BE - L : La notion du temps
Dès la salle des bassins, on perd la notion du temps. Par les fenêtres on constate la hauteur du soleil dans le ciel, mais on ne sait plus à quelle jour-mois-année celui-ci correspond. C'est le corps qui reprend ses droits sur la puissance de l'esprit, c'est l'instinct primitif qui ramène à l'animal, c'est l'ancêtre de la Prémutation caché profond dans les gênes qui s'éveille.
Ils ont ouvert les yeux sur l'aube, flottant dans une piscine, les bras en étoiles. Au-dessus d'eux, une grande baie vitrée derrière laquelle le matin s'allonge. Lusen se redresse dans l'eau, caresse ses doigts fripés et trop blancs aux dernières phalanges, remarque la salle qui s'ouvre sur la cascade chaude et sauvage, entourée de l'herbe drue de la montagne. Il n'a jamais su tirer le secret du temps passé entre ces murs aux apprentis du plaisir. Chaque visite lui a parue plus courte ou plus longue que la précédente, revécue, puis nouvelle entièrement. Il se perd ici, il ne comprend pas comment, et venant du temple de la Nuit, l'information manquée a pour lui un goût d'échec. D'habitude, il est celui qui décèle les vérités cachées au fond de l'âme.
La brume chaude lui obscurcit la vue. Il devine autour de lui les silhouettes des autres résidents, fantomatiques dans leurs tuniques foireuses, entend les rires de certains, les pas précipités, les apaisés. Il ne capte dans ce tapis sonore aucune parole distincte. Les jambes plongées dans l'eau de la piscine, deux jeunes femmes se peignent les cheveux, des apprenties, déjà trop conscientes d'être délicieuses. Ça se voit dans leur façon de se mouvoir, dans leurs regards qu'elles chargent de sensualité. Leur parfum reste là où elles portent les yeux, sur lui ; maintenant il respire leurs hormones langoureuses et il lui semble trouver une nouvelle parcelle de la vie, la meilleure : le sexe.
L'une pince l'autre et les deux gloussent. Il fut un temps où Lusen aurait fondu sur elles comme un aigle sur un rongeur, alors il les scrute, curieux, attend d'être cueilli par un désir lascif dont il pourra disposer comme bon lui semble, heureux d'avoir été repéré, mais méconnaissable dans la brume. Après de longues minutes passées immobile, il constate, déçu, qu'elles ne lui évoquent pas l'excitation prédatrice d'autrefois.
Alors qu'il s'apprête à sortir, Fedicaï s'agite à ses côtés, touche du bout des pieds le sol du bassin. Elle trouve en premier les deux endormis, du côté où le temple donne sur la falaise, puis des yeux, elle rencontre Lusen. Ils se regardent sans qu'aucun des deux n'ose prendre la parole, d'ailleurs la voix leur semble de trop ce matin, pas comme une donnée qui n'aurait servie à rien, mais comme une intruse qui aurait même brisé l'espace, arrêté la lumière, éclaté les murs. Ils se taisent, observent ce qu'ils n'ont pas pris le temps de bien voir avant, la profondeur des yeux, une nuance dans les cheveux, un ourlé de lèvre duveteux.
Fedicaï a froid, et Lusen le sait sans la toucher. Il a froid, lui aussi d'être si imbibé d'eau, passe ses doigts sur ses poils dressés, frictionne ses épaules, et elle se réchauffe par sympathie pour lui. Le lien à distance les fait sourire. Lusen ne se souvenait pas que le temple du Corps déclenchait une forme d'amniotrum, alors il fouille dans ses archives mémorielles, mais rien de tel ne lui revient. L'âme de Fedicaï s'ébroue dans la sienne, elle veut sortir, capter les rayons, se réchauffer à la chaleur d'un feu, s'emmitoufler dans une couverture ; par-dessus tout, elle ne veut pas rester là plus longtemps. Il lui tend la main pour la conduire sur l'herbe.
Du cœur d'Urbelis, on oublie combien le monde est vide, comme on est sur un petit lopin de vie égaré entre deux riens, mais du haut des montagnes, on observe l'eau qui s'écoule dans l'horizon et recouvre les mondes enfouis dont Fedicaï a rêvé tout son sommeil. Avant, elle n'avait jamais pensé que la réalité ne pouvait pas se borner à l'eau, qu'au-delà de l'eau, il y a encore de l'eau, et peut-être de la terre aussi, et peut-être des hommes ; que l'eau, l'eau c'est peut-être qu'un grand truc froid qui recouvre des lieux que personne ne verra jamais. Elle détaille la mer, curieuse d'imaginer ce à quoi elle ne songeait pas, la veille encore, les Urbelis perdus, les êtres des abysses côtoyant les noyés, et cette surface qui les abrite où se contemple le soleil.
