Chapitre 2

Dans les toilettes du quatrième étage, Logan se passait de l'eau sur le visage. Diego Vidal ne lui avait pas menti. Les premières tâches qu'il avait eu à faire étaient affreusement répétitives et dénuées d'intérêt. Mais il avait été prévenu, et il ne le prenait pas personnellement, s'efforçant de se montrer zélé en toutes circonstances.

Cela faisait quatre jours qu'il photocopiait des documents et en rangeait d'autres dans des boîtes. Pour autant, son maître de stage, un homme d'une quarantaine d'années plutôt jovial, paraissait satisfait, ce qui le motivait un peu plus.

Il n'avait pas recroisé Diego Vidal depuis son deuxième jour au sein de l'entreprise. Ce dernier était sans doute trop occupé par des tâches plus nobles. En un sens, il aurait aimé travailler avec lui. Cela lui aurait évité d'écouter les plaintes d'Olivier toute la journée. Zacharie avait été affecté à l'étage du dessus, et ses activités n'étaient pas plus diversifiées que les leurs.

Plusieurs fois, Logan s'était surpris à rechercher Diego Vidal du regard à l'heure du repas, espérant échapper à ses deux camarades. Mais le riche hériter devait probablement manger dans le luxe le plus total, bien loin de la cafeteria commune.

Logan contempla son reflet une dernière fois dans le miroir et sortit des toilettes, arborant un sourire forcé.

— Si je dois encore photocopier un formulaire, je crois que je vais hurler !

Olivier se plaignait, encore. Et Logan soupira.

— Je t'ai déjà dit qu'ils nous testent en nous confiant des tâches ingrates. Contente-toi de faire de ton mieux.

— Ah oui, et tu tiens cette information de Diego Vidal, c'est ça ? Qui te dit qu'il ne t'a pas raconté ça pour que tu continues bien sagement à jouer les gratte-papiers alors que lui se ramasse tous les honneurs ? Et puis, ça fait un an que je fais profil bas au cours de Rodriguez pour pouvoir travailler ici, alors que je déteste cette prof. J'ai pas fait tout ça pour un stage où mon boulot consistera pendant trois mois à servir le café de Monsieur Brassard, sans sucre et avec un nuage de lait !

Logan leva les yeux au ciel, exaspéré d'entendre la même rengaine toute la journée. Il avait beau se montrer désagréable avec Olivier, il ne comprenait pas pourquoi celui-ci persistait à lui raconter ses malheurs et ses plaintes.

— Monsieur Gardet ?

Logan leva les yeux vers la femme, d'un certain âge, qui s'était adressée à lui.

— Oui ?

— Veuillez me suivre, s'il vous plaît. Monsieur Olivier Maes terminera ce que vous avez commencé.

Très étonné, Logan se dépêcha de ramasser ses affaires et suivit l'employée, non sans jeter un regard à Olivier. Celui-ci semblait totalement désemparé devant la masse de travail qui venait subitement de se multiplier. Pour sa part, Logan dut réprimer un léger sentiment d'angoisse. Avait-il quelque chose à se reprocher ?

Heureusement, alors qu'il passait devant son maître de stage, ce dernier leva ses deux pouces en signe d'encouragement. C'était plutôt une bonne chose. Logan adressa un sourire à l'homme et reporta son attention sur le dos de la femme l'ayant libéré de son travail répétitif. Elle le conduisit au sixième étage, un espace ouvert avec moins de passages et de plus grands bureaux. La plupart des employés y déambulaient, le menton et les épaules droits, et portaient d'élégants vêtements. Ils avaient l'air moins pressés également, mais rares étaient ceux qui n'avaient pas l'oreille collée à leur téléphone portable.

À l'angle d'un couloir, Logan pu lire « Marketing department : strategic marketing » en lettres rouges sur fond blanc, typographie spécifique de Vidal DITEX Industry. Sa destination fut un bureau dont la plaque à droite de la porte indiquait « Christian Jacobs – Market Analyst ». Il inspira un grand coup avant d'entrer dans la pièce et de serrer la main d'un homme grand, les cheveux poivre et sel, dans un costume impeccable.

