Chapitre 68 : Mal du pays
France, Camargue, plage près du ranch Mistral, 21e siècle, une semaine plus tard, nuit
Aurore regarda vers l'horizon, les pieds dans l'eau à peine fraîche en raison de la chaleur qui pesait même la nuit. Tenant ses baskets d'une main, elle se passait régulièrement la main sur le front pour en chasser les perles de sueur, n'étant toujours pas habituée au changement de climat par rapport à son époque. En fait, tout était différent. Les humains se déchiraient toujours plus au nom de dieux qui n'existaient même pas (fait approuvé par la Nahida du futur), le monde se mourrait à cause de la cupidité des humains (qui était à une échelle bien plus importante que de son temps), ce qui se traduisait par une fureur de la Nature qui se déchaînait partout et une augmentation des températures qui n'allait qu'en s'empirant. Tout était pollué, altéré négativement et irréversiblement, même les espaces naturels comme les campagnes n'étaient pas épargnés.
A cette époque, c'était elle, Eilin, qui était vénérée par toutes et tous mais, vu l'état du monde dans lequel elle avait atterri, il était frappant pour elle qu'il aurait mieux valu que ce soit Buer qui soit adulée, ou à défaut les Sept. Elle avait l'impression que les humains avaient mal interprété son idéal de Liberté, l'avaient compris de la façon dont ça les arrangeait, ce qui avait rompu l'équilibre entre l'Homme et la Nature. La Liberté était indissociable de la Sagesse, c'était un fait évident pour elle depuis toujours, mais les humains l'avaient oublié et saccageaient ainsi ce monde qu'elle s'efforçait de protéger.
« La maison me manque... », murmura Aurore, en fermant les yeux pour retenir ses larmes.
Quand elle fermait les yeux, elle voyait indéniablement le visage souriant de son aîné, ses yeux bleu ciel scintillant de la douceur et de la gentillesse qui l'avaient bercé durant toute son enfance, accompagné à travers les doutes et la peur de la magie, de sa magie à elle.
Leur père, Balinor, avait dit qu'un Seigneur des dragons et les membres de sa fratrie étaient comme les deux faces d'une même pièce, surtout quand un Seigneur des dragons avaient une sœur. Et elle se rendait compte désormais à quel point c'était véridique. Ils n'avaient pas autant besoin de l'un de l'autre qu'Arthur avait besoin de Merlin pour rester en vie, mais il avait toujours été son ancre en ce monde. Avec lui, elle avait toujours un endroit où revenir, peu importe où du moment que c'était avec lui. Elle l'avait toujours entendu rire, sourire, répondre avec son idiotie habituelle mais attachante, même quand elle était à des semaines de voyage de lui. Il avait toujours été là, avec elle. Sa personnalité sage mais détendue contrebalançait la sienne, également sage mais inébranlablement sérieuse. Sans lui, elle était incapable de réellement se détendre, tout comme lui était incapable de vraiment comprendre la gravité d'une situation sans elle.
« Etait. », se corrigea tristement Aurore. « Il en est capable, depuis qu'il protège Arthur. Leur lien de complémentarité est bien plus fort que le nôtre... maintenant qu'ils sont ensemble, rien de les arrête, pas même ma disparition, c'est certain. Alors que moi, sans lui, je n'ai personne. Arthurine n'est pas vraiment Arthur, et je suis persuadée que la jumelle d'Aurore n'est pas vraiment Lirou. Pareil pour toutes les autres réincarnations. Ce ne sont pas vraiment eux, ils sont différents et ils ne se souviennent pas de ce qu'on a vécu ensemble, pour la plupart. Même ceux qui se souviennent, c'est différent, car ils se rappellent de choses qui ne me sont pas encore arrivées... moi, je suis seule, à une époque différente et même pire que la mienne. »
Aurore serra la mâchoire, ressentant une profonde fureur envers la Triple Déesse.
« Morrigan ! Je te jure qu'une fois de retour à notre époque, je n'aurais de repos que lorsque je t'aurais éliminé des deux mondes pour de bon ! Tu es allée trop loin ! Je vais te faire connaître un enfer pire que d'être bannie du cercle des Sept, foi d'Eilin !! »
Ses yeux brillèrent, de même que le Gnosis autour de son cou, qui reprit temporairement sa belle lumière turquoise. Le vent se leva et les vaguelettes paisibles qui venaient lécher le sable devinrent de puissantes vagues dévastatrices, qui s'écrasèrent sur la plage avec fracas.
