Anhydrobiose Part.3
Pendant les quelques jours qui avaient précédés le nouvel an. Akito avait beaucoup pensé à Naomi. Au début il ne réalisait pas tout à fait ce qu'il avait fait. Son esprit était empêtré dans une écoeurante mélasse d'émotions plus toxiques les unes que les autres. Mais, au fil des jours, à mesure que le malaise qu'il éprouvait grandissait, c'est la tristesse et le manque qui finirent par prendre le dessus. Bien qu'il n'arrivait toujours pas à ôter cette horrible image de sa tête, et chaque fois qu'il y pensait, une terreur indescriptible rejaillissait en lui. Le dissuadant de se précipiter jusqu'à chez elle pour la retrouver.
Cependant, le soir même du nouvel an, juste après qu'elle eut essayé de l'appeler. Il s'aperçut qu'il ne parviendrait pas à l'oublier. Il prit congé et alla s'enfermer dans sa chambre de la maison familiale, pour s'isoler. Il s'allongea sur son lit, les bras croisés derrière la tête, les yeux fixés sur le plafond. Cet appel avait ébranlé ses convictions et la promesse qu'il s'était fait à lui même en la voyant sombrer dans la folie en haut du mont Fuji. Il revoyait cette horrible lueur de démence dans les yeux bleus de la jeune femme. Il avait l'impression d'entendre à nouveau son rire, un rire nerveux, fiévreux, délirant. Il devait sortir de sa vie pour son bien à elle. Pour la protéger du poison que leur relation représentait.
Il attrapa le vieux carnet rouge qu'il gardait sous son oreiller et le tenant au dessus de sa tête, commença à en feuilleter le contenu. Une multitude de portraits fait au crayon, représentant le visage adolescent de Naomi côtoyaient des dizaines de notes raturées ou écrites à la hâte sur d'éventuelles pistes à suivre pour la retrouver. D'autres dessins dépeignant ses courbes nues ou seulement ses yeux clairs. Une vieille photo abimée glissa du carnet pour atterrir sur son torse. C'était une photo de sa petite blonde dans son ancienne cuisine il y a de cela cinq ans. Il avait été tellement surpris de voir qu'elle s'était elle même prise en photo pendant son absence et s'était félicité d'avoir réussit à la dissimuler à sa mère avant leur au revoir forcé.
Il caressa d'un doigt le sourire triste de la jeune fille. Un sourire forcé mais qui n'était destiné qu'à lui. Il n'aurait jamais dû essayer de la retrouver, pas une seule fois en cinq il n'avait pensé que c'était une mauvaise idée. Elle lorsqu'il avait enfin réussis, il s'était persuadé que l'Akai no ito les destinait l'un à l'autre. Dans un ultime effort, il avait réussi à s'arracher à cette attraction et tentait de se persuader qu'il était bel et bien résigné. Néanmoins cet appel... Ce foutu appel qui avait tout fichu en l'air, avait déclenché en lui l'envie de la revoir, mais avait aussi provoqué une foule de question. Il se demandait qu'elle avait été sa réaction en entendant une femme répondre à sa place, ce qu'elle avait pu ressentir.
De la jalousie ? De la tristesse ?
Oui, elle devait être triste... Lui qui lui avait promis de ne pas la faire souffrir. Sa promesse était rompue. Mais comment aurait-il pu prévoir ce qui allait se passer ? Il l'imaginait, fragile, abattue, pleurant sur son canapé, le visage entièrement caché par ses longs cheveux blonds dorés. Puis d'une pensée à l'autre, il se perdit à revivre les bons moments qu'ils avaient passés ensemble. Les heures passées à regarder des séries dans les bras l'un de l'autre. Toutes ses ballades dans des parcs reculés, loin de l'université, assis au bord de l'eau. Et toutes ses nuits passées à la tenir dans ses bras, tout contre lui. Il n'avait jamais été aussi heureux qu'après l'avoir enfin retrouvée.
Un souvenir en particulier lui revint :
La fois où ils avaient pique-niqué dans l'intimité de la clairière derrière la petite maisonnée reculée d'Akito, à l'ombre d'un grand cerisier. Elle était magnifique ce jour là, son sourire était si sincère, si candide. Dans son souvenir elle avait les cheveux détachés qui voletaient dans le vent. Son sourire était également magnifique. Après le repas, ils avaient passé l'après-midi allongés sur la nappe. Il se revit poser sa tête sur le ventre de Naomi, pour regarder le ciel bleu et les nuages, parlant de tout et de rien en se tenant la main.
Il regrettait de plus en plus sa décision et ne voulait plus qu'une seule chose, la revoir. Revivre d'autres moments comme celui-ci avec elle. Il était prêt à tout oublier. À repartir à zéro. Il aurait voulu prendre son manteau, courir la rejoindre pour la supplier de lui pardonner sa réaction et de reprendre là où ils en étaient restés. Mais pour l'instant c'était impossible.
