ALWIN XI

Mes leçons commencèrent le jour suivant. La révélation de Shan m'avait choqué, plus que je ne l'aurais pu l'imaginer. Mon père était un moine. Mon père était un Régent. Mon père était un membre de l'Ord. Cela signifiait pour moi "mon père était une ordure". Shan ne m'avait pas laissé le temps de répondre et avait continué sur sa lancée.

"Fu m'a ordonné de te former à l'histoire et à la politique de l'Ord. Tu seras également initié à la géographie et à la langue de l'Ord. Ainsi qu'au combat. Mais le plus important, ce sur quoi Fu place tous ses espoirs, c'est que tu apprendras à Ordiner. "Les talents se transmettent de père en fils", m'a-t-il dit."

Et, sur ce, il était sorti, me laissant seul avec mon appréhension.

Je m'endormis dans ce si confortable lit de plumes qui me tint longtemps compagnie. Ce fut un sommeil sans rêve.

Un moine, à la tenue marronne plus ample que celle des autres que j'avais vus jusque-là, vint me réveiller et m'emmena dans une grande salle remplie d'hommes à la livrée verte. Le moine m'en donna une, que j'enfilai, au-dessus de celle, noire, qui m'avait été attribuée.

Je lui demandai ce que je devais faire et il me répondit tout simplement :

"Imprègne-toi."

Et il alla rejoindre les autres moines. Un son de flûte retentit, tel celui des ménestrels itinérants étant autrefois venus dans mon village. Ce son était clair, apaisant, et plaisant à écouter. Aussitôt que ce son fût entendu par les moines, Fu arriva et monta sur une estrade. Et presque toutes les personnes présentes dans cette pièce se mirent à prier.

Leurs psalmodies étaient puissantes et l'on y reconnaissait aisément les sonorités de la langue de l'Ord. Ces voix solennelles me réchauffaient, m'emplissaient de joie, tant et si bien que je crus que ces prières étaient des incantations. La plénitude m'envahissait ; je ne voulais qu'une seule chose : les rejoindre et chanter avec eux. Les sons étaient beaux, au-delà de ce que l'on pouvait imaginer. La salle accompagnait ce chant, aurait-on dit. Les chatoiements du soleil sur les vitraux complexes du même vert que la forêt la plus saine du monde. Le soleil les traversait, provoquant des reflets paranormaux sur les visages des moines. A présent, les agissements de Rokh envers moi me paraissaient normaux et je les comprenais. J'aurais sans doute agi de même envers lui s'il m'avait interrompu dans ma prière.

Alors que le bonheur en moi était à son comble, quelque chose se débloqua en moi. Et soudain, ce fut comme un réveil. Les voix restaient belles mais avaient perdu de leur clarté. Les reflets restaient beaux mais n'étaient plus hypnotisants. Je regardai partout autour de moi, et, cette fois-ci, je ne fis pas attention à ceux qui priaient, mais à ceux qui ne le faisaient pas. Principalement des enfants, debout, l'air désemparé. Mais c'était probablement des apprentis, ignorant, tout comme moi, la Langue de l'Ord. Ils n'avaient d'ailleurs pas plus de quinze ans. Mais en dehors d'eux, deux autres étaient debout et ne chantaient pas. Celui qui m'avait sorti de ma prison et qui avait l'air en proie à une intense lutte intérieure. Et Fu, qui me dévisageait et me présentait un visage mêlant quelque chose qui devait être un mélange de satisfaction et de détermination.

Et tout à coup, la joie me reprit. J'essayais de m'en dégager mais elle me tenait et je finis par m'y abandonner. Cette extase, cette plénitude, ce bonheur infini, j'aurais voulu passer ma vie à les ressentir. Et, au moment où je la sentais atteindre son apogée, elle fut soudainement repoussée et je fus comme réintroduit dans mon propre corps. Je respirai un grand coup pour reprendre mon souffle. Une brusque envie de sortir, de m'éloigner de cette salle, de ces gens, s'empara de moi. Les portes étaient ouvertes mais un moine se tenait entre les deux. Il avait les cheveux noirs profonds et les yeux bruns, il paraissait avoir aux alentours de quinze ans, soit un an de moins que moi. Il ne priait pas mais regardait tous les autres moines avec une envie non dissimulée. Il marmonnait dans sa barbe peu fournie :

"Pourquoi ce maudit poste m'a-t-il été attribué ? Ça tombe toujours sur moi et il a fallu que je sois encore obligé de surveiller la salle au lieu de prier avec les autres ! Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?"