Elle entendit alors un hennissement, interrompant la libération involontaire de sa magie bloquée. La mer se calma, et un cheval sombre s'approcha d'elle au galop.
« Mistral ? », le reconnut-elle à la voix, bien qu'elle n'était pas revenue au ranch depuis qu'elle l'avait ramené à Léna.
L'étalon ralentit lorsqu'il fut à sa hauteur et inclina la tête pour la saluer. Il s'approcha un peu plus d'elle et donna des coups de museau dans sa poitrine. En réponse, elle vint se blottir contre lui.
« C'est gentil de vouloir me réconforter, mais tu n'y peux rien. J'y peux rien non plus, je suis juste bloquée à cette époque ! Je veux rentrer, Mistral. Je veux rentrer et retrouver ma famille, mes amis, ma jument. Même Morgane la sorcière, je veux bien la retrouver si ça me permet de rentrer chez moi. J'en ai marre, Mistral ! Ça fait même pas un mois et j'en peux déjà plus ! »
Mistral vint lui souffler dessus dans une tentative de lui remonter le moral. Puis finalement, il lui demanda des informations sur sa jument. Il se souvenait que Llamrei lui avait dit que cette dernière avait été propulsé à cette époque avec Aurore.
« Moonlight ? C'est une magnifique jument, noire comme la nuit, comme toi. Sauf qu'elle n'a pas d'étoile blanche sur le front. Elle te ressemble beaucoup, c'est un cheval sauvage que j'ai apprivoisé quand elle était encore jeune, elle avait peut-être un an, je dirai. Elle reste indomptable, sauvage, mais c'est un amour avec moi, et elle se laisse monter par les personnes qui sont les plus proches de moi. », se souvint Aurore en souriant, se souvenant des fois où Nahida ou Merlin-enfant étaient montés sur elle. « C'est ma meilleure amie, mais je suis toujours autant surprise de la loyauté qu'elle me porte. Elle agit vraiment comme une amie, une sœur, le ferait, non pas que je porte de l'importance à la délimitation humains-animaux, au contraire. Les animaux font souvent de biens meilleurs amis que les humains... »
Pensivement, Aurore caressa l'encolure de Mistral.
« Elle est aussi extrêmement rapide, libre et fougueuse que le vent, à pleine vitesse, elle est capable d'aller aussi vite qu'un dragon adulte volant dans le ciel à vitesse normale. Mais ça ne doit rien te dire, je n'ai pas l'impression que les dragons existent à cette époque. »
« Si, ils existent, mais pas ici. En Angleterre, d'après Llamrei. Ils sont protégés par le pouvoir royal depuis l'avènement d'Albion, avec la Reine Eva Pendragon et le Roi Galaad Ambrosius. Mais j'en sais pas plus. Llamrei pourra sûrement te renseigner, ses parents ont voyagé partout dans le monde et lui ont enseigné les faits historiques les plus notables de chaque pays, avant qu'elle ne trouve Arthurine. »
Aurore fronça les sourcils, le mot « Ambrosius » revenant une nouvelle fois, et confirmant que c'était un nom de famille employé pour désigner une couleur comme on le faisait à Camelot pour désigner le rouge caractéristique de la famille Pendragon. Cependant, elle décida de ne pas interroger Llamrei et Mistral à ce sujet, sachant qu'elle ne devait pas connaître le passé de cette époque qui était son futur à elle. Elle se contenta de se faire une note mentale pour interroger Arthur à propos de la famille Ambrosius, une fois de retour chez elle.
Soudainement, Mistral s'agita, obligeant Aurore à s'écarter pour voir ce qui n'allait pas. Toutefois, l'étalon se contenta de lever un sabot, de sorte à créer l'équivalent d'une marche ou d'un étrier. Il fit un signe de tête pour l'inviter à monter. Après une seconde, pour s'assurer qu'il était d'accord, elle accepta son invitation et monta sur son dos en s'appuyant sur son sabot, bien qu'elle n'en avait pas besoin. C'était simplement un geste d'acceptation et de remerciement, comme quand on accepte la main tendue de quelqu'un qui veut nous aider à nous relever.
