Chapitre 62 : Vivre au présent plutôt qu'au futur

Royaume de Cenred, Ealdor, champs, quelques semaines après, matin

Guenièvre s'approcha doucement des champs, regardant avec tendresse Aurore fredonner paisiblement pendant qu'elle prenait soin des jeunes pousses de blé qui émergeaient tout juste de terre. Elle resta à bonne distance, pour ne pas que la chevalière la remarque.

« Tu l'aimes, n'est-ce-pas ? »

Gwen sursauta et se tourna vivement vers Hunith, qui regardait sa fille avec un sourire amusé.

« C-C'est une bonne amie... »

« Je ne parlais pas dans ce sens-là. », réfuta Hunith. « N'essaie même pas de le nier, j'ai été jeune moi aussi, autrefois. »

« Vous l'êtes encore. »

« Haha ! Pas pour l'amour. L'homme que j'ai aimé m'a donné deux adorables enfants, je n'aurais pu souhaiter mieux. »

« Je croyais que Merlin et Ella ne connaissaient pas leur père... », se souvint Guenièvre.

« Oh, ils l'ont ignoré pendant longtemps, mais ils ont fini par l'apprendre un peu avant qu'Aurore ne soit bannie de Camelot. C'est Merlin qui me l'a écrit, pour m'informer au passage de sa mort... »

« C'est triste... »

« Oui, mais au moins, ils ont pu passer quelques heures ensemble, et je sais que Balinor a été un père exceptionnel durant ces quelques heures... »

« Vous avez dit Balinor ? »

Hunith hocha la tête, avant d'adresser un regard perplexe à Guenièvre.

« Pourquoi ? »

« C'était un Seigneur des dragons, paraît-il. »

« Il ne me parlait pas vraiment de ça. », admit Hunith. « Mais c'était un homme bon, et un descendant de Barbatos. C'est grâce à lui que j'ai pu élever mes enfants sans qu'ils ne vivent dans la peur. S'il avait pu rester ici, il aurait été un père adorable pour Merlin et Aurore. »

« Heureusement, ils vous ont toujours eu. », sourit Gwen.

« Oui, même si je sais que c'est surtout parce qu'ils ont l'un l'autre qu'ils sont les jeunes purs qu'ils sont aujourd'hui. Tout comme Arthur et Merlin, ils sont les deux faces d'une même pièce. Et probablement qu'Aurore et toi l'êtes aussi. »

« Oh non ! Ce n'est qu'une amie ! », rougit Guenièvre.

« Tu ne la regardes pas comme une amie, crois-moi ! », rit Hunith. « Mais sois sans crainte, je ne suis pas contre. Mes enfants ont toujours été uniques en leur genre, et il n'y a rien d'étonnant à ce que les descendants du dieu de la Liberté s'affranchissent des carcans sociaux en aimant quelqu'un du même sexe qu'eux. Si ma fille t'aime en retour, du moment que vous êtes heureuses, je ne vois pas pourquoi je serai contre. »

« Vous êtes une femme bien, Hunith. Pensez-vous qu'elle m'aime comme je l'aime ? »

« Je ne saurai le dire. Je ne connais pas autant ma fille que je l'aimerais. Avant Camelot, elle ne s'était jamais posée quelque part. Et voilà qu'elle s'occupe des champs, comme si elle avait constamment vécu ici... »

« Il lui fallait simplement des gens qui l'acceptent telle qu'elle était. Avant Arthur, personne d'autre que Lancelot et Merlin ne l'acceptaient dans son entièreté. Et vous, bien sûr. »

« Oh non, j'ai toujours cherché à la faire rester ici, et à lui faire abandonner l'épée. Je voulais le meilleur pour elle, et je pensais qu'elle ne pourrait jamais être heureuse en attirant autant l'attention sur sa différence... j'avais tort. Jamais elle n'a été aussi heureuse, et je sais que c'est à des gens comme Arthur et toi que je le dois. »

Guenièvre sourit, avant qu'elles n'entendent Aurore avancer vers elles.

« Maman, Gwenny, je vais devoir aller cueillir des herbes. Les plants demandent bien plus du fertilisant de Nahida que ce que je croyais... »

« Tu sais le fabriquer ? », s'enquit Gwen.

« Bien sûr, elle m'a appris. Il me faut juste les bonnes herbes. Le voyage aller-retour devrait me prendre trois jours au maximum. Je partirai demain, à l'aube. Tu t'en sortiras ? »

« B-Bien sûr ! Ne t'en fais pas pour moi. Je te suis déjà reconnaissante d'avoir quitté Camelot pour moi... »

« Tu aurais fait la même chose pour moi. », répondit Aurore, avec un petit sourire.

