Thala n'a certainement pas le même caractère que Quinn, mais comme sa sœur, elle ne pleure pas souvent. Et une seule personne arrivera à la faire pleurer. Kaleb. Après l'avoir quitté une heure plus tôt, les larmes n'ont pas cessé de couler sur son visage. Elle n'arrive toujours pas à croire qu'elle a rompu avec Kaleb. Impossible ! Ses joues sont mouillées et elle n'a même plus la force de les sécher. Elle entre silencieusement dans la maison. Sa famille est peut-être en train de manger, mais elle ne veut pas les croiser alors elle évite la salle à manger où elle entend du bruit. Elle ne veut pas les voir. Elle ne pourrait pas soutenir le regard de son père quand il lui demanderait où elle était. Ou celui peiné d'Olivia qui saurait tout de suite ce qui s'était passé. Elle ne pourrait jamais se retenir d'éclater en sanglots quand son père lui demanderait pourquoi elle est dans cet état. Et elle ne pourrait pas supporter l'inquiétude qu'elle lirait sur le visage de Nathan, son petit frère. C'est à elle de s'inquiéter pour lui, pas l'inverse. De plus, elle ne veut pas qu'ils la voient si vulnérable. Elle est forte et n'a jamais peur. Mais ce soir, elle leur prouverait qu'elle a une faiblesse. L'amour est une faiblesse qu'elle ne peut plus se permettre. Mais plus important, Kaleb est une faiblesse qu'elle ne peut plus s'autoriser.

Allongée dans le lit avec Quinn, je me demande toujours ce qui la trouble autant. Nous devons discuter même si je sais qu'elle ne va pas vouloir m'en parler. Je vais sûrement devoir la forcer. Mais j'ai besoin de savoir ce qui l'angoisse à ce point. Tout à l'heure, elle disait qu'elle avait besoin de moi. Cependant, j'ai l'impression que c'était plus fort que ça. Elle avait besoin de prouver que j'étais encore là, sur Terre, que je n'avais pas disparu.

— Quinn ? l'appelé-je doucement, en touchant ses cheveux blonds.

— Hum...

Elle est un peu endormie, mais mes questions vont me tenir éveillé toute la nuit si je n'ai pas de réponses. C'est peut-être égoïste de ma part de la réveiller cependant, j'ai besoin de savoir. Il y a quelques heures, elle avait besoin de moi et tout de suite, c'est moi qui ai besoin d'elle. Je ne veux plus la revoir comme ça, si troublée et si inquiète. Il faut qu'elle partage ça avec moi. Je ne supporterai pas d'être mise à l'écart.

— On doit parler, lui dis-je.

— On est bien là, ne gâche pas tout, grogne-t-elle.

— S'il te plaît. Et je suis sûre que tu as faim, la taquiné-je.

— Même pas vrai, marmonne-t-elle, peu convaincante.

Je souris et m'extirpe du lit lentement alors qu'elle grogne une nouvelle fois. J'enfile des habits rapidement. La chaleur naturelle de Quinn me réchauffait, mais je frissonne en m'habillant. Une fois fait, je remarque que Quinn n'a toujours pas bougé. Elle a les yeux fermés et ne semble pas vouloir se lever. Redoute-elle autant cette discussion ? Je soupire et m'assois à côté d'elle. Je dépose mes lèvres sur les siennes pour un court baiser.

— Debout, lui soufflé-je en me reculant.

Elle me rejoint dans la cuisine. Elle s'installe sur un des tabourets. Je sens son regard sur moi, mais je ne m'en préoccupe pas. Elle m'observe cuisiner en silence. Pour moi, il n'est pas pesant, mais je suppose que pour Quinn si. Elle va devoir me parler et je suppose qu'elle ne sait pas comment commencer. Mais je ne suis pas pressée. Je veux des réponses, mais je dois la laisser faire. Je sais que Quinn est plutôt quelqu'un de réservé en vérité. Elle n'aime pas trop parler d'elle et de ce qu'elle ressent. Et je me doute que cette discussion va dériver sur ses sentiments. J'ai besoin de savoir pourquoi elle était dans cet état, il y a quelques heures. Cependant, je ne dois pas la brusquer.

— Mes parents et ceux de Kaleb se sont vus aujourd'hui, pour discuter de toi, commence-t-elle.