— Bonjour, Logan Gardet, c'est bien ça ? Christian Jacobs. Je m'occupe des études de marché. Je fournis des analyses, des rapports et des conseils marketing pour l'entreprise. Merci, Amanda, vous pouvez nous laisser.

La dénommée Amanda quitta le bureau et Logan prit place sur le siège que lui indiqua le cadre.

— Eh bien, cela ne fait que quelques jours que vous êtes parmi nous, mais j'ai déjà entendu beaucoup de bien sur vous. Est-ce que vous vous sentez prêt pour attaquer un plus gros morceau ?

Logan s'empressa d'opiner du chef. Ses efforts avaient fini par payer et il était soulagé que sa motivation ne soit pas passée inaperçue. Peu de temps après, on lui attribua un bureau dans une grande salle où plusieurs autres étaient disposés en quinconce. Il prit connaissance des codes de l'ordinateur ainsi que de sa première mission.

Les nouvelles tâches étaient mineures, mais avaient désormais un rapport avec le marketing. Finalement, il n'était pas resté très longtemps à faire des photocopies. Cela le motiva à redoubler d'efforts.

À la pause de midi, il ramassa ses affaires et prit la direction de la cafeteria. Sur son chemin il croisa Diego Vidal qui discutait près d'une machine à café. Les deux employés qui l'accompagnaient ne semblaient pas l'écouter. Le visage du jeune homme s'illumina en croisant le regard de Logan, et ce dernier le rejoignit d'un pas pressé.

— Bonjour ! Tu travailles ici maintenant ? lui demanda-t-il.

— Oui, j'ai été affecté ce matin à ce poste.

— Bon, ce n'est pas encore du marketing opérationnel, je suppose – ce que moi, je fais en ce moment –, mais c'est déjà très bien.

Logan sourit. Il avait presque oublié ces phrases ponctuées de « moi » et de « je ».

— Tu travailles à cet étage aussi ? questionna-t-il.

— Oui, et parfois au septième. Je dois jongler entre plusieurs missions. Ce n'est pas facile, mais on m'a confié ces tâches parce que je suis doué. C'est beaucoup de responsabilités, j'en conviens. Bien sûr, c'est naturel pour moi, j'ai les épaules pour.

— Super, on va être amenés à se croiser plus souvent alors !

La posture figée, bouche entrouverte, de Diego Vidal fit davantage sourire Logan. Il avait un peu fait exprès de provoquer ce genre de réaction.

— O-Oui, je suppose..., finit par dire Diego.

— Chouette ! Bon, je vais manger. À tout à l'heure peut-être !

Il lui adressa un signe de la main et se rendit à la cafeteria, le sourire aux lèvres. Il aurait dû lui demander où il mangeait. Ils pourraient peut-être partager leur repas un jour.

L'avantage de déjeuner en compagnie d'Olivier et Zacharie était que les pauses semblaient plus longues. Parfois interminables...

Parlant peu, voilà un moment que Logan avait fini son sandwich. Il se retrouva vite sans rien d'autre à faire que d'écouter ses deux camarades.

— Je n'en reviens toujours pas de m'être tapé tout ce travail chiant... Tu as vraiment trop de chance, Logan, grogna Olivier. Mais tu avais peut-être raison, il faudrait que je montre un peu plus d'enthousiasme en bossant.

— Je te rappelle quand même que c'est Diego Vidal qui m'a donné l'info, précisa Logan.

Olivier grimaça, peu enclin à admettre ses torts au point d'être reconnaissant envers Diego Vidal.

— Avoue-le, Logan, franchement, entre potes... Est-ce que tu essayes de t'attirer les faveurs de Diego Vidal pour te dégotter un poste ici ? osa demander Zacharie.

