Errance Part. 1

Le soir du premier janvier au alentours de 18h Naomi, qui avait passé toute la journée dans un demi-sommeil, bien au chaud sous son Kotatsu, sortit de sa torpeur. Depuis qu'elle s'était réveillée des larmes coulaient sur ses joues en continu dans une agonie silencieuse. Tout ses gestes étaient lents, comme si le temps n'avait plus aucune importance. Elle voulu faire du thé mais en voyant la tasse qu'Akito lui avait offerte, elle pleura de plus belle rompant le silence pesant qui régnait dans la maison. Elle avait relu des dizaines de fois le message d'Akito et s'était torturée l'esprit sur sa signification. Elle était certaine de ne pas l'avoir croisé dans sa fuite.

Peut être l'avait t-il aperçu dans la rue en compagnie d'Azuka ? Ou peut être dans ce bar où elle avait danser sans retenue ? Avait-il été témoins de se baisé avec Kuro ? Non... Ce dernier serait sans doute mort à l'heure qu'il est.

Un haut le cœur la secoua lorsqu'elle repensa à ce pauvre type sur le mont Fuji, le visage complètement mutilé par la faiblesse et la naïveté de Naomi, autant que par la jalousie pathologique d'Akito. Imaginer Kuro dans le même état la fit tressaillir d'horreur.

Elle fut soudain, prise d'un dévorant besoin de purifier ses pensées. Lentement elle se leva, et traina des pieds jusqu'à la salle de bain pour se laver. Une fois ses ablutions terminées, elle se sentit vide, vidée de toute émotion, de tout désir. Cette eau brûlante avait eu l'effet souhaité. Elle enfila un kimono ayant appartenu à sa mère. Observant son reflet dans le miroir elle avait l'impression de voir sa mère plus jeune. Une version fatiguée, délavée de sa mère, dénuée de sentiment, de joie de vivre. A ce moment là, elle aurait dû pleurer comme à chaque fois qu'elle pensait à la mort de ses parents, mais aucune larme ne pouvait plus couler. Et elle resta ainsi, à contempler cette inconnue familière dans le miroir, qui la dévisageait d'un regard morne sans vraiment la voir.

Tout à coup, quelqu'un sonna à la porte. Elle fut si surprise qu'elle sursauta et faillit tomber à la renverse. Elle essuya ses yeux et remonta ses cheveux pour essayer de paraître présentable pour aller ouvrir. Elle pensa un instant à Akito puis se ravisa, elle ne voulait pas espérer, même quelques secondes et être déçue en ouvrant la porte. Elle préféra penser que c'était Azuka qui était venu lui demander des explications et se prépara à tout lui expliquer.

Mais lorsqu'elle ouvrit la porte, ce n'était pas le visage d'un homme qui lui faisait face, mais celui de Saki. Elle avait failli ne pas la reconnaitre, ses cheveux avaient tellement poussés depuis l'été dernier. Sans réfléchir une seule seconde, elle lui sauta dans les bras. En y repensant, il était vrai qu'elle n'avait jamais recroisé Saki depuis leur dispute, pas même au détour d'un couloir et Naomi avait eu bien trop peur de sa réaction pour oser lui rendre visite à l'improviste. Elles s'étreignirent un long moment avant que Naomi ne relève enfin la tête vers elle et ne lui demande.

- Pourquoi maintenant ?

- Azuka m'a appelé pour me dire ce qu'il s'était passé.

- Azuka ? Mais tu le connais ?

- Oui, il me donnait des nouvelles de toi régulièrement, ça m'a permis de moins m'inquiéter pour toi..

- Mais ça s'est passé il y a si peu de temps... Tu n'aurais jamais eu le temps de venir jusqu'ici depuis chez tes parents.

- C'est vrai... Mai j'ai eu un horrible pressentiment depuis Noël, alors dès que j'ai pu je suis venue, répondit Saki en la serrant contre elle. Lorsqu'il m'a appelée j'étais déjà en route.

Naomi ne répondit rien, elle la serra un peu plus fort. Elle était tellement heureuse de revoir son amie qui lui avait tant manqué. Après un court instant la blonde s'excusa d'avoir laissé son amie sur le pas de la porte et l'invita à entrer. Elles s'installèrent sur le canapé. Saki semblait chercher ses mots.