« Je vais te mettre des vivres de côté ma chérie. »

« Merci Maman. »

Hunith s'éloigna, les laissant seules, et Guenièvre replaça une mèche de cheveux derrière son oreille.

« La vie ici a l'air de te plaire, finalement, Ella. »

« Je m'ennuyais un peu à Camelot... au moins, j'ai de quoi m'occuper ici. Mine de rien, je savais déjà beaucoup de choses sur la médecine, il n'a pas fallu tant de temps que ça avant que Gaius n'arrive au bout de ce qu'il pouvait m'apprendre. Et toi ? Je sais que ça te change quand même pas mal... »

« Du moment que je suis avec toi, tout me va. »

A cet aveu, Aurore rougit furieusement.

« M-Ma compagnie te plaît tant que ça ? »

« ... je cherche la moindre occasion pour être avec toi... même avant qu'on vienne à Ealdor... tu ne l'avais pas remarqué ? Que dis-je, bien sûr que tu ne l'avais pas remarqué. Seuls Merlin et ton devoir divin comptent à tes yeux... », dit tristement Guenièvre. « Mais ce n'est pas grave. Si tu es heureuse comme ça, ça me va. »

Aurore cligna des yeux, redoutant de comprendre. Merlin lui avait toujours dit qu'il ne souhaitait que le bonheur d'Arthur, même s'il n'était pas à ses côtés, car c'était ainsi qu'une personne amoureuse se comportait : elle ne souhaite que le bonheur de la personne qu'elle aime.

« Tu es mon amie Gwenny, tu comptes aussi pour moi. »

« Je... je sais. Pardon, je sais pas ce qu'il m'a pris. », se dégonfla la brune. « Je vais aller aider Hunith. »

« Attends. »

Guenièvre se retourna et la regarda, interrogative.

« Tu vas bien ? Je me doute que Camelot te manque mais... »

« Je te l'ai dit : du moment que je suis avec toi, tout me va. Camelot n'a pas vraiment de raison de me manquer si tu es là. Et c'est le cas, donc je vais bien ! Ne t'en fais pas. », sourit doucement Guenièvre.

« Pourtant, tu es triste. Qu'est-ce-qui ne va pas ? Ne m'oblige pas à demander au vent... »

« T'es pas censée laisser les autres libres ? »

« Pas quand l'un d'eux est un proche et qu'il a une attitude qui m'inquiète. », rétorqua Aurore en lui prenant les mains.

Gwen rougit et détourna le regard, restant silencieuse.

« Que se passe-t-il Gwenny ? Tu sais que tu peux tout me dire, et que je ne juge personne. »

« T-Tout va bien, ne t'en fais pas. »

Peu convaincue, Aurore lâcha néanmoins ses mains et s'éloigna, déçue que son amie ne lui fasse pas assez confiance pour lui dire ce qui n'allait pas.

« Comme tu veux. Je vais voir si Moonlight est apte à voyager, on se voit plus tard. »

La chevalière commença à s'en aller, Guenièvre la suivant du regard. La brune écarquilla les yeux, inquiète qu'Aurore mette de la distance entre elles.

« Je... je t'aime ! »

Aurore se figea, le cœur battant à tout rompre, et se retourna lentement.

« Tu... m'aimes ? »

« Oui ! C'est pour ça que je veux toujours être avec toi ! »

« ... tu ne peux pas. »

« Quoi ? », bafouilla Guenièvre, interloquée.

« Tu ne peux pas m'aimer. », répéta Aurore.

Elle essaya de donner à son visage un air froid mais échoua lamentablement car Guenièvre n'eut aucun mal à voir sa détresse.

« Pourtant, je le fais. »

« Mais tu ne dois pas. »

« Pourquoi ? Je me fiche que tu sois une fille ! »

« Ce n'est pas le problème... je ne peux pas t'aimer, et tu ne dois pas m'aimer. »

Aurore essaya de s'éloigner, mais Guenièvre la retint en lui agrippant le poignet.

« Mais pourquoi ? Si tu veux que j'arrête, tu dois me dire pourquoi. »

« Mais parce que je suis immortelle ! », hurla Aurore, faisant sursauter Gwen.

« Et alors ? Ce n'est pas parce que tu es une déesse immortelle que tu n'as pas le droit d'être heureuse. »

« Je suis immortelle... et pas toi. Je vais vivre, et toi tu vas mourir. Cesse de m'aimer, ça vaudra mieux pour tout le monde. Les dieux n'ont pas le droit au bonheur, encore moins avec des mortels. »

Guenièvre eut les larmes aux yeux, non pas parce qu'Aurore la rejetait mais parce que la chevalière semblait persuadée que son immortalité faisait qu'elle ne pouvait pas être heureuse.

