Chapitre 2 : Programme APPARENCE
Initialisation du programme en cours...
Connexion de Berenice BE – 10.
Berenice BE – 10 implantée avec succès dans le nouveau sujet.
Berenice incompatible.
Programme de recherche BE – 10 apparence lancé.
Détection de dysfonctionnements éventuels à la fouille mémorielle.
fouille mémorielle compatible avec le sujet.
fouille mémorielle autorisée.
BE – 10 apparence connecté avec succès au nouveau sujet : Elisabeth Isidore Kartia Traoré.
Chargement du programme BE – 10 apparence.
Je n'ai pas pu me résoudre à faire autrement, j'ai dormi avec le tee-shirt d'Ezéquiel contre moi. Ma première nuit complète depuis leur disparition s'achève sur mes yeux collés par le sommeil et les larmes. La découverte des carnets m'a bouleversée. Les mois passés et la présence d'Agnès étaient parvenus à me faire oublier les aventures qu'ils nous avaient contées, ou du moins, à ne plus y donner de crédit, mais maintenant, je ne sais plus quoi penser.
Depuis hier, nos découvertes tournent dans ma mémoire. Je n'ai pas participé à la conversation animée de Charles et Clarisse, mes deux autres colocataires. Ils ne sont plus étonnés. Ça fait plusieurs mois que je ne me mêle plus aux débats de table, et que je passe le plus clair de mon temps, enfermée avec Agnès.
Je me redresse dans mon lit, enfile le jogging qui gît sur la chaise, et traine des pieds jusqu'à la salle de bain. Cette chambre me déprime. Tout est blanc et impersonnel, on dirait un hôpital. Les éléments sont pourtant réunis pour que je me sente ici comme dans un palais. La pièce est démesurée, pour Paris, j'ai une petite salle d'eau privative, la fenêtre donne sur la belle avenue René Coty, arborée et fleurie, bordée du charme des petites ruelles pavées. Même si j'avais laissé les décorations de cette chambre, je la trouverais affreuse. J'ai tout enlevé après un mois passé sans leurs nouvelles, sur un coup de tête, pour me rappeler que sans eux la vie n'a pas d'intérêt, ou parce que j'ai tout pété dans un accès de fureur, je ne sais plus.
Quand ils ont commencé à sortir ensemble, j'ai redécouvert Ezéquiel. Avant, je me méfiais de lui parce qu'il me ressemblait trop, et que l'une des grandes leçons que j'ai apprises, c'est de ne jamais trop copiner avec ses semblables. Avec un autre soi, on a moins de barrières, on dit ce qu'on pense avec une justesse qui nous séduirait nous-même. Au début, c'est sympa, mais en réalité, tout ce qu'on risque, c'est de s'enfermer ensemble dans une histoire malsaine, se noircir l'un l'autre, parce qu'on sait où appuyer pour se faire mal, parce qu'on connaît les fantasmes de l'autre, ses désirs profonds, inassouvis et cachés. Je lisais dans les yeux d'Ezéquiel qu'avec lui, les enfers n'étaient pas loin, et je les trouvais trop attirants pour mon bien.
Je me souviens encore du soir où je me suis décidée à l'aborder. C'était il y a six, peut-être sept mois. Je dois lutter pour me convaincre que c'était bien réel, maintenant. Les souvenirs d'avant leur départ me paraissent datés d'une autre vie. Je croyais que m'approcher de lui, même si je ne comptais certainement pas l'épouser, allait chambarder la totalité de mon existence. Je n'avais pas compté Ethan dans mon équation.
Quand Ezéquiel a rencontré Ethan, son regard a changé. Il s'est rempli de quelque chose qui m'a terrifiée : la plénitude. C'est-à-dire qu'il se réjouissait de la probabilité de mourir à chaque seconde. Dans ses yeux brillait la certitude d'avoir rencontré l'amour de sa vie, et même un truc auquel je n'avais plus dû penser depuis mes dix ans : l'âme-sœur. A partir de là, les yeux d'Ezéquiel ont été mon absolu et mon cauchemar. J'y lisais la couleur de mes rêves égarés, ils me donnaient envie de croire à la beauté du monde, à la majesté de l'être humain. Les yeux d'Ezéquiel me racontaient que le bonheur existait. Je me disais que s'ils pouvaient rayonner autant, alors moi aussi, et qu'il me manquait seulement la bonne personne pour allumer l'étincelle.
