Inhumain en fait
Duma
-- Excusez-moi mademoiselle, m'interpelle une trentenaire à la crinière vénitienne coiffée en un chignon négligé.
À peine je m'arrête à a hauteur que cette dernière retire ses lunettes de soleil adaptée à la météo du jour, les retient dans sa main gauche, puis d'un geste aussi abrupt que brusque, me flanque une gifle colossale sur la joue. La douleur qui se répand de ma peau à ma chair est si vive qu'elle me desserre aussitôt les mâchoires. Impossible pour moi de jouer les dures. Je n'en ai non seulement pas eu le temps, mais maintenant que l'acte a été posé, je n'en ai pas envie. Je ne coule peut-être pas de larmes, mais bon sang, c'est tout comme avec ces gémissements qui allongent ma bouche et me froisse le faciès. La main apposée sur ma joue dans l'espoir de l'apaisée, je devine mon regard étrécit tout rouge et luisant sous des larmichettes que je me refuse de laisser tomber. Non pas que je me soucie du peu de passants dont elle a réussi à attirer l'attention, le regard des gens, il y a bien longtemps que je m'en suis libéré. Ne pas donner satisfaction à cette furie dont je ne connais ni le nom, ni les motivations, voilà la seule raison pour laquelle je ne lâche rien.
-- Non mais vous êtes malade ? Qu'est-ce qui vous prend de venir m'attaquer de cette façon ? Et devant mon lieu de travail en plus.
L'air dédaigneux qu'affiche la Barbie me donne envie de le lui défaire son chignon et de la trainer contre le goudron, son palazzo bleu-gris de marque avec, histoire de lui faire passer cette envie de recommencer, qu'il me semble lire à travers son poing droit qu'elle presse si durement que sa mâchoire vissée se voit entraînée dans de légers tressautements rythmés. Elle peut remercier le ciel, je ne suis pas bagarreuse et de plus, je tiens à garder mon job.
Puis comme on passerait de l'hiver à l'été, sans transition aucune, un sourire taquin étire le coin gauche de sa bouche. Ma souffrance étiole sa haine, si j'en crois mes yeux. J'étais donc dans le vrai, elle danserait si j'avais libéré la flotte.
Court toujours salope.
-- Tu mérites ça et plus encore, salope ! Tu apprendras peut-être à rester loin des maris des autres, me crache presque cette dernière au visage, tout en me toisant avec une rancœur assumée. Garde bien mon visage en mémoire, connasse. Parce que la prochaine fois que tu me verras, ce sera certainement l'heure de ta mort, si tu t'approches encore de mon Richard.
Oh ! Le connard était donc marié...
-- Je crois qu'il y a un malentend...
Trop tard : la mal-aimée me balance au visage, la chemise bleu clair que portait son mari la veille. Celle-là même que j'ai gracieusement colorée de mon violet à lèvres. En d'autres termes « garde tes explications pour toi pétasse. Je ne veux rien entendre, et ça c'est la dernière chose que tu auras de mon Richard --connard, va ». Clair, précis et concis. Tellement efficace qu'elle tourne les talons, aussitôt son sac à main Dior refermé.
Eh bah, en voilà une qui sait défendre son territoire. De quoi faire passer des envies de récidives, même à la plus tenace des panthères. Alors qui suis-je moi, simple fêtarde ayant eu le malheur de tomber sur le salaud de la nuit, pour oser aller contre cette injonction --si ce n'est, cette menace ? Putain de Richard... Non, pas la peine de le remettre sur le tapis, je ne comptais pas le revoir de toute façon.
Par contre, note à moi-même : supprimer les fins de soirées dans les hôtels et exiger les domiciles, question d'être à cent pour cent rassurée sur le statut relationnel.
-- C'était qui cette femme ?
Delilah ma collègue a visiblement assisté à ce qui je l'espère restera le seul déboire de ma journée, --et le plus gros de l'année-- et vient enfin me retirer de mes rêves éveillés. Non mais « rêves » ? Ce n'est pas assez descriptif je pense. Mes cauchemars sans couette, ça oui, ça passe mieux.