« Ella... es-tu amoureuse de moi ? »

« Je ne peux pas, je te l'ai dit. », marmonna Aurore en esquivant son regard.

« Mais tu le fais, n'est-ce-pas ? »

Aurore resta silencieuse, permettant à Guenièvre de s'approcher. La brune prit son visage en coupe, la forçant à la regarder dans les yeux. Elle lui sourit avec tendresse.

« Tu as le droit d'être heureuse Ella, tu as le droit d'aimer, même si c'est un mortel. C'est la valeur de la vie qui rend chacun de nos souvenirs inoubliables, uniques et importants. »

« Tu ne comprends pas... je vais te regarder vieillir... puis mourir... »

« Mais tu me verras aussi être heureuse et aimée à tes côtés. En ce monde, rien n'est complètement noir ou blanc Ella. Tiens-tu vraiment à te priver d'amour juste pour éviter la douleur que ça te procurera dans un avenir lointain ? »

« Tu ne comprends pas... tu ne peux pas comprendre... »

« Tu n'auras qu'à faire de moi ton esprit, comme Naia l'a fait pour Lancelot ! », insista Guenièvre. « Je t'en prie Ella, ne me rejette pas juste parce que tu es immortelle... je ne le supporterai pas. »

« ... la vie d'esprit n'est pas facile... Lance a déjà tant souffert à cause de moi... je ne veux pas qu'il t'arrive la même chose... »

« Je n'ai pas non plus envie que tu souffres toute ta vie, et je n'ai jamais demandé une vie facile. »

Aurore la regarda longuement, détectant sans peine la grande détermination et l'immense amour que Guenièvre ressentait à son égard. La brune n'essayait plus de le cacher.

« Tu serais vraiment prête à devenir un de mes esprits ? Juste pour qu'on reste ensemble ? Tu renoncerais à ton repos éternel ? »

« Du moment qu'on est ensemble, je sais que tout ira bien. Tu as le droit de me rejeter Ella, que ce soit parce que tu ne m'aimes pas comme ça, ou parce que tu n'es juste pas prête à être dans une relation amoureuse, ou bien parce que tu aimes les hommes comme n'importe quelle fille. Si tu veux vraiment me rejeter, j'accepterai n'importe quelle excuse. Mais pas ta divinité. Ça fait partie de toi, et de la personne que j'aime. Tu es une déesse parce que tu es toi, c'est ton grand cœur et ton courage qui font de toi une véritable déesse, et je suis très fière d'aimer quelqu'un d'aussi incroyable que toi. »

Aurore rougit et essaya d'esquiver son regard, sans grand succès. Les paroles de Guenièvre la bouleversaient complètement, mais elle ne pouvait pas céder. Elle savait que, même si elle devenait un esprit à sa mort, elles ne pourraient jamais être continuellement ensemble, mais seulement tant qu'elle pourrait maintenir la brune dans le monde mortel. Et elle ne voulait pas d'une vie d'esprit pour sa belle, elle méritait un repos éternel et paisible une fois morte. Mais en même temps, elle ne pouvait se résoudre à lui briser le cœur...

« Ella, m'aimes-tu ? Sois juste honnête. »

Doucement, elle hocha la tête, refusant toujours de la regarder. Gwen eut un doux sourire.

« Alors, qu'est-ce-qui nous empêche d'essayer ? Si jamais tu trouves ça vraiment trop dur, si ça ne te convient pas, tu pourras rompre et je ne t'en voudrai pas pour un sou. A moins que tu ne veuilles vraiment pas être avec moi, et je comprendrai parfaitement. Du moment qu'on peut être amies, ça me convient. Mais pour une fois Ella, fais ce que tu as vraiment envie de faire et vis l'instant présent plutôt que de toujours te préoccuper du futur. »

Après quelques secondes, la chevalière posa impulsivement ses lèvres sur celles de Guenièvre, la prenant par surprise. Cependant, elle ne lui laissa pas le temps de répondre et se détacha les joues rouges.

« ... tu m'as dit de faire ce que j'avais vraiment envie... », marmonna Aurore.

« Ce...ce... ça veut dire q-que... »

« ... on peut essayer. », sourit timidement la déesse.

Guenièvre sourit en retour, heureuse. Celui d'Aurore s'élargit doucement, et Gwen l'embrassa à son tour. La déesse de la Liberté se tendit un instant, mais les lèvres de sa Gwenny sur les siennes étaient si douces qu'elle se détendit, enroulant ses bras autour du corps de la brune pour les rapprocher.

« Je t'aime Ella. »

« Je t'aime aussi. »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top