Elle sent glisser sur ses reins la main de Lusen, lui rend le désir qu'il transporte au bout des doigts et se tourne vers lui les lèvres mordues, jeune enfant de nouveau sous ses yeux dévorants. Ils se découvrent loin derrière le regard, non pas comme s'ils admiraient les reflets de leurs âmes, mais comme s'ils s'immergeaient dedans. Avec n'importe qui, Fedicaï aurait été gênée ou perdue, elle se serait détournée pour trouver la montagne plus raisonnablement émouvante, ou elle aurait appelé le toucher en support des yeux. Avec lui, elle est gênée et perdue mais elle ne peut pas se détacher. Aujourd'hui, ils ont l'intériorité qui jaillit au dehors, et Fedicaï devine qu'elle pourrait ne jamais la revoir, qu'ils ont tout au plus quelques heures loin du monde, et que sans doute le temple du Corps y est pour beaucoup. Elle invente tous les couples qui ont marché sur ce carré d'herbe, elle voit Gloria s'adoucir plus que de raison, et déçue, elle comprend que ce n'est pas elle et Lusen, que les effets du temple passent à travers eux comme ils traversent tous les autres, que demain, dans trois jours, il sera refermé, seul, et même s'il reste ouvert, elle ne saura plus trouver son chemin vers lui. Face à la vacuité, elle lui prend les mains, portée par le rêve de ne rien manquer, vivre entièrement ce qui doit être vécu. Elle s'engouffre en lui, caresse les plaies béantes de ses chagrins d'avant, embaume Mikaëla, se jette dans les portes ouvertes de ses souvenirs intimes, quand il avouait sa passion à son amour d'enfance avec de véritables mots, pour être sûr qu'ils se comprennent. Elle s'est arrêtée sur l'un des souvenirs. Il lui embrasse les mains et les doigts en lui chuchotant « je t'aime », amusé de se trouver avec elle enclin au romantisme le plus sucré. Elle tremble. Il lui a cédé cette séquence qui la remplit désormais d'un feu d'adolescence. Devant elle, les deux Lusen sourient, farouches, prêts à lui bondir dessus, et cette façon revendiquée de la désirer, ces expressions voraces qui crépitent dans ses doigts lui tordent le ventre. Ils sont une dizaine autour d'eux, flottant dans leurs tuniques pâles, à porter leur regard sur le soleil ou la mer, arpenter la montagne, jouer sur les rochers qui bordent la cascade, et Fedicaï devine combien Lusen aime faire éclater son amour devant eux, même s'ils les ignorent, enfermés qu'ils sont dans leur propre récit. Elle devine comme il voit dans ces aveux sans pudeur la plus belle preuve d'amour, comme il dit : « Je suis fier de vouloir t'aimer, et de te choisir, toi, devant tous ces gens. »
Il capte l'effet qu'il lui fait et redouble d'adresse, s'avance, couvre sa perception. Maintenant, il attend, suspendu à ses lèvres, que le désir ait grimpé à l'égal dans leurs deux corps. Il caresse ses poignets, ses bras, ses épaules, l'aimant comme il n'a aimé personne, d'ailleurs il a tout oublié du reste du monde, les autres amours, les amis. Sa mémoire s'est inondée ce matin quand il l'a vue.
Il l'embrasse et l'univers se tait. Il n'y a que ses lèvres soudain, et ses rêves et ses pensées semblent vieux de mille ans. Il n'entend pas les bruits ni ne sent les odeurs, rien, que le silence absolu les cueillant tous les deux. Quand Fedicaï s'abandonne à l'étreinte, le monde lui bat plus fort dans les oreilles, l'air de se revendiquer entre eux, et elle s'émeut de ressentir si fort, d'avoir l'impression, avec Lusen, de ne plus contempler la vie mais de chuter dedans, et de la trouver plus intense et profonde qu'elle ne l'imaginait, comme si la sensation n'était plus une fin en soi, mais des élans de puissances mystérieusement tombés sur nous. Contre les lèvres de Lusen, ce matin sur cette montagne, elle sent l'univers se mouvoir autour d'eux. Il s'allonge dans l'herbe, ou peut-être l'y a-t-elle poussée, qu'ils s'y sont affalés tous les deux, ballottés par la passion, mais une fois au sol elle se fend sur lui. S'échappent des soupirs d'extase que le vent dissipe. Il la regarde jouir, sa peau ferme et dorée, ses muscles vigoureux tendus vers le ciel, sa poitrine alanguie qui danse et vient quelques fois s'épancher sur lui. Il ne sait plus comment il s'est satisfait si longtemps du plaisir plat que lui offrait l'homirobrum. Fedicaï lui tord son âme en deux, il déborde de frissons, et quelques fois, Velares vient l'accueillir si bien entre ses bras qu'il oublie ce qui l'a forcé à l'abstinence, et pourquoi il s'est convaincu d'y trouver son réconfort.