Parfois, je crois qu'ils ont rayonnés, mes yeux. Je crois qu'ils ont rayonnés quand ils étaient là, quand j'ai voulu corriger toutes ces choses qui n'allaient pas chez moi pour devenir une meilleure personne. J'ai même songé à tourner le dos à mon oncle.
Avant qu'ils ne disparaissent, j'ai eu cette envie folle, insensée, de revêtir les traits de mes rêves d'enfant, de devenir l'idéal que j'imaginais : une avocate forte, juste, toujours prête à tendre la main, à offrir de l'aide à ceux que le bonheur avait oubliés. Adolescente, j'avais compris que le bonheur m'avait oubliée, moi aussi, mais avec eux, j'ai recommencé à croire. J'ai recommencé à me dire que tout était accessible si on le voulait vraiment, et que quelqu'un de bien germait aussi en moi.
Après un bref coup d'œil dans le miroir, je renonce à me préparer et vais à la cuisine me servir un verre d'eau. D'habitude, je ne me montre jamais au monde sans un minimum de préparation, même si le monde n'est peuplé que de mes colocs, mais aujourd'hui, je suis fatiguée, le retour à la chambre m'a vidée. Le jour pointe à travers la baie vitrée du salon. Pour une fois, la table n'est pas décorée d'un bol de céréales abandonné ou de beurre oublié, Clarisse n'est pas affalée sur le canapé, à regarder son épisode quotidien de Bob l'Eponge, une tartine entre les dents, Agnès ne révise pas ses cours à la dernière seconde, après avoir passé le week-end à rêvasser à Fontainebleau.
Dans la cuisine, Charles déjeune, accoudé à la table-bar, un croissant dans la main, son smartphone dans l'autre. Depuis qu'il a intégré son école de commerce, il prend des allures de banquier. Il lève les yeux vers moi, surpris :
— Ce n'est pas souvent que tu montres ta crinière au naturel, constate-t-il.
J'ai rencontré peu de gens qui me donnaient envie de les encastrer en me souhaitant le bonjour.
— Salut, Charles. Je ne m'attendais pas à croiser qui que ce soit.
— Ça te va bien.
— Mmh...
Je sors ma bouteille d'eau du frigo, et avale son contenu à grandes gorgées.
— Je pensais organiser un dîner à nouveau, lundi prochain, commence Charles. Tu sais, comme on faisait avant, quand Ethan et son copain étaient...
— Son copain s'appelle Ezéquiel, et sinon, tu fais comme tu veux. Ici, c'est surtout chez toi. Je termine tard, le lundi.
— D'accord...
— Je retourne me coucher. Bonne journée.
Il baragouine un truc auquel je ne prête pas attention. Ce qui m'inquiétait se profile. Charles et Clarisse souhaitent retrouver leurs habitudes, avec ou sans nos amis. Les jours s'écoulent, et ils ne s'attendent plus à les revoir. Bientôt, ils nous demanderont d'accueillir un nouveau colocataire dans leur chambre. Je ne suis pas prête pour ça. Et si j'avais tort, s'ils revenaient demain, aujourd'hui, et découvraient qu'on les avait remplacés ? Et s'ils étaient bien morts, les effacer si vite de nos existences ne serait-il pas le comble de l'irrespect ? Je claque la porte, arrache mon pyjama, et m'enfonce entre mes draps.
Agnès a qualifié les prétendues expériences d'Ethan et Ezéquiel de « balivernes » dès l'instant où ils nous en ont parlé. Leur maîtrise des langues étrangères et les comportements différents de leur personnalité habituelle n'étaient, pour elle, qu'un jeu d'acteur simulé à la perfection. Agnès aimerait se convaincre que la vérité se borne à notre réalité rationnelle et explicable. Un phénomène incompréhensible n'est à ses yeux que le résidu de notre perception trop étriquée pour percevoir l'étendue de la matière, avec tout ce qu'elle contient de capacités inconnues. Moi, je ne pense pas comme ça. Je suis une femme impressionnable. Je crois que l'humain s'estime bien plus intelligent qu'il ne l'est en réalité, et que son incapacité à accepter l'inexplicable ne le mènera qu'à la perte et la frustration. Néanmoins, force est de constater que les opinions d'Agnès, bien plus rassurantes que les événements relatés par les garçons, se tiennent. Selon elle, ils sont tombés dans une sorte de délire paranoïaque très poussé, amplifié et encouragé par la présence de l'autre. Ainsi, ils accordaient et modifiaient leurs versions afin d'en tirer un récit dont ils étaient les protagonistes. En gros, les rêves, elle s'en balance. Ils ont dit qu'ils se sont vus au XVIIème siècle, elle s'en fiche. Ils ont dit qu'ils ont connu le New York des années cinquante, elle s'en fiche. Ils ont dit qu'ils ont été les princes d'une époque méconnaissable, elle s'en fiche. D'après elle, leurs fantasmes issus de simples rêves ne causaient pas de réactions particulières, mais l'intensification du phénomène au fil des semaines aurait achevé de consumer leur santé mentale. Agnès va presque jusqu'à douter de leur décès. A ses yeux, ils sont simplement partis, enfoncés dans leur folie jusqu'aux enfers d'une réalité parallèle, trop profondément pour être récupérés. Elle s'en mord les doigts. Elle avait hésité à alerter les services psychiatriques quelques jours avant leur disparition, mais face à leur détresse, la confiance qu'ils nous témoignaient, et mes supplications, le courage de passer l'appel l'avait vite abandonnée.
