Forêt, cabane de Morgane, deux jours plus tard, nuit

Agravain entra dans la cabane, qui semblait vide. Soudainement, un poignard appuya sur son dos.

« Morgane ? »

La sorcière retira le poignard, permettant à l'homme de se tourner vers elle.

« Monseigneur. Vous devez m'apporter d'excellentes nouvelles. Je vous écoute. »

« Le royaume est à genoux ! »

« Est-ce vrai ? », douta Morgane. « Avec Aurore dans les rangs des chevaliers de Camelot, je doute que le royaume soit aussi mal en point que ce que vous essayez de me faire croire. Combien y a-t-il de morts ? »

« ... aucun. », avoua Agravain. « Aurore a averti Arthur tout de suite du danger, ce qui a permis à tous les villageois d'atteindre la cité avant que le Dorocha n'y arrive. Arthur lui voue une confiance aveugle. Elle pourrait lui mentir, il ne le remarquerait même pas. »

« Aurore ne lui a jamais menti, pour autant que je sache, bien au contraire. Elle s'est toujours montrée directe avec lui, même face à Uther. C'est sur cette franchise que se base la confiance d'Arthur, sans même parler de la loyauté sans borne d'Aurore à Merlin, qui est lui-même horriblement loyal à Arthur. Mais comment Aurore a su pour le Dorocha ?! »

« Elle dit être liée au monde des esprits, car une partie des terres de ce monde est le royaume des dieux, sans compter qu'elle peut ouvrir des portes. »

« J'aurais dû m'en douter ! », pesta Morgane. « Admettons. Mais comment a-t-elle fait pour rendre la cité entièrement sécurisée ? »

« Elle la sécurise elle-même, avec ses esprits et sa magie. »

« Les Quatre Vents ? »

« Jusqu'à présent, je n'en ai vu que trois : le Loup, le Lion et le Faucon. Le Dorocha n'a aucun effet sur eux, ils protègent donc la cité chaque nuit. »

« Où est le Dragon ? »

« Avec Merlin, j'imagine. Arthur, lui et quelques chevaliers sont partis de Camelot dans l'après-midi, pour réparer le voile. »

« Haha ! », rit Morgane, avant de redevenir sérieuse. « C'est impossible. Merlin n'a aucun pouvoir magique. Je doute que la faible partie de sang divin qu'il a suffise pour lui permettre d'ouvrir la porte comme le fait Aurore. »

« Ils sont sur le chemin à l'heure où nous parlons. Et si le Dorocha ne le tue pas en chemin, notre brave agneau a la ferme intention de s'offrir en sacrifice pour réparer le voile ! », se moqua Agravain.

« J'aurais pensé qu'il aurait envoyé Aurore. »

« Il a préféré qu'elle reste au château pour superviser la protection de la cité et agir contre le Dorocha. »

« Comment s'en sort-elle ? »

« Je doutais de la capacité de cette gamine a être dangereuse, mais elle gère la situation à la perfection. Cependant, coincée à Camelot, elle ne pourra pas empêcher Arthur de se sacrifier. Et si Merlin décide de le remplacer, votre frère en sera complètement détruit. Il s'efforce de ne rien laisser paraître, mais c'est évident qu'il est très attaché à son serviteur. »

« Aurore est une déesse, il lui en faut bien plus pour perdre ses moyens. Elle pensait déjà à l'époque qu'Arthur pouvait être amoureux de Merlin. Je ne sais pas ce qu'il en est maintenant, ceci dit. Dans tous les cas, il ne faut pas sous-estimer sa sœur, mais il ne faut pas non plus nous la mettre à dos... », marmonna Morgane, d'un air préoccupé.