Fedicaï se cambre, frappée par son propre plaisir, seule soudain, puis en lui de nouveau. Elle ne s'imaginait pas grimper si vite, lui non plus, il lui jette sa frustration au visage. Il a joui en même temps qu'elle mais pas avec elle, elle a gardé son orgasme jalousement. Il a joui par la contraction de ses muscles, par les afflux de sang dans les parties génitales, par la déflagration en ondes de choc dans le Neobrum, et pas pour une jouissance qu'ils auraient constituée ensemble. Elle se mord les lèvres maintenant, le contemple avec une sorte de défi dans les yeux, sourit à peine. Sa colère l'amuse, alors elle le provoque un peu pour la prochaine fois, lui fait sentir le désir qui point encore par le bout de ses doigts sur son torse, et lui, outré, la saisit et la renverse. Ils s'embrassent, elle lui dévore le cou en riant, prenant garde à ne rien dire. Ils préfèrent ne pas formuler l'évidence des sentiments particuliers qu'ils se portent l'un à l'autre.
— Maman... Maman !
Gloria ouvre les yeux, chavire. La petite blonde lui chuchote à l'oreille le plus doux des prénoms : Maman qu'elle n'entendait pour elle que de la bouche de ses garçons, Maman qui met au-dessus des humains, Maman comme ultime rempart au regret, et voilà que sa petite pythie la nomme ainsi, confirmant l'évidence. Elle n'a trouvé aucune autre bouche sachant mieux prononcer ce nom, la fixe, hébétée. La petite jette des yeux nerveux autour d'elle.
— Viens ! dit-elle.
Elle lui saisit d'autorité sa main deux fois trop grande pour la sienne et la tire hors du bassin. Quel âge elle peut avoir, cette môme ? Huit, neuf ans ? Dix peut-être, avec une croissance un peu faible. Les natifs des montagnes ont toujours été un peu moins grands, puis elle a les épaules trapues du coin, le regard éclairé. Gloria suit l'enfant, confuse, entre les apprentis et les résidents à poil, la peau piquée par cette excitation de jeunesse tendue, perpétuelle, qui épuiserait n'importe qui.
La petite la traîne dans une grotte masquée par la grande cascade. Il a semblé à Gloria qu'elle a vu Fedicaï et Lusen coucher ensemble sur l'herbe, elle n'est pas certaine. Le trouble lui voile la vue. S'il y a une chose de sûre, c'est que cette enfant est bien sa fille. Elle n'a, sur ce fait impossible, pas le moindre doute. C'est elle, elle le sent à l'instinct, au lien quand elles se regardent, elle l'a su dès qu'elle est entrée dans le boudoir, comme on sait quand on trouve notre amniae. Ces choses-là ne mentent pas. Du reste, elle n'a pas l'ombre d'une explication, ni sur ce qu'elle fait là, ni sur pourquoi elle ne se rappelle rien, même pas le nom qu'elle lui avait donné.
— Ici, personne va nous entendre, la cascade fait trop de bruit.
La petite s'installe en boule contre un rocher, la tête dans les genoux. Dans son aube d'apprentie mouillée, elle a froid, et maintenant, face à cette grande dame qu'elle ne connaît pas, elle se sent intimidée. Elle murmure :
— Tu es ma maman.
— Oui, répond Gloria, pas plus assurée qu'elle. Comment tu t'appelles ?
— Timaphkè. Toi...
Puis la petite la contemple intensément, la bouche contrariée comme si elle s'employait à un violent effort. Autour d'elle, Gloria voit se déclencher des séquences de sa vie, des plans banals de son amniae, de sa voix profonde, son regard d'une douceur inouïe, capable de calmer toutes ses tempêtes émotionnelles quand elle s'y plonge, cette semaine entière qu'il avait passé à pleurer sans qu'aucun des deux ne s'explique pourquoi, ses deux fils qui n'ont rien pris de la douceur de leur père, n'ont conservé que sa turbulence farouche, des parents, des amis, la maison semi-troglodyte sur le flanc de la montagne, puis la navette, Urbelis, les frères encore, le père à nouveau, et elle-même, Timaphkè bébé, ses bras, ses jambes, zoom étrange sur les chevilles. Il y a une petite tâche de naissance. Les séquences s'effacent et Gloria retrouve sa petite enfant qui lui a fouillé la cervelle, la grotte. Timaphkè lui montre la tâche, plus étalée, mais identique à celle du bébé qui a surgi dans la mémoire de Gloria quand elle a vu la petite.
— Maman, répète-t-elle.
Gloria s'approche, s'agenouille face à elle pour mieux la regarder. C'est elle qui a pris toute la douceur distancée de son amniae dans les yeux, l'air, ici-bas, d'être comme en voyage. Ou alors c'est l'éducation des pythies qui l'éloigne, ses habilités qui lui font voir trop de choses. Elle avance vers elle une main tremblante, lui caresse la joue, craintive, et de contact émane une déflagration qui résonne partout en elle. C'est sa fille, c'est ce creux qu'elle avait et qui porte désormais un nom, un visage, un parfum de fleur et de pommade. Elle se jette dans ses bras, la serre de toute ses forces. La petite la laisse faire, trop bouleversée pour savoir comment réagir.
