ALWIN XIV

Je suis plein de défauts. Certains ; je les ai acquis ; d'autres étaient innés. Mais malgré tout le pouvoir que j'ai eu, toute l'influence, jamais l'arrogance n'en a fait partie. Ella n'est pas dans ce cas-là mais cela depuis sa naissance. Je suis cruel, je suis bête, je suis irresponsable, je suis déloyal ; et de ces arguments ; mes ennemis se sont bien servis. Mais jamais aucun n'a osé prétendre que j'étais orgueilleux ou vantard. C'est le fait que je ne le sois pas qui a rallié beaucoup de gens à ma cause. C'est pourquoi quand Shan m'annonça quels étaient mes pouvoirs et mes responsabilités, ma seule réaction fut la peur.

Je voulus ouvrir la bouche mais le son de flûte que je commençais à bien connaître retentit, m'interrompant. Ce fut Shan qui parla à ma place :

"A cause de ses effets et de la jalousie des moines qui n'y ont pas eu accès, les apprentis ont interdiction de s'imprégner l'après-midi."

L'après-midi...Le premier reconnaissable depuis bien longtemps...

"Une salle leur est réservée, la salle des apprentis les bâtiments connexes à la cour, en dehors des tours, à côté du silo."

Je remerciai Shan et y allai immédiatement. Je n'eus point de mal à trouver le bâtiment en question car un groupe d'apprentis s'y dirigeait et je reconnus parmi eux Klaï, Rustis et Volos. Je ne vis pas Sang mais cela ne me frappa pas sur le moment. 

Loka était parmi eux, se tenant devant tout le monde. Je me demandai pourquoi ; il n'était pas un apprenti. J'allai le voir et lui tapai doucement sur l'épaule et il tressaillit de manière à peine perceptible. Il se retourna et m'aperçut. Alors, il me questionna :

"Que me veux-tu, Alwin ?"

Je lui répondis.

"Bonjour, Loka. Pourquoi es-tu ici ? M'as-tu menti sur ton statut d'apprenti ?"

Autrefois, je n'aurais jamais été aussi agressif, mais je m'étais rendu compte que chaque parole non dite risquait de l'être à jamais. Et que chaque seconde perdue était en moins sur une durée qui pouvait s'avérer très courte. Ses lèvres s'ouvirent.

"Non, je ne t'ai pas menti. Mais un mois après ma nomination, il y a environ trois ans, notre Maître s'est aperçu que j'étais désœuvré ; il m'a donc annoncé que je devais me trouver un travail secondaire, afin d'aider l'Ord. J'avais déjà compris certaines choses à propos de la prière et je savais que Fu avait en horreur le fait de devoir garder les apprentis en prison pendant la prière de l'après-midi ; j'ai donc proposé à Fu de les garder dans une salle. Il a accepté et je suis également au poste de Gardien des apprentis."

Je comprenais mais une information dans son récit m'intrigua.

"Tu travailles dans l'Ord depuis trois ans ? Tu as quel âge au juste ?"

Il lâcha un soupir :

"Oui. J'ai seize ans. J'ai été nominé à treize ans. Un apprenti, s'il s'en montre digne, peut devenir moine à l'âge qu'il veut. Je suis loin d'être un record. Fu a bien été nominé à neuf ans."

Moine à treize ans ! Cela voulait-il dire que les Hutkoraa qui devenaient moines à cet âge tuaient  avant leurs quatorze ans. 

"Et à quel âge sont nominés les plus tardifs ?"

"Mon frère en fait partie et a été nominé à trente ans, il y a de-cela cinq ans." Puis, me coupant alors que j'allais répondre. "Non, il ne les fait pas, je le sais. Et oui, il a bel et bien plus du double de mon âge. Ma mère était...peu féconde. Mais l'Ord a mis longtemps à l'accepter en tant que moine car, contrairement à moi, il avait toujours une mentalité de Guerrier et ne s'en cachait pas."

J'eus soudain une intuition :

"Sais-tu qui est Klaï ?"

Il hésita une seconde.

"Oui. Mais c'est son secret."

Une des choses que mon père m'avait apprise était cette phrase que je récitai :

"Ne dis pas que c'est un secret si tu viens de me le dire."

Loka eut l'air étonné.

"Alwin, d'où connais-tu cette phrase ?"

Ce fut à mon tour d'être étonné.

"Mon père me la répétait tout le temps."

Loka fut abasourdi.

"Es-tu sûr que ton père était Téka, le Régent ?"

Ainsi, Loka savait... J'aurais du m'en douter.

"Moi, je ne sais pas ; mais tous les moines ont l'air de le croire."

Le visage de Loka se fit de plus en plus intéressé.

"Sais-tu pourquoi ?"

"Ils ont vu le bâton que je tenais ; et l'ont déduit."

Loka devint grave, mais une lueur d'excitation brillait également dans ses yeux.

"Alwin, dans toute cette histoire, quelque chose cloche vraiment. Je commence sérieusement à douter de certaines choses. Je le ferai de mon côté mais renseigne-toi sur l'identité de ton grand-père paternel. Et dis à Shan que les enfants entendent et répètent et que je suis prêt à l'aider à condition que Rokh ou moi récupèrions Fark."

Il avait donc entendu nos conversations par le biais des enfants. Mais il ajouta :

"Dis-lui que nous devrions avoir également Nelsold et raconte-lui la conversation que nous venons d'avoir. Il en tirera les mêmes conclusions que moi. Peut-être même qu'il connaît déjà la vérité."

"Mais quelle vérité ?!"

J'avais dit cela en hurlant et tous les enfants se tournèrent vers moi. Loka vint et me chuchota à l'oreille. 