Peu après le passage à la nouvelle année, l'idée de la retrouver ne le quittant plus, il ne pouvait plus supporter d'attendre pour aller lui parler. Il prétexta un appel et en profita pour enfourcher sa moto et filer jusque chez elle pour aller la voir. Cependant il n'avait pas eu besoin d'aller jusque là pour la trouver, alors qu'il remontait l'allée marchande de la faculté à vive allure, il l'aperçu tenant le bras d'un jeune homme. Il avait eu du mal à la reconnaître, mais c'était bien elle. Il s'arrêta aussi brusquement que son coeur, les pneus de la moto crissant sur la chaussée. Elle était magnifique. Jamais elle ne s'était habillée comme ça, même pour lui. Finalement elle l'avait bien vite remplacé. Il fit demi-tour en trombe. Loin d'être soulagé de la voir se porter aussi bien, il sentit monter en lui une irrépressible animosité. Cette même rage qui l'avait poussé à tuer à deux reprises. La colère le consumait à un tel point qu'il ne se souvenait même pas comment il était parvenu à rentrer.
A la manière d'un zombi, il entra dans pièce principale, tous les regards se tournèrent vers lui.
- Ton absence n'est pas passée inaperçue A-chan, lui glissa Hisa à l'oreille en l'attrapant par le bras pour l'emmener dans la pièce où l'attendait Pedro.
- Bah alors t'étais passé où ? Tu en fais une tête, qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Pedro, inquiet.
- Rien rien, un imprévu c'est tout.
- C'est la fille que j'ai eu au téléphone tout à l'heure ? Elle t'a fait des misères ? Pauvre chéri.
- Hisa, lâche-moi avec ça.
- Tu veux me faire un câlin ? Allez viens dans mes bras... Ne penses plus à elle, je suis là moi.
Il se pencha vers elle, un peu à contre cœur, et elle le serra contre sa poitrine, en lui caressant les cheveux.
- Tu veux qu'on aille chez toi ? Je veux voir ton appart !
Akito fit la moue, sa petite escapade avait déjà dû réveiller la colère de sa mère.
- Allez-y, je vous couvre, le rassura Pedro d'un air compatissant.
- Humm, ouais. De toute façon, j'ai plus le cœur à faire la fête. Merci Pedro...
Akito, se leva et se dirigea en direction de la porte tandis que Hisa se penchait sur Pedro pour lui glisser à l'oreille.
- Je passerai demain te voir en privé si tu veux.
Pedro devint rouge et il bafouilla.
- Euh, m...mais et Akito alors ?
- Il n'en saura rien.
Elle l'embrassa sensuellement sur la joue, en faisant remonter sa main le long de la gorge du barman, puis se releva, tourna les talons et alla rejoindre Akito.
- Qu'est-ce que tu faisais ?
Elle eut un petit rire avant de répondre :
- Je lui disais juste au revoir.
Ils sortirent tout les deux et rentrèrent chez Akito. Une fois sur place, Akito noya son chagrin verre après verre. Au fil de leur conversation, l'attitude provocatrice de celle qui lui tenait compagnie, s'était peu à peu muée en compassion. Alors que l'aube pointait le bout de son nez, Hisa posa sa tête sur l'épaule d'Akito avant de lui murmurer ces quelques mots difficilement articulés :
- Alors ? Tu vas faire quoi ? fit-elle en faisant la moue.
Il ne répondit rien, sortit son portable et commença à écrire un sms. Il avait du mal à se concentrer, mais après maintes relectures et corrections, il pu envoyer ce qu'il avait voulu. Elle eut un sourire satisfait, l'embrassa sur le front et se dirigea vers la chambre d'Akito. Il resta longuement assis sur le canapé avant de se lever et de la rejoindre. Il avait prit sa décision, il allait enfin céder au bon vouloir de sa mère. Rien ne le retenait plus de suivre cette voie qu'elle lui traçait depuis son plus jeune âge. Mieux encore s'engager dans cette voie lui permettrait peut être de chasser la petite blonde de son esprit.
Akito ouvrit les yeux, il se trouvait dans un avion en face de sa mère qui le dévisageait d'un air exaspéré, une coupe de champagne à la main. Elle se leva lentement s'approcha de lui et d'un revers de sa main osseuse lui asséna une gifle retentissante.
- Tu n'as pas pu t'empêcher de recommencer Baka !
Akito la regardait en ce tenant la joue, face à elle, il était impuissant comme lorsqu'il était enfant.
- Elle était en danger... commença-t-il.
- Cette fois c'est très grave, c'est un gamin que tu as tué. En pleine rue en plus. Mes hommes n'ont pas eu le temps de nettoyer, la police était déjà sur place.
Une expression de terreur passa sur le visage d'Akito.
- Et la fille... Est-ce que vous l'avez... ?
- Non, je ne suis pas idiote, je te connais assez pour savoir que tu aurais été ingérable après ça. Ta petite protégée à été "déposée" à l'hôpital le plus proche.