-- Montons, je te raconte tout en haut. Je crois que je me suis suffisamment donné en spectacle pour aujourd'hui.
Après avoir traversé le hall d'entrée de l'immeuble multifonctionnel dont je m'amuse généralement à regarder le sommet, pour sourire devant l'impression de toucher le ciel que m'offre ma vue restreinte et peu stratégique depuis le sol, nous nous élevons jusqu'au douzième. La joue encore en feu, j'entre dans la boutique où les lumières tamisées et orangées appellent tout de suite à l'apaisement. L'endroit n'est pas seulement luxueux, il est aussi chaleureux. Très à l'image de tous ceux qui y travaillent et de l'atmosphère convivial qui y règne. Six mois que je suis là, mon bilan n'est qu'éloge et fleurs. Enfin, si on omet qu'un connard plein aux as me privera d'une partie de ma pause aujourd'hui, parce qu'il a eu la merveilleuse idée de réserver cette plage horaire-là pour son shopping, et que ma boss y a consenti.
Delilah est celle avec qui je m'entends le mieux sur mon lieu de travail. Je ne saurais dire si cela relève fait qu'elle et moi venions du même quartier, qu'elle soit celle qui m'ait recommandé pour ce job, ou qu'elle soit la sœur de mon premier Crush newyorkais, --qui est aussi mon premier coup de cœur-- mais c'est comme ça. C'est avec elle que je passe mes pauses et c'est toujours vers elle que je me dirige en premier, à la moindre difficulté ici. Pour toutes ces raisons, mon stress ne s'étend pas plus qu'il ne le devrait, jamais elle ne me balancerait.
-- Alors ?
Je tique en refermant mon casier, une fois mon uniforme enfilé.
-- Une hystérique, je te jure.
-- Je crois que ça, j'avais saisie, ricane ma collègue que je me garde de qualifier d'amie, pour la simple raison qu'elle ne m'a jamais semblé vouloir d'une relation de ce genre.
C'est une âme altruiste de nature. Un être distant aussi, quoique sociable. Sept mois, et j'ai toujours du mal à la cerner --comme tout Harlem en fait. Toutefois s'il fallait faire un petit paragraphe sur elle, je dirais que cette mulâtresse avec son regard qui n'a du métal que sa couleur --Dieu merci-- est un de ces êtres humains souriants, balaises même. C'est la bonne copine à qui on pourrait tout balancer et être certain de ne recevoir aucun sermon et des avis sincères. Elle a la conversation facile et adore autant la bringue que le fait d'être au centre des attentions. Mais elle a beau rayonner de mille feux, quelque chose au fond de moi m'interpelle à chacun de ses sourires. Grandiloquents, souvent je les sens vides, comme des cartons après le déballage.
-- Je ne la connais même pas. Enfin si... Enfin non...
-- Dépêchez les filles, nous interrompt Lisa la gérante, une brune menue au regard aussi étincelant qu'un ciel d'été. Ça grouille de monde aujourd'hui. Faites-leur cracher sec.
Un clin d'œil complice accompagne cette recommandation, et signe toute la confiance qu'elle place en nous. Rien de gratuit cela dit, et ce n'est pas la courbe des ventes en constante progression qui viendra me contredire. Je n'ai peut-être pas l'incroyable don qu'a Delilah d'embellir même ce qui ne l'est pas, et ce seulement avec les mots, mais avec ma capacité à m'intéresser réellement aux gens et mon long passif de fille de riches, j'arrive à faire mes preuves dans cette boutique de vêtements de luxe. Très impliquée dans mon travail, je donne tout ce que j'ai pour mériter mon salaire. Parce qu'on ne le dira jamais assez, l'argent, c'est le nerf de la guerre.
