ALWIN II
J'ai peu de temps pour vous conter ma vie, j'irai donc droit au but. Ecrire ma vie me paraît un véritable casse-tête car, malgré le fait qu'elle est et sera courte, les évènements importants se bousculent et, si j'aurais aimé vous conter mon enfance, je ne le peux pas, pas par manque de temps, cela ne devrait pas prendre si longtemps que ça, mais parce que j'ai perdu tout souvenir de cette période. Le temps non plus n'y est pour rien, mes souvenirs sont clairs après le cinquième jour de l'été. Mais avant, le trou noir.
Au fond, cela ne me rend pas si triste, je sais que ces souvenirs ne me procureraient que douleur, étant donné que je n'ai pas accès aujourd'hui aux personnes et aux sentiments qui leur sont associés. Mais j'aurais aimé me remémorer d'autres visions que celles de cadavres dans mes moments de mélancolie.
Le fait que mes souvenirs commencent à revenir à ce point de départ qu'est ce cinquième jour d'été m'intrigue car il ne s'est relativement rien passé ce jour-là de plus qu'une banale blessure faite au pied. Les évènements marquants ont commencé le lendemain. Dans ce cas-ci, les évènements marquants sont synonymes de cauchemar.
Toujours est-il que ce jour-là, j'ai fait les pires choix que je n'aie jamais faits. Maintenant, je me rends compte que ce n'est pas ma naissance qui est la cause du sillage de mort que je semble traîner sur mon passage mais mes choix. Ce qui n'enlève néanmoins rien à ma responsabilité. Je crois que je ne souhaiterais même pas qu'on puisse remonter le temps car les actions à corriger seraient si nombreuses que ce serait le travail d'au moins cinq vies.
Même si je me rends compte aujourd'hui qu'avoir des remords pour ces actes est ridicule, je me suis jadis torturé pour ce que ces choix ont causé. Mais tout a commencé par une journée normale, par un appel, plus exactement, celui de ma mère, disant à ce garnement d'aller aider son père pour la Récolte. Enfin, pour que nous puissions y survivre...
La Récolte des Guerriers se déroule généralement vers la fin de l'été, (soixante-dixième jour, environ). Les seigneurs viennent, prélèvent et partent. Du moins, c'est ce que disent les personnes qui leur sont favorables. Je pense que l'opinion de ceux qui leur sont défavorables et dont je fais partie se rapproche plus de la vérité. Ils viennent, massacrent, brûlent, tuent, pillent une population déjà affaiblie et repartent sans le moindre remords, ne laissant derrière eux que mort et désolation. Je me demande comment on a réussi à survivre à ça pendant tant d'années. Je me réjouis que, grâce à Ella, ce soit fini. Même si ce n'est pas la chose la plus agréable de voir le travail auquel on a consacré toute sa vie (aussi courte soit-elle) accompli par une autre.
Quant à la Récolte de l'Ord, je ne saurais dire laquelle d'elle ou de celle des Guerriers est la pire. Elle se déroule dans le plus grand secret. Tout d'abord, un moine vient, comme chaque mois, pour guérir les malades. Mais cette fois-ci, il donne un poison à ceux qui requièrent son aide sans le dire évidemment à quiconque. Pas un poison mortel, mais de ceux qui apportent la mort au bout d'un mois. Très utile pour les Assassins, je ne l'appris que trop. Le genre de fourberie qu'on imagine peu venant de la part de moines. Fourberies très nombreuses, croyez-en mon expérience.
