Chapitre 86 : Tout ce qui a été perdu peut être retrouvé

Royaume de Camelot, cité, château, cachots, un peu plus tard

Guenièvre s'approcha de la cellule d'Aurore, et son cœur se serra en la voyant recroquevillée au sol, chaque parcelle de son être dénuée de vie. Ses magnifiques yeux bleus comme le ciel d'été étaient devenus vides, sans vie, ses cheveux d'ébène étaient tellement ternes qu'ils en devenaient gris, et même sa peau délicatement bronzée par ses années de vie dans la nature était désormais d'une pâleur presque cadavérique.

Faisant fi de la poussière et de la saleté, elle s'assit au sol, au plus près de la grille, et se mit en face de celle qui était autrefois la Chevalière de la Reine.

« Ella, comment tu te sens ? »

« ... ça va. », répondit Aurore sans vraiment la regarder.

Guenièvre se tortilla un peu, gênée, ne sachant que dire d'autre. Elle laissa son regard chocolat se promener sur les murs de la cellule et sourit légèrement en voyant les gravures qui n'y étaient pas lorsqu'Aurore avait été enfermée ici. Dans la pierre, elle avait gravé des cécilias, des bourrasques de vent, des lyres, des chevaux, des épées et même des dragons, et étrangement, la Reine trouvait que cela apportait un peu de vie à ces cachots lugubres et poussiéreux.

« Ella, je ne t'en veux pas, tu sais ? »

« ... je sais. Je sais que je ne pourrai jamais te perdre. J'ai toujours pu compter sur toi. », admit Aurore. « Mais j'ai tant perdu. Tu mérites mieux que moi Gwenny. Tu as toujours mérité mieux que moi. »

« Nul homme ou femme n'est à ta hauteur, crois-moi. », assura Guenièvre.

« J'ai trahi Guenièvre. J'ai trahi tout ce en quoi je me battais. Je suis une chevalière pathétique, et une divinité encore plus lamentable- »

« Je t'interdis de dire ça ! », s'exclama Guenièvre. « Ella, tu es née humaine, comme moi, comme nous tous à Camelot. Tu n'as que vingt-deux ans, c'est extrêmement jeune pour une divinité. Nahida en a cinq cents et c'est la plus jeune après toi ! Tout le monde fait des erreurs, même les divinités, surtout celles qui sont nées humaines. Tu es une humaine avant d'être une Archon Ella, et tu mérites tellement de bonheur après tout ce à travers quoi tu es passée... »

« ... elle disait cela, aussi... mais je n'avais pas compris à quoi elle faisait vraiment référence. », murmura Aurore. « Je comptais les étoiles avec elle, la nuit. Cela m'aidait à m'endormir... on a galopé ensemble tellement de fois, les cheveux dans le vent, trouvant un peu de bonheur malgré la distance temporelle entre mon foyer et moi... »

« On fera tous cela. », promit Guenièvre. « On ira compter les étoiles ensemble, et on ira galoper ensemble aussi loin que tu veux, même jusqu'à l'océan si tu veux. »

« Je ne le mérite pas. J'ai tout gâché. Gwenny, comment peux-tu encore me regarder ? »

« Tu n'as tué personne. En dehors de Morrigan. »

« Parce que vous m'avez fait revenir à temps. Mais le pire dans tout cela, c'est que je me suis laissée manipuler par Morgane, pendant des années ! Elle savait depuis le Dorocha que je finirai par la rejoindre en tant que démone, et elle a tout fait pour que je finisse par le faire ! Je savais qu'elle préparait quelque chose, mais je ne me suis jamais doutée que cela avait un lien avec cet Incubus ! Elle m'a raconté sa vision, et c'est comme si j'avais réellement tué tout le monde, comme si j'avais réellement infligé autant de souffrance à mon grand frère. Si vous ne m'aviez pas fait revenir, si vous aviez échoué, c'est exactement ce qu'il se serait passé ! On a frôlé la catastrophe cosmique, et à cause de moi Gwenny ! Je suis censée garantir l'équilibre du monde, pas le détruire ! »