Je n'eus qu'à réfléchir un instant pour trouver une solution pour sortir et une fois celle-ci trouvée, j'allai le voir.

"Bonjour, j'ai fini de prier. Je n'ai rien à faire ; veux-tu que je prenne ta place ?"

Je craignis qu'il perçât la supercherie mais celui-ci répondit simplement, me rassurant automatiquement :

"Oh ! Merci !"

Et, sur ce, il s'en alla prier. La joie se peignait déjà sur son visage avant même qu'il eut fermé les yeux. Ceci fait, je sortis en hâte de la salle et m'arrêtai presque automatiquement car, devant moi, se tenait l'homme de la prison.

Je bredouillai un timide "bonjour". Celui-ci me lorgna et me tendit une main tout en répondant à mon salut de la même façon qu'il avait été donné. Et il enchaîna aussitôt d'un air désolé et amical :

"Désolé pour la sortie un peu brutale d'avant-hier. Si je t'ai fait mal ce jour-là, je m'en excuse également."

A cause du souvenir de Rokh, je ne lui fis pas tout de suite confiance, mais après une rapide réflexion, je me dis : "Qu'ai-je à y perdre ?"

"Ce n'est pas grave ; ne t'inquiète pas. Alwin, fils de Téka, ou devrais-je maintenant dire Alwin, apprenti moine ? Enchanté."

Il n'eut aucune autre réaction qu'un sourire, même à l'énonciation du nom de mon père.

"Ah, je suis content dans ce cas. Loka, fils de Fark."

Fark... Ce nom me disait quelque chose, mais je n'aurais pas su dire où je l'avais entendu...

"Je ne suis pas comme mon frère", précisa-t-il.

Fark, Fark, le père de Rokh !

"Tu es le frère de Rokh !"

Il prit un air penaud.

"Oui, mais s'il te plaît, ne me juge pas en te fondant sur ma famille, et je continuerai à ne pas te juger en me fondant sur la tienne."

"Tu n'as pas de soucis à te faire à ce niveau-là. Je ne suis pas comme eux."

Il me regarda compatissant, et me répondit :

"Alwin, si tu permets que je te parle ainsi, je suis passé par là moi aussi. Je me suis enfui de Longchâteau quand je n'avais que dix ans. Mon père m'a pourchassé et m'a envoyé chercher. Ce sont finalement des Hutkoraa qui m'ont découvert et ramené à mon père, et celui-ci m'a laissé aux Hutkoraa mais a refusé de les payer pour ma capture. Je l'ai vu s'écrouler et mourir aux côtés de ma mère dans d'atroces souffrances sous la lame empoisonnée des Hutkoraa. Ils m'ont emmené ici, à Ordfus, et j'y ai retrouvé mon frère. Sais-tu que c'était lui l'ainé des enfants Longchâteau ? Il devait en hériter mais ce fut moi qui y fus destiné quand il fut offert aux moines de Mui pour calmer les tempêtes. Et je perdis cette place à cause de cette disgrâce. Les seigneurs proches de Kul et Ordcastel lancèrent une attaque contre Longchâteau mais ne réussirent qu'à se battre l'un contre l'autre. C'est le bâtard de mon père, Lioy, qui en a pris le contrôle et y règne à la place de mon frère. J'ai suivi la formation intensive de l'Ord et ai fini par devenir moine geôlier. Normalement, c'est moi qui apporte la nourriture aux prisonniers mais Shan a tenu à le faire personnellement pour toi. Cependant, ma tâche se borne généralement plutôt à extraire les cadavres des geôles de ce monastère." Il reprit son souffle et dit, d'une voix plus dure :

"Donc, si tu crois être le seul à avoir une vie impossible et un désir de vengeance contre l'Ord dans ce monastère, détrompe-toi. Nous avons tous une histoire. Le problème, c'est que presque tous les moines ne pensent qu'à la prière, sans se rendre compte de ce qu'elle induit. Quant aux apprentis, ils gardent presque tous leurs histoires pour eux."