De moi ? Mes sourcils se froncent naturellement. Et alors, une certaine panique m'envahit. Qu'ont-ils bien pu se dire ? Je me doutais que les parents de Quinn n'allaient pas garder ma vraie nature pour eux et qu'un jour, ils devraient mettre les Forget au courant. Cependant, je ne pensais pas que ça serait aussi vite. J'ai soudainement peur parce que je me souviens du regard d'Abby ce matin et j'imagine celui d'Antoine. Je frissonne et ce n'est pas de froid.

— Einin ? m'appelle Quinn.

— Je t'écoute, je réponds, mais ma voix tremble.

Elle l'entend et se lève. Je me tourne vers elle.

— Qu'est-ce qu'il y a ? me demande-t-elle, soucieuse.

— Rien, répliqué-je.

Elle semble contrariée cependant je me remets à cuisiner, lui indiquant que je ne veux pas en parler. Elle soupire, sûrement agacée par mon comportement. Mais j'ai besoin de savoir la suite. Que s'est-il passé entre les deux couples pour que Quinn soit si angoissée ?

— Et la situation a, en quelque sorte, dégénéré, m'explique-t-elle.

— En quelque sorte ?

— Je suppose qu'on peut dire qu'on est en guerre, m'apprend-elle enfin.

Je stoppe tout mouvement. En guerre ? A cause de moi ? La panique me submerge enfin. Les deux familles vont devoir se battre. Je ne pourrais pas supporter de perdre Quinn. J'ai déjà trop perdu ! Et Thala et Kaleb ? Comment vont-ils pouvoir résister à tout ça ? Et je revois le regard d'Antoine dans ma tête.
Je sens alors les bras de Quinn autour de moi. Je pose ma tête dans son cou alors qu'elle m'enlace.

— Calme-toi, me rassure-t-elle. Tu es en sécurité, je te le promets. Je ne laisserai jamais personne te faire du mal.

Je mets quelques minutes à me remettre de cette annonce. Jamais quelque chose ne m'avait atteint de cette façon, ce qui prouve une nouvelle fois que je suis plus vulnérable depuis que je suis sur Terre. Et même si je n'aime pas ça, je vais devoir accepter ce fait.

— Que va-t-il se passer ? lui demandé-je tout en me détachant doucement d'elle.

— On va faire attention à nos arrières. Pour l'instant, même si le conflit devient plus réel, nous n'allons pas provoquer de combats.

Je l'écoute parler tout en me remettant à cuisiner.

— J'ai peur pour vous, lui avoué-je. Je ne veux pas que vous soyez blessés.

— Je sais, soupire-t-elle. Mais tu ne pourras pas nous empêcher de nous battre si ça doit arriver.

— J'espère que vous n'irez pas jusque-là.

— Moi non plus.

Cependant, même si j'essaie de me mentir, je sais que c'est inévitable.

La nuit est bien avancée quand Thala se lève. Tout le monde est couché dans la maison. Personne n'est venu la voir. Tous savent très bien qu'il ne faut pas l'embêter quand elle ne va pas bien. Elle peut donc sortir tranquillement de sa chambre. La maison est plongée dans le noir. Mais Thala n'a pas besoin de lumière pour voir, après tout, elle est une louve. Elle descend les escaliers et va dans la cuisine. Elle a besoin de quelque chose à boire.

Elle a rêvé de Kaleb et de son regard translucide. Cette journée l'a totalement épuisé et avec son rêve, elle ne se sent pas en forme. Au contraire, elle est encore plus fatiguée. Penser à lui, lui fait tellement de mal et rêver de lui, broie son cœur un peu plus.

Thala sort une bouteille de jus de fruit du frigo et en boit quelques gorgées. Elle reste quelques instants dans la cuisine avant de remonter dans sa chambre rapidement. Cependant, quand elle passe devant la chambre de Nathan et Olivia, elle ne peut s'empêcher d'entrouvrir la porte. Ils dorment tous les deux, paisiblement. Olivia a toujours son petit sourire, même quand elle dort. Ses boucles rousses sont éparpillées autour de sa tête. Et Nathan, son petit frère... Elle se rappelle encore de lui quand il était plus petit. Quand c'est avec elle qu'il dormait après un cauchemar. Certes, elle n'a que deux ans de plus que lui, mais elle s'est toujours comportée comme si cet écart était plus grand. Elle a souvent veillé sur lui quand il était malade, même si leur père était là aussi. Elle se souvient d'une période en particulier où elle avait dû veiller sur lui alors qu'il n'allait pas bien, mais que leur père n'était pas présent. Elle était restée près de lui, toute la nuit alors que leur père veillait sur Lumia. Lumia qui avait été gravement blessée. Elle avait failli perdre la vie...