— Pourquoi je t'ai oublié ?
Elle a la voix remuée, s'étonne, elle ne s'était pas rendue compte qu'elle pleurait. La petite lui montre d'autres séquences en guise de réponse, les siennes, cette fois-ci. Gloria distingue le temple de la montagne, où elle avait présenté Timaphkè, dans le grand carré flou de sa vision de nouveau-né. Elle voit de gros visages d'homirobrums, de pythies du soin, d'autres bébés avec lesquels elle joue, contre lesquels elle s'énerve quand ils lui prennent ses peluches, comme elle a paralysé une fois, durant une heure entière, une autre petite fille qui l'avait trop agacé, et le remue-ménage qui s'en était suivi, parce qu'aucune pythie du soin ne parvenait à libérer la malheureuse enfant. Après cela, les souvenirs se font plus clairs, et le temple a changé. Timaphkè est arrivée là où elle est maintenant, et quand elle ne s'exerce pas, elle s'ennuie, regarde Urbelis par la fenêtre, pleure parce qu'elle ne peut pas s'y rendre. Une fois qu'elle a réussi à monter sur le toit du Temple du Corps, elle a voulu se lancer sur un aigle qui décollait parce qu'elle voulait s'enfuir. Une apprentie plus vieille l'a rattrapée in extremis.
Les souvenirs défilent, et le bonheur de découvrir le tempérament de sa fille recouvre l'amertume de n'avoir pas été sa mère plus de trois mois, seulement sa génitrice, car des parents, elle en a eu mille autres. Il n'y a pas un seul souvenir où Gloria apparaît.
— Je me souviens de rien, que le temple, dit Timaphkè.
Elle annonce ça sans émotion. Maintenant que Gloria est à sa hauteur et qu'elles se sont montré leurs souvenirs, la petite est moins effrayée. Elle la scrute, curieuse car sa maman est comme une version d'elle-même en plus âgée. Elle regarde ses ridules aux coins des yeux, ses cheveux blanchis par les angoisses tenaces, son port droit, son expression intimidante, trop intimidante. Gloria voit dans ses yeux un autre reflet, pas celui d'amniae, de mère ou de tyran idéaliste, mais le sien, peut-être le regard qu'elle se serait porté si elle avait pu se dédoubler.
— Tu es heureuse, ici ?
La petite soupire exagérément, va s'appuyer contre la paroi, se passe une main dramatique sur le visage, qui fait sourire Gloria.
— Je m'ennuie ! J'aime pas cet endroit. C'est très joli, mais on pense seulement à s'amuser. Moi, je veux être une pythie de la paix, combattre les méchants, arbitrer les duels, protéger, mais on peut pas rejoindre le Temple de l'Automne avant douze ans. C'est dans longtemps !
— Et tu ne peux pas sortir d'ici ? Aller faire des promenades pour te changer les idées ?
La petite la considère, étonnée que sa maman ne sache pas ce que savent tous les autres adultes qu'elle connaît.
— On a pas le droit de quitter les temples avant quinze ans, parce qu'on est trop dangereux pour les gens normaux.
Timaphkè a saisi un petit bâton et, accroupie, trace des dessins dans la terre avec concentration. Gloria se mord les lèvres, lâche :
— Les parents des autres pythies sont tous des pythies ?
La petite hausse les épaules sans relever les yeux de son œuvre.
— Les pythies ont pas de parents.
Gloria ne réplique rien. La déclaration l'ébranle tant que la petite relève sur elle des yeux inquiets.
— Mais pourquoi je suis là, moi, alors ?
— Je sais pas, mais je suis contente de t'avoir trouvée.
La petite lâche son bâton, s'approche de sa mère et attrape son visage entre ses petites mains, puis elle dépose un baiser sur son front et lui chuchote ensuite à l'oreille :
— C'est notre secret, il faut le dire à personne !
— Pourquoi ?
L'enfant hausse les épaules pour toute réponse, sursaute soudain, tétanisée, en proie à une terrible constatation.
— Toi aussi, tu vas partir ! s'écrie-t-elle.
— Comment ça ?
— Quand ton séjour sera fini, avec tes amis, tu t'en iras, tu vas me laisser ici.
