle. J'écris ces lignes parce qu'elles méritent d'être écrites. Je les écris pour qu'elles soient lues par un enfant innocent et qu'elles bercent sa jeunesse. Il en fera sûrement des cauchemars, mais ces écrits l'aideront à survivre dans ce monde impitoyable qu'est le nôtre. Mon sacrifice aura au moins aussi servi à donner à un joyeux bambin l'enfance heureuse que je n'ai pas eue.

J'espère au moins que la suite de la vie du chérubin en question sera aussi utopique que son enfance. Parce que c'est à toi que je m'adresse, enfant joyeux, de qui je suis jalouse car tu auras une belle vie. Je sais que cette jalousie que j'éprouve n'est rien d'autre que le fruit de la frustration accumulée pendant ces dernières années ainsi qu'un vilain défaut, mais je ne peux pas m'empêcher de la ressentir envers toi, enfant choyé et aimé.

Je n'ai pas laissé mon fiancé les lire, ces lignes écrites de ma main, car, bien que je lui aie déjà raconté en détail mes souffrances, je ne les lui ai pas relatées comme je m'apprête à le faire maintenant. La raison de ce fait est qu'il est beaucoup plus facile de parler à un parchemin qu'à un mari distrait qui ne vous écoute pas, trop concentré sur ses propres souffrances, qui ne sont cependant pas moindres, qui ne vous écoute pas et qui tient plus à un bâton brisé qu'à sa femme.

C'est aussi parce qu'il m'aime, du moins je l'espère, et que je ne veux pas qu'il sache qu'il n'est pas le seul qui va mourir ce soir. Je ne le lui dis pas par respect de ce qu'il ressent pour moi, peu importe la nature de ses sentiments, haine, amitié ou amour. Même si, en ce qui concerne cette dernière émotion, la mienne est plus fort que la sienne. Je l'ai toujours su, depuis le jour où je l'ai rencontré même si j'étais à l'époque trop aveugle pour reconnaître les certitudes quand j'en avais.

Si quelqu'un devait mourir, ce devrait être moi, car il m'oublierait facilement, aussi facilement qu'il a oublié ses parents. Aucune larme ne serait versée, pas la moindre. Moi, je ne pourrais pas l'oublier. Jamais. Je ne suis même pas sûr que je pourrais vivre sans Alwin, malgré tous ses innombrables défauts. Je ne sais pas si l'être que j'ai rencontré, aimé et épousé a quoi que ce soit en commun avec l'Alwin d'aujourd'hui. Mais mon esprit est aveugle et si désespéré qu'il tente de se raccrocher à l'espoir, aussi ténu soit-il, qu'Alwin m'aime et, au fond, est toujours resté le même. Je sais que c'est impossible mais mon esprit a tellement souffert qu'il en a besoin et que, quand bien même il m'avouerait qu'il me hait depuis toujours, il continuerait à y croire.

Le scénario de ma mort aurait été tellement meilleur. Mais un autre lui a été substitué : un autre où lui et moi mourrons dans la honte et le désespoir.

Que la vie et l'amour sont cruels et volatils ! Que notre mort et celle d'autrui sont tristes et imprévisibles ! Sauf pour moi. Elles ne sont pas tristes, car à ce jour, j'ai vu tellement de morts qu'aujourd'hui, seule celle d'Alwin me toucherait réellement. Enfin, me touchera. Et elles ne sont pas imprévisibles non plus car je sais que moi, ainsi que tant d'autres personnes, aimées comme inconnues, allons mourir ce soir. Depuis le début, je l'ai aimé de toutes mes forces et de toutes celles de mon amour. Je sacrifierais volontiers ma vie, si c'est pour sauver la sienne. Enfin, je sacrifierai. Je ne suis pas sûre qu'il serait prêt à en faire autant...

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