Dans cet imbroglio de réalités affirmées et confondues, je n'ai jamais su quoi penser. Pour moi, rien n'est incompatible. Ethan et Ezéquiel ne m'ont jamais paru fous, et les manifestations qu'ils ont accepté de nous montrer étaient particulièrement troublantes. Quelques jours avant sa disparition, j'ai cru découvrir Ethan, en larmes, la jambe à moitié décomposée à la lumière du soleil, évaporée dans une fumée qui allait on ne sait où. Ça n'a duré qu'une seconde. L'instant d'après, tout était rentré dans l'ordre. Il n'y avait plus qu'Ethan, assis par terre, et moi, en train de nous fixer comme si on avait vu un fantôme. Bien entendu, Agnès n'était pas là, et nos sens auraient pu nous tromper. Après tout, Ethan n'avait pas eu mal. Il m'a même avoué qu'il n'aurait rien remarqué, s'il n'avait pas vu l'état de sa jambe.
Quantité d'événements explicables sont passés pour paranormaux au cours de l'histoire, parce qu'incompréhensibles pour l'époque. Ce discours, Agnès me l'a rabâché plusieurs fois, plus pour se rassurer elle-même que pour me convaincre, moi.
Je me retourne, comme si changer de position allait miraculeusement m'endormir, et c'est là que je réalise le problème. Le bruit de ma respiration n'est plus synchronisé avec le mouvement de mes poumons. Soyons clairs, je respire. L'air rentre et sort, mais le son ne correspond plus. Ou alors si. Peut-être qu'il correspond. Peut-être que ce que j'entends là, c'est une deuxième respiration. Il y a quelqu'un dans mon lit, alors que je suis certaine de m'y être allongée seule.
J'ai très froid à l'extérieur, très chaud dedans. La peur me trifouille les boyaux tandis que je me retourne au ralenti. Il y a quelqu'un sur l'oreiller du côté du mur. Il y a quelqu'un du côté du lit qui est censé être vide, et ce quelqu'un est une femme nue. Elle a de jolis yeux marrons, avec des reflets dorés, qui fixent le plafond. Elle est blanche, très blanche, blanche comme si sa peau et ses cheveux ne contenaient pas de mélanine, blanche comme une albinos.
Et subitement, elle se tourne vers moi.
Je sursaute, m'entortille dans ma couverture et me vautre sur le parquet.
— Merde !
La soirée de la veille défile à toute vitesse derrière mes paupières boursouflées. Je n'ai pas bu, je n'ai pas fumé, je ne suis même pas sortie. Tout est si limpide que je me souviens encore du goût des oignons brûlés par Agnès, éparpillés dans son omelette insipide. Deux possibilités s'imposent. Soit on m'a droguée, soit un arbre à femmes a poussé dans mon lit.
Mon cou se tord quand je me redresse. L'intruse toujours présente est désormais assise. Ses yeux vides glissent sur moi, puis elle me dévisage. Je prends soudain conscience de ma propre nudité et rabats rageusement la couverture sur mon corps. Sa voix douce s'élève face à mon regard furibond.
— Je suis désolée, dit-elle. Le programme apparence n'est pas entièrement chargé.
— Mais t'es qui, putain ?!
— Bonjour Elisabeth. Je vous prie de patienter. Le programme apparence n'est pas entièrement chargé.