Thala ne sait pas exactement pourquoi elle ne supporte pas sa mère. C'est certain qu'elle aime Lumia. Cette dernière a rendu le sourire à son père. Elle les a protégés au péril de sa vie. Elle a veillé sur eux comme s'ils étaient ses propres enfants. Elle mérite ce titre de mère. Cependant Thala se souvient de cette fameuse période. Elle se souvient d'en avoir voulu à Lumia d'avoir failli les abandonner, d'avoir presque rompu la promesse qu'elle leur avait faite, celle d'être toujours là. Et elle se rappelle aussi de l'après. Lumia était devenue froide avec eux après cet accident qui avait failli lui coûter la vie et qui l'avait rendu humaine. Elle s'était éloignée d'eux. C'est sûrement là qu'est née la rancœur de Thala. Elle n'avait jamais connu sa mère biologique ou du moins, ses souvenirs étaient trop flous pour qu'elle se rappelle d'elle précisément. Et Lumia, qui avait pris cette place, la rejetait alors. La jeune femme lui en veut encore, mais peut-être plus autant qu'avant. Et même si leur relation ne sera jamais comme celle d'une mère avec sa fille, Thala ne peut refuser que Lumia ait cette place. Elle referme alors doucement la porte pour ne pas réveiller son frère et sa sœur, puis repart dans sa chambre pour s'allonger sur lit et s'endormir d'un sommeil qu'elle sait déjà agité.

Thala se réveille difficilement le lendemain matin. Sa nuit a été particulièrement cauchemardesque. Elle essaie de ne pas penser à lui, mais il a hanté ses rêves. Comment peut-il lui manquer à ce point ? Elle est tellement en colère contre lui, mais en même temps, elle ne pourra jamais lui résister. Pourtant, elle doit être forte. Pour elle et pour sa famille. Elle doit se convaincre que c'est ce qu'il y a de mieux. Elle ne cédera pas ! Même si pour l'instant, elle a mal.
Elle se lève et s'habille lentement quand sa jeune sœur la rejoint. Olivia se plante devant elle, les poings sur les hanches. Croit-elle vraiment qu'elle lui fait peur ? Quoique personne n'aime subir les colères de la rousse. Malheureusement pour celle-ci, Thala n'est pas facilement impressionnable. Les yeux verts de sa sœur lancent des éclairs.

— Qu'est-ce qu'il t'a pris ? crache-t-elle.

Thala ne la regarde même pas et finit de s'habiller calmement. Elle ne demande même pas à sa sœur comment elle sait qu'ils ont rompu. Olivia sait toujours tout et se doute bien que son comportement d'hier soir est lié à Kaleb. Après, comment Olivia peut savoir que c'est elle qui a rompu ? Thala n'en sait rien et ne veut même pas y penser. Elle savait aussi très bien qu'Olivia réagirait comme ça. Certes, sa jeune sœur ne connaît pas Kaleb, mais Olivia vit dans son monde et elle adore les histoires d'amour, aussi tordues et impossibles soient elles. Cependant, Thala est triste et en colère. Et elle ne prend pas bien la remarque de sa sœur.

— Je ne vois pas en quoi ça te regarde ! réplique Thala.

Cependant, la jeune rousse fait comme si elle n'avait rien entendu et continue sur sa lancée.

— Pourquoi ? demande Olivia, toujours aussi énervée.

— Putain ! Mais je fais ce que je veux Olivia ! crie Thala, de plus en plus furieuse.

La jeune femme sait que sa sœur ne veut que son bien. Cependant, Thala refuse qu'Olivia lui dicte sa conduite. Et sa peine ne fait qu'accentuer sa colère. Elle est malheureuse, mais elle ne peut pas hurler contre Kaleb, alors elle le fera contre Olivia.

— Pas si ça te rend malheureuse ! objecte la rousse.

— Et qui crois-tu être pour me dicter ce que je dois faire ou non ?! s'énerve Thala.

Les deux jeunes femmes se font face, à deux doigts d'en venir aux mains. Thala a toujours été impulsive alors qu'Olivia n'aime pas trop la violence et elle ne s'est jamais emportée physiquement contre un membre de sa famille.
Olivia s'apprête à répliquer quand la porte de la chambre s'ouvre brusquement, claquant contre le mur. Leur père apparaît, apparemment contrarié.

— Je peux savoir ce qu'il vous prend de crier ? demande-il en observant ses deux filles. 

Aucune des deux ne répond. Paul remarque la colère qui déforme leurs traits et se demande ce qui peut les mettre dans cet état. Certes, il a entendu leurs cris depuis la cuisine, mais n'a pas compris de quoi elles parlaient. Et jamais, il n'avait entendu Olivia crier ainsi. Elle n'avait jamais paru aussi furieuse.

