Chapitre 81 : Démons
Royaume de Camelot, cité, château, balcon, quelques semaines plus tard, milieu de matinée
« Guenièvre ? »
La Reine ne répondit pas, incapable de détacher son regard du terrain d'entraînement des chevaliers, où Mordred et Aurore se battaient en duel tout en semblant jouer à une sorte de jeu de séduction pour savoir qui chavirerait en premier. Cela faisait depuis quelques temps maintenant que les deux chevaliers se faisaient la cour, et Guenièvre n'aimait pas ça du tout.
« Elle refuse de t'écouter, n'est-ce-pas Merlin ? »
« Oui. », soupira le magicien en s'accoudant à la rambarde du balcon. « Elle reste persuadée qu'un mortel peut changer son destin, que ce n'est pas traitant Mordred avec méfiance qu'il défiera le destin. »
« L'une des raisons pour lesquelles je suis tombée amoureuse d'Aurore... » soupira à son tour Guenièvre. « Elle est prête à donner une chance à tout le monde, peu importe ce que dit le destin. »
« Elle t'a dit quoi que ce soit à propos de Mordred ? »
« Rien qu'on ne sache déjà. Elle a reconnu qu'il lui plaisait, mais que je ne devais jamais douter du fait que son cœur m'appartenait. Merlin, j'ai peur. Je ne sais pas quoi faire. »
« ... j'ai beaucoup réfléchi à l'avertissement que t'a donné ton homologue du futur. », fit Merlin. « Il faudrait qu'on arrive à faire en sorte que Rory se confie à l'un de nous sur ces ténèbres en elle mais avec lesquelles elle n'est pas née, mais elle ne se confiera pas à moi, et on ne peut pas lui dire la vérité. »
« Elle ne se confiera pas à moi. »
« Cela reste à voir. Je vais interroger Nahida pour avoir son avis, mais tu dois trouver un moyen pour qu'elle se confie à toi. »
« Tu sais qu'elle reste très secrète pour tout ce qui concerne sa vie de déesse. Ces ténèbres pourraient-elles avoir un lien avec Morrigan ? »
« Sincèrement, c'est très peu probable. Le plan premier de la Triple Déesse était de faire en sorte que ma sœur quitte son poste d'Archon et demande à ce que ce soit elle qui prenne sa place. D'après ce qu'a dit l'autre Guenièvre, on peut raisonnablement penser que ces ténèbres sont encore plus vieilles que cela. Peut-être même qu'elles proviennent d'une époque où Rory ne savait rien de ce qu'elle était. »
« Je vais essayer, mais je ne promets rien. »
Royaume de Camelot, cité, château, appartements d'Arthur et de Guenièvre, le soir venu
« Ella ? »
« Oui ? »
« Tu peux rester un peu ? »
Surprise, parce que la Reine ne lui avait encore jamais demandé de lui tenir compagnie le soir une fois Arthur dans l'antichambre avec son frère, Aurore mit une seconde à réagir, puis vint s'asseoir près de Guenièvre, au bord du lit.
« Tu dois te sentir un peu seule, la nuit. », reconnut Aurore.
« C'est vrai... », admit Guenièvre en soupirant. « Mais c'est surtout parce que... je fais beaucoup de cauchemars depuis ton retour. »
« Depuis deux ans ?! »
Contrite, la Reine hocha doucement la tête, car c'était la vérité. Généralement, cela allait, sauf lorsque sa belle était en mission divine loin de Camelot, mais les cauchemars rythmaient ses nuits depuis l'arrivée de Mordred.
« Le vent ne m'a rien dit... »
« Parce que ce n'était rien au départ. Je n'en faisais que lorsque tu partais accomplir ton devoir de déesse, mais j'en fais toutes les nuits depuis un certain temps. »
Contre toute attente, Aurore soupira en baissant la tête, un faible sourire aux lèvres.