« Ce n'était pas de ta faute. Rien n'est de ta faute. Tu as sauvé ton frère quand tu étais enfant, et le démon a profité que ta magie était occupée à protéger Merlin pour venir se loger en toi sans que tu puisses te défendre. Ce n'est en rien ta faute. La chose dont tu es coupable, c'est de douter de toi, alors que tu es une personne exceptionnelle, et la meilleure déesse que je connaisse. »

« Tu sais bien que non... les dieux sont censés protéger l'humanité, et j'ai failli signer sa fin. »

« Justement. A mes yeux, tu es la meilleure au monde, car tu es la plus humaine qui soit, celle qui, après avoir appris qu'elle était une déesse, n'a jamais cessé d'agir comme une simple humaine. C'est ce qui te rend aussi parfaite pour moi : tu es semblable aux humains que tu dois protéger, avec tes forces et tes faiblesses, ce qui te rend la mieux placée pour les comprendre. Et même en tant que personne, tu es exceptionnelle. Tu m'as intéressé dès qu'on s'est rencontrées, tu sais ? Tu étais si différente des autres, mais tellement plus sage et spéciale, si ouverte d'esprit que tu ne jugeais jamais personne. Tu as beaucoup grandi et mûri, mais tu restes sensiblement la même, tu dois juste t'en rendre compte. »

Aurore eut un léger sourire, alors que ses yeux semblaient commencer à reprendre vie.

« Je ne mérite pas ta foi Gwenny. »

« Il suffit d'une seule âme pour tout changer, tu sais. Tu as changé la vie de nombreuses personnes au cours de ta vie, et ce n'est pas parce que tu as perdu ton innocence en cours de route que tu es devenue un monstre pour autant... »

https://youtu.be/BC94k1CfsJE

Au cours de la chanson, Aurore s'était relevée et rapprochée pour prendre les mains de Guenièvre et chanter avec elle. Celle du futur lui avait chanté cette chanson une fois, et elle comprenait désormais que sa belle l'avait écrite pour elle, du temps de Camelot, à une époque où elle en avait plus besoin que tout au monde. Sa vie était nettement plus calme à partir de sa première réincarnation, et cette chanson, la voix de Guenièvre, devenait un phare dans la tempête qu'elle traversait. Des larmes coulèrent sur ses joues, alors que la sœur de Merlin souriait avec plus de franchise.

« Je t'aime Gwenny. », sourit Aurore.

Guenièvre se pencha pour déposer un léger baiser sur ses lèvres.

« Je t'aime plus fort encore Ella. »

Ciel, au-dessus du royaume de Camelot, quelques heures plus tard

Après une sieste, Aurore se réveilla et cligna un certain nombre de fois des yeux, alors qu'elle ne voyait que le ciel bleu à perte de vue.

« Je commençais à me demander quand tu allais te réveiller. »

Aurore se redressa vivement et vit Lancelot. Un petit examen rapide de son environnement lui permit de réaliser qu'elle était sur le dos de Kilgharrah, qui volait au-dessus de Camelot, assez haut pour que la population ne fasse pas attention à lui. Elle grimaça en se disant qu'une mauvaise chute aurait des conséquences désastreuses si elle avait encore son immortalité, et lui serait fatale dans le cas contraire.

« Tu m'as fait évadé Lancelot ? »

« Guenièvre m'a donné son accord. Je te ramènerai dans ta cellule quand nous aurons terminé. Nous nous connaissons suffisamment pour savoir que jamais je ne te ferai évader, et que jamais tu ne t'évaderais. »

« En effet. Que faisons-nous là ? »

« Kilgharrah ? »

Comme s'il n'attendait que cela, le Grand Dragon fit une violente embardée, et Aurore bascula dans le vide, ses yeux bleus s'écarquillant d'horreur alors qu'elle se sentait chuter. Elle battit désespérément des bras, espérant que Lancelot vienne la rattraper, mais en vain. Horrifiée, elle ne put que subir sa longue chute sans pouvoir l'arrêter d'une quelconque manière. Autrefois, elle n'en aurait pas eu peur : avant même d'avoir ses ailes, le vent avait toujours été là pour elle, la rattrapant lorsqu'elle tombait de trop haut pour retomber sans se faire mal. Mais maintenant, tout était fini. Si elle survivait à cette chute, elle aurait d'horribles séquelles à vie, sans que sa magie ne puisse la remettre sur pied puisqu'elle n'en avait plus. Pourquoi Lancelot l'avait trahie de cette façon ?

