ALWIN XIII

« Non ! Ce n'est pas vrai !"

"Si. Et c'est pourquoi tu dois absolument t'allier avec Klaï. L'héritier de l'Ord et l'héritière de... bref. Sache que devenir ami avec elle doit devenir ton objectif premier."

Je réfléchis quelques secondes à l'éventualité que ce pût être la vérité et fis remarquer à Shan :

"Mais si j'étais vraiment l'héritier des Régents, Fu ne pourrait pas me traiter comme ça !"

"Si, et il le fait. Si tu ne l'étais pas, crois-tu qu'il m'aurait demandé de te former ?"

C'était pour cela que j'avais été gracié. Qu'avait dit Kuk déjà ? "Ces lois sont archaïques ! Elles ne méritent pas d'être suivies." Je me demandais bien par qui elles avaient été édictées, ces lois, sinon par des Régents.

"Mais, dans ce cas, pourquoi tous les moines me détestent ?"

Shan eut comme un soupir de consternation :

"Arrête de penser cela ; ils ne te détestent pas tous. Donne-moi des moines qui te détestent."

Je réfléchis.

"Balio me déteste, Rokh me déteste, Fu me déteste..."

"Pour Balio, tu as raison et ça n'a, en vrai, rien à voir avec toi. Il t'en révèlera la raison, j'en suis sûr, quand tu seras sous son bâton."

Je frissonnai.

"Ah, vous voyez !"

"Pourtant, c'est bien le seul des trois que tu as cités qui te déteste. Rokh, en t'amenant ici, n'a fait que remplir son devoir."

Je fus étonné.

"Son devoir ? Quel devoir ? Il ne savait pas qui j'étais, si ?"

Shan eut l'air d'hésiter. Puis finalement répondit.

"Alwin, quand je vais te révéler la vérité, ne panique pas, tu n'as pas à t'inquiéter avant au moins quelques jours."

"Vous m'inquiétez, là. Que voulez-vous dire ?"

"Rokh n'était pas un moine ordinaire. Rokh était le moine collecteur d'impôts. Et tu sais ce qu'on fait aux blessés en période de récolte d'impôts..."

"On leur donne un poison qui les tue en un mois... Shan, dites-moi que ce n'est pas vrai !"

"Il a dû te donner des potions pendant le trajet, non ?"

Je m'en rappelais.

"Si, il m'en a données. Pour apaiser ma douleur, disait-il. Je me suis fait berner."

Shan eut l'air compatissant.

"Cela arrive à tout le monde et..."

Je me mis en colère.

"Ça vous est bien facile d'en parler ! Ce n'est pas votre vie qui est en jeu !"

"Un antidote te sera administré tous les soirs, m'a dit Fu, tant que tu coopères."

"Mais pourquoi Rokh a eu l'air de me haïr ?! Je ne comprends plus rien..."

"Il a dû croire que Fu lui apporterait quelque récompense quand il dirait qu'il t'avait amené d'Ordteka. Ça n'a pas été le cas. Rokh n'a non seulement pas eu de récompense, mais a en plus perdu sa première victime et risque de finir son mois de collecte sans les trois victimes requises pour que le collecteur garde sa tête et sa distance avec Balio..."

"Et Fu ?", demandai-je avec espoir.

"Fu est de ton côté mais a peur de froisser les moines d'ici en paraissant trop gentil avec toi. S'il n'était pas là, tu n'aurais pas fait long feu ici. Fu risque sa vie pour remettre l'héritier des Régents sur son trône !"

C'était trop d'informations à la fois. N'y avait-il donc que Balio qui me haïssait ?

"Donc, Balio est le seul à me haïr ?"

Le visage de Shan se durcit.

"Non. Nombre de moines te haïssent, mais pas tous, loin de là. Mais celui qui te hait le plus est Nak, et par simple jalousie envers ton père. Alwin, fais tout pour reprendre ton trône. Parce ce n'est pas toi, mais tout l'Ord qui est en jeu."

"Qu'est-ce que tu veux dire ?"

"Ni les seigneurs, ni les paysans ne nous aiment. Ils pourraient très bien se révolter, et tous nos Hutkoraa ne suffiraient à nous protéger. Les Arzord, les chefs de région, font tout pour rendre le plus secret possible l'Ord, mais ce mystère ne peut plus nous protéger. Ton père l'avait compris et savait que la menace la plus dangereuse était celle des Guerriers et avait tenté de la régler par la diplomatie, mais personne n'avait compris pourquoi. Personne ne défendra l'Ord, a priori.  C'est pourquoi tu dois absolument te lier d'amitié avec Klaï. Si vous travaillez main dans la main, vous pouvez sauver l'Ord, voire tout le royaume."

"En quoi sauverions-nous le royaume en sauvant l'Ord ?"

"Si les Guerriers et les paysans s'unissaient à travers une grande révolte, que crois-tu que les paysans feraient ?"

Ayant été moi-même un paysan, je connaissais la réponse.

"Les Guerriers les méprisent et ne les considèrent pas comme une menace. Les paysans profiteraient de l'inattention des seigneurs pour s'emparer des châteaux les plus puissants. Aucune révolte des paysans ne serait crainte, comme c'est le cas quand c'est un autre Guerrier qui s'empare d'un château avec héritier. Tous les villages deviendraient gérés par un chef de village. Et ce n'est pas un moine et un apprenti qui empêcheraient l'Ord de faire subir à tous le sort de mon village."

"Tu as compris."

"Mais c'est atroce !"