— J'attends une explication ! 

Olivia se retourne enfin vers lui, rompant son échange visuel avec Thala.

—Il n'y a rien, marmonne-t-elle.

— Rien ? ricane Paul. Toute la famille vous entend vous hurler dessus, et il n'y a rien ?

Sa cadette se tourne vers Thala qui récupère son sac de cours, sans se soucier des deux personnes qui le fixent. La journée vient à peine de commencer et elle est déjà exténuée. Le cauchemar se poursuit. Elle se tourne vers son père et avance vers lui, n'accordant aucun regard à sa sœur.

— Il n'y a rien, répète la brune d'une voix faible.

Paul fronce les sourcils. Il est soudain inquiet pour sa fille. Il remarque les cernes sous ses yeux. Elle a l'air malade. Il attrape le bras de sa fille.

— Tu vas bien ? lui demande-il, d'un ton plus doux.

Thala le fixe pendant quelques secondes avant de se dégager sans répondre. Elle ne veut pas lui répondre. Elle n'a aucune réponse à lui offrir. Elle ne veut pas lui dire qu'elle va mal, qu'elle est triste, qu'elle a le cœur en miettes parce qu'elle ne pourrait jamais lui expliquer pourquoi. Alors, elle ne répond rien même si elle sait que ça va inquiéter son père et c'est quelque chose qu'elle déteste faire. Mais elle n'a pas le choix. Car même si elle en veut énormément à Kaleb, elle ne peut pas le trahir. Alors, elle se contente de se détacher de son père et de sortir rapidement de la maison, sans prendre le temps de déjeuner ou même de saluer le reste de sa famille.

Pour une fois, c'est moi qui nous conduis au lycée. Quinn a facilement accepté que je conduise sa voiture. Et je dois avouer que j'aime bien le faire. Je n'aurais jamais pensé que j'apprécierais conduire, mais je me suis habituée, même si mes débuts ont été catastrophiques. Nous arrivons au lycée et je sens Quinn se figer.

— Un problème ? lui demandé-je, ne voyant pas ce qui peut la perturber.

A part cette guerre bien sûr... Nous avons beaucoup parlé hier. Elle m'a rassurée. Et même si je me sens toujours coupable, je n'ai plus aussi peur. Les Ravens vont me protéger et je ne vais pas non plus me laisser faire. Après tout, je suis un ange et je sais être forte. Oui, je suis maintenant plus vulnérable cependant mon esprit, lui, n'a pas changé. Je suis toujours moi.

— Il y a la voiture de Nathan, me montre-t-elle.

Et je devine que ce n'est pas normal puisque Nathan et Olivia viennent normalement avec Thala. Or, la voiture de celle-ci est aussi garée sur le parking du lycée, mais à l'autre bout de celle de son frère.

— Ils ont dû se disputer, supposé-je.

Quinn acquiesce et je vois bien qu'elle n'est pas détendue. Nous descendons de la voiture et Nathan surgit devant nous. Il semble agité.

— Thala et Olivia se sont disputer, violemment, explique-t-il.

— On avait remarqué, rétorque Quinn, qui ne s'inquiète pas plus que ça, même si elle est tendue.

— Non, tu ne comprends pas, s'affole-t-il. Elles ont failli en venir aux mains.

— Quoi ? s'exclame Quinn, plus que surprise.

Je suis dans le même état qu'elle. Je sais qu'Olivia peut être agaçante et que Thala à un mauvais caractère, mais je ne pensais pas qu'elles puissent se disputer comme ça. Certes, je suppose que dans une famille, il y a toujours des petits conflits cependant pas à ce point. Pourquoi se sont-elles disputées ? Je ne vois pas ce que les pousserait à le faire. Quinn semble se poser la même question que moi, car elle fixe son petit frère, attendant plus d'explication.

— Thala a rompu avec Kaleb, lâche-t-il enfin.

Je suis stupéfaite et encore, c'est un euphémisme. Thala et Kaleb ont rompu. Thala a quitté Kaleb. Thala et Kaleb ne sont plus ensembles. Je ne peux pas y croire. Ils n'ont jamais été très démonstratifs, mais les regards qu'ils s'échangeaient et leurs sourires... Nathan, voyant nos réactions, continue.

— Thala est rentrée hier soir. Elle est montée se coucher sans venir manger avec nous. Nous ne l'avons même pas vu. Mais Olivia et moi, on s'est douté que c'était à cause de Kaleb. Et sa réaction était trop forte pour que ce soit une simple dispute.