Son histoire était triste et me rappelait en beaucoup de points la mienne. Le fait que ses parents étaient morts, qu'il avait été enrôlé dans l'Ord de force. Mais, ce à quoi, par simple bêtise, je n'avais pas réfléchi ce jour-là, c'était que nos histoires se ressemblaient également en un point bien plus important.

"Je suis désolé."

"Tu n'as pas à l'être. Les seuls coupables sont mon père et les Régents."

Je ne savais que faire pour le consoler mais je savais quoi faire pour obtenir une information des plus importantes.

"D'où vient cette sensation que nous ressentons pendant la prière ?"

Son visage devint grave.

"Je ne sais pas."

"Quoi ? Après tes années dans l'Ord, tu n'en sais rien ?"

Son visage se durcit puis se radoucit :

"Je sais que cette salle y est liée. La prière ne fait qu'activer la salle. Mais je ne sais rien de plus."

Je m'apprêtai à répondre mais il m'interrompit :

"Ne crois pas que je m'en fiche ou que je n'ai pas cherché. Cette énigme m'intrigue depuis que je suis entré dans l'Ord. Et encore plus depuis que j'ai compris ce que faisait la salle. Et à quel point cela était néfaste."

J'étais intrigué.

"Quand et comment l'as-tu compris ?"

"En voyant les moines nettoyeurs ramasser souvent des corps dans la salle, quand je cherchais d'où venait ces corps que l'on m'apportait chaque mois."

"La salle tue ? Mais comment est-ce possible ?"

Son visage se déforma de dégoût.

"Elle est vicieuse. L'Ord impose une limite de temps de prière. Mais il y en a toujours un pour se cacher et prier le reste de la journée. Il ne mange pas, ne boit pas et cet endroit épuise plus que n'importe quelle activité physique. Il est toujours retrouvé mort quand le soir vient, ou du moins est-ce ce que j'ai pu apercevoir."

J'étais choqué :

"Et l'Ord ne fait rien contre ça ?"

"Cela nécessiterait l'emploi de moines à plein temps juste pour surveiller la salle. Déjà, cela gâcherait leur vie de moine et leur interdirait de prier. Mais, surtout, tu as vu comment le prennent ceux qui sont obligés de surveiller la salle pendant la prière. Sache que les moines entrent à n'importe quelle heure de la journée dans cette salle."

Cette affaire m'intriguait de plus en plus et j'allais répondre quand le son de flûte retentit, m'interrompant. Un moine m'aperçut et me prit par le bras.

"Viens par ici !"

Je le suivis, me laissant entraîner par lui. Il avait un visage ovale et fin, et je n'avais jamais vu des cheveux d'une telle couleur. J'appris plus tard qu'ils étaient "châtains". Mais, j'aurais été en tout cas incapable de dire de quelle côte il provenait.

Il m'entraîna vers un groupe d'apprentis, tous jeunes, entre dix et quinze ans. Là, il se mit à parler :

"Bonjour, Zesmis."

Nous lui répondîmes poliment "bonjour".

Il sourit :

"C'est : bonjour, maître. Mais, pour l'instant, Zesmis, ce n'est pas grave. Votre erreur étant née de l'ignorance et non de l'insolence, je la pardonne. Mais, si elle se reproduit, ne soyez pas sûrs que ce soit encore le cas."

Il parlait avec un accent que je n'arrivais pas à identifier.

"On m'a ordonné de vous enseigner le combat, mais, sachez-le, si vous êtes de bons élèves, je le ferai avec joie."

Nous restâmes stoïques.

"Mon nom est Balio, moine d'Ordfus, ancien capitaine Hutkoraa à la retraite."

Ainsi, celui-ci était comme ceux qui avaient tué mes parents et ceux de Loka. Sans doute faisait-il même partie de ceux qui avaient commis ce dernier méfait. Quelles autres atrocités avait-il commises au service de l'Ord ?

