Épilogue

Darius appréhendait d'aller chez les Reise et ce sentiment le prenait en grippe, lui nouait l'estomac. Cependant il se devait d'être là dans sa tenue de fête pour le réveillon parce qu'il était invité et ses parents aussi. Le jeune homme soupira ; rien à dire la vie est une blague.

« Qu'est-ce que tu as ? Toi et Maxime n'êtes pas devenus amis ?

- Mais non Maman...

- Hum, c'est parce que tu voulais faire la fête avec tes copains là, les cas sociaux. »

Darius roula des yeux puis sorti de la voiture : Khatereh Valère ou la seule personne sur Terre qui pouvait le clasher allégrement. Son père s'éclaircit la voix avant de sonner.

« Houla, où tu vas Darius ?, rétorqua sévèrement sa mère en le retenant par l'épaule

- Heu, juste voir ailleurs si j'y suis ?

- Chh, ils vont ouvrir. », ricana son père.

Il s'agissait de la maîtresse de maison, Paula Reise, qui était radieuse comme jamais. Elle les pria chaleureusement de rentrer dans leur maison manifeste d'un certain niveau de vie. Darius ne pouvait s'empêcher d'être assez mal à l'aise ; il ne s'était toujours pas excusé auprès de ceux qu'ils avaient blessés et c'est donc très maladroitement qu'avant d'entrer dans le salon il prit discrètement la parole :

« Madame Reise je... je tenais à vous présenter mes sincères excuses. »

Son ton était différent de celui qu'il avait pris avec Maxime car le confronter avait été beaucoup plus facile, tandis que la figure fragile de Mme Reise...

Il se disait que la prochaine fois il serait plus humain, qu'il pèserait ses mots avec attention ; simplement qu'il se comporterait en véritable adulte dont les décisions influenceraient fatalement les autres. Dans l'immédiat, il accepterait d'assumer ses actes même si son amour-propre s'en trouverait tachée.

Madame Reise écouta le garçon avec tendresse. Il est si jeune, il a l'âge de son fils, il lui ressemble mais reste différent. Dire qu'elle n'en avait pas voulu à la vie de lui infliger ça serait mentir, accabler ce garçon pour cette histoire serait inutile. Elle prit la main de Darius et lui affirma :

«  Ne t'en veux plus maintenant, c'est fini : il est revenu à la maison. Profitons ensemble de la soirée. »

Les invités étaient nombreux, les Reise et les Valère ne cessaient de discuter ensemble de tout et de rien. Darius se sentait complètement étranger à tout ça, trouvant juste la nourriture délicieuse mais personne de son âge (de libre) avec qui discuter. Il était pratiquement la seule personne « épicée » ici, heureusement qu'il s'était mit sur son trente et un dans son élégant costard. Perdu dans ses pesées, Darius fut surpris lorsqu'une voix familière l'interpella :

« Bonsoir jeune homme. Le vin est à votre goût ? »

Darius, qui avait dans la bouche pleine d'amuse-gueules, ne put réagir tout de suite face à son interlocuteur.

« Maxime ? »

Maxime affichait un grand sourire, Darius ne put s'empêcher de lui rendre.

« T'as à nouveau les cheveux noir ?

- Ça me va mieux en fin de compte, tu t'emmerdes pas trop ici ?

- On fait aller. »

Les deux garçons étaient appuyés contre la table du buffet, regardant les autres invités faire leur vie. Ils ne dirent pas un mots alors qu'il y avait tellement de sujets qu'ils voulaient aborder. Comment faire, ce n'était pas évident, comment poser ces questions ? Darius se souvint alors qu'il n'était pas un lâche ; il allait intervenir quand Maxime lui proposa de s'éclipser.

«Ha ! Ha ! Ha ! T'es un voyou c'est ça ? C'est pas très convenable.

- Allez ! Depuis quand tu fais dans le convenable. »

Séduit par l'invitation, Darius haussa un sourcil inquisiteur et finit par se retrouver dehors avec Maxime qui avait pris soin de prendre une bouteille avec lui. Ils éraient sans but précis dans la ville vide, le noctambulisme devenu pour eux une pratique régulière.


« Je caille ma race, lâcha Darius. Au moins chez tes parents y a le chauffage.

- Ouais, t'as un briquet ? J'ai pris des pétards.

- Sérieux ? Tiens, prends. »

Ils se trouvaient dans un terrain vague, de là on pouvait entendre les boum boum de la musique. Certains faisaient la fête et beaucoup ; tableau classique du nouvel an : des parents perdraient leurs enfants, des jeunes gens autre chose. Maxime alluma les pétards pour qu'ils en fasse un carnage : des vrais gamins de cinq ans...

« C'est trop fun comme truc, même à trente ans je m'en lasserais pas !, exulta Darius

- Vu ton train de vie je suis pas sûr que tu vives jusque là. »

Darius, faussement vexé, lui fit un coup de coude. Après leur feu d'artifice fait maison ils allèrent s'asseoir sur la butte du terrain qui donnait vue sur l'ensemble du quartier. Le brun aux yeux bistre avait la bouteille dans les mains qu'il tendit ensuite vers Maxime.

« Sans façon, je bois avec modération.

- Tant pis pour toi. Il y en aura plus. »

Maxime secoua la tête de désapprobation. Il se coucha sur l'herbe fraîche pour contempler le ciel d'encre, Darius surfait sur son portable tout en chantant. Maxime ferma les yeux, il aurait pu longtemps se laisser porter par les paroles de cette mélodie bien qu'il n'en comprenait pas le sens. Le chanteur d'un soir était quant à lui dans sa matrice, se laissant même aller à quelques excentricités en montant dans des aiguës comiques.