Après quelques secondes d'un silence gênant, elle leva les yeux vers la blonde d'un air grave.

- Qu'est ce qu'il y a ? demanda anxieusement cette dernière. Saki sortit de sa poche un bout de papier plié en quatre et le lui tendit.

- Je crois qu'il faut que tu vois ça...

Naomi saisit le bout de papier mais le souvenir du fax annonçant la mort de ses parents la pétrifiait. Elle regarda son amie d'un air affolé, qui ne put lui répondre que par un regard navré. Déglutissant avec difficulté, elle déplia le papier et son coeur manqua un battement lorsqu'elle se vit sur une photo embrassant Kuro à pleine bouche et se blottir dans les bras d'Azuka sur une autre.

- Je... Je peux tout expliquer... souffla-t-elle.

- Pas la peine, Azuka m'a tout raconté. Heureusement qu'il était là pour intervenir...

- Mais... Ces photos ? Comment... ?

- Il y en placardées de partout sur le campus...

Naomi eu un haut le coeur, elle avait l'impression de vivre un cauchemar duquel elle ne pouvait pas se réveiller.

- Non ? Non... Non non nonnonnonnon...

Elle n'avait pas besoin de se demander qui avait bien pu faire ça. Elle en était certaine, ça ne pouvait être qu'elles. Ces trois garces ne la laisserait donc jamais en paix.

Elle attrapa son coussin, qui apparement était devenu son défouloir, son moyen d'exorciser sa peine et hurla dedans aussi fort que ses poumons le lui permettaient. Tout ce qu'elle n'avait pas pu extérioriser depuis des années étaient en train de se déverser petit à petit, à mesure que ses émotions débordaient. Elle ne savait pas si elle était au bord de la crise de nerf ou en pleine crise d'angoisse. Saki lui caressait doucement le dos alors qu'elle hoquetait, la tête enfouie dans le tissu.

Si Akito voit ça il va devenir fou...

Le faible espoir qu'elle avait encore de parvenir à le raisonner disparaîtrait à la seconde où il tomberait sur ces photos. A moins qu'il ne lui en veuille déjà tellement qu'il n'en ait plus rien à faire. Et puis pourquoi était-il parti ? Elle ne comprenait pas pourquoi il l'avait abandonnée dans ce train au moment où elle avait le plus besoin de lui ; le plus besoin de partager avec lui ses souvenirs retrouvés. Elle en revenait finalement toujours au même point.

A court d'air elle redressa la tête. Furieuse contre cette catharsis infructueuse, elle essuya rageusement les larmes qui coulaient sur ses joues. Pleurer ne servait décidément à rien. Saki agrippa la tête son amie en posant ses mains de chaque côté de son visage et la regarda dans les yeux. Soudain le temps sembla s'arrêter. C'était comme si les grands yeux sombres de Saki lui criaient : Je suis là pour toi, tout va s'arranger.

- Tu veux qu'on aille voir tes parents ?

Naomi acquiesça en séchant à nouveau ses joues, cette fois pour de bon.

- Merci...

- On ira dès demain matin. Je vais dormir ici ce soir.

Naomi hocha silencieusement de la tête.

Saki fit comme chez elle et prépara le thé tandis que Naomi s'était glissée au chaud sous le Kotatsu, le corps encore tremblant d'appréhension et de colère.

- Azuka se charge de retirer toutes les affiches qu'il pourra trouver, expliquait Saki en posant la tasse devant Naomi et de prendre place à côté d'elle.

- C'est très gentil de sa part... Il ne faut pas que j'oublie de le remercier. Au fait tu le connais depuis longtemps ?

- On s'est rencontré pendant le voyage d'octobre. C'est là que j'ai appris que c'était ton binôme pour votre exposé.

- Ah, il t'a raconté ça... ?

- Il parle beaucoup, s'amusa Saki.

- C'est vrai.

Le rire ténu de Naomi s'étouffa rapidement, elle était mal à l'aise et ne pouvait s'empêcher de repenser à ce qu'elle lui avait dit la dernière fois qu'elle s'était vue. Elle s'en voulait énormément et se demandait si c'était aussi le cas de Saki. Son amie la regardait d'un air maternel, à la fois tendre et inquiet. Après un silence gênée elle se lança :

- Tes cheveux ont beaucoup poussés, c'est impressionnant, fit remarquer Naomi, cherchant à faire la conversation.

