DAHRA I
Tristesse. Suicide. Chagrin. Funérailles. Remords. Morts tout court.
Qu'a été d'autre leur vie ?
Il n'y a eu que malheur dans la vie d'Alwin. Il n'y a eu que déception et désillusion dans celle d'Ella. Cette histoire qui est la leur n'est pas épique. Ne sera chantée par personne sinon par mon Ella dans sa tristesse et, j'ose dire, sa folie infinie.
Mon Ella... Qui est-elle vraiment ? La réponse, je le vois maintenant, est simple. Elle n'est personne. Car elle peut être tout le monde. Elle a été tant de choses durant sa vie... Fille de seigneur, sœur d'un autre. Assassin. Apprentie. Ménestrelle. Amante. Stratège. Hérétique. Sainte.
J'ai toujours eu l'impression que ce qu'étaient ces amants nous échappait à tous. Qu'ils étaient promis à un destin qui nous dépassait tout autant. Que ce destin les manipulait de la plus atroce, vicieuse et cruelle façon.
Eux et ce qu'ils sont devenus me donnent envie de croire aux dieux. Ces entités si présentes et pourtant si invisibles. Si magnanimes et pourtant si cruelles. Si créatrices et pourtant si mortelles. Si démiurges et pourtant si fragiles...
Ella m'est plus chère que père et mère, et peut-être pas parce que plus vivante que ceux-ci. Je soupçonne d'en être de même entre Alwin et Shan. J'ai toujours eu la désagréable impression que cette relation qu'ils entretiennent est infiniment plus puissante que celle entre moi et celle que le monde retiendra sous le nom de Sainte de l'Hiver. Elle est aussi fragile que complexe ; mais elle est plus puissante. Sans doute est-ce parce qu'elle s'est bâtie sur des morts et du sang.
Tout ce qui s'est passé ces dernières années a été traumatisant. A été édifiant. A été surprenant. Et l'on peut même dire que cela a été, d'une certaine manière, joyeux.
Cette aventure a été plus que cela. Cela a été une leçon de vie. Une recherche de moi-même. J'ai découvert l'amitié. L'amour. L'affection. Tant de choses qui m'étaient inconnues car elles m'avaient été interdites par des chiens s'abrogeant le droit d'interdire aux autres de voir le monde tel qu'il était. De parler. De ressentir. En déclarant que je m'en moquais, j'ai découvert une chose autrement importante. Moi-même.
Quand j'ai rencontré ceux qui furent en quelque sorte mes mentors et ceux d'Ella, j'ai eu droit à de la considération. A de la douleur. Mais de l'affection, point de trace.
Je me suis rendue compte de quelque chose ces dernières années. J'aime vivre. J'aime profiter de ce que nous offre le monde aussi minuscule cela soit. J'aime rencontrer. J'aime aimer. Je me sens comme une enfant malgré mes trente-six printemps. Et c'est cela que j'aime plus que tout.
Tous ces serments que j'ai prêtés car j'y étais obligée, ces allégeances que j'ai données car je ne connaissais pas le sens de ce mot, ces compliments que j'ai dispensés car j'étais innocente et gentille sont envolés. Ne subsiste que la joie d'être.
La mort est sans doute proche. Le calme a trop duré. J'écris ceci alors que je sens se profiler une tempête. Mais, quand elle arrivera, elle sera bien accueillie.
Le désir de mettre fin à tout n'a jamais traversé autant de monde sur ces Terres. Mais jamais l'envie de mourir ne dépassera celle de vivre.
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