« Je sais ce que cela fait... »
« Ah bon ? Tu fais des cauchemars aussi ? »
« Maintenant, non. Mais quand j'étais petite, oui. Pendant des années. », dit sombrement Aurore, en évitant son regard. « Mais on ne parle pas de moi, là. Il se passe quoi dans tes cauchemars ? »
« Oh... des choses diverses et variées. Leur seul point commun, c'est que tu disparais... pour toujours... et quand je me réveille, que je ne te voie pas... c'est absolument terrifiant... », souffla Guenièvre en tremblant. « Ella, j'ai peur que tu disparaisses, et que tu ne reviennes pas cette fois-ci. »
Aurore la regarda quelques instants, à la fois touchée et profondément inquiète pour sa Reine. Puis, sans chercher à réfléchir aux conséquences, elle se débarrassa de son armure et enfila sa tenue de nuit, le tout en quelques secondes grâce à un tourbillon de magie sous le regard surpris de Guenièvre.
« Ella ? », fit-elle, les yeux écarquillés, alors que la chevalière contournait le lit pour la rejoindre sous les couvertures.
« Je vais rester avec toi Gwenny. Je ne partirai pas, plus jamais. », lui murmura Aurore en venant l'enlacer.
« ... c'est faux. »
Surprise à son tour, Aurore se détacha légèrement pour que son regard bleu rencontre le brun de la Reine de Camelot.
« Gwenny ? »
« C'est faux. », répéta Guenièvre. « Tu partiras, je le sais. »
« Si c'est à propos de Mordred- »
« Non ! Il n'est pas question de lui Ella. Je te crois quand tu me dis que c'est moi que tu aimes. »
« Alors, pourquoi tu crois que je vais partir ? »
Guenièvre soupira et ramena ses jambes contre sa poitrine.
« Parce qu'elle me l'a dit. L'autre Guenièvre. »
« Mais notre présent est différent du leur lorsqu'ils étaient à cette époque. Nous avons vaincu Morrigan, alors qu'ils n'avaient pas réussi à le faire. »
« Ella, si c'était vrai, je n'aurais pas pris la peine de m'avertir moi-même. »
« ... que t'a-t-elle dit ? »
« Que tu me quitterais. Pas de ton plein gré, mais que tu me quitterais lorsque ce qui est en toi sera libre. », murmura Guenièvre, faisant pâlir Aurore. « Ella, de quoi elle parlait ? »
Aurore ne répondit pas pendant un long moment, avant de se lever et de sortir du lit pour aller ouvrir la fenêtre. Elle avait besoin d'air frais, et la chambre était soudainement devenue très étouffante.
« ... tu sais... les dieux existent. », marmonna Aurore, alors que Guenièvre venait la rejoindre. « A l'origine, il n'y avait que les dieux, êtres ambivalents mais bons... puis au fil du temps, de plus en plus ont sombré, formant ainsi une force opposée en tout point à celle des dieux. Aujourd'hui, ils sont aussi répandus qu'eux... »
« Des démons ? »
« Ils sont nombreux, et puissants... ce sont d'anciens dieux, qui ont sombré dans les ténèbres et n'ont pas pu ou pas voulu en ressortir avant la nouvelle lune suivante. Quelque chose que je sais depuis longtemps, c'est qu'il n'y a qu'un pas entre la Liberté et le Chaos... »
« Donc si tu sombrais... tu deviendrais la déesse du Chaos ? »
« ... oui. », admit Aurore d'une voix sombre. « L'objectif des démons est d'éradiquer les dieux, alors ils sont nombreux à... prendre possession de jeunes, très jeunes dieux, pour se nourrir de leurs émotions négative, ce qui les fait gagner en puissance en même temps que la magie des dieux en question grandit. Tout cela pour, au moment opportun, prendre le dessus et forcer ces jeunes dieux à sombrer pour toujours. Ils sont prêts à tout pour arriver à leurs fins... même à mettre en danger les proches du dieu. »
« ... c'est ce qu'il t'est arrivé. », déduisit Guenièvre.
Elle voulut l'enlacer, mais Aurore s'esquiva.
« Je ne veux plus en parler Gwenny. »
« Comment sais-tu tout cela ? »
« ... Morgane. Enfin, l'autre Morgane. Elle m'a un peu instruit, parce que l'autre moi n'avait pas ses connaissances quand cela lui est arrivé. Elle espère que cela changera quelque chose. Guenièvre, s'il te plaît, je ne veux vraiment plus en parler. »
« Une dernière question, et on n'en parle plus. », promit Guenièvre, secouée par les dernières révélations.
« Que veux-tu savoir ? », demanda Aurore un peu plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu.