Quinn acquiesce, mais je remarque qu'elle cherche Thala du regard.

— Et tu connais Olivia. Elle déteste nous voir malheureux et puis elle est tellement curieuse. Alors, ce matin, elle est allée voir Thala et c'est là que ça a dérapé. On les entendait depuis la cuisine. Papa est monté, mais il n'a obtenu aucune explication. Thala s'est barrée sans nous dire bonjour ou manger. Et Olivia s'est murée dans le silence.

L'ambiance est tendue en cours, ce matin. Thala est assise au fond de la classe, seule. Elle n'a même pas voulu que Quinn s'installe à côté d'elle. Ses yeux noirs fixent le vide, évitant surtout de regarder le premier rang où Kaleb s'est installé. Il est dans le même état que Thala. Il n'a pas dû dormir de la nuit. Son teint est trop pâle et ses yeux sont trop rouges. Quinn s'est donc installée à côté de moi aujourd'hui, ayant compris que Thala voulait rester seule. Le cours commence, mais nous ne sommes absolument pas concentrées.

— Ça va aller ? lui demandé-je en chuchotant.

Elle hausse les épaules. Cependant je sais ce qu'elle pense. J'aimerais que les choses s'arrangent, mais je dois être réaliste. Un énorme fossé sépare Kaleb et Thala. Deux familles qui se détestent et qui sont au bord de la guerre. Et nous ne pouvons rien y faire, il n'y a qu'eux qui peuvent décider.
Cependant, je me sens quand même un peu coupable. Si je n'étais pas là, dans cette ville, ils seraient sûrement encore ensemble et la paix fragile entre les deux familles serait toujours valable. La main de Quinn dans la mienne m'enlève un peu du poids qui pèse sur mes épaules.

— Je ne pense pas qu'ils puissent rester séparés, me dit Quinn. Même si leur réconciliation sera lente...

J'acquiesce.

— Mais ça ne dépend que d'eux.

Malheureusement, je sais que Thala ne lâchera pas et je ne sais pas si Kaleb osera faire le premier pas. Risquera-t-il sa vie pour Thala ? Car il est certain que sa famille lui en voudra et ils ne sont pas comme les Ravens. Antoine sera capable de le tuer. Je me demande alors ce qui a poussé Thala à rompre. Elle ne l'aurait jamais fait de son plein gré. Mais je ne suis pas Olivia et mes questions resteront, sûrement, sans réponse.

Je suis rentrée seule ce soir, après mon cours de dessin. Quinn a été étonné quand je lui ai dit que je prenais des cours de dessins. Je lui ai donc expliqué que c'est pour moins m'ennuyer que j'y allais.
La journée a été épuisante. Thala n'a pas mangé ce midi et est restée silencieuse toute la journée, ne répondant même pas aux professeurs. Et Olivia n'a pas esquissé un seul sourire. Ça m'a fait bizarre de voir cette jeune fille avec cet air maussade. Je soupire. Combien de temps va durer cette situation ? Car même si les deux sœurs se réconcilient, Thala sera toujours aussi mélancolique. Elle semble aussi en colère. Et plusieurs fois, ses yeux noirs ont lancé des éclairs à Kaleb, quand celui-ci avait le dos tourné...
Je m'assois directement derrière mon piano. J'ai besoin de jouer ce que je ressens. J'ai besoin de m'exprimer, mais je ne peux pas parler. C'est trop fort et puis je n'aime pas beaucoup parler de ce que je ressens. Et puis l'écriture, c'est très peu pour moi aussi. Alors, je m'installe et commence à jouer tout en attendant un appel de Quinn.

Maria est installée avec Kaleb, dans le lit de celui-ci. Ils regardent un film, tranquillement, même si la jeune fille sait que son frère n'est pas concentré sur le film. Kaleb a toujours été plutôt discret, calme et réservé. Mais jamais renfermé comme ça. Il ne parle plus qu'à elle. Mais de toute façon, dans leur famille, aucun ne cherche à savoir pourquoi Kaleb est dans cet état. Leurs parents sont trop préoccupés par les Ravens. Il n'y a malheureusement qu'Antoine que ça intéresse. Maria a été obligée de lui dire que Kaleb avait rompu avec Thala. Ça a réjoui Antoine qui apprécie de voir souffrir son demi-frère.