-- Compte sur nous, scande la métisse à mes côtés en domptant ses boucles sèches, avant de redescendre d'un décibel. Fichu tignasse.
-- Tu ne t'en occupes pas, c'est tout. Regarde, ils sont déshydratés.
Elle ne laisse pas sortir de sa gorge, le rire qui ébranle son corps. Ne voyant pas ce que j'ai dit de drôle, je noie ma gêne dans le silence.
-- C'est le dernier de mes soucis, tu peux me croire.
Il y a encore de l'amertume dans sa voix, mais comme toujours, elle la recouvre d'un rire cristallin qui réussit encore à tromper tout notre petit monde --moi y compris, certaines fois. Et si je ne savais pas déjà comment ça se terminera si je m'essaie à jouer les inquisitrices empathiques, et qu'on avait pas l'horloge contre nous, le moment aurait été parfait pour tenter une approche.
-- Mais je te crois, rigolé-je au contraire, pour que la journée puisse se poursuivre dans la paix et bonne humeur que je juge mériter amplement. Je peux les entendre chialer d'ici tes cheveux.
-- T'es dingue, pouffe-t-elle en me poussant gentiment l'épaule. Mais ne croit pas que tu vas t'en sortir aussi facilement. Tu me dois une histoire.
-- Comme si je pouvais oublier. Même si je l'oubliais, ma joue me le rappellerait. Punaise, on ne le croirait pas, mais cette planche à pain en a dans le bras.
Au même moment, ma main repasse sur ma joue encore chargée de fourmillements. On en est plus au stade de la chaleur et de la douleur pulsatile, mais une sensation de tumeur m'incite à m'étirer la mâchoire en ouvrant grand la bouche, puis à la masser. Ma voisine et moi ne rions pas bien longtemps de mon petit déboire, qui j'en suis sûre lui décrochera la mâchoire plus tard quand elle aura plus de détails. Le travail nous appelle et nous y volons avec humeur.
Lisa n'a pas menti, la clientèle abonde. Des touristes pour la plupart et comme d'habitude, tous font partir du sommet de la pyramide, les trois pourcents de la population qui ne subissent jamais les variations de l'économie, puisque ce sont eux qui la régissent. De la plus belle à la plus dégradante des manières, chacun y va de ses motivations et de ses croyances. Parce qu'on ne va pas se voiler la face, l'argent en déchaine des passions, et pas toujours les meilleures. Judas Iscariote l'a préféré au seigneur lui-même, je le signale. Ce n'est pas rien. Et pour avoir en quelque sorte été à la place du seigneur dans ma vie passée, c'est surtout abject. Rien que de penser à toutes ces personnes qui chaque jour font passer l'argent avant les gens, me donne la nausée.
Je n'ai bien entendu rien contre mes clients et les scandaleuses sommes qu'ils dépensent ici --surtout pas lorsqu'ils me laissent de succulents pourboires. Ce serait se mordre la queue, que de juger sans connaitre, juste parce qu'on a un jour été la victime d'individus qui partagent le même dénominateur : la richesse matérielle. Ce serait être soi-même borné et stupide, car qu'on le veuille ou non, l'argent on s'en sert tous. Alors non, je ne regarde pas les clients de travers. Je ne critique non plus leurs caprices de privilégiés, parce que soyons clair : d'autres n'ont pas besoin d'être pleins aux as pour se la péter plus haut que leurs culs. Donc non, je ne fais pas ça. Je reste professionnelle en toute circonstances et me prends même d'affection pour certains. C'est d'ailleurs le cas avec madame Wakefield qui n'oublie jamais de me baiser la joue avant de s'en aller, tel qu'elle le fait maintenant, aidée de son garde du corps Armant.