La petite qui n'avait jusque-là jamais songé aux parents qu'elle ne possédait pas, voyait les adultes comme des êtres de passage, toujours tourmentés par des problèmes trouvait idiots, s'est fait surprendre par l'attachement qu'elle ressent pour l'adulte Maman ; ce lien qu'elle n'avait pas perçu avant et qui lui semble désormais essentiel pour grandir, ce regard d'amour inconditionnel qu'aucune autre n'a pour elle, même sa pythie préférée, qu'elle surnomme Toto. Oui, Maman l'a mise au monde, mais elle ne s'en rappelle pas, et c'était un acte d'une fois, façonné dans le plaisir. Timaphkè sait les choses de l'amour, on l'en empoisonne toute la journée, l'amour de l'autre, l'amour de la nature, l'amour de la nourriture. Maman a-t-elle plus de mérite de lui avoir donné la vie que les homirobrums qui l'ont nourrie tout bébé, que Toto qui lui a appris à parler, que tous les autres qui ont d'une manière où d'une autre contribué à faire d'elle ce petit être ingrat qui se lamente dans les bras d'une inconnue ? Timaphkè n'avait encore jamais craint d'être abandonnée, et rendue confuse par ce torrent de larmes intarissables qui lui jaillissent des yeux et dont elle ne perçoit pas l'origine, elle se laisse néanmoins aller, éprouve dans son chagrin une délicieuse libération qu'elle n'osera jamais verbaliser, mais que Gloria reçoit et qui la fait pleurer elle aussi.
— Du coup, vous êtes partenaires ?
Fedicaï relève la tête, empourprée, attrape une galette qu'elle garnit généreusement de viande et de sauce, faisant mine de n'avoir rien entendu. La question de Gloria l'embarrasse plus que de raison, puis ce sont les premiers mots qu'ils échangent, il y a des apprentis autour d'eux, dont deux qui se retiennent de ricaner depuis le début du déjeuner, la pythie aux cheveux courts qui suit la conversation avec grand intérêt. Fedicaï rumine en silence, excusée d'avoir la bouche pleine pour ne pas réfléchir à une réponse. D'où vient cette obsession de Gloria pour les partenaires ? Et pourquoi l'idée d'un partenariat avec Lusen la plonge dans un tel état ? D'ailleurs, comment décuple-t-il tout ce qu'elle ressent, et à bien y réfléchir, est-ce que ça n'a pas toujours été ainsi, est-ce qu'il ne l'a pas rendue folle de rage avec ce silence glacial et interminable, cette haine qu'il lui a portée et qu'elle ne méritait pas, et est-ce qu'elle ne lui en veut pas, désormais, de les avoir fait attendre si longtemps avant de plonger dans cette vérité qui leur tendait les bras ? Elle s'agite sur sa chaise. La tunique la démange.
Toute la matinée, ils ont joué dans l'eau avec des façons d'enfants, nerveux et hilares, emportés par la jeunesse fougueuse des apprentis qui se sautaient sur le dos et se noyaient à tour de rôle. A cette occasion, ils ont pu voir Gloria pleurer de rire plus d'une fois, prise pour les apprentis d'un instinct maternel insoupçonné qui lui a donné l'énergie de jouer une heure au moins à la course-poursuite. Une fois épuisés, ils se sont laissés bronzer jusqu'à ce que la faim les tiraille, et alors des pythies les ont rejoints, les bras chargés de victuailles, et jusque sur le palais, l'expérience les transforme.
Tout, même leur viande préférée a un goût différent. Longtemps, ils cherchent le changement de préparation, l'épice changée, confus de ne jamais tomber d'accord. Lusen les a observés sans rien dire, ému d'éprouver encore les sensations de ces souvenirs perdus, comme toutes les autres qui lui reviennent, fondent sur lui et rejaillissent des fonds d'une mémoire oubliée, comme l'envie soudaine de sauter dans l'eau qu'il attribuait à son adolescence, et dont il a enfin réalisé qu'elle appartient à la cascade, dès l'instant où il y a remis les pieds.
De leurs quatre sens du goût, la pythie en a constitué un neuf, une émergence de leurs particularités olfactives qui n'appartiendra qu'à cet instant. Elle n'expliquera pas ce qui a changé malgré leurs questions, et obtiendra de Lusen qu'il tienne sa langue pour les laisser comprendre des jours, peut-être des années plus tard, lorsque, sous l'influence d'une autre pythie, ils regoûteraient par hasard l'exact même plat accompagné de l'un des membres de ce groupe. L'évidence du tour qu'elle leur a joué leur apparaîtrait alors, et ils comprendraient que la viande en elle-même n'avait rien de différent, qu'il n'y avait qu'eux qui avaient changé.
— Non, nous ne sommes pas partenaires, répond Lusen.