Il repart à la fin du mois, et, le mois prochain à la place d'un autre moine, le même moine revient, cette fois-ci en qualité d'émissaire de Tyk, l'Arzord de la région. Avec des moines soldats, nommés dans la hiérarchie complexe de l'Ord, les Hutkoraa, Ceux-qui-accomplissent. Car il est plus difficile de refuser de payer la moitié de ses récoltes de l'année, tout en sachant que les Guerriers en ont déjà pris un tiers, à des Hutkoraa qu'à un moine. Ceux qui payent reçoivent l'antidote. Et quand ils ne reçoivent pas, soit ils brûlent, soit ils laissent le poison agir. Le vieil Apin a ainsi perdu sa maison, ainsi que sa vie, en tentant d'y entrer pour y chercher son fils. Au moins ils sont morts ensemble me dis-je parfois, pour me rassurer. Malgré cette piètre consolation, leurs cris presque chantés à l'unisson résonneront toujours à mes oreilles. Ils manqueront à tout le monde.
Les moines de l'Ord sont horribles, malfaisants et leur objectif premier, de faire régner la loi des dieux de l'Ord, n'en est plus un. J'ai toujours cru que c'étaient les Assassins qui m'avaient corrompu. Je me rends à présent compte de mon erreur. Ce sont ces perfides, ces serpents, qui se font appeler moines qui ont amorcé la corruption. Les Guerriers se sont chargés d'une grande partie et les Assassins ont achevé le tout.
Notre village est devenu un village Raïs il y a un an. Les Raïs, peuple nordique, y sont arrivés, y ont massacré, y ont brûlé et l'ont envahi, ayant tout de même l'extrême gentillesse de nous laisser le travail de reconstruction. Ils sont les seuls contre qui je n'ai pu assouvir ma vengeance.
Les Raïs n'osent normalement pas envahir des villages qui ne se trouvent pas sur la côte nord, plus accessible et considérée par tout le monde, Ord comme Guerriers, comme perdue. A l'exception du seigneur Tus qui possède le plus grand territoire de tout le continent, car, s'il partait de sa terre, il se ferait automatiquement tuer par les villageois. Sa seule arme face aux invasions Raïs est l'espoir. Celui qu'il ressent et celui qu'il transmet à son peuple. Mais depuis que l'Ord a tué le chef de notre village, ils ont décidé qu'ils avaient besoin d'une base sur la côte ouest et c'est le village d'Ordteka (la grotte de l'Ord, dans la langue de l'Ord) qu'ils ont choisi.
Et si l'Ord a tué notre chef, c'est pour deux raisons. Premièrement, parce que les Guerriers, lors d'une beuverie, avaient tué le moine qui était, comme par hasard, le moine préleveur d'impôts, et qui était, toujours comme par hasard, le frère de Tyk, Arzord, ou chef religieux de la région. Les Guerriers, après coup, se sont enfuis, et les Hutkoraa, n'ayant aucun Guerrier à tuer à leur arrivée au village, se sont défoulés sur la personne qui était venue les accueillir. Ainsi que sur sa famille, pour ne pas entacher leur réputation de moines bienveillants, magnanimes, et surtout, d'un calme légendaire. La deuxième raison, c'est simplement car ils rêvaient de tuer quelqu'un qui dirige un village, avec, bien sûr, toute sa famille, sauf que, si on le tue, on se retrouve avec des tas de Guerriers pas contents, non pas parce que le Guerrier était leur compagnon, mais parce qu'il voulaient s'emparer du territoire du Guerrier tué. Ce qui n'est pas possible car la loi dit que si un Guerrier meurt sans héritier, c'est un abbé qui doit le remplacer, règle faisant partie des règles immuables et érigées par le peuple. Si on ne respecte pas ces règles, on se retrouve avec une révolution sur les bras. Parmi elles se trouve celle qui interdit de tuer un abbé.
Un chef de village n'étant pas un Guerrier, ces restrictions ne s'appliquent donc pas à lui, il peut donc être tué sans le moindre problème. Bien sûr après, c'est l'anarchie et les Raïs en, profitent. Si j'étais croyant, je dirais que les dieux semblent s'acharner sur notre village.
Je suis sûr que l'Ord n'a fait ça que pour faire croire à tous que l'Ord a le pouvoir sur tout. Je leur ai prouvé le contraire. Ils n'auront jamais le contrôle sur moi.
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