"Veuillez dire vos noms, tels qu'ils sont, sans y ajouter quelque titre, car apprenti moine n'en est pas un. Veuillez également dire d'où vous provenez. Toi d'abord.", dit-il en pointant l'enfant le plus à gauche du groupe.

Celui-ci était basané, et ses yeux étaient mordorés. Ses cheveux étaient courts et noirs et son visage était quelque peu arrogant.

"Je me nomme Sang et je proviens du Territoire des Dieux comme on dirait dans votre langue, là où le nom de notre père n'est pas annoncé."

Balio sourit :

"Enchanté de faire ta connaissance, Sang. Mais permets-moi de te demander pourquoi on ne donne pas le nom de son père dans le Territoire des Dieux ?"

Ce fut au tour de Sang de sourire :

"Si l'on a accompli un acte digne d'être raconté, notre père n'est pas censé récolter la gloire que nous avons obtenue par notre dur travail.  C'est nous et non ceux qui nous ont faits qui forgeons notre destinée."

Balio sourit plus encore à Sang.

"Ne sois pas si sûr que tes convictions resteront les mêmes, Sang."

Et il se détourna pour pointer un autre garçon, aux yeux et aux cheveux d'un brun terreux et à l'uniforme peu soigné.

"Toi ! Ton nom !"

Le garçon parut quelque peu intimidé et sa réponse fut balbutiée.

"Mon nom est Rustis, celui de mon père est Nolan et je viens d'ici, de la côte ouest."

Balio le toisa quelques secondes et lui dit :

"Merci. Sache que je préfère l'arrogance à la peur. Suivant !"

Un garçon très âgé et dont la totalité des caractéristiques physiques, yeux et cheveux noirs, indiquaient son appartenance à la côte ouest, répondit, d'une voix qui avait l'air habituée à parler fort, et, apparemment à respirer le mépris :

"Je m'appelle Volos, de Vulio."

Balio le regarda d'un air amusé :

"J'imagine que toi aussi, tu accompliras des actes trop importants pour me dire le nom de ton père."

Sang rougit de colère et Volos de mépris et de dégoût.

"Vulio est un château de la côte ouest, pauvre ignorant ! Comment pouvez-vous ne pas savoir cela ?! Je n'ai aucun rapport avec ce...sauvage !"

Sang fléchit ses genoux mais Balio lui lança un regard dur en même temps qu'un clin d'œil et le garçon bloqua automatiquement son mouvement. Et Balio regarda Volos d'un air plus amusé que jamais avant de me pointer et de m'intimer de dévoiler mon nom. Mais je ne pense pas que ce fut ceci qui me fit frissonner...

"Alwin, fils de Téka le Traître", répondis-je, employant le sobriquet dont la vieille infirmière avait affublé mon père.

Le visage de Balio se durcit.

"Suivant."

Je fus soulagé sans l'être mais je regardai le dernier membre du groupe. C'était une fille, qui me semblait être la plus âgée du groupe. Ses cheveux étaient blonds, tels ceux des Raïs de mon village, mais ses yeux étaient d'un bleu marine qui faisait plutôt penser à un natif de la côte Sud, ce qui n'améliorait pas tant plus mon estime pour elle.

"Klaï, fille de Nario."

Balio s'avança et la toisa sous toutes ses coutures.

"Ah oui...Neord m'avait parlé de toi...La fille de Nario..."

Puis il se détourna brusquement d'elle et nous fit signe de le suivre. Nous traversâmes les couloirs pour sortir dans la cour. Et nous nous dirigeâmes, non pas, comme je m'y attendais, vers les tours de l'Irascible, Gaëti, ou du Fougueux, Kâ, mais vers celle du Serein, Jaü. Voyant sur toutes les têtes, excepté celle de Sang, qui n'exprimait qu'indifférence, de l'étonnement, Balio nous donna en guise d'explication :

"Bientôt, vous comprendrez."