C'est la blague la moins drôle qu'on ait pu me faire. Je m'apprête à déblatérer mon discours éprouvé du : « Je suis une étudiante en droit, le code pénal n'a aucun secret pour moi. » que je sors habituellement aux types louches qui traînent aux abords des boîtes de nuit, mais en la scrutant, mon souffle se coupe. Cette fille est le portrait craché des dix croquis trouvés la veille avec Agnès.
— Tu connaissais Ezéquiel ?
— Oui. Le chargement du programme apparence est bientôt terminé.
— Comment tu le connaissais ?
— Monsieur Ezéquiel Pereira m'a installée. Le programme apparence prendra bientôt effet.
— Il t'a installée où ?
Elle oriente sa tête sur le côté, l'air de ne pas comprendre.
— Je ne peux pas répondre à cette question.
— Comment tu t'appelles ?
— Messieurs Ezéquiel Pereira et Ethan Collet m'ont nommée Bérénice. Vous pourrez changer mon nom à la fin de la configuration.
— Tu connaissais aussi Ethan ?
— Oui. Il m'a installée. Le chargement du programme apparence est terminé.
— Mais c'est quoi le programme apparence ?
— Le programme apparence a pour but de rassurer le sujet tout au long de l'exploration, en lui présentant un être familier.
Quelqu'un se moque de moi. J'ai beau chercher la caméra cachée, je ne vois rien d'inhabituel. Si ça se trouve, Clarisse est à l'origine de ce bordel. Elle se gave de vidéos de pranks du matin au soir, ça a dû lui monter à la tête.
— Bon. Je ne sais pas qui tu es, mais il va falloir que tu t'en ailles.
— Je ne peux pas partir.
— Oh que si, tu peux. Et tu serais bien inspirée de te dépêcher si tu ne veux pas finir cul-nu sur le trottoir.
Elle garde le silence un moment, puis articule d'un ton robotique.
— Installation du programme apparence.
Je soupire. Ma patience effleure lentement ses limites.
— Va finir ton installation ailleurs !
— Je ne peux pas sortir.
— Pourquoi ?!
Elle braque soudain son regard effroyable sur moi, et son visage se déforme. L'horreur me glace le sang. Une hallucination, un Bad Trip, forcément un Bad trip. Faut que je me calme. Quelqu'un m'a droguée. Il paraît qu'il suffit d'une piqure. Mon oncle m'a même dit que les victimes ne se rendaient pas compte. Y a plus de doute. C'est pas grave. Ce n'est pas grave.
— Je suis en toi.
Bouche bée, je contemple le spectacle. Sa voix mue, remplacée par un timbre masculin. Ses cheveux raccourcissent et se dressent sur sa tête en mèches ondulées et rebelles. Les longueurs évaporées dévoilent un torse athlétique s'étendant à toute allure, comme victime d'une croissance accélérée. Son faciès revêt désormais les traits d'un homme que je ne connais que trop bien, et dont les courbes fines ne devaient plus se mouvoir que dans mes souvenirs. L'or de ses prunelles s'éclipse, laisse place à un profond bleu d'océan. Ma vue se brouille. Je pleure. Cette apparition est trop réelle. Tout est normal. Sauf lui. Il n'a rien à faire là. Un hurlement inhumain gronde et lutte pour fuir hors de moi.
— Je suis désolé, dit Ezéquiel d'un ton égal. Tu n'étais pas censée être témoin de la reconfiguration du programme.
— Qu'est-ce qui se passe ?
Je veux qu'il s'en aille. Il ne doit pas être là. Mes mains tremblantes se plaquent sur mes lèvres scellées. La vie veut s'échapper de mon corps, comme pour sortir d'un mauvais rêve. Les larmes ne cessent pas de couler, et il y a ce petit cri continu, larmoyant, vibrant de terreur pure, qui n'attend que de se changer en hurlement d'alerte. Je renifle, sanglote violemment. Je voudrais me crever les yeux pour ne plus le voir.
— BE – 10 a subi des ralentissements anormaux qui ont retardé le chargement du programme apparence. La mémoire par défaut s'est lancée. Désolé de t'avoir effrayée.
Sa voix recouvre les bourdonnements dans mes oreilles sans que je ne comprenne un traitre mot de ce qu'il dit, trop occupée à rassembler les morceaux de mon esprit défragmenté. Cette chose sur mon lit s'exprime comme lui, avec sa voix et son visage. C'est une hallucination. J'hyperventile. Il faut que je me réveille.