Résignée, elle perdit son regard dans le ciel auquel ses yeux empruntaient la couleur. C'était un bleu intense, composé d'infinies nuances dans lesquelles on pouvait se perdre pour toujours. Le vent sifflait à ses oreilles, mais c'était un son froid et agressif, tel que l'entendait les gens sans lien avec Venti. C'était le son naturel des violentes bourrasques de vent qui faisaient claquer ses boucles noires, à l'opposé de l'ami de toujours avec lequel Aurore avait grandi.

Au final, Aurore s'en fichait d'être une mauvaise déesse. Elle avait toujours vécu en suivant le vent et les enseignements de Barbatos, et ils l'avaient menée jusqu'à son Gnosis et vers un avenir de divinité. Elle pouvait apprendre à se défaire de cet avenir mais, sans le vent, elle se sentait plus seule que jamais. Le vent l'avait aidé et soutenu dans chaque moment de la vie, il lui permettait de ne jamais se sentir vraiment seule. Elle en avait besoin, depuis toujours. Il était son fidèle compagnon de vie, même plus que ne l'était Moonlight. Il avait été son guide depuis si longtemps...

Mais en avait-elle toujours besoin ? Le vent l'avait accompagné pendant vingt-deux ans de vie. Elle était grande maintenant. Elle n'était plus une enfant qui se laissait guider par le vent et par Barbatos afin de croire en un lendemain meilleur. Elle était devenue une entité capable de créer ce lendemain meilleur. Elle était devenue une entité que les gens pouvaient suivre, comme elle-même avait longtemps suivi le vent et Barbatos. Elle était devenue l'égale de ce dieu en lequel elle avait toujours cru grâce à Hunith. Elle n'était plus une enfant, alors avait-elle toujours besoin de ce guide fidèle qu'était le vent ?

Elle n'en avait plus besoin pour la guider, mais elle avait besoin pour vivre. Sans ce fidèle compagnon, elle se sentait incomplète. Il faisait partie d'elle depuis toujours, comme une extension d'elle-même.

Aurore ferma les yeux en ramenant ses mains contre son cœur. L'air se réchauffait, probablement se rapprochait-elle du sol. En se concentrant, elle pouvait encore percevoir la vie autour d'elle, elle pouvait sentir les oiseaux, les arbres et les animaux encore loin sous elle. En coupant son esprit du monde extérieur, elle pouvait à nouveau ressentir cette fusion avec le vent qu'elle éprouva pour la première fois lorsqu'elle était réellement devenue Eilin pour la première fois et qu'elle éprouva à chaque transformation par la suite. Elle la ressentait encore, comme une réminiscence de ses souvenirs dans ses derniers instants de vie, alors que la chanson qu'elle avait chanté avec Guenièvre l'accompagnait, l'association harmonieuse des deux lui faisant éprouver un bien-être qu'elle n'avait encore jamais éprouvé jusqu'à présent.

Elle s'était déçue elle-même ces derniers temps, mais maintenant, alors qu'elle chutait encore dans le vide, les yeux fermés et déconnectée du monde, elle comprenait à quel point vouloir être la divinité parfaite n'avait pas d'importance. La perfection n'existait pas, nulle part, pas même au sein des dieux. On ne pouvait qu'essayer d'être la meilleure version de nous-mêmes, que l'on soit humain, divinité, ou à mi-chemin entre les deux comme elle. Elle avait trop donné pour être parfaite, partout, surtout à Camelot. Elle avait trop donné pour être la chevalière parfaite, la conseillère parfaite sans jamais imposer quoi que ce soit à son entourage. Elle avait trop donné, dans l'espoir de leur prouver qu'ils avaient eu raison de croire en elle, une femme qui maniait l'épée et la magie dans un royaume où les femmes n'étaient rien et les mages cruellement exterminés. Elle s'était trop battue, quand la seule chose qu'elle voulait était pouvoir conter paisiblement toutes les histoires qu'elle avait entendu des années auparavant, quand elle était encore relativement insouciante. Elle s'était trop battue, quand elle voulait au final seulement permettre aux autres de rêver autant que Barbatos lui avait permis de rêver. Elle s'était trop battue, quand elle voulait simplement vivre, tisser des liens avec les gens et faire partie de leur communauté.