"Je te le dirais dans la salle de garde des Apprentis."

Nous y arrivions justement.

"Entrez !", dit Loka. Je remarquai que les enfants le suivaient sans la moindre méfiance. Cela raffermit ma confiance envers celui qui semblait être mon nouvel ami.

La salle était vide de tout siège, de tout symbole ; c'était uniquement une grande pièce de pierre ordinaire.

Les enfants se mirent à parler. Je les observai. Ils n'avaient rien en commun. Ils étaient de cheveux, d'yeux et de visages de couleurs disparates. Certains paraissaient effrayés. Rustis discutait avec un petit groupe d'apprentis sur le côté pendant que Klaï se tenait debout, isolée, l'air de défier quiconque de venir lui parler. Volos était toujours couvert de contusions et restait immobile. Je remarquai qu'il n'était pas le seul dans ce cas ; d'autres enfants étaient dans un état pitoyable. D'autres pleuraient, relâchaient toute leur rage, leur chagrin, bref, tout ce qu'il ne pouvaient montrer devant d'autres moines que Loka. En les regardant, je me demandai avec tristesse et colère : comment peut-on être assez monstrueux pour faire subir autant d'horreurs à des enfants ? Le mode de pensée de Balio m'échappait. Cet homme si cruel, si prompt à faire mal, cet homme qui ne pouvait ressentir aucun regret...Si j'en ai jamais l'occasion, me promis-je, je lui ferais subir tout ce qu'il a infligé à ses élèves.

J'allai voir Loka et lui demandai :

"Peux-tu me révéler la vérité, maintenant ?"'

Il hocha la tête et m'entraîna dans un coin de la pièce. Klaï nous regarda, intriguée. Je l'ignorai et suivit Loka.

"Alwin, sache une chose, tu es sans doute la personne la plus puissante des Terres Divisées. Tu as déjà l'Ord mais ce que tu viens de me dire m'a révélé que ton influence allait plus loin encore plus loin que cela. Connais-tu la répartition des territoires entre les grandes maisons et leurs noms ?"

"Non, j'ignore tout de cela."

Loka soupira.

"D'accord, laisse-moi donc te résumer rapidement cela."

"Je suis tout ouïe."

"Les Terres Divisées, comme tu le sais probablement déjà, sont divisées en quatre zones, quatre côtes. La côte nord est entièrement gouvernée par le seigneur Tus, qui est le seul qui ne subit pas de tentative d'invasion de la part de ses voisins du Sud, car son territoire est attaqué par les Raïs et risque très fortement de tomber prochainement entre leurs mains. L'Est est gouverné en grande partie par la maison Ark, encerclé par de petites familles qui font tout pour obtenir le territoire qui appartient à son seigneur, nommé Arkus. Le Sud n'a pas vraiment de chef et est organisé autour de Tezarchah, la "capitale", mais qui ne survit que grâce à la clémence de ses voisins. Fark se trouve à proximité de celle-ci."

Je l'interrompis.

"Mais quel est le rapport avec moi ?!"

Loka secoua la tête en la baissant et en souriant.

"J'y viens. Arrête d'être aussi impatient !"

Je ne m'excusais pas, de peur de retarder la révélation de l'information me concernant.

"Donc, je continue. La partie extrême de l'Ouest est gouvernée en grande partie par l'Ord. C'est là qu'ils ont le plus grand pouvoir. Mais le territoire de l'Ord ne constitue qu'une petite partie de la côte ouest. La partie en contact avec le territoire de l'Ord est gouvernée par de petites familles. Mais les deux tiers de la superficie de la côte ouest sont occupés et gouvernés par la maison Nelsold. Cette maison a depuis la nuit des temps des alliances solides avec les Assassins, un ordre de dangereux tueurs à gage et espions. Les lois concernant ces relations sont toutes contenues dans un grand livre nommé l'Opus de la Vie et la Mort, caché dans un coffre entouré en permanence de centaines de gardes et qui possède des moyens de défense magiques. La dernière phrase de ce livre, celle que tu viens de prononcer n'est connue que des membres adultes de la famille Nelsold qui mourront s'ils la divulguent. Je connais cette phrase car j'ai été quelques temps infiltré chez les Assassins, expérience soit dit en passant traumatisante pour moi et ai eu une relation avec une femme appartenant à cet ordre. Ton père, je le sais pour en avoir longuement discuté avec Shan autrefois, n'a jamais quitté Mui avant sa fuite. Et un ami Hutkoraa, Gho, qui a assisté aux interrogatoires faits lors du massacre de ta famille, a entendu de la bouche de ta mère qu'elle n'a jamais quitté Ordteka. Tu as seize ans, ton père as donc du te concevoir un mois après son départ ; il n'aurait donc pas eu le temps de passer par Nelsold, de récupérer l'opus, de le subtiliser, de lire dedans ou quoi que ce soit d'autre. Bref, étant donné que les Raïs devaient empêcher toute sortie de ton village, il n'a pas pu s'y rendre pendant ta vie ; par conséquent, il ne devrait pas connaître cette phrase."

"Dans ce cas, comment la connaît-il et quel est le rapport avec moi ?"

Loka sourit.

"Je ne vois qu'une seule hypothèse : ton père la connaissait avant son départ, or, étant donné qu'il n'a jamais quitté Mui avant cela ; il fait partie de la famille Nelsold. Cela fait depuis longtemps que l'on recherche le fils aîné disparu du seigneur Jolf, père du seigneur Oldus, l'actuel seigneur de Nelsold. Cela fait longtemps que l'on recherche l'héritier d'un bon quart des Terres Divisées et celui qui peut nous aider à éradiquer ses concurrents. Je crois qu'on l'a trouvé."


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