D'ailleurs, il ne sait pas ce qu'il en pense. Le partenariat, c'est la promesse d'être là l'un pour l'autre. Ça n'apporte rien de précis, mais pour l'instant, il ne se sent pas prêt. Il préfère attendre que l'amour passe, car il sent venir avec lui un sentiment étrange qu'il ne maîtrise pas bien et dont il lui semble qu'il menace directement Mikaëla. Vivre après elle, il peut s'y résoudre, mais comprendre une fois au bras de Fedicaï qu'il s'est trompé, que l'amour de sa jeunesse n'était pas son amniae à jamais perdue, mais juste n'importe quelle amoureuse dévorée par le temps, lui semble insurmontable. Maintenant, Fedicaï s'impose à lui, semblable et différente, Fedicaï pétillante, Fedicaï aux yeux profonds ; maintenant, il se noie en elle qui lui fait sentir ce qu'il n'imaginait jamais éprouver, maintenant, il ne peut pas lui accorder une si grande importance, et le petit geste qu'on offre en cadeau pour s'avouer la naissance d'un amour mutuel devient pour lui une incommensurable déclaration.
Fedicaï le sonde du coin de l'œil, comprenant ses pensées, et lui la perçoit et se tourne vers elle. Sans se toucher, ils évaluent leur lien par leurs yeux qui se croisent. Gloria et Velares se jettent un regard entendu avant de se serrer les mains pour échanger des sentiments muets. Le docteur remarque la tunique de Gloria bien moins opaque la sienne, qui a gardé l'exacte même couleur depuis leur arrivée. A propos de Gloria, il n'imaginait pas qu'un résident puisse avoir autant de succès auprès des apprentis. Tous les jeunes en aubes bleues — la tenue réglementaire des apprentis pythies — gravitent autour de la femme. Les plus petits lui ont grimpé sur les genoux et se servent dans leur plat avec gourmandise, d'ailleurs, l'un d'eux fait systématiquement tomber des moitiés entières de ses sandwichs improvisés sur sa tenue. Un garçon plus âgé a entrepris de tresser les cheveux de Gloria en une couronne qu'il garnit de fleurs, une autre encore se presse contre son bras, et au milieu d'eux, la directrice rayonne comme une mère joyeuse entourée de ses enfants.
Quand on lui demandera combien de temps il aura estimé avoir passé dans le temple, Velares répondra qu'il s'est écoulé une semaine et deux nuits, s'étonnera d'entendre Lusen annoncer trois jours, Fedicaï quinze, et Gloria se tromper d'environ un mois. Il ne comprendra pas comment, sous prétexte de dormir plus d'une fois dans la journée, on peut si bien perdre la notion du temps. Lui, il sera certain d'avoir raison, car chaque nuit où il se sera éveillé, il aura été vérifier la position de la lune dans le ciel. Il n'aura pas supporté d'être seul face aux étoiles, jeté dans cette éternité qu'il avait perçue jusque-là comme une ligne lancée de l'infini vers l'infini, et pas comme un cercle où tout se répète, où chaque effort humain se révèle aussi vain que des cailloux lancés dans un étang qu'on voudrait changer en montagne.
Il passera des heures, couché sur la table de massage, la respiration ample et le corps ouvert, à humer l'altitude et détailler les autres endormis de nouveau. Il se demandera ce qui lui manque tant pour être débarrassé de cette satanée tunique — il ne se sent pas pudique pour un sou, il sait combien son corps est beau et à quel point il plaît. Lusen dirait de lui qu'il adore s'exhiber, et il aurait raison, car Velares aime remarquer l'intérêt qu'on lui porte, les yeux illuminés de ses partenaires, aux moments où il ôte ses tenues. Aussi, il se considère comme un authentique adepte de ce temple-ci. Nul doute que s'il avait été pythie, c'est à celui-là qu'il aurait dédié sa vie.
Il jettera encore ses yeux sur la tunique blanche, songera qu'il n'aura pas saisi ce qu'il faut, se convaincra même qu'au fond, il hait cette expérience, et puis que ce n'est pas vraiment contre lui, que la tunique reste sur ses épaules car il n'a rien à prouver, car il effrayerait les autres peut-être, sans doute en fait, certainement il ferait peur d'être si parfait, il troublerait l'ordre, rhabillerait tout le monde. Il s'avouera que de toute façon, il n'a jamais tiré aucun plaisir de toute cette dépravation — un peu vulgaire, il faut l'admettre — pas toujours efficace et qui frôle l'indécence, cette obsession bizarre de vouloir approcher les animaux qui ne parlent pas. D'ailleurs pourquoi personne n'accepte que le langage nous transforme, qu'il est symptomatique de notre différence avec le reste du vivant ? Pourquoi prétendre que savoir mesurer le temps ne change rien, qu'on est égaux aux autres qui broutent de l'herbe alors qu'on a des puces dans le crâne pour nous aider à supporter notre nature, et notre solitude et notre terreur de mourir ? Pourquoi jouer les biens-heureux quand on dissèque des cadavres dans l'espoir d'y trouver l'âme, quand on a dû conceptualiser le Remarstralis entier pour se faire à l'idée qu'on finira par y sauter à pieds joints, peu importe ce qu'on a fait et peu importe combien on nous aime, et finalement qui a pu affirmer que le Remarstralis existe bel et bien, que l'âme en disparaissant n'est pas simplement dissoute dans le cosmos ? Et eux s'enorgueillissent du plaisir comme la nourriture fondamentale et nécessaire d'un corps qui n'exprime dans le fond que la finitude, et qu'on se retrouve à glorifier quand il nous détermine absolument malgré tout ce qu'on peut sentir à l'intérieur. Ils ne comptent qu'en jouissance, comme s'ils détenaient les connaissances de ce qui fait du bien, alors que c'est quoi le plaisir en fait ? Les pythies, les apprentis, Lusen, qu'est-ce qu'ils peuvent bien en dire de ce que c'est, le plaisir, à part bégayer des banalités ?