« Quelque chose vous préoccupe, Morgane ? »

« Ce que m'a dit la Caellix, la gardienne du monde spirituel. Elle parlait d'une personne, Emrys, qui sera ma perte, ainsi que d'une autre, Eilin, qui pourrait être celle d'Emrys. »

« Votre perte ? Celle d'Emrys ? Que voulait-elle dire ? »

« Je l'ignore encore, mais je sais qui est Eilin. »

« Qui donc ? »

« Aurore. C'est son prénom de déesse. C'est l'une des seules choses à propos de son statut de déesse qu'elle a daigné me dire pendant la durée de notre accord. »

« Pourtant, elle semble clairement être opposée à vous. »

« Aurore est un être ambivalent, je l'ai su tout de suite. Je ne sais pas qui est Emrys et si Aurore le sait, elle gardera probablement le silence tant qu'elle soutiendra Arthur. Tâchez de ne rien faire qui puisse la faire devenir notre ennemie. Elle ne doit pas l'être, jamais. »

« Comme vous voudrez. Ceci dit, nous devrions nous réjouir : Arthur ou Merlin sera mort avant la fin de la semaine. Ce qui, dans un cas comme dans l'autre, laissera à terme le trône de Camelot à sa légitime héritière. Votre seule obstacle sera Aurore, mais c'est une gamine sage et raisonnable, je sais que vous parviendrez à marchander avec elle. »

« Il l'a nommé héritière ? »

« Si Uther vient à s'éteindre pendant son absence, et qu'Arthur ne rentre pas, oui. Il veut qu'elle monte sur le trône à son vingt-et-unième anniversaire, et qu'elle gouverne comme lui-même l'a fait au cours de la dernière année, en attendant ses vingt-et-un an. »

« Elle va bientôt avoir dix-sept ans... », songea Morgane. « Mais Aurore n'est pas une Souveraine. Elle est au pire une vagabonde, au mieux une chevalière, doublée d'une déesse. Elle n'a pas ce qu'il faut pour diriger un royaume ! »

« Il semblerait que si, aux yeux d'Arthur. Bien qu'il compte sur moi pour la conseiller si jamais elle devait régner. »

« Comme si elle allait t'écouter... »

« Je le sais bien mais, comme nous l'avons dit, Aurore n'a pas l'étoffe d'une Reine, en plus d'avoir le conseil qui lui est plutôt défavorable rien que concernant le fait qu'une magicienne vive à Camelot, et elle est sage. Vous saurez forcément trouver l'accord qui vous permettra d'avoir le trône sans avoir à l'affronter. »

Morgane eut un petit sourire, réconfortée par cette perspective, bien qu'elle savait qu'Aurore ne renoncerait pas à la couronne. Elle n'avait pas l'étoffe d'une Reine, mais elle n'était pas non plus le genre de personne qui laissait tomber ses amis et ceux qui lui avaient fait confiance dès le début. Arthur l'avait accepté, elle, sa magie et son épée, dès le début. Quand bien même elle ne voudrait pas du trône, elle ne fuirait pas et protégerait le royaume aussi longtemps qu'elle vivrait. Ce qui, dans son cas, était l'éternité.

Mais peut-être qu'elles parviendraient à un accord, qui sait ?

Forêt, le lendemain, coucher du soleil

« Elyan, faites boire les chevaux, nous allons nous arrêter dans cette grotte pour la nuit. », ordonna Arthur. « Et je voudrais un volontaire pour aller chercher du bois. »

« Je vais y aller. », fit Merlin.

Arthur le remercia d'un signe de tête, mais le magicien ne manqua pas son regard inquiet. Il lui sourit simplement pour le rassurer puis s'éloigna, très vite suivi par Lancelot.

« Tu ne devrais pas être là, tes pouvoirs sont inutiles face au Dorocha. »

« Je sais qu'ils disparaissent quand il est dans les parages, mais ce n'est pas grave. Rory m'a confié Dvalin. »

« Tu n'es pas un guerrier Merlin, et tu ne pourras pas invoquer Dvalin sans ta magie. Je refuse qu'il t'arrive quelque chose. Si tu pars demain matin, je te jure de protéger Arthur. », insista Lancelot.