Lorsqu'elle fut bien installée, Mistral s'élança dans un galop très rapide au bord de l'eau. Surprise, Aurore lâcha ses baskets pour s'agripper à la crinière de l'étalon. L'air marin lui frappa le visage, emmêlant ses boucles sombres alors que la mer éclaboussait régulièrement ses pieds et ses jambes nus. Elle ferma les yeux et un sentiment de paix chassa pour un temps la frustration, la colère et le mal du pays. Elle laissa la vitesse de Mistral et le vent faire voler sa chevelure, le son des vagues et des sabots martelant le sol l'ancrer l'espace d'un instant dans la réalité de cette nuit au bord de la mer, quelque part identique en tout temps. Bien sûr, ce n'était pas aussi vivifiant qu'avec sa tendre jument, mais elle appréciait les efforts de Mistral.
Doucement, elle leva les bras au ciel et respira profondément l'air salée de la nuit près de la mer. Lentement, pour ne pas effrayer Mistral, mais avec agilité, elle se mit debout sur le dos de l'étalon, qui continuait à galoper librement, nullement dérangé par le changement de répartition du poids.
Avec élégance, elle leva sa main gauche, sa main d'épée, et ferma les doigts comme si elle en tenait une. L'épée offerte par Lancelot et émoussée par Arthur se matérialisa alors dans sa main, ayant été retrouvée par l'Aurore du futur au cours de ses voyages et confiée à la déesse le temps de son passage en ce temps.
Ainsi, avec l'aisance de l'habitude et la grâce typique de son style amélioré avec les chevaliers, elle virevolta sur Mistral, qui ne ralentit pas pour un sou, combattant des ennemis invisibles à coup de figures et d'acrobaties sur l'étalon sans jamais vaciller ne serait-ce qu'un instant.
Un peu plus haut, sur une petite plaine où l'herbe laissait place au sable, une jeune fille du même âge l'observa, se fondant aisément dans la nuit grâce à ses cheveux, ses yeux et ses vêtements sombres. Doucement, sans faire de bruit, elle s'assit dans l'herbe et contempla Aurore.
« Quand Angelo m'a dit qu'elle était spéciale, comme Léna, je n'imaginais pas ça... j'avais oublié à quel point elle a l'air si... si vivante, quand elle monte. Si forte, si libre, comme si rien ne pouvait l'arrêter... ça peut être qu'elle. Je reconnaîtrais ce style entre mille. »
La jeune fille sourit avec la plus grande des tendresses. Elle avait attendu, attendu, et sa patience avait été récompensée, lorsqu'Anaïs avait trouvé et ramené Moonlight au ranch. Elle avait trop de fois côtoyée cette jument par le passé pour ne pas la reconnaître à la seconde où ses yeux s'étaient posées sur elle. Moonlight avait d'ailleurs semblé la reconnaître également, car elle l'écoutait, comme elle l'avait toujours fait.
« Quand je pense qu'à l'heure actuelle, je suis pas loin de devenir Reine de Camelot... heureusement que ça a permis au final à Merlin de se marier avec Arthur, je serais vraiment passée à côté d'une vie heureuse... je me demande ce qui a permis à Ella de changer d'avis sur le fait d'être en couple avec une personne. Je savais qu'elle n'avait accepté que pour me faire plaisir, ce jour-là, et elle ne me l'a jamais vraiment dit pourquoi elle avait changé d'opinion. Juste, quand elle est retournée à notre époque, elle voyait les choses différemment... j'imagine que je le saurai bien assez tôt... en attendant, je dois surtout trouver le moyen de l'approcher, comme je ne suis pas « sa » Gwenny, elle va me fuir comme la peste. Ah la la... »
Guenièvre reporta son regard sur Aurore, qui s'était de nouveau assise sur Mistral pour galoper avec lui. Il était certain que Moonlight serait sa porte d'entrée avec escorte vers cette Aurore tout droit venue du passé.
« Le moment est enfin venu, Amour. »
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