« Qu'est-ce-qui a pris possession de toi ? Quel genre de démon, je veux dire. »
« ... les Archons sont trop puissants pour qu'un démon lambda ne puisse prendre possession d'eux. Seuls un Incubus, pour une Archon, ou une Succubus, pour un Archon, le peuvent. Ce sont les démons les plus puissants, donc seuls eux peuvent s'attaquer à des Archons, même des bébés Archons. On peut arrêter d'en parler maintenant ?! »
« Bien sûr. », sourit doucement Guenièvre en venant l'enlacer, sans se faire repousser cette fois. « Viens, on va s'allonger, et je vais te raconter une histoire. Il s'est passé beaucoup de choses en un an pendant ton absence, tu sais le plus important, mais que dirais-tu d'en savoir plus ? »
« ... tout ce que tu veux. », répondit Aurore avec un faible sourire.
Guenièvre lui sourit avec toute la tendresse du monde, alors qu'elles se couchaient ensemble. La Reine fit se blottir sa Chevalière contre elle et commença à lui caresser les cheveux.
« Gwenny... je ne t'abandonnerai pas, tu le sais ? »
« Je le sais. », confirma Guenièvre. « Et je ne t'abandonnerai jamais non plus. »
Se disant, elle embrassa le front de sa chère et tendre, en un signe de protection.
« Je te ferai rester près de moi, c'est une promesse. »
Royaume de Cenred, frontière avec Camelot, forêt, campement de Nahida, quelques temps plus tard
« Nahida, j'y arrive plus ! »
L'Archon de la Sagesse, ne sachant réellement que faire, apporta à Aurore une boisson chaude, en espérant la calmer un minimum.
« Que se passe-t-il ? »
« L'Incubus... », murmura Aurore. « Il s'agite ces derniers temps. »
« Tu as ressenti beaucoup d'émotions négatives ces dernières semaines ? »
« Pas plus que d'habitude. C'est vrai que j'en ai un peu marre des avertissements de Lirou à propos de Mordred, mais- »
« Merlin est Emrys, ne l'oublie pas Aurore. Il a gagné en sagesse par rapport à lorsque vous étiez enfant. »
« Tu penses qu'il a raison ? Que Mordred est un danger ? », s'inquiéta Aurore.
« Je ne sais trop quoi dire. A l'heure actuelle non, c'est certain. Il s'est plusieurs fois sacrifié pour sauver Arthur. Mais Aurore, j'ai vécu assez longtemps en ce monde pour savoir une chose : peu importe à quel point on essaie, de toutes ses forces, le destin d'un mortel est inéluctable, surtout en ce qui concerne ceux qui deviendront des légendes, comme Arthur, Morgane, Mordred ou Merlin. Que tu le veuilles ou non, peu importe à quel point tu t'y efforces, tu ne peux pas changer son destin. C'est très bien que tu crois que tout le monde peut changer son destin, mais les gens comme Merlin existent pour veiller à ce que les grands mortels comme Arthur accomplissent leur destin. Ton frère a plus que raison de se méfier de Mordred, et libre à toi de tenir compte de ses avertissements ou non, mais prends garde : la vie, le destin, nous joue les pires tours possibles lorsqu'on est certain que tout ira bien. »
« Que suis-je censée faire, alors ? »
« Continuer comme ça, si tu penses que c'est le mieux. Garde simplement à l'esprit ce que je t'ai dit. N'oublie pas non plus que si Mordred sombre, ce sera du pain béni pour l'Incubus, à cause de ton béguin pour lui. Aussi ridicule soit-il, un béguin ne disparaît pas en un clignement d'yeux, même quand il est question de trahison, et l'Incubus s'en nourrira. Si tu es fragile psychologiquement à ce moment-là, tu ne résisteras pas Aurore. C'est une mise en garde que je te fais. Tu es une excellente Archon, mais n'oublie pas que les plus grands sont ceux à qui reviennent les tâches les plus difficiles pour le bien de tous. Tu es sage Eilin, je sais que tu feras le bon choix. De plus, tu n'es plus toute seule, tu ne l'as jamais été. »
« Que dois-je faire si je sens que l'Incubus devient trop puissant ? »