Et nous entrâmes dans la tour. Celle-ci était vide et, au contraire, remplie de portes, toutes marquées de non pas un, mais trois signes : celui de Jaü, un rond et une étoile ; le croissant surmonté d'un œil du dieu Kâ, et les chiens qui tournent sur une roue du dieu Fag. Le Serein, Le Fougueux et Le Secret. Il nous fit le signe d'entrer tout en nous tenant la porte. Nous entrâmes tous ; même le visage de Sang n'était pas totalement serein.

C'était la pièce la plus grande que j'eusse vue jusque-là. Des petites pièces sur les bords de la salle étaient nombreuses. La pierre du plafond était grise, couleur de Pok, dieu de la mort. Mais je ne savais de quelle couleur était celle du sol ; et pour cause ; celle-ci était recouverte d'une poudre jaune qui m'était, en ce moment-là, inconnue. J'étais impressionné quand Balio me ramena à la réalité en m'intimant de les suivre sur le sable. Sang et Klaï n'avaient aucun mal à s'y mouvoir, tandis que Rustis y peinait, et que Volos n'arrivait même pas à y faire deux pas.

Je tentais d'arriver là-bas et compris Rustis ; il était ardu de marcher dans cette matière dans laquelle on s'enfonçait, où nos mouvements étaient ralentis et où l'on avait l'impression que l'on allait s'ensevelir entièrement pour ne laisser que cette dernière image de nous au monde. Je tentais d'avancer le plus vite possible mais, si je réussissais sans peine à dépasser Volos et Rustis, j'étais loin du rythme de Klaï et Sang et encore plus de celui de Balio, déjà arrivé à l'autre bout de la salle. Klaï et Sang finirent par le rejoindre. J'y parvins non sans peine et Rustis me rejoignit quelques temps après. Après une éternité, Volos y arriva, non sans jeter au sol un regard plein de dégoût. Balio sourit, mais j'avais l'intuition profonde qu'il n'avait pas fini de se venger de l'arrogant jeune homme.

"Très bien, sachez que nos cours se dérouleront à partir de maintenant dans cette arène pleine de sable, comme vous avez sans doute pu le remarquer.", dit-il d'une voix sarcastique.

Klaï paraissait quelque peu essoufflée, ce qui n'était absolument pas le cas de Sang.

"Ici, vous allez apprendre l'art le plus dur qui soit. L'art du combat."

Eh bien, voilà qui devait emplir tout le monde, excepté Sang, d'un espoir immense. Celui-ci regarda notre maître d'un air méprisant.

"Je n'ai pas besoin d'apprendre cet art. Cela fait cinq étés que ma hache est mon bien le plus précieux. Que le bruit d'une tête qui tombe est mon son favori."

Et, sur ce, il sortit de son habit de moine une gigantesque hache qui paraissait trop lourde et grande à porter pour nous tous. Elle était ornée de motifs de diverses autres armes.

"Vous faites moins les malins, maintenant, non ?"

Pourtant, si Volos avait blêmi, le visage de Balio n'exprimait nulle autre émotion que l'amusement. Il sortit de son dos un simple bâton que nous n'avions pas vu. Il était orné de motifs d'épées coupées et je m'aperçus que la couleur du bâton me rappelait quelque chose...le bâton de mon père ! Ainsi, celui-ci avait servi au combat. Peut-être était-ce ainsi que la moniale m'avait reconnu...

Sang éclata de rire.

"C'est avec ça que tu comptes me résister ?!"

Et sur ce, il fonça sur Balio.

Je ne sais pas ce qui se passa, tant ce fut rapide. Toujours est-il que Sang fut couvert de lui-même, sortant de sa cuisse. Et que sa hache était dans une main de Balio alors que le bâton était resté dans l'autre.

"Je t'avais dit de ne pas être sûr que tes convictions restent les mêmes, Sang."

Et il se détourna de celui-ci, s'intéressant plutôt à nous.

"Maintenant, assez perdu de temps, nous devons commencer."

Volos et Rustis avaient l'air au bord de l'évanouissement, tandis que le visage de Klaï était pâle.