«  C'est quelle langue ?, demanda alors Maxime

- Du perse mon gars. Hey, tu veux voir une photo de moi et ma copine ? »

Maxime éclata de rire lorsqu'il reconnut la personne sur la photo, c'est pas possible.

« On est revenu ensemble ; elle m'a supplié et j'ai dit oui

- Parce que t'es gentil

- Tout à fait ! Dans vingt minutes on sera la nouvelle année. T'as réfléchi à des résolutions ? »

Maxime réfléchit un instant avant d'énumérer :

« Avoir mon bac général, m'acheter une bagnole, faire un voyage... Être un meilleur fils, manger des épinards et des endives aussi.

- T'as un grain, les gens normaux disent qu'ils feront des régimes, claqueront moins de frics...

- Les gens sont des menteurs. »

Darius haussa les épaules parce que tout le monde ment et des fois, ça fait du bien de mentir aux autres et à soi.

« Tu te souviens de Nico le mec qui m'avait hébergé ? Il est devenu papa. »

Maxime lui montra une photo de lui avec un bébé dans les bras, c'était un tableau assez étrange de voir ce grand dadais avec une si petite chose dans les bras. Darius en profita pour en regarder d'autres.

« C'est ma filleul, la petite Emma.

- Et c'est qui cette femme ? Tu lui ressembles grave. »

Maxime observa pensivement la photo qu'il avait prise de lui et de sa mère le jour où ils s'étaient vus pour la première et dernière fois.

« Fin après, tu ressembles à tout le monde

- Merci, répondit Maxime. Venant de toi c'est presque un compliment.

- Ouais... »

Darius s'allongea à son tour sur l'herbe, il s'étira bruyamment puis gesticulait sans cesse pour trouver la position la plus confortable.

« Aouch, c'était mon tibia, maugréa Maxime

- Le ciel est tellement vaste et les étoiles tellement loin. On a l'air insignifiant vu d'ici...

- T'as l'alcool mauvais ?

- Non, je me sens juste l'âme d'un philosophe. La philosophie Darius, ça sonne bien. Mon prénom sonne bien : Darius, bonus, phallus, malus.

- T'as oublié anus aussi c'est important.

- Après tu te demandes pourquoi les gens pensent que t'es pédé mais c'est tout de même bien joué.

- Des fois je me demande ce qu'on va faire demain, ce qu'on va devenir. »

Les deux jeunes étaient côtes à côtes à refaire le monde à leur manière, à se poser des questions qu'on se pose à leur âge, à partager leurs inquiétudes comme leurs peurs, à se confier comme on le ferait à un ami. Ils se demandèrent ensuite comment ils envisageraient la vie plus tard : seul ? En couple ? Mariage ? Enfants ?

« Moi je veux pas de gosse, c'est la mort.

- Même avec Maryam ? »

Darius esquissa un sourire :

« Faudrait d'abord que je reste avec elle d'ici là et c'est pas gagné. Il suffirait qu'elle te revoit lundi prochain pour qu'elle me lâche à nouveau... J'ai toujours aimé qu'elle tu sais. »

Maxime se tourna vers lui, constatant que toute plaisanterie s'était envolée dans les yeux sombres de Darius.

«  Je ne me fais malheureusement pas d'illusion. Je pourrais m'arracher le cœur pour lui donner qu'elle le piétinerai en disant : je t'aime pas tralala, je préfère les grand blond torturés que les mecs de ton genre : t'es trop un canard, imita Darius en prenant une voix de crécelle

- Pas mal ! Mais tu vas rester avec elle parce que tu l'aimes, tu pourras pas t'en empêcher ou tenter d'entretenir une quelconque forme de relation. Tout comme moi...

- Hoho, Maxime Reise est lui aussi une victime de l'amour. Allez, on veut des noms ! »

Le décompte était lancé, bientôt ils changeraient d'année. Darius faisait une petite danse des bras, claquant des doigts pour s'ambiancer. Maxime riait à gorge déployée, emporté par le ridicule de la situation.

« Non...

- Allez, après la chicha qu'on a partagée ! Je te le jure sur la tête de moi que je le dirai à personne !

- Ça va, je te le dirai un jour quand je serai prêt et cette personne aussi... »

Darius n'insista pas d'avantage puis se releva, Maxime fit de même.

« Ma mère va me niquer, j'ai défoncé un costume à deux cents balles. »

Maxime sourit à ce qui sonnait comme une réplique finale.


Ils se souhaitèrent ensuite la bonne année et décidèrent de rejoindre la maison des Reise. Ces deux jeunes hommes reconnaissaient dans l'un comme dans l'autre un ami. Darius était impétueux, fougueux et ardent ; Maxime était inconstant, discret voire froid. Ils étaient différents à la fois semblables, la réfraction d'un même prisme qu'on appelle l'humain. Ils n'avaient pas de points communs, partageant juste une complicité qu'on ne pouvait trouver que chez ceux qui nous comprennent.


Darius et Maxime choisiront sûrement des chemins opposés mais ils n'oublieront pas comment la vie fait rimer haine et amour ; indifférence et passion ; désir et mépris. Ils auront laissé en l'autre une marque indélébile, une marque devenue le doux souvenir de ces précieux moments.


- EIFERSUCHT-







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