La jeune rousse sait qu'il y a toujours eu des tensions entre les deux frères, même avant qu'elle soit avec Antoine. Celui-ci a toujours été jaloux de Kaleb. Même si Antoine a un jumeau, il en veut à Kaleb d'être né, parce que dans cette maison, seul Kaleb est l'enfant biologique des parents. Ce n'est pas normal qu'Antoine ait réagi comme ça. Après tout, ce n'est pas de la faute de Kaleb et de plus, il n'est pas non plus le préféré. Et leurs parents n'ont jamais rien fait. Ils ont laissé cela empiré jusqu'à ce qu'Antoine haïsse Kaleb, au point de vouloir lui faire du mal par tous les moyens. Parfois, Maria se demande si le comportement d'Antoine envers elle serait le même s'il n'y avait pas Kaleb. Certes, il serait toujours aussi cruel, mais lui ferait-il autant de mal ? La jeune fille ne pourra jamais le savoir.

Elle observe Kaleb qui s'endort doucement. Ils sont alors dérangés par Antoine. Celui-ci est furieux de trouver Maria dans la chambre de son frère, mais il s'occupera d'elle plus tard. Tout de suite, elle comprend qu'elle doit quitter la chambre. Elle sort rapidement sous le regard noir d'Antoine. Celui-ci s'appuie alors contre le mur et Kaleb se redresse dans son lit.

— J'ai appris la bonne nouvelle, sourit Antoine.

— Toi qui l'attendais depuis tellement longtemps, s'exaspère Kaleb.

Le sourire d'Antoine s'agrandit.

— Mais j'aimerais te préciser quelque chose, déclare l'aîné.

Kaleb est soudainement nerveux.

— Sache que ça ne change rien concernant Maria. Ou même la guerre qui commence. Si tu essaies de l'éloigner de moi ou si je trouve que tu n'es pas assez impliqué dans le conflit, je n'hésiterai pas à blesser ta chère Thala.

Kaleb acquiesce, silencieux. Il s'attendait à ce genre de discours. Il savait qu'Antoine continuerait de le menacer. Car peu importe que Thala et lui aient rompu, il l'aime toujours autant. Et c'est tout ce qui importe pour Antoine.

Jeudi matin. Epreuve de sport pour le baccalauréat. Je suis dans le même groupe que Quinn, Thala et Kaleb. Nous sommes peu de filles puisque apparemment nous sommes un des groupes les plus forts et que le volley n'est pas ce que préfèrent les filles.

Thala n'a toujours pas parlé, à personne. Ni à ses sœurs ou à son frère, ni à son père qui nous observe, ni aux autres professeurs que nous avons eu depuis mardi. Elle est complètement silencieuse. Et Kaleb semble pareil. Ils n'écoutent pas en cours, mangent peu et aucun des deux semble dormir la nuit. Je remarque que Paul nous surveille. Il doit garder un œil sur sa fille même s'il ne va pas évaluer ses deux filles. Il n'en a pas le droit. Mais ça ne l'empêcher pas d'observer Thala.

L'évaluation finie, nous rejoignons les vestiaires avec Quinn. Je suis soulagée que ce soit fini même si j'apprécie le sport. Mais je suis moins endurante qu'avant et surtout, je n'ai plus autant de force, même si je reste meilleure que les humains. Je suis plus facilement essoufflée et j'aurais même des courbatures, j'en suis sûre. Je suis contente que cette épreuve soit passée, en fait. Je n'aime pas ressentir tout ce stress. Avant, je ne ressentais pas cela. Quand je partais en mission, il n'y avait que de l'adrénaline, pas de nervosité. Et c'était une meilleure sensation.

Je m'habille rapidement avec Quinn. Thala a déjà filé. Enfin, c'est ce que je crois jusqu'à ce que j'entende sa voix, mêlée à celle de Kaleb. Nous nous figeons avec Quinn.

— Tu ne comprends toujours rien, réplique Thala.

— Toi non plus !

— Et qu'est-ce que je devrais comprendre ?!

— Que je ne peux pas te donner ce que tu veux ! crie Kaleb.

— Et pourquoi ? demande Thala tout aussi furieuse.

— Tu ne te rends pas compte que c'est trop dangereux, l'accuse le jeune homme.

— Qu'est-ce qui ne l'est pas en ce moment ?!

Je regarde Quinn et elle me chuchote qu'on doit intervenir. J'acquiesce. Nous ne pouvons pas les laisser se disputer. Certes, Thala parle enfin. Cependant, Paul n'est pas loin et il ne faut pas qu'il entende. Absolument pas. Je ne veux même pas imaginer les conséquences. Quinn et moi arrivons rapidement sur les lieux de la dispute. Nous ne voulons pas réellement intervenir, car Thala et Kaleb sont réellement furieux, mais nous n'avons pas le choix.

