ALWIN VI
Shan continua à m'apporter mon souper. C'était alors, il me semble que nous discutions. Nous parlions longuement, souvent la nuit était déjà entamée quand nous avions fini, nous étions en été, rappelons-nous. La deuxième fois qu'il vint ; je conservai ma méfiance. Notre conversation ne fut pas longue, produit de ma méfiance.
"Bonsoir Alwin. Ta journée t'a-t-elle été fructueuse ?"
Si ce n'était pas volontaire, le fait de m'avoir révélé le moment de la journée n'était pas très judicieux. Il ne s'était donc écoulé qu'une demi-journée.
"Elle l'a été autant que peut l'être celle d'une personne enfermée dans une cage. Rendez-la plus fructueuse s'il vous plaît, en venant me harceler pour d'obscures raisons."
Je ne relevais le fait qu'il connaissait mon nom, me doutant qu'à présent, nul moine de ce monastère ne devait l'ignorer.
"Sache que c'est effectivement du harcèlement, mais que ces visites peuvent te sauver."
Tentait-il de s'amuser avec moi, d'essayer de me tromper, pensant que je n'étais qu'un gamin crédule ?
"Pourquoi faites-vous semblant de vouloir m'aider ? Je ne saisis pas le but du petit jeu que vous vous amusez à faire avec moi."
Je me disais que, quitte à mourir, pourquoi être hypocrite pendant les instants qui me restaient à vivre ? J'ignorais tout à l'époque des méthodes de torture employées par l'Ord mais ce fut heureusement un autre que Shan qui se chargea de mon instruction dans ce domaine.
"Je t'aide pour des motifs que tu n'as pas à connaître. Le seul détail que je puis te donner, c'est que mon comportement envers toi est un hommage à ton père. Tu lui ressembles tant..."
Cette réponse me surprit au-delà de tout ce que j'avais pu imaginer. Je crois qu'il fallait que j'explore les extrêmes du spectre des émotions. Peur, colère, appréhension, tristesse ; il ne manquait que la surprise pour que l'exploration soit complète. Mais cette réponse, à part les émotions qu'elle me fit ressentir, me procura une irrésistible envie de réponses. S'ensuivit donc alors cette longue liste de questions :
"Quoi ? Vous connaissez mon père ?", et me corrigeais-je d'une voix tremblante, "Ou plutôt connaissiez ? Comment l'avez-vous rencontré ? Pourquoi ne le détestez-vous pas comme tous les autres moines ?", et la dernière question, la plus importante, "Qui est réellement mon père ?"
Je n'avais pu retenir toutes ces questions qui étaient sorties de ma bouche. Je n'avais jamais su rien du passé de mon père ; il était temps de rattraper le temps perdu. Même si je ne pourrais pas en discuter avec lui...
"Je répondrais à la plupart de tes questions quand le moment sera venu. Mais, pour l'instant, je vais n'en répondre qu'à une seule : qui est réellement ton père ? Voilà ma réponse : c'est un homme mort."
Mon sang se glaça et mon cœur se figea.
"Ils ont rapporté les têtes de ton père, ta mère, ton frère, et celle d'un bébé qui doit être ta sœur. Elles étaient encore dégoulinantes quand elles sont arrivées."
"ARRÊTE !", lui dis-je. "Je ne veux pas savoir !"
"Ce serait un déshonneur envers ton père de ne pas écouter sa fin. Elles ont été mises sur la salle des piques ; elles sont à présent couvertes de crachats. Ton père a échoué à survivre. Mais il m'a néanmoins laissé sa plus grande œuvre afin que moi, je réussisse à lui faire accomplir ce qu'il n'a pas achever. Et je te fais une promesse ; je le ferai. Alwin, fils de Teka, tu survivras."
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