Balio, quant à lui, avait l'air étonné, et quand je regardais derrière moi pour voir ce qui, de mon côté, lui transmettait cette émotion, il ne semblait curieusement rien y avoir. Pour ma part, ce Sang me rendait triste, sans plus. Et j'imagine que cela devait transparaître sur mon visage. C'était la première étape de ce qui m'arriva tout au long de ma vie.

Balio se détourna lentement de moi puis alla dans l'une des pièces bordant la salle. Il en ressortit vingt secondes plus tard, mais pas les bras vides. Ceux-ci portaient des sortes de bâtons couverts de piques et d'autres totalement lisses. Il nous donna ceux-ci sans un mot. Et nous dit :

"Voici ce à quoi vous devriez arriver à la fin de votre formation."

Il prit un bâton couvert de piques et se mit à... je ne sais pas comment nommer ce qu'il fit, mais cela s'apparentait à la fois à la danse et au jeu. Il se mouvait si rapidement que nous peinions à voir son bras, et son bâton ne se manifestait que sous forme d'éclats lumineux tout autour de lui. Même Sang paraissait impressionné. C'était le cas encore plus pour Rustis. Par contre, à mon grand étonnement, Klaï et Volos ne montraient aucune émotion. J'étais, pour ma part, le plus impressionné de tous. Balio me regarda d'un air approbateur entre deux enchaînements. Mais, sans se douter, je pense que c'est sur lui que j'imaginais ces éclats lumineux. Mais cette fois-ci teintés de rouge.

Combien d'innocents ces mouvements dévastateurs avaient-ils tués ? Combien de pères ces redoutables pointes avaient-elles déchiquetés ? Combien de fils avaient-elles rendus orphelins ?  "Si je te tue, ce sera avec une de ces armes", me promis-je en rendant à Balio son regard.

Une fois sa chorégraphie terminée, il intima à Volos :

"J'ai compris tout au long de mon difficile apprentissage et enseignement que c'est en regardant que l'on apprend le mieux. Viens ici, prends un bâton, et combats-moi, que tes petits camarades voient ce que ces mouvements font sur une véritable cible."

Le visage de Volos se teinta d'horreur.

"Ne t'inquiète pas ; mon bâton sera dépourvu de pointes." dit Balio avec un sourire sadique.

"Je refuse !"

Volio avait crié avec peur. Balio lui répondit, une expression assurée et rieuse sur son visage :

"Si tu refuses, mon bâton sera une épée."

Volos prit peur et tenta de courir vers la porte, mais il s'étala sur le sable. Il se mit à pleurer, comme un enfant, ce qu'il était malgré tout.

"S'il vous plaît, pas ça, pas ça, pas ça..."

Balio n'attendit pas qu'il se relève. Il lui lança le bâton et il lui donna un coup puissant sur son dos. Les pleurs de Volos redoublèrent d'intensité et il se recroquevilla sur le sol. Il exécuta toutes sortes de mouvements sur celui-ci, ses cris retentissant encore plus fort que ceux du vieil Apin, brûlant dans sa maison incendiée par les Hutkoraa.

Balio nous dit, triomphant :

"Regardez ! Regardez ce fils de seigneur ! Regardez et voyez qu'il n'est qu'un homme comme les autres face à un simple bâton !"

Je tentai de détourner le regard mais notre professeur me lança un regard amusé qui me le fit tout de suite ramener vers lui et le pauvre Volos, couvert de contusions. Son vêtement de moine était déchiré et certaines de ses plaies saignaient abondamment. Il appelait son père, sa mère, et tant d'autres noms qui ne me disaient rien. Sa voix devint inaudible. Profitant d'un moment de concentration intense de Balio sur la souffrance de Volos, j'observai les visages de mes camarades. Rustis et Sang semblaient profiter du spectacle. Seule Klaï dans cette pièce paraissait horrifiée tant par leur comportement que par celui de Balio. Et j'eus soudainement l'impression que les deux seuls êtres humains dans cette grande salle pensèrent en même temps la même chose.

Avant, nous voulions anéantir l'Ord, tuer les moines, détruire ce monastère. Maintenant, nous nous demandions comment nous pourrions seulement y survivre.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top