Gloria a fondu en larmes pendant son massage. La pythie venait de lui faire craquer le cou d'une étrange façon, et pendant un moment on a cru qu'il l'avait blessée. La petite apprentie éprise d'elle s'est jetée sur son ventre, inquiète de la voir mourir, et la directrice a mis en œuvre, pour la rassurer, toute l'étendue de sa tendresse. Elle lui a caressé les cheveux, murmuré pour elle son vocabulaire le plus doux, même tenté d'adoucir ses accents secs de femme venue des montagnes d'Urbelis, pour ne pas l'effrayer. Une fois calmée, elle a raconté le geste comme si bouleversant, éveillant et tuant des douleurs si bien accumulées, qu'elle n'avait pas eu d'autre choix que de pleurer. Comment leur dire la vérité ? Peut-on annoncer l'impensable sans passer pour fou ?
— Je ne t'ai pas appelée Timaphkè, a dit un jour Gloria à la petite. Ce nom sonne étrange dans ma bouche. Je ne peux pas t'avoir appelée comme ça.
— C'est mon nom de pythie, a répondu l'enfant.
— C'est quoi, ton vrai nom ?
— Timaphkè, maman. Je suis une pythie, j'ai un nom de pythie. Parfois, je regarde les gens, et je sais que le nom qu'on leur a donné n'est pas vraiment leur nom, mais eux non plus ne peuvent pas savoir comment ils s'appellent, et puis d'ailleurs, même eux s'empressent d'arrêter de se demander quel est leur vrai nom, alors forcément ils ne le trouvent pas. Si je te demande qui tu es, tu me répondras : je suis Gloria. C'est ton nom d'incarnation. Tu as laissé l'autre au Remarstralis quand tu es née. Comme je le sais, je ne te demande pas quel est le nom de ton âme.
— Mais moi, je t'ai donné un nom...
— Et il est retourné au Remarstralis.
Parfois, Timaphkè était d'une froideur impitoyable, déblatérait ces discours qui la plaçaient au-dessus des humains, très loin de la fille qu'elle aurait été si elle avait grandi là où elle était destinée. Il semblait à Gloria qu'on lui avait volé son enfant pour lui implanter d'affreuses pensées dans la tête, des réflexions qu'un petit de son âge ne devait pas avoir. Timaphkè était née pythie, ou l'était-elle devenue ? Avait-elle vu le monde avec des pouvoirs spéciaux, l'avait-on rendu ainsi ? Que s'était-il passé entre la présentation au temple et ce jour-là ? Gloria butait sur les souvenirs d'avant, sa fille savait ce qu'il y avait eu après, mais entre les événements, rien ne coïncidait. C'était comme si Timaphkè était née deux fois, et la chose révoltait Gloria. On la niait en tant que mère, et même sa fille la niait. Elle avait déjà décidé de revenir autant que possible au Temple du Corps pour la retrouver, mais les jours avaient fait germer dans sa tête une folle idée.
— Est-ce que tu voudrais sortir d'ici ?
— Et visiter Urbelis ?!
Gloria hocha la tête, contaminée par le sourire exalté de la petite, qui se chargea de tristesse en une seconde à peine.
— Les pythies ne voudront jamais.
— Elles n'auront pas à le savoir.
Timaphkè renversa la tête en arrière et eu un rire amer. Plus tard, en affinant sa connaissance des émotions et des hommes, elle l'attribuerait à du cynisme.
— Les pythies savent tout. Sûrement qu'elles savent déjà que tu es ma maman.
— Mmh... Eh bien j'ai un ami avec moi qui pourrait peut-être nous aider à convaincre les pythies. C'est un Enfant de Temple.
Les yeux de l'enfant s'écarquillèrent.
— Tu vas demander de l'aide à Lusen ?!
— Heu oui, répliqua Gloria, déconcertée par la perspicacité de la jeune apprentie.
— Il te respecte beaucoup, mais je ne pense pas qu'il veuille t'aider. Les Familles des Temples ne plaisantent pas avec les pythies.
Gloria eut un sourire en coin.
— Laisse-moi essayer de le convaincre. Je vais revenir te chercher, je te le promets.