Il arrive aussi que j'aie le béguin pour d'autres. C'était le cas hier avec ce canon mozambicain, dont le sourire clinquant, tranchant vivement avec sa peau ébène, m'a valu une respiration difficile pendant un quart d'heure. Aujourd'hui c'est devant un beau brun ténébreux dont le regard mordoré me renvoi direct, au paysage sablonneux et désertique du Kalahari. Le Botswana me manquera toujours, c'est certain, mais ce dont j'ai envie là tout de suite, c'est de me perdre dans l'immensité rougeoyante logée entre les yeux de cet inconnu qu'il me tarde de prendre en charge.
Car si j'en crois les indications susurrées à mon oreille par Jimmy le chef de la sécurité, Bey Douglas Kurk, c'est bien cet homme dont la peau hâlée est toute recouverte d'un bleu gris flamboyant de richesse et de luxe. Celui qui, par sa réservation assez peu commune de la veille, va me voler une partie de mon heure de pause. Un délit qui lui a valu d'être maudit, toute ma nuit durant, comme il n'est pas permis. Mais je ne pouvais pas savoir... Il respire la santé et l'aisance. Dans une démarche nonchalante qui trahi la condescendance du personnage, le ténébreux par sa simple présence statufie le monde autour. Et malgré l'aura menaçante qu'il transporte sur de lentes enjambées, il éblouit plus que les néons ancrées dans le plafond dallé, comme des étoiles dans l'étendue de nuages au-dessus de nos têtes lorsqu'il fait nuit.
-- Bienvenu monsieur. Je suis mademoiselle Wade, la vendeuse censée s'occupée de vous.
-- Bonjour mademoiselle, me répond un châtain dont je n'avais jusqu'ici, pas remarqué la présence.
C'est pour dire à quel point il est captivant, l'Apollon debout derrière lui. Ce client dont le regard fascinant m'est tellement irrésistible, que je persiste à le chercher alors que son propriétaire s'obstine à regarder partout ailleurs, mais jamais dans ma direction.
-- Messieurs, pardon. Lequel de vous est monsieur Kurk ?
-- Ne vous en faites pas mademoiselle. Monsieur est l'homme derrière moi.
Je me brise presque le cou à essayer d'attirer l'attention de l'indiqué. Sans succès. Concentré sur sa montre, je le soupçonne d'être en train de m'ignorer délibérément, et même si j'en ai un pinçon au cœur, je ne lui en tiens pas rigueur. De toute façon, c'est la même histoire à chaque fois et je le sais. Ils arrivent, me plaisent, me chamboulent l'esprit pendant quelques minutes et puis s'en vont. Sans plus, et ce n'est pas plus mal, car ils ne me doivent rien qui ne m'appartienne. Alors tomber de temps en temps sur un qui me les gèle tout sec, mes ardeurs de rêveuses de manoir, ça ne fait pas de mal hein... Non ça ne devrait pas, ça devrait même faire un bien fou à cette partie renaissante de moi qui refuse désormais de faire confiance à quiconque et pourtant...
Un sourire commercial aux lèvres, je leur balance mon speech de vendeuse appris par cœur, tout en les conduisant jusqu'à la cabine VIP qui leur a été réservée, là où le fond sonore de musique jazz disparait presque. Et tout comme à leur arrivée, le châtain au regard chocolaté est le seul à tenir la conversation. Nous parlons de météo et de la place qu'a obtenu la boutique dans le dernier classement des établissements de shopping de luxe sur la cinquième avenue. Et jusque-là, rien d'étrange. Je finis même par me dire que cet Apollon dont les prunelles portent en leur sein un désert rouge, est peut-être plus timide que je ne l'étais moi, il y a quelques mois, ou encore, qu'il a un problème et se garde de l'ouvrir pour ne pas m'offusquer par inadvertance dans l'emportement. Aussi poursuis-je gaiement l'échange avec... son accompagnateur.