"Et tu es le seul à pouvoir l'empêcher."

Je n'en pouvais plus. Cet homme ne faisait que me donner des responsabilités. Il me disait que c'était pour survivre ici. Mais, et je me rendais compte que je l'avais oublié ; je ne voulais pas y survivre. Je voulais m'en enfuir.

"Shan, je vous apprécie ; n'en doutez pas. Mais vous semblez avoir oublié quelque chose : je veux m'enfuir."

Shan me regarda d'un air inquisiteur mais aussi rieur.

"Alwin, je vais sans doute te paraître un peu dur ; mais mieux vaut la vérité à la douceur. S'enfuir d'ici est impossible."

Choc.

"Quoi ?!"

"Les issues sont toutes occupées en permanence par des Hutkoraa. Ils sont incorruptibles et toute décision concernant les entrées et les sorties doit d'abord être discutée avec leur supérieur. Il n'y a aucun autre passage ; les moines y ont veillé. Les moines commencent à perdre leur peu de confiance en moi. Tu ne sais pas te battre et tu ne feras jamais le poids contre des Hutkoraa. Et je n'ai pas l'antidote."

Non. Depuis le début, la vengeance était mon motif, mais ma principale volonté était de m'enfuir. Si je ne le pouvais pas, pourquoi vivrais-je encore ?

"Et vous ne m'avez rien dit ! Depuis tout ce temps, j'ai accepté tout ce que vous m'avez dit sans rechigner, tout ça pour un espoir qui n'existe même pas ! Vous m'avez berné ! Qu'avez-vous fait ?! Vous aviez promis !"

La colère montait en moi. Mais Shan prit un air triste.

"Je n'ai pas promis de t'aider, ni de te faire du bien. J'ai promis de te garder en vie. En te révélant la vérité, j'ai failli à ma promesse."

Je me mis en rage contre lui :

"Mais quel intérêt y-a-t-il à ma vie dans ce cas ?! Vous croyez vraiment que je veux vivre ici toute ma vie, vieux fou ?!"

Je m'attendais à et craignais une réaction violente de Shan mais ses yeux se teintèrent simplement de nostalgie.

"Tout recommence. Tes yeux sont les mêmes que les siens au moment où je lui ai révélé la vérité..."

"Quelle vérité ?"

"Qu'il ne pourrait jamais l'épouser..."

"Qui cela ?"

"Une femme dans la triste jeunesse de ton père ; mais là n'est pas le sujet de la conversation. Le but de ta vie ; quel est-il, me demandes-tu ? Mais l'amélioration de ta condition, mon cher ! En t'alliant avec Klaï, tu peux devenir le Régent et vivre dans l'opulence. Tu commanderas l'Ord, l'organisation la plus puissante du royaume."

Je m'apprêtais à parler.

"Si tu ouvres encore la bouche, tu n'auras pas la plaisante surprise de demain."

J'allais demander quelle surprise mais je me retins.

"Parfait ! Alors, sache que ton père a laissé l'Ord dans un sacré bordel, si tu me permets de parler ainsi. L'Ord est actuellement divisé en deux parties, nommées respectivement les Kulnao et les traditionnels. Les Kulnao considèrent que les agissements de Téka prouvent la corruption de la famille Régente. Ils considèrent également que les Régents se sont tellement mêlés à des gens du peuple que le sang des premiers Régents n'est qu'une petite partie de celui des actuels. Cette partie soutient un certain Calme, un homme influent dans l'Ord et dont la famille œuvre depuis longtemps discrètement à discréditer les Régents. J'ai personnellement rencontré Calme ; c'est un homme très méprisant mais qui peut paraître charismatique. Mais il ne fait que répéter ce que ses ascendants lui ont inculqué toute sa vie durant. De l'autre côté sont les traditionnels. Ceux-ci veulent placer le frère de Téka, Haji, sur le trône de l'Ord. Mais celui-ci n'arrive pas à faire d'enfants et commence à mécontenter l'Ord. Ils ne connaissent pas ton existence, mis à part Fu, qui est un pur traditionnel. Quand ils l'apprendront, la déchirure dans l'Ord va s'agrandir et une guerre risque d'éclater. Fu essaie de te maintenir à l'écart de tout cela et toute sortie a été interdite en dehors d'Ordfus, non pas pour t'empêcher de sortir, mais pour empêcher les informations sur toi de se répandre. Fu veut que tu aies un minimum de connaissances sur l'Ord avant de revendiquer ta place. Voilà à quoi il te destine."

Cela faisait beaucoup. Je lui fis le signe d'ouvrir ma bouche et il opina du chef.

"Donc, si j'ai bien compris, les Kulnao, menés par Calme, sont mes ennemis et les traditionnels, menés par Haji, sont mes alliés. Mais comment puis-je les rencontrer ?"

"Fu viendra te parler ce soir dans ta chambre. Tu l'écouteras attentivement. Alwin, ici, il y a quelque chose qu'il faut que tu comprennes pour survivre et peut-être réussir par miracle à sortir."

"Je peux m'évader d'ici ?!"

Shan soupira en se frottant le menton.

"Oui, tu le peux, mais si j'ai dit que cela était impossible, ce n'est pas fortuit. Tu as deux voies possibles pour t'échapper d'ici. La voie simple : t'allier avec Klaï et te servir d'elle pour sortir du monastère. Et la compliquée, mais qui te donne plus d'espoirs de survie pour la suite : t'allier aux traditionnels et revendiquer ta place de Régent. Mener la guerre et la gagner. Et accomplir enfin ton destin."

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