« Tu ne pourras pas le retenir éternellement. », soupira Nahida. « Ton passage de trois ans dans le futur t'a rendu plus forte, plus réfléchie, plus sage, plus puissante. Tu ne t'en rends pas compte, mais tu es au niveau des Archons les plus expérimentés qui soit. C'est pour bientôt, que tu le veuilles ou non. Mais passe du temps avec Guenièvre, et pas en tant que Reine et chevalière à son service, mais en tant que personnes qui s'aiment. L'amour est une force à ne pas sous-estimer, et surtout une force à laquelle les démons sont fragiles. Cela ne fera que retarder l'inévitable ceci dit, alors tu as intérêt à préparer un plan pour y remédier. »
« Un plan ? Le plan est simple : Lancelot me tuera si, lors du coucher du soleil le jour de la nouvelle lune suivant la libération de l'Incubus, je n'ai pas réussi à revenir et à me débarrasser de ce démon. »
« Juste avant qu'il ne soit à pleine puissance. », comprit tristement Nahida. « C'est extrême, et il te faut un plan pour réussir à revenir. »
« Aucune divinité n'a jamais réussi. »
« Mais tu n'es pas n'importe quelle divinité. Et puis, tu oublies une chose capitale : tu ne vis plus pour toi seule, mais pour deux. »
Instinctivement, Aurore posa une main sur son ventre, ce à quoi Nahida hocha la tête.
« Il ou elle ne survivra pas, et Guenièvre n'a pas la magie nécessaire pour le porter. »
Le silence lui répondit pendant un très long moment, avant qu'Aurore ne décide de s'en aller. Elle se leva, mais se figea lorsque le vent lui souffla à l'oreille.
« Si je sauve Mordred, ce que mon père a fait ne servirait plus à rien, la magie régnerait de nouveau à Camelot. Le royaume n'est pas prêt, malgré tout mes efforts, et cela causerait un chaos sans fin. C'est cela que tu veux ? Je sais que la magie a ses vertus, mais je ne peux pas me prosterner devant une déesse comme Morrigan, et une déesse morte qui plus est ! Merl, que faut-il faire ? Accueillir la magie, ou sacrifier Mordred ? »
« ... Arthy... il n'y a pas de place pour la magie à Camelot, pas- »
Aurore n'entendit pas le reste, car son monde venait de s'écrouler. Emrys, Merlin... son propre frère... il venait de trahir leur cause, leur essence-même, leur héritage... et surtout, il venait de la trahir elle ! Comment pouvait-il tenir des propos pareils après tous leurs efforts pour faire naître Albion ? Comment pouvait-il dire cela, juste à cause de sa méfiance envers Mordred ?! Camelot était tout à fait prêt pour la magie, elle-même le savait, l'entendait ! Les débuts auraient été difficiles et houleux, mais avec Arthur, Guenièvre, Merlin et elle aux commandes, tout serait rentré dans l'ordre avec du temps et de la patience ! Comment osait-il la trahir ainsi ?!
Aurore serra les dents lorsque son cœur eut un battement menaçant plus douloureux que d'ordinaire, mais ne s'y attarda pas plus que cela, trop aveuglée par la rage et le sentiment de trahison. Sa vision s'obscurcissait de plus en plus en plus, jusqu'à ce qu'une parole fuse et repousse momentanément toute obscurité.
« Une balade et un pique-nique en forêt, je suis sûre que cela plairait à Ella. »
La chevalière respira un bon coup, ne pouvant empêcher ses lèvres d'esquisser un sourire amoureux.
« Tout va bien ? », s'inquiéta Nahida, très consciente que, quoi que sa comparse ait entendu, un compte à rebours venait de débuter.
« Oui, merci Nahida. J'ai juste... envie de rejoindre Gwenny. »
« Alors vas-y. », fit la déesse de la Sagesse avec un petit sourire. « Ne la fais pas trop attendre. »
Aurore hocha la tête et grimpa sur Moonlight, qui se reposait jusqu'alors tranquillement dans l'herbe, puis partir au galop pour rejoindre sa chère et tendre. Elle était obnubilée par cette envie, ce besoin, parce qu'elle savait ce que cette obscurité subite dans son esprit signifiait. Merlin l'avait libéré, involontairement, certes.
Mais le mal était fait.
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