ALWIN X
La douleur. La souffrance. Le tourment. Le supplice. La torture. Le martyre. Si les hommes ont inventé tant de mots pour désigner cette seule notion, c'est parce qu'ils en ont besoin. Car il est agréable de mettre des mots sur ce que l'on offre aux autres.
Quand je l'ai perdu, c'était comme si...Comme si...Bizarrement, il n'existe cette fois-ci pas d'expression dont le sens parvienne même à approcher ce que j'ai ressenti quand mon auriculaire m'a été ôté.
J'ai souffert, et ce n'est toujours pas fini. Ca ne le sera que quand tout ce qui constitue mon identité, mon être et ma vie disparaîtront. Tout ce qui est négatif est éternel. Tout ce qui est positif est éphémère. La peur, la haine, la tristesse, tout cela ne s'efface jamais. La joie, l'amour, la tranquillité ne durent jamais bien longtemps. La vie est éphémère. La mort est éternelle.
Des pertes ; je n'ai subi que cela. Pertes d'êtres aimés. Pertes de parties de moi-même. Pertes d'humanité. Pertes de sentiments. Mais une chose ne m'a pas été ôtée. Une chose plus importante que toutes, je pense. La liberté.
J'aime écrire dans ce journal pour me débarrasser. Pour me souvenir. Pour revivre toutes ces choses, aussi désagréables soient-elles. J'écris ces lignes pour tout cela.
Quand je suis sorti de cette salle, j'ai crié. J'ai pleuré. J'ai appelé. J'ai hurlé. Sans autre réponse que le regard triste de Shan et ceux satisfaits des moines. Celui, las, du Maître du Monastère. Et, cette fois-ci, ce fut la main de Shan qui m'entraîna vers ma destinée.
Nous ne parlâmes pas. Nous ne nous écoutâmes pas. Nous ne fîmes que nous regarder. Mes joues n'étaient pas sèches, pas plus que mes yeux. Mais, devant tous ces moines, je n'osais pas pleurer. Il m'emmena devant une porte marquée du signe de Fag, appelé le Secret : des chiens noirs et rouges tels des flammes qui tournaient sur une roue noire. Elle était en bois verni et assez étroite pour qu'un homme corpulent ne puisse y passer sans difficulté.
Il me fit entrer et là, dans cette pièce spacieuse aux murs noirs comme Fag, nous parlâmes.
"Mon enfant, je suis désolé..."
Je n'avais pas la tête à palabrer, j'en vins donc droit au but.
"Pourquoi ai-je été gracié ?"
Il prit un air qui se voulait surpris, mais qui, si l'on savait regarder, dissimulait la satisfaction qu'il ressentait.
"Que veux-tu dire ?"
Je n'en pus plus et lui rétorquai :
"Ce que je veux dire ; vous ne l'ignorez en absolument aucun point ! Cessez de feindre l'ignorance et la bêtise ! Arrêtez de porter un masque. Pourquoi diable ai-je été gracié ?!"
Il prit un air qui, cette fois-ci semblait choqué, mais masquait les mêmes choses que le précédent.
"Mais en vertu du dixième ordre fondamental de Dyù et..."
Je n'y tins plus.
"Arrêtez ! Arrêtez les mensonges ! Donnez-moi la vérité !"
Il soupira et puis s'ensuivit :
"Tu t'imagines sans doute que je la connais, cette vérité dont tu ne cesses de me parler, que j'ai réponse à tout ! Mais détrompe-toi ! Je ne sais qu'une seule chose. Les paroles de Kuk ont ranimé quelque vieux souvenir à Fu. Et, la nature de celui-ci a convaincu Fu de te gracier."
"En avez-vous quelque idée ?"
"Tu pourras sans doute la deviner toi-même dans la semaine qui viendra. Ce qui m'amène à un autre sujet."
Et, sur ces paroles, il me donna un magnifique soufflet qui me jeta à terre.
"Alwin, mettons les choses au clair. Le fait que je sois ton seul allié dans ce maudit monastère ne te donne pas tous les droits sur moi. Ou cela pourrait bien changer."