Logan le dévisagea, les sourcils froncés. Ses camarades l'avaient déjà insinué auparavant sans jamais lui poser la question directement. Lorsqu'il s'était assis à côté du fils du PDG, Olivier s'était empressé de lui demander ce qu'il avait récolté de croustillant alors qu'ils attendaient le métro du trajet retour.

— Je n'essaie pas de me servir de lui, si c'est la question, répondit-il.

Mais Zacharie se contenta de s'esclaffer en lui tapotant l'épaule de façon complice. Logan poussa un soupir de lassitude devant cette nouvelle insinuation, confirmée par un « Ouais, c'est ça, tu ne me la fais pas à moi ! ».

Les heures de travail qui suivirent furent assez ennuyeuses, et en milieu d'après-midi, les paupières lourdes, Logan se rendit à la machine à café pour se servir un expresso.

Alors qu'il le buvait, accoudé à une table haute près du distributeur, le vibreur de son téléphone portable le sortit de sa torpeur. Le nom affiché à l'écran lui arracha un sourire. Eliott, celui qui pouvait être qualifié de « meilleur ami », ou du moins, celui avec qui Logan s'entendait le mieux au sein de sa promo. Il connaissait Eliott depuis le lycée et avait tissé des liens plus solides avec lui.

« Alors, comment ça se passe ? Désolé, j'ai pas pu t'écrire avant, j'étais super occupé. » disait le message.

« Plutôt bien, le boulot est pas encore super, mais ils ont déjà commencé à me donner un peu plus de responsabilités. Et pour toi, comment ça va dans le sud ? »

Eliott avait la chance d'effectuer son stage à l'étranger, dans une grande entreprise de téléphonie. Logan aurait aimé le suivre, mais il n'avait pas les moyens de payer un logement à ses frais. Il regrettait beaucoup de n'avoir pu l'accompagner vivre une expérience aussi incroyable. Décrocher un poste de stagiaire chez Vidal DITEX Industry avait été un lot de consolation, tout aussi impressionnant, mais la chaleur et l'exotisme du sud en moins.

« C'est génial, même si je ne fais pas encore grand-chose ! J'attends de voir quand le boulot se complexifiera un peu plus... Olivier m'a dit que tu t'étais fait pote avec le fils du PDG de la boite ! Tu chômes pas, hein ? »

Logan se rembrunit. Les nouvelles allaient un peu vite. La tournure amplifiée des informations après avoir été déformées par ses camarades, le dérangeait tout particulièrement.

« Olivier est un idiot. Il abuse. J'ai à peine parlé à Vidal. Je le trouve plutôt sympathique, mais eux, ils croient que je me la joue frotte-manche pour décrocher un poste. Et puis, pourquoi t'as le numéro de ce type ? »

Légèrement agacé, Logan prit une nouvelle gorgée de café. La réponse de son ami ne tarda pas.

« Haha, évidemment... Comme si c'était ton style de faire l'opportuniste ! Je ne sais pas, il me l'a donné pour un travail de groupe, je crois... Bon courage à toi ! Attends, tu le trouves sympa, le fils du PDG ? Il est comment ? »

Logan portait le gobelet à ses lèvres, mais il stoppa son geste, réfléchissant à ce qu'il allait bien pouvoir répondre.

« Il est grand, plutôt classe »

« Il a les cheveux noirs, plutôt beau gosse »

Effaçant une nouvelle fois son début de message, il fronça les sourcils. Eliott ne voulait certainement pas une description physique.

« Il parle beaucoup, surtout de lui, mais c'est plutôt mignon »

Cette fois-ci, Logan faillit s'étrangler avec son café chaud, très étonné de ce que ses propres doigts venaient d'écrire, comme si les mots étaient passés entre les mailles de sa raison.

« Il est amusant. »

Cette réponse-là paraissait plus acceptable. Il l'envoya sans plus se poser de questions. Cela faisait bien trop de secondes de réflexion pour un simple message.

— Ah, tu es là !