« C'est gentil de t'inquiéter Lance, mais je n'ai pas besoin de ma magie pour invoquer Dvalin. Rory a réveillé assez de magie divine contenue dans mon sang pour me permettre d'ouvrir la porte au besoin. Votre devoir à vous, c'est de protéger Camelot au péril de votre vie. Eh bien, le mien, c'est de protéger Arthur. Je suis sûr que tu dois comprendre ça. »

« J'ai aucune difficulté à le faire... tu comptes te sacrifier pour réparer le voile ? »

« Rory dit que je ne peux pas, car je suis comme elle. Je suis immortel et je peux voyager entre les mondes, je ne peux donc pas réparer le voile sans abandonner mon immortalité au préalable. »

« Mais tu as frôlé la mort des centaines de fois. »

« J'ai compris pourquoi quand Rory expliquait à Arthur pourquoi elle ne pouvait pas se téléporter sur l'Île pour réparer le voile et rentrer directement. Je peux approcher la mort de très près, mais ma particularité fait que je ne peux être tué que par les mêmes moyens qu'elle : lorsque ma magie revient à son maximum, elle me guérit complètement. »

« C'est en raison de ton sang divin ou du fait que tu es Emrys ? »

« Un mélange des deux, selon Nahida et Kilgharrah. »

« Le Grand Dragon ? J'ai entendu dire qu'il répondait à l'appel d'Aurore. »

« Il ne répond à son appel que parce qu'elle est ma sœur et enfant d'un Seigneur des dragons. Comme moi, sauf que moi, Kilgharrah n'a pas le choix, il est obligé de répondre à mon appel. J'ai hérité des capacités de notre père, à sa mort. »

« Tu me surprends chaque jour Merlin ! »

Le magicien sourit.

« Merci ! »

« En tout cas, ça explique pourquoi Aurore t'a confié spécifiquement Dvalin. Tu peux le contrôler, n'est-ce-pas ? »

« Tout à fait, mais c'est aussi parce que c'est l'esprit avec lequel elle a le lien le plus fort, c'est le premier qu'elle a appris à invoquer, en dehors de Barbatos. Il a tout de suite accepté de veiller sur moi. »

« Elle est très protectrice envers toi. »

« Même trop, si tu veux mon avis. Mais j'imagine que c'est parce qu'elle n'a pas encore trouvé la personne qu'elle protégera plus que tout au monde. »

« Comme Arthur, pour toi ? »

Rougissant, Merlin hocha la tête.

« J'ai remarqué un léger changement entre vous depuis l'an dernier. », émit Lancelot.

« O-Ouais... », bégaya Merlin. « Il... il sait... pour mes sentiments... »

« C'est génial ! »

« Pas tant que ça, il est perdu entre ses sentiments pour Gwen et ceux pour moi. Rory devient folle à force de lui servir de confidente. »

« C'est sûrement parce qu'elle te soutient totalement. »

« Hm... je ne pense pas. J'ai l'impression qu'elle sait certaines choses à propos d'Arthur et moi qu'elle se refuse à révéler. A chaque fois que je lui pose la question, elle me répond qu'elle ne peut rien dire tant qu'Arthur ne verra pas clair dans ses sentiments. Mais j'imagine que tu aimerais bien qu'Arthur soit amoureux de moi, ça te permettrait de pouvoir être avec Gwen, non ? »

« Je ne pense pas. », nia Lancelot en secouant la tête. « Elle a tourné la page, je l'ai bien vu. Et j'ai bien vu aussi que ta sœur en pince pour elle. »

« Ouais, mais comme tu l'as très bien influencé, elle ne fera très probablement aucun pas jusqu'à l'improbable cas où Arthur me choisirait. »

« Tu n'y crois pas ? »

« Guenièvre est destinée à devenir Reine de Camelot, comment veux-tu que j'y crois ? »

« ... bon point. Mais j'aime à croire qu'Aurore a raison sur le destin. Qu'il est plus complexe qu'il n'y paraît, et qu'il n'est pas figé. »

« J'aimerais y croire aussi... et ça te dérange pas que Rory en pince pour Gwen ? »