Et, il se baissa et me releva en me prenant par la main. Je me sentis honteux et voulus lui présenter des excuses :
"Shan...pour mon ton..."
Il me coupa immédiatement.
"Tes excuses, je me fiche de les avoir, au contraire de ton écoute."
"Vous l'avez."
"Bien. Fu a remarqué que je te rendais visite et a ainsi déduit que ta confiance m'était au moins quelque peu accordée. Il m'a chargé de te dire que tu dois être formé."
Je fus choqué.
"Formé ?! Mais pourquoi ?"
"Laisse-moi te révéler qui était ton père et tu comprendras."
Je retins mon souffle. J'allais enfin savoir ce qui me causait tous ces ennuis. Ce qui avait tué mon père, ma mère et les autre êtres aimés. Les hypothèses fusèrent. Etait-il un Guerrier qui avait fait du mal à l'Ord ? Etait-il un Assassin ayant tué quelque membre important parmi la haute hiérarchie ?
"Pour cela, laisse-moi te conter l'histoire de l'Ord. On ne sait rien de la création de cette organisation qu'on estime remonter à des siècles, voire à mille ans. On raconte en tout cas qu'elle fut créée par les dieux. Ceux-ci confièrent aux humains qui leur étaient les plus fidèles de veiller sur le monde en attendant leur retour. Ils donnèrent le commandement de ce groupe à un homme. On ignore son nom mais savons, en nous fondant sur des peintures retrouvées un peu partout dans la côte est il y a deux siècles représentant la scène en question qu'il était âgé d'environ trente ans le jour où il reçut ce rôle."
Il prit sa respiration, mais étant captivé, je lui fis un signe lui indiquant de reprendre.
"Il eut deux enfants avec une femme du peuple mais l'aîné fut tout de même nommé successeur du Régent-Sans-Nom, ainsi qu'il est aujourd'hui appelé. Ce fils se nommait Fu et eut un règne, si l'on peut utiliser ce terme, peu paisible, la presque totalité de la population le considérant comme un bâtard. Mais, à lui seul, il mit fin à des guerres qui duraient depuis des décennies et annexa la côte nord à la côte est. A sa mort, les membres de l'Ord, nommé à l'époque l'Ordkulna, la régence des dieux, se rendirent compte de leur erreur et instaurèrent une loi encore en vigueur dans l'Ord : les bâtards n'existent pas dans notre ordre. Les chefs se succédèrent, l'Ordkulna devint l'Ord et les héritiers du Régent-Sans-Nom devinrent la Famille Régente."
Cette histoire était très intéressante mais je brûlais d'impatience et demandai à Shan :
"Mais quel est le lien avec mon père ?"
Il soupira et me répondit :
"J'y viens. La Famille Régente ne régna bientôt plus sur les Terres Divisées qui devinrent en grande partie le territoire des grands seigneurs. Elle ne fit que gérer l'Ord et certains territoires surtout à l'ouest et au sud. Les Régents régnèrent et les époques se succédèrent. Et, il y a vingt ans, un drame arriva au sein même de la Famille Régente."
J'étais en haleine et n'attendais que la révélation du lien avec mon père, sans toutefois l'arrêter, craignant de retarder celle-ci.
"Le Régent Gud mourut, ne laissant qu'un unique fils. Celui-ci lui succéda à l'âge de dix ans. Les avis sur lui étaient mitigés. Les Guerriers l'estimaient et s'accordaient tous à dire qu'il s'en sortait bien, en vue de son âge. Il noua de nombreuses alliances avec les Guerriers, s'aliénant ainsi le peuple. Les moines de Mui, où il résidait, n'étaient pas non plus d'accord avec sa politique mais ne pouvaient rien faire. Jusqu'au jour où il subit une tentative d'assassinat. C'était un assassin rusé mais celui-ci fut tué par hasard et par chance de la main même de ton "ami", Rokh. Et, dans la nuit qui suivit, le Régent s'enfuit avec lui. Et jamais on ne le retrouva."
"Rokh ! Mais pourquoi a-t-il fait cela ?"
"Je n'en ai aucune idée. Au fait, juste un détail. Le Régent s'appelait Téka."
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