- Ah oui. dit-elle en prenant la pointe d'une mèche entre ses doigts. J'en avais assez de les couper si court, mais je dois avouer que lorsqu'ils ont dépassé mes omoplates je me suis dit que c'était assez.

Naomi souffla sur son thé et trempa le bout de ses lèvres dans le liquide brûlant. La tête appuyée sur son poing Saki l'analysait, comme si elle sondait son âme. Au bout de quelques secondes elle lui dit :

- ... Il t'a changé.

- Tu veux dire mon apparence ? Je sais, je n'aurais pas dû l'écouter, j'aurai dû rester moi même...

Saki remua la tête en signe de négation.

- Non, ton aura est différente et tu as l'air plus sûre de toi depuis quelques temps ?

- Depuis quelques temps ? répéta bêtement Naomi.

Saki détourna son regard, prenant un air faussement détaché.

- J'allais pas te laisser sans surveillance quand même... et Azuka ne te voyait pas très souvent non plus. Il fallait bien que je m'informe...

Naomi soupira de soulagement.

- D'un côté ça me rassures, je m'en voulais tellement que je me disais que toi aussi tu m'en voulais encore

- Je t'ai pardonnée à l'instant où tu as passé la porte de la bibliothèque. Ecoute, même si pour l'instant tu es malheureuse... J'ai l'impression qu'il a réparé quelque chose en toi...

Naomi se figea. Cette remarque provoqua en elle, une poussée d'adrénaline. Et malgré tous ses efforts pour les retenir, elle sentit les larmes lui monter aux yeux.

- Je...

- Allez, dis moi tout. Tu en a gros sur le coeur, ça se voit.

Et sans réfléchir un instant, Naomi lui raconta tout. Ces mois passés avec Akito, ses progrès, sa mésaventure le soir d'Halloween, son téléphone fichu. Et surtout, surtout ce fameux voyage à Tokyo, ces horribles souvenirs refaisant surface et ce qu'il s'était passé il y a cinq ans lors de sa disparition. Son retour de tokyo et la semaine qui avait suivit pour terminer sur l'appel qui avait provoqué cette soirée du nouvel an et le message d'Akito venait de lui envoyer. En repensant à cette femme Naomi eu l'impression qu'une main crochue lui arrachait le coeur.

En l'écoutant; le visage de Saki était passé par toutes les expressions possible. Passant de la tendresse à la fierté, de la consternation à la colère, du choc à l'horreur, du dégoût à la désolation. Cependant elle ne coupa pas son amie qui continuait de parler à toute vitesse. Jamais Naomi n'avait aligné autant de mots à la suite.

À bout de souffle la blonde conclut enfin :

- Et là tu es arrivée. Je suis si heureuse de te revoir. Je suis tellement désolée de ne pas t'avoir appelé avant qu'il ne soit trop tard...

Saki ne savait pas quoi dire, par où commencer, mais tout était limpide maintenant. Elle se contenta de coller son téléphone à celui de son amie et lorsque que les deux téléphones émirent un bip, elle murmura :

- Je suis là maintenant. Tu n'as plus rien à craindre.

Naomi fondit en larme et la serra contre elle aussi fort qu'elle le pouvait. Elle n'en revenait pas. Dire à Saki absolument tout ce qui la rongeait depuis des jours, non des années, l'avait comme libérée. Et la réaction de son amie, cette réaction que Naomi redoutait tant, lui avait enlevé un poid énorme de sur les épaules et la boule dans son estomac semblait s'être envolée.

Tout à coup la blonde sentit son ventre grogner.

- Tu ... tu as déjà mangé ? demanda-t-elle.

- Non pas encore, répondit Saki en se levant. J'ai vu que tu n'avais rien de prêt. Ça ne te dérange pas si on se prépare quelque chose ?

- Bien sur qu'est-ce qui te ferait plaisir ?

Naomi était si soulagée d'avoir pu de retrouver Saki et lui raconter ce qu'elle avait vécu qu'elle se sentit envahi d'une toute nouvelle énergie. Elle bondit de son coussin pour aller vérifier ce qu'elle avait en réserve. Tout en fouillant ses placards, elle repensa à ce pauvre Azuka qui l'avait si vaillamment défendue et qui à l'heure actuelle devait encore s'évertuer à protéger son image en arrachant ces fichues affiches...