— Vous ne voudriez pas vous disputer autre part, demande gentiment Quinn.

Je lève les yeux au ciel en remarquant le manque flagrant de tact de la part de ma petite amie. Ils vont s'énerver encore plus. Kaleb détourne son regard de Thala et le pose sur nous. Je ne l'ai jamais vu aussi enragé.

— On t'a rien demandé ! s'énerve-t-il.

Kaleb est plutôt une personne calme, d'habitude, d'après ce que je sais. Mais là, il semble être quelqu'un d'autre. Ses yeux translucides pourraient tuer quelqu'un. Et Thala est dans le même état. Kaleb reporte alors son attention sur elle, ne faisant plus attention à nous.

— Je ne m'excuserais pas, déclare Thala.

— Moi non plus, objecte Kaleb.

— C'est toi qui y a pensé en premier, l'accuse la brune, d'une voix plus faible.

— Mais c'est toi qui l'as fait, dit tristement Kaleb avant de fuir.

Quinn et moi fixons Thala qui s'est décomposée. Elle contemple toujours le couloir par lequel Kaleb a fui. Quinn veut s'approcher, mais je la retiens. Elle se tourne vers moi, m'interrogeant du regard. Je sais que Thala n'acceptera jamais son aide. Elle voudra être seule. Et comme je l'avais prévu, elle s'en va rapidement, le regard perdu dans vide.

— Pourquoi m'as-tu retenu ? 

— Thala ne veut pas de toi, soupiré-je. Ou du moins, c'est ce qu'elle croit pour l'instant. Et tant qu'elle ne viendra pas vers toi, tu ne pourras pas l'aider.

Quinn regarde son père cuisiner en attendant Einin. Aujourd'hui, elle va rencontrer le reste de sa famille, donc sa mère ainsi que Cassiopée et Logan. Hier, Einin était assez nerveuse bien que Quinn ait essayé de la rassurer. En plus, Olivia fera tout pour la mettre à l'aise, tout comme son père.

Pour l'instant, sa mère travaille et ses frères et sœurs vaquent à leurs occupations dans la maison. Thala reste enfermée dans sa chambre, grattant quelques accords à la guitare. Paul, bien qu'occupé, tend toujours l'oreille et écoute ce que fait sa fille. Il n'a jamais vu Thala comma ça. Et il trouve qu'elle est dans le même état qu'était Quinn, il y a encore quelques jours. Mais de qui pourrait-elle être amoureuse ? Paul l'aurait forcément remarqué, à moins que Thala sache mieux cacher ses sentiments qu'il le pense. Et ça l'inquiète beaucoup. Il se pose énormément de questions, mais il n'ose pas parler à Thala. Olivia a essayé et ça s'est fini en dispute. Et il n'a vraiment pas envie de se disputer avec sa fille. Cependant, il ne peut pas la laisser comme ça. S'il savait quoi faire ! Mais il ne sait même pas pourquoi elle est dans cet état !
Paul se tourne alors vers Quinn.

— Qu'est-ce qu'a Thala ? demande-t-il.

Quinn fixe son père sans savoir quoi répondre. Mais elle ne peut que mentir. Elle ne pourrait pas avouer à son père que Thala était avec Kaleb et de plus, sa sœur ne voudrait jamais qu'elle divulgue qu'elle est amoureuse. Quinn se contenter donc d'hausser les épaules. Elle est certaine que cela va contrarier son père, mais elle ne peut pas trahir Thala.
Paul la regarde, agacé. Aucun de ses enfants ne veut lui répondre et il commence à perdre patiente.

— Vous commencez sérieusement à m'énerver, déclare froidement Paul.

Quinn fuit les yeux de son père et est sauvé par la sonnette de la porte d'entrée. Einin est arrivée. Paul soupire en sachant qu'il n'aura pas de réponse. Sa fille se lève pour accueillir Einin, soulagée de quitter la cuisine. Mais son père en décide autrement.
- Va chercher ta mère, je vais aller ouvrir.

Quinn sort rapidement de la cuisine. Elle monte les escaliers et atteint le bureau de sa mère. Elle toque et entre doucement dans la pièce de sa mère. Celle-ci est plongée dans un dossier, des documents éparpillés partout. Lumia relève la tête vers sa fille.

— Oui ? demande-t-elle d'un ton irrité.

Elle déteste être dérangée quand elle travaille.

— Einin est là, répond Quinn.

— J'ai entendu.