Elle s'était trop battue et, désormais, elle voulait que le vacarme chaotique des épées laisse la place à l'harmonie puissante d'une vie paisible.

Elle voulait offrir aux autres la Liberté de vivre en paix, en commençant par se l'offrir à elle-même.

Ses pieds se posèrent délicatement sur l'herbe, et ce ne fut qu'à ce moment-là qu'Aurore ouvrit les yeux, surprise de ne pas avoir droit à un choc fulgurant et hautement douloureux. Perplexe, elle regarda le sol et remarqua des chaussures blanches et dorées à la place de ses bottes.

Ses chaussures de déesse.

Choquée, elle s'empressa de vérifier le reste de son apparence et fut extrêmement soulagée de voir les deux grandes ailes de plumes blanches dans son dos. Elle le fut d'autant plus lorsqu'elle parvint à les faire bouger comme si elle n'avait jamais perdu ses pouvoirs. Ses longues mèches noires ondulaient dans la douce brise, de même que ses plumes, et ses yeux bleus étaient devenus aurores, vibrant de magie.

« Wow... »

Elle ne put s'empêcher de rire d'incrédulité quand le vent lui répondit en chantant délicieusement à ses oreilles.

Sa magie était de retour.

Le vent était de retour.

Elle sourit, se sentant mieux qu'elle ne s'était jamais sentie, et se tourna vers Lancelot, qui venait d'apparaître devant elle.

« Comment tu as fait, Lancelot ? »

« Je n'ai rien fait. Tu devais juste retrouver confiance en toi, comprendre certaines choses, et commencer à te libérer toi-même de la pression et des attentes que tu t'infliges toi-même. Personne ne te demande d'être parfaite, seulement d'être la meilleure personne possible. »

« Et je l'ai compris, après toutes ces années. Guenièvre n'a cessé de me le dire, mais je ne comprends que maintenant. Même les dieux sont imparfaits, ils sont à l'image des humains. Et je suis une humaine avant toute chose. C'est en tant qu'humaine que je gouvernerai Boréalis, c'est en tant qu'humaine que je vivrai, c'est en tant qu'humaine que je répandrai la Liberté, malgré ma divinité, et c'est en tant qu'humaine que je mourrai. Je suis humaine plus que je ne suis déesse, et je l'ai toujours été. Ce ne sont pas mes expériences de divinité qui m'ont construite, mais les événements que j'ai vécu en tant qu'humaine. Je ne dois plus jamais l'oublier. »

Lancelot sourit, heureux et soulagé de voir son amie et ancienne élève remonter en selle avec plus de confiance et d'assurance qu'elle n'en avait jamais eu.

« Tu peux te dégourdir les ailes, nous avons encore un peu de temps devant nous. »

En réponse, l'Archon de la Liberté lui sourit et déploya ses immenses ailes du blanc le plus pur qui soit, avant de s'envoler. Elle retrouvait enfin cette sensation de voler en toute liberté, de liberté tout court, cette sensation si unique, si enivrante, qu'elle n'avait pas réussi à retrouver après son retour à l'époque de Camelot, trop stressée par le retour de l'Incubus qu'avait sous-entendu la sœur d'Arthurine.

Elle pouvait vivre, sans s'inquiéter des ténèbres en elle.

Il ne restait qu'à faire face aux conséquences à Camelot, mais elle était à nouveau capable de voir le soleil se lever.

Elle pouvait vivre, en toute Liberté.

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