La voix familière derrière lui le fit sursauter légèrement. Trop pris par ses échanges de textos, il n'avait pas entendu Diego Vidal arriver.

— Eh bien, on a fini par se recroiser aujourd'hui.

Une pensée dérangeante traversa l'esprit de Logan. Comme si quelqu'un à l'intérieur de lui criait « tu l'as fait exprès ! Il y a une machine à café plus proche de ton bureau, mais c'est ici que tu l'as vu la dernière fois ! » Nerveusement, il se racla la gorge, de peur que cette voix ne crie assez fort pour être entendue de tous, et surtout de Diego Vidal.

— Je sors d'une réunion à l'instant, reprit celui-ci. Heureusement que j'étais là, sinon les autres seraient partis avec de mauvaises informations !

— Ah oui ? Raconte.

Le jeune homme le dévisagea d'un air dubitatif pendant un instant. Logan lui fit alors un léger signe de tête, l'encourageant à développer.

— Eh bien, le Web Analytics Manager a donné de faux chiffres sur nos bases de données. Cet incident aurait pu passer inaperçu si je n'avais pas été là ! Je connais tellement bien mon entreprise ! Ah... Ton téléphone vient de vibrer.

En effet, Logan venait de recevoir une réponse d'Eliott. Trop absorbé par le récit de Diego Vidal, il avait failli ne pas le remarquer.

Il déverrouilla son téléphone et se figea pendant quelques secondes devant la teneur du message.

« La dernière fois que tu m'as dit ça de quelqu'un, tu parlais de ton ex. »

Un peu déstabilisé, il releva la tête. Diego Vidal l'observait, la mine interrogative.

— Hum, désolé, ce n'est pas important. Continue.

Sans se faire prier, l'autre reprit de plus belle, détaillant son récit chiffres erronés, expliquant ce qu'une telle erreur aurait pu engendrer. Mais Logan eut cette fois du mal à accrocher à la conversation.

C'est vrai qu'il avait un jour trouvé Selena, son ex-petite copine, « amusante ». Son histoire avec elle n'avait pas été follement passionnante. Il n'avait pas vécu le grand amour. Néanmoins, il gardait un très bon souvenir de sa complicité avec cette fille attachante. Et comme Diego Vidal, elle parlait beaucoup. Il devait apprécier les gens qui s'expriment pour deux.

Diego Vidal finissait justement son histoire de réunion sauvée par ses soins, et Logan consulta sa montre. Il était temps de retourner travailler.

— Je vais devoir y aller, Diego.

De nouveau, celui-ci parut surpris. Il y avait sérieusement de quoi se demander s'il avait l'habitude de converser avec des gens, vu son perpétuel étonnement.

— Tu... Tu m'as appelé par mon prénom, finit-il par dire.

— En même temps, je ne vois pas trop pourquoi je t'appellerais par le prénom d'un autre.

— Non, je veux dire, en général les gens m'appellent Monsieur Vidal.

— Oh, je vois... répondit Logan, un peu gêné de s'être montré aussi familier. Et ça te dérange ? Désolé si j'ai été trop...

— Non ! Non, vraiment, pas du tout. Enfin, je suis évidemment une personnalité importante ici, et il est primordial de me témoigner le respect qui m'est dû, en tant que futur héritier de Vidal Industry. Tout le monde m'appelle Monsieur pour me témoigner sa considération, et toutes les marques de politesses sont de rigueur. Mais euh... Diego, c'est bien aussi. Tu peux m'appeler Diego. Appelle-moi Diego.

Logan rit de bon coeur. Diego Vidal parlait vraiment très vite, surtout lorsqu'il semblait nerveux.

— D'accord. Très bien, Diego. Ça me va. Bon, je dois vraiment y aller. Et je suppose qu'on ne se verra pas avant demain alors... à demain ?

Se tenant anormalement droit, Diego tritura ses boutons de manchette.

— Oui, à demain, Logan.

Logan sourit, intérieurement cette fois. Alors comme ça, Diego Vidal avait retenu son prénom...

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