— Tu ne dois pas être ici. Il faut que tu t'en ailles.
— Je ne vais pas partir alors que tu as besoin de moi, peste-t-il. De toute façon, je ne peux pas m'en aller.
Son ton a repris les intonations que je lui connais. Je fonds en larmes. L'obscurité me voile les yeux. Je sens mon cœur battre trop lentement dans ma poitrine. Au bord du malaise, mes lèvres bafouillent :
— Tu es un fantôme ?
— Je suis Ezéquiel.
— Non.
— Le programme BE – 10 apparence simule Ezéquiel Pereira, comme tu l'as voulu.
— Je n'ai rien voulu du tout !
—Tu devrais boire de l'eau sucrée avant de t'évanouir. Ton cœur bat mal et ta température est en chute libre.
— Tu n'es pas réel.
Il m'offre une moue exaspérée.
— J'avais oublié à quel point t'étais têtue.
Sous mes yeux écarquillés, il se lève. Mon cœur escalade jusqu'au creux de ma gorge. Je suffoque. Un violent haut-le-cœur me plie en deux, mais rien ne se passe. A travers les brumes de mes larmes, je le vois me fixer, imperturbable, puis se redresser, sa virilité négligemment masquée par sa main. Il s'avance vers moi, agacé, se baisse à ma hauteur. Sa chaleur perce l'air. Son souffle effleure ma peau alors qu'il me détaille de ses grands yeux dédaigneux. J'esquisse un mouvement de recul lorsqu'il avance sa main vers moi pour me toucher. Il me fixe comme un animal sauvage à dompter, et patiente, sa main levée, ses yeux dardés sur les miens. Je ne bouge plus. La curiosité a supplanté la peur.
Son regard est exactement comme je le visualisais, brillant comme un éclair au milieu de l'orage. Il a les yeux d'un enfant furieux, parti à la conquête du monde, profondément apaisés d'avoir croisé ceux d'Ethan. Ce sont ses yeux.
— Ezéquiel...
Il semble percevoir mon accord dans l'instant, et tend sa main vers moi. Je pousse un cri étouffé au contact de ses doigts. Ma méfiance se noie sous les « C'est lui ! » hurlés par tous mes sens. Mon cœur au bord de la syncope déchire mon corps en deux. J'ai la tête qui tourne. Il faut que je le touche encore. Comme une aveugle, je porte mes mains à son visage, démarque l'arc de ses sourcils aux poils transparents et le creux de ses yeux. Les imperfections invisibles sur l'arête de son nez glissent sous la pulpe de mes doigts. Je décris finalement la courbe de sa mâchoire, et me jette en pleurant entre ses bras.
— Ezéquiel...
— C'est moi.
C'est lui. C'est son visage, sa peau et son parfum. C'est la sensation qui me prenait quand il me serrait dans ses bras, c'est la béatitude brutale. C'est lui. C'est lui qui tapote le milieu de mon dos, c'est lui qui soupire contre ma peau, c'est lui qui me serre comme s'il avait peur de disparaître à nouveau.
Le soulagement dépasse l'étonnement. Je pleure à n'en plus pouvoir. Le son de ma voix s'étouffe sur son épaule. Je ne le lâcherai plus jamais. Il ne partira plus, il ne s'en ira plus.
Sauf que la vie, encore une fois, en décide autrement. Ezéquiel fond devant moi comme de la cire brûlée. Mes doigts s'enfoncent au creux de ses muscles devenus liquides, puis vaporeux. Je me recule, heurte le mur, la peur au ventre. La chose est en train de disparaître dans les braises qui consumaient mes deux amis, quelques jours avant leur mort.
Conflit.
Détection d'éventuels problèmes...
Problème identifié. Code 3.
BE – 10 n'a pas été correctement installé. Les connexions neuronales d'Elisabeth Isidore Kartia Traoré rejettent le programme.
Réimplantation requise.
Processus de sauvegarde d'urgence entamé avant mise en veille.
Erreur du programme de dernière génération BE – 10 envoyé à m.v.p. Solution envoyée à m.v.p. Historique des mises à jour envoyé à m.v.p.
Mise en veille du programme Ezéquiel BE – 10 jusqu'au nouvel appareillage.
******************************
Merci à tous ceux qui sont présents ! Votre soutien compte beaucoup pour moi. Cette histoire me sort tellement de ma zone de confort que je me sens très peu confiante dessus.
Vos commentaires me vont droit au coeur <3
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top