Ils acceptent des rafraîchissements une fois installés dans la cabine, un excellent champagne produit en France, tandis que mon palet aguiché par des souvenirs qui me semblent si lointains, des saveurs remontant à une époque dont je ne souhaite aucunement le retour, me vaut une salivation abondante, tel que l'avait observé et éprouvé Pavlov. Je ne me laisse pas pour autant distraire. Mon boulot consiste à les pousser acheter, et c'est bien ce sur quoi je compte m'attarder, alors je fais rouler le portant jusqu'à eux. Sans répondre ni au sourire que je lui adresse, ni au regard insistant que porte sur sa personne, Apollon toujours muet, va à la découverte de la sélection faite pour lui, puis retourne auprès de son compagnon avec qui il échangent des messes basses.
-- Monsieur Kurk prend toute la sélection, m'apprend au bout d'un court échange, le châtain dont je ferais mieux de demander le nom, à bien y réfléchir.
Cet échange ne manque d'ailleurs pas de faire sonner une alarme chez moi.
-- Monsieur Kurk ne parle pas anglais ? Si c'est le cas, sans soucis, je peux m'exprimer en sa langue. Je parle français, russe, japonais, arabe, espagnol et...
-- Ne vous en faîtes pas mademoiselle, ça ira.
Vaincue, je me contente de hausser les épaules. Après tout, chacun fait ce qu'il veut. Dommage quand-même de ne pas avoir eu droit à mon petit moment de rêve aujourd'hui. Avec un maigre sourire au coin des lèvres cette fois, légèrement déçue, je m'éloigne des deux hommes pour emballer leurs achats. Et c'est alors que ce faisant, je me crispe sur toute ma longueur.
-- Qu'est-ce qu'elle est collante.
Apollon parle donc... Il parle surtout la même langue que moi, et m'a bel et bien ignoré par bon vouloir.
Une colère aussi sombre que sourde me fait vibrer, de la chevelure à l'orteil. Blessée non seulement dans mon égo de femme, mais révoltée aussi, devant ma dignité d'être humain qui à mes yeux, vient d'être bafouée, je déglutie dans la souffrance pour apaiser la douleur qui comprime mon cœur jusqu'au saignement, et termine ma tâche en silence.
Quoi ? Je n'ai pas suffisamment la forme d'une être humain pour que lui, illustre monsieur Bey Douglas machin-chose m'adresse la parole c'est ça ? Ou c'est simplement qu'à ses yeux, une petite vendeuse de rien du tout, dont le compte bancaire est aussi vide que le sien est plein, n'a même pas à respirer le même air que lui ? Peu importe l'alternative, le résultat est le même : je le vomis, l'exècre et si je pouvais, je l'enterrerais. Comme je l'ai fait avec mes parents et l'image déformée de la vie qu'ils m'ont proposée, sans jamais me laisser le choix d'en disposer à ma guise.
Malheureusement pour moi, je ne peux pas partir. Pas cette fois, j'ai trop besoin de mon job. Les circonstances ne sont non seulement pas les mêmes qu'à Los Angeles, mais dans le cas précis, contrairement à mes parents qui eux ne quitteront peut-être jamais leur Malibu adoré, ce connard de mes deux, aura vite fait de dégager de ma vue que ma vie reprendra son cours. Je ne peux pas me laisser aller. Ce serait bien trop idiot, quand on sait que la seule perdante dans l'histoire, ce sera moi. Et puis merde...
S'il croit qu'il va s'en tirer comme ça, il se fourre vachement le doigt dans l'œil... Et jusqu'au coude !
-- Monsieur Kurk, est-ce que vous avez besoin d'autre chose ? Vous êtes à votre aise ?
Comme je m'y attendais, c'est encore l'autre qui se charge de répondre.
-- C'est bon, tout y est.
-- Monsieur Kurk, ignoré-je à mon tour son larbin, vous en êtes certain ? Vous n'avez besoin de rien ? Pas même d'une autre personal shopper ? Parce que j'ai cru entendre que celle qu'on vous a attribué vous semblait assez collante. Et d'ailleurs pourquoi vous ne lui adressez pas la parole ? Elle empeste, hein ? Elle n'est pas de votre rang ? Vous êtes raciste ? Quoi !