- On devrait lui proposer à Azuka de venir manger avec nous pour le remercier.

- Bonne idée. Je lui envoie un message.

- Si tu veux je peux faire des Yakisoba pour ce soir et pour demain des Yakitori et des Onigiris aux prunes salées pour le dessert.

- Tu connais vraiment mes goûts, répondit Saki avec un sourire chaleureux, je vais t'aider.

Saki fit cuire le riz et découpa les légumes tandis que Naomi découpait le poulet et les champignons. Malgré la cuisine étroite, elle ne se génèrent pas. Elles n'avaient besoin que d'un regard pour savoir quoi faire à quel moment pour ne pas déranger l'autre dans ce qu'elle faisait, ce qui leurs permettait de discuter autant qu'elles le voulaient. Pour distraire Naomi, Saki lui racontait à son tour ce qu'elle avait vécu pendant les derniers mois :

Elle avait réussi à faire exposer plusieurs de ces tableaux. En général ils représentaient de sombres paysages, des Yokaï, des personnifications de troubles mentaux, ou encore des dénonciations de l'abérant fonctionnement de la société. Saki était douée, très douée. Elle avait vraiment le don mettre en lumière de la noirceur de l'âme humaine.

Par moment, le regard de Naomi s'éteignait, se retrouvant face à son propre dysfonctionnement, à cette incontrolable abération qu'étaient devenu ses sentiments, à ses propres démons, à ce sombre paysage que dessinait son avenir.
Cependant, retrouver Saki lui avait redonné un peu d'espoir. Elle repensait à cette célèbre citation.

" Rien n'est jamais définitif, à part la mort "

Et tant qu'elle respirerait, elle ne comptait pas abandonner. Elle le récupérerait.

Tout était bientôt prêt. Il ne manquait plus qu'à façonner les boulettes de riz. Saki n'arrivait jamais à faire des triangles aussi réguliers que ceux de Naomi alors elle proposa de mettre la table pendant qu'elle les confectionnait. Elles exécutèrent leurs tâches sans ajouter un mot, chacune étant perdue dans ses pensées.

La sonnette retentit, les arrachant à leurs réflexions. Azuka était arrivé, il avait l'air éreinté et frigorifié.

- Salut les filles, merci de m'avoir invité !

Lança-t-il depuis le salon en se débarrassant de son manteau.

- Je t'en prie installe-toi, j'arrive tout de suite.

Saki l'accueillit et l'installa bien au chaud sous le kotatsu tandis que Naomi, les mains encore pleines de riz, terminait les onigiris. Une fois terminé, elle se lava les mains et depuis la cuisine, les observa quelques instants, ils discutaient avec un naturel déconcertant. Se sentant sombrer à nouveau dans ses sombres pensées, elle prit une grande inspiration, avant d'accrocher, par politesse, un sourire à ses lèvres.

- C'est prêt ! lança-t-elle de son ton le plus enjoué, en apportant la plat fumant yakisoba sur la table basse.

- Ca à l'air délicieux ! se réjouit Azuka en se frottant les mains.

Dès qu'elle eu les mains libres, elle s'inclina à l'équerre devant lui.

- Merci beaucoup pour ce matin...

- Oh c'est rien tu sais, tu m'as fait flipper à disparaître comme ça. répondit Azuka la bouche à moitié pleine de yakisobas.

- J'espère que tu ne t'es pas disputé avec Kuro par ma faute...

- Cet imbécile ? Il peut aller se faire voir.

- D'ailleurs si je le croise celui là, il va passer un sale quart d'heure, ajouta Saki.

- Ne sois pas trop dur avec lui... Il avait beaucoup bu lui

aussi.

- Ça n'excuse rien Naomi, il faut que tu arrête de chercher des justifications pour ce genre de comportement.

Ils avaient raison... Elle avait toujours cherché des explications, elle minimisait les actions de ceux qui lui faisait du tort, essayant de comprendre ce qui n'allait pas chez elle plutôt que ce qui n'allait pas chez les autres. Si il lui arrivait tout ça, c'était forcément de sa faute, c'était elle qui le provoquait. Jamais il ne lui était venu à l'idée que le problème pouvait venir des autres...
Azuka la sortie de sa réflexion.

- Au fait Naomi... Si c'est pas trop indiscret... C'est qui Akito ?

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