Quinn fixe sa mère. Celle-ci n'a pas l'air contente de devoir s'arrêter cependant elle ne dit rien de plus à part un faible « j'arrive ». Quinn sort du bureau et avant de descendre, elle passe par la chambre de Thala. Elle entend une légère musique s'échapper de la pièce. Quinn n'a pas encore parlé à Thala. En fait, elle a plutôt fui sa sœur. Elle ne sait pas comment lui parler. Thala est un peu comme elle. Elle n'aime pas qu'on se mêle de sa vie privée et de ses sentiments. Elle garde tout pour elle et essaie de ne rien laisser transparaître. Comme elle, Thala déteste se sentir vulnérable. 

Elle entre silencieusement dans la chambre de sa sœur. Les volets sont ouverts et le soleil illumine la pièce. Thala est assise au milieu de son lit, quelques partitions étalées autour d'elle. Elle ne relève même pas la tête quand Quinn s'assoit à côté d'elle. Elle semble dans sa bulle. Quinn soupire. Elle n'arrive pas à parler à Thala qui est pourtant sa sœur et sa meilleure amie. Quand Einin l'a rejetée, elle se souvient d'avoir eu tellement mal. Elle se rappelle la rage qu'elle avait ressentie. Elle se souvient d'avoir ravagé sa chambre et d'avoir loupé le lycée. Mais Thala préfère se murer dans le silence. Sa colère et sa douleur sont silencieuses. Elle encaisse, mais ne dit rien. Et Quinn s'inquiète de la voir comme ça parce que ce n'est pas le caractère de sa sœur. Thala est impulsive, assez violente et s'énerve facilement. Alors que ces derniers jours, elle ne parle plus. Ses yeux fixent souvent le vide et elle a perdu l'envie de manger. Thala ne le dit pas, mais Quinn sait aussi qu'elle ne dort presque pas. Elle l'entend souvent se lever la nuit pour jouer quelques morceaux de guitare.

— Je suppose que tu ne descends pas.

Belle entrée en matière Quinn ! La jeune femme n'est vraiment pas douée pour réconforter les gens. Thala ne bouge pas et sa main ne s'arrête pas de jouer.

— Tu ne peux pas rester comme ça, dit doucement Quinn.

— Pourquoi ? demande Thala en s'arrêtant enfin de jouer.

Sa voix est rauque et elle a du mal à prononcer ce mot. Elle n'a pas parlé depuis quelques jours. Et ça lui fait bizarre. Elle aurait préféré ne pas parler cependant elle ne peut ignorer sa sœur parce que Quinn comprend un peu ce qu'elle ressent.

— Papa se pose trop de questions, avoue la blonde.

Thala hausse les épaules, l'air indifférente. Pourtant ça ne lui plait pas d'inquiéter son père. Mais elle ne peut rien lui dire.

— Laisse-moi le temps de m'en remettre.

Quinn observe sa sœur. Elle n'est pas sûre que sa sœur s'en remette.

— Tu es vraiment sûre de ce que tu fais ? 

Thala lance un regard noir à sa sœur. Quinn se mêle de ce qui ne la regarde pas, et même si elle est moins curieuse et directive qu'Olivia, Thala n'apprécie guère.

— Ça ne te regarde pas. Je ne me suis même pas mêlée de ta relation avec Einin alors ne le fait pas, déclare froidement Thala.

— Sauf que moi, ça s'est bien fini, ne peut s'empêcher de dire Quinn.

Thala semble alors furieuse. Cependant, elle n'explose pas. Elle contient sa colère, même si ça étonne Quinn. Sa colère reste froide et ça inquiète d'autant plus la blonde. La famille a l'habitude des accès de rage. Cependant, elle reste stoïque même si Quin voit la colère qui anime ses yeux.

— N'en sois pas si sûre Quinn, murmure Thala en se remettant à jouer.

Quinn soupire. Beaucoup auraient pris ça comme une menace. Mais elle sait que sa sœur ne ferait jamais de mal à Einin. Thala est juste perturbée. En tout cas, Quinn n'arrivera pas à la faire parler aujourd'hui. Et puis elle n'a plus le temps. Elle ne peut pas laisser Einin seule avec le reste de la famille. Elle se lève donc et sort de la chambre alors que Thala se replonge dans son monde.

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Voila, un chapitre un peu plus long mais l'action n'a toujours pas réellement commencé. Alors, qu'avez-vous pensé d'Olivia ? Elle se mêle de trop de choses n'est-ce pas ? 

J'espère que ce chapitre a plu. 

A+