-- Dou ? Que se passe-t-il ? Voyons, ce ne sont pas des manières de parler à un client. Veuillez l'excuser messieurs...
Mon emportement a apparemment alerté plus d'un. Lisa accrochée à mon épaule tente de me ramener à la raison en la secouant, tout en se confondant en excuse devant cet être immonde que j'ai le regret d'avoir ne serait-ce que regardé avec envie. Mais plus elle se rabaisse, plus ma rancœur empire.
-- Dites-moi donc ce que vous me reprochez ? Pourquoi me rabaissez-vous au rang de sous-être ? Parlez !
-- Dou, ça suffit !
Mais plutôt mourir, que de m'exécuter. Qu'il est honte, qu'il soit humilié, qu'il assume sa méchanceté.
-- Je sais que vous le pouvez. Alors répondez, nom de Dieu !
Bien entendu il ne le fait pas. Ou non, il a au moins la gentillesse de mes couilles, de bouger du canapé en velours beige, son cul de bourge qu'il croit valoir le magasin entier, les gens qui s'y trouvent avec. Posté devant moi après s'être déplacé sur un pas de dieu tout puissant et dépourvu de toute trace d'humilité, il me fusille d'un regard aussi glacial que méprisant qui ne m'effraie pas plus qu'il ne m'éborgne. Même que le peu d'irritation et de révolte qu'il parvenait encore à réveiller chez moi il y a peu, a foutu le camp pour ne laisser place qu'à un profond dégoût. La beauté, ça n'excuse pas tout. Et sur le moment, je dirais qu'elle gâche tout, car la déception, elle qui signe la mort de l'espoir, plus que l'impuissance et la perte, c'est le pire dans un échec. Et c'est par cette dernière que toute la naïve attirance éprouvée quelques minutes plutôt pour cet inconnu dont j'aurais mieux de ne jamais croiser la route, s'est muée un écœurement aussi sordide que les restes moisis d'un repas de chien sauvage.
Pourtant même après l'effort qu'il semble avoir fait, le gaillard refuse de s'époumoner pour la servante que je suis. Le cœur au bord des lèvres, alors que j'ai dans les narines une des plus succulentes odeurs qu'il m'a été donnée d'absorber, mon air farouche reste la seule insulte que j'ai trouvée à opposer à la menace figée dans ses iris que je refuse désormais de relier au Botswana. Un être aussi ignominieux ne saurait être comparé à une terre aussi riche et spirituelle. À présent je lui destine l'enfer et ses flammes, le tartare et ses âmes sales.
-- Par tous les saints, soyez un homme, un vrai, et répondez !
-- Dou, ça suffit !
-- Ok.
Et c'est ainsi que ses achats atterrissent sur le carrelage froid de la cabine d'essayage, avec un bruit crépitant, celui du froissement des cartons qui s'écrasent, aussi secs que mes gestes, aussi bien quand je les abandonnais que maintenant, quand je fais volteface pour quitter les lieux, pour mettre fin à cette mascarade qui n'a définitivement pas raison de perdurer dans le temps. Parce que cet abruti, comme tant d'autres, n'en valent pas la peine... juste le silence éternel.
-- Dou... Dou, revient ici. Dou... Dumah !
Trop tard : Dumah ne reviendra pas. Je ne sais que trop bien ce qui m'attend si je consens à répondre à cet appel. Alors mieux le dire toute de suite, moi jamais je ne me plierai devant cet homme. Jamais plus de contraintes pour moi, ni par la force, ni par la manipulation.
Parce que Dumah est libre, et elle compte bien le rester.
La porte claque, je m'efface. Devant lui, de leur paysage à tous, aujourd'hui comme hier, de toute prison, je m'évade.
Voilà un premier chapitre. N'hésitez pas à laisser vos impressions surtout.
À la semaine prochaine pour un nouveau chapitre surtout.
Ciao.
Love guys 😜❤️
Alphy.
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