A Velares, il semblera qu'il n'a rien ressenti d'exceptionnel, pas de frisson absolument inouï, beaucoup de bien, certes, mais rien qui le fauche au point de pleurer, alors après Lusen, c'est de Gloria qu'il sera jaloux. Dans ses questionnements existentiels, il aura tout de même bénéficié d'un instant de trêve qu'il vivra comme plus perturbant que bénéfique, dont il sait qu'il y repensera souvent. Il se sentira pleinement lui, vivant parmi les vivants, au corps imprévisible tanné d'impulsions sauvages. Il ne saura plus se représenter aux autres, ni devenir le reflet de ce qu'ils désirent voir. Il se sentira vrai, si bien dominé par les élancements de sa chair qu'il en oubliera ses sourires séduisants, son articulation ciselée, ses mots toujours gentils même envers ceux qu'il n'aime pas. Il ne sera pas poli, aimable, gracieux, pas rassurant, patient ou calme. Il saura n'être que lui, complet face aux autres, et là, il comprendra ce qu'est le plaisir.
La chose se sera produite la veille, ou peut-être deux jours plus tôt. Ils auront passé toutes les salles sans que Velares ne soit pris d'une quelconque révélation. Au milieu des nus, sa tunique fera office de toge, et d'ailleurs il se sera rarement senti si malvenu dans une relation que dans celle qui le liait à Lusen et Fedicaï, et dont il semblera avoir été chassé. Avec Gloria, il constatera qu'en dehors du Neobrum, ils n'ont rien à partager, et puis la voir si bien tirer des enseignements qui sont pour lui toujours aussi mystérieux après une vingtaine de visites au temple, portera contre elle une forme de haine dont elle se moquera longtemps.
Dans la dernière salle du temple, il n'y a aucune activité, pas de pythie, même pas d'énergie résiduelle dont on aurait chargé l'espace. La dernière salle est une transition vers le réel, où l'on se recentre sur soi, avec ceux qui nous ont accompagnés dans notre périple. On y retrouve nos sensations brutes, nos liens véritables avec les autres et nous-mêmes. On y pleure, le plus souvent.
La veille, en y mettant les pieds, Velares a réalisé combien les autres l'avaient influencé tout le séjour sans qu'il le remarque, trop occupé qu'il était à tenter de se détendre pour perdre sa tunique. De nouveau seul, il pouvait s'imprégner des différences, de la colère qu'il avait accumulée, de la douleur que la solitude engendre et du besoin soudain de toucher les autres pour garder le contact. S'est produit alors un événement similaire au lendemain de l'exultornus. La perte du lien a généré en eux une tension inextinguible, qui tournait en circuit fermé, s'échappant dans les corps des autres quand ils s'effleuraient, mais d'une façon moins limpide et directe qu'avant d'arriver dans cette pièce-là. Aucun ne pouvait faire le deuil des regards chargés d'émotions, de cette impression de former un bloc, un ensemble compact qu'ils alimentaient tous à leur façon, où chacun pouvait s'exprimer, soutenir et être soutenu. Ils ne se sont jamais sentis aussi seuls que là, et pour pallier à la solitude, ils se sont retrouvés les uns sur les autres, à chercher dans le Contact la même force d'union, le désespoir au cœur d'assoiffés dans le désert.
Lorsqu'ils ont quitté la pièce, ils ont vu le matin poindre derrière la montagne. Les pythies leur ont rendu leurs vêtements propres et reprisés. La nouvelle amie de Gloria s'est lancée dans ses bras, en larmes, a déclenché celles de la directrice en se blottissant contre elle. Les autres ont observé la situation, dépassés par cet amour improbable que l'enfant portait à la plus rude des membres de leur groupe. Ils ont tendu l'oreille pour percevoir les mots secrets qu'elles échangeaient, puis Gloria a déposé l'enfant sur le sol — d'ailleurs, personne ne connaissait le nom de cette gamine — et, en s'essuyant les yeux avec des gestes gauches, les joues roses, elle a dit un peu plus fort :
— Tu reviendras, hein ?
— Oui, je te l'ai promis.
Gloria a tapé quatre fois dans le milieu de son dosavant qu'elle ne disparaisse, emportée dans le temple par les autres pythies.Les autres n'ont pas commenté. On ne salue ainsi que les membres de la famille,mais la tête de Gloria les a dissuadés de dire quoique ce soit. Les pieds aubord de la falaise, égarés chacun dans les tortures de leurs questionnements,ils ont patienté longtemps, prostrés sur le plus haut toit du bâtiment, au pieddu perchoir géant, là où le vent souffle le plus fort et menace quelques foisd'emporter les imprudents, devinant ce qu'ils cherchaient dans l'horizon sansle voir venir ; mais maintenant, leur cœur apaisé de voir enfin paraîtrece qu'ils attendaient avec angoisse, ils regardent surgir du bord du ciel, làoù Desciarxis apparaît minuscule et éclatant de blancheur entre les dunes,trois aigles géants volant droit vers eux.
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