« Guenièvre et moi, c'est fini depuis longtemps. Je ne cesserai jamais de l'aimer, le temps s'est arrêté pour moi mais pas pour elle. Je ne peux pas lui en vouloir. Et je ne peux en vouloir à Aurore d'aimer Guenièvre, c'est une jeune femme exceptionnelle, le genre de personne que mérite ta sœur. »

« ... tu es le grand frère que j'aurais aimé être pour elle, Lance. »

« Et je suis certain que tu es le frère parfait à ses yeux. »

Merlin lui sourit, reconnaissant.

« Lance... merci. »

« Avec plaisir ! »

Forêt, cabane de Morgane

Dans son sommeil, Morgane tremblait, faisant un cauchemar. Elle voyait un corbeau noir s'envolant d'un champ de bataille, où gisaient des cadavres de soldats de Camelot et ceux d'autres soldats. L'épée Excalibur, encore plantée dans la roche dans la réalité, était plantée dans un corps. Un vieil homme, aux longs cheveux blancs et avec une barbe toute aussi longue et blanche, apparut. Il était vêtu d'une longue tunique rouge et se tenait, triomphant.

« Aide-moi Emrys, je t'en conjure ! », fit Morgane, gravement blessée.

« Est-ce vraiment ça que tu voulais, Morgane ? », lui répondit Emrys.

« Non, mais c'est ce que moi je voulais. »

Emrys regarda derrière Morgane, et la sorcière eut un sourire machiavélique. Le vieil homme sembla désemparé, et Morgane entendit un son de battements d'ailes alors que des plumes noires se répandaient sur le champ de bataille. La personne derrière elle s'avança, jusqu'à ce que la sorcière puisse la voir. Il s'agissait d'Eilin, mais dans une version sombre. Du noir qui avait remplacé le blanc, en passant par l'argent qui avait pris la place du doré et du vert sombre qui avait remplacé le turquoise, tout dans l'apparence et la gestuelle de la déesse incarnait le mal et la haine, la soif de destruction et de vengeance étaient visibles dans ses yeux noirs brillant d'une lueur rouge. Ses ailes de plumes, autrefois du blanc le plus pur qui soit, étaient désormais du plus profond des noirs abyssaux.

« Eilin, tout ça, c'est pas toi ! », implora Emrys.

« Peut-être me connais-tu très mal alors, Emrys ! », ricana Eilin.

« Tu veux vraiment tout détruire autour de toi ? »

« Je veux détruire tout ce qui compte pour toi, Emrys ! Et j'ai réussi ! J'ai détruit Camelot, j'ai détruit les chevaliers de Camelot et, plus que tout, j'ai anéanti Arthur Pendragon ! Tu n'as plus rien ! Et je vais te laisser errer comme une âme en peine, pour l'éternité ! Tu ne t'en remettras jamais ! C'est le juste prix pour ta trahison. »

D'un ample mouvement de la main, elle généra une onde de magie noire qui renversa Emrys, puis monta sur un monticule de terre, surplombant le champ de bataille dévasté. Ses ailes noires se déployèrent, cachant ainsi la lumière du soleil et répandant une ombre mortuaire sur le cimetière de soldats.

« Bienvenu dans l'enfer éternel, Emrys ! »

Morgane se réveilla en sursaut. L'image d'Emrys s'imprima automatiquement dans son esprit, ainsi que celle de la maléfique Aurore. La sorcière ne put s'empêcher de frissonner de terreur, Emrys ayant fait exactement ce qu'elle évitait à tout prix de faire, à savoir se mettre la jeune déesse à dos. Elle était terrifiante, engloutie par les ténèbres. Elle ne savait pas ce qui conduirait Aurore à se tourner vers la magie noire, mais elle éprouvait une sorte d'admiration et de respect pour cette déesse des ténèbres, qui avait mis à genoux tout Camelot et le fameux Emrys, lui qui serait la perte de Morgane.

« Emrys... »