La mère fronça les sourcils devant l'expression de soulagement de son fils. Elle reprit d'un ton las :
- Tu vas devoir faire profil bas pendant quelques temps. Je t'envois à Nagoya, tu y sera mon représentant en attendant que les choses se tassent ici. Et cette fois tâche de te tenir tranquille. Je t'ai laissé t'amuser bien trop longtemps.
L'après midi du premier janvier était déjà bien avancé. Akito se réveilla l'esprit embrumé par les spiritueux de la veille et de la nuit, le coeur encore emplit du ressentiment que ce souvenir lui inspirait. Il se leva encore un peu chancelant en se frottant le derrière de la tête, une terrible migraine lui transperçait le crâne. Il jeta un regard à la femme au cheveux de feu qui dormait encore paisiblement dans son lit avant de soupirer et d'aller s'habiller. L'air vicié de cet appartement; cet air imprégné d'alcool et de regret lui donnait l'impression d'étouffer. Il avait besoin de respirer, et vite.
Il attrapa son manteau et une écharpe et se glissa dehors. La fraîcheur de l'aube le fit frissonner. Il laissa ses jambes le porter jusqu'à passer devant un panneau d'affichage couvert d'affiches. N'y prêtant aucune attention il croisa d'autre affiches collées à la hâte, il y en avait partout, sur les poteaux électriques, sur les murs des bâtiments. La curiosité finit par avoir raison de son indifférence, il s'arrêta devant un poteau ou trois de ces affiches y étaient placardées à moitié les unes sur les autres. Le sang du professeur ne fit qu'un tour lorsqu'il reconnut la tenue et la chevelure de Naomi brillant dans la pénombre rosâtre du matin. Sur une des photos elle embrassait langoureusement quelqu'un de dos et sur une autre elle se blotissait contre...
Azuka ? Ce petit merdeux...
Dans l'esprit d'Akito la personne qui l'enlaçait n'était autre que celle qui souillait les lèvres de la blonde de son immonde salive. Une fureur incommensurable s'empara de lui. Il arracha rageusement toutes les affiches qu'il croisait sur son chemin. Ces images lui retournaient, fendaient, déchiraient le coeur. Il y en avait partout, désespéré de ne pouvoir échapper à ce spectacle qui s'étalait à perte de vue. Il ne pouvait plus le supporter...
Le vent fouettait ses vêtements. Le froid lui cinglait le visage, lui arrachant des larmes malgré lui. Il reprit ses esprits, il était sur sa moto, roulant à vive allure sur la route sinueuse de la sombre forêt menant à la sortie de l'enceinte de l'université. Il voulu baisser sa visière pour se protéger les yeux, mais il n'avait pas prit la peine de mettre son casque. Ses pensées martelaient son cerveau, bourdonnant aussi bruyamment que le vrombissement de son moteur. Comment avait-elle put lui faire ça ? Comment avait-elle pu changer à ce point ? Elle dont la pureté, l'innocence, la fragilité s'était effacé au fils des mois qu'elle avait passé à ses côtés. Il donnerait tout ce qu'il possédait pour qu'elle retrouve sa candeur du début. Lui qui s'était tant appliqué à la changer, à la façonner, à la rendre plus forte, moins dépendante.
Il se rendait finalement compte que ce qu'il voulait depuis le début était une âme blessée, sur qui veillée. Une âme qui aurait besoin de lui pour aller mieux sans jamais vraiment trouver son salut. Il n'aurait pas dû la changer. Elle aurait dû rester la jeune fille androgyne au cheveux coiffés à la garçonne et qui s'habillait comme un homme La jeune fille qui ne dévoilait sa féminité que pour lui, qui ne se sentait vraiment elle-même qu'avec lui. Lui seul.
Le rire démentiel de la jeune fille retentissait une nouvelle fois dans sa tête. Son visage; d'ordinaire si doux et empreint d'une tristesse mélancolique; flottait devant lui. Ce visage défiguré par l'écoeurante expression de ce désir morbide, qui l'avait poussée à forcer Akito à la prendre à côté de l'homme gisant dans la neige. Les images des affiches où les lèvres de celle qu'il aimait étaient collées à celles d'un autre, lui revenait en tête, tel des poignards, faisant saigner son coeur déjà trop meurtris. C'était de sa faute. Seulement de la sienne.
L'idée d'être le seul responsable de cette situation, de son propre désespoir lui était insoutenable.
Alors que son cœur saignait, lui revint en tête, l'allégorie du fil rouge et les paroles de Pedro. Ces satanés fils... Le destin est d'une cruauté infinie avec les idiots qui s'en remettent à lui.
Il accéléra. Tentant de mettre toujours plus de distance entre lui et ses souffrances. Soudain, à la sortie d'un virage, des fards l'aveuglèrent.
On entendit des pneus crisser sur le bitume, puis le silence.
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