'ENCHEVÊTREMENTS'
Ushijima cligna des yeux, pour être certain de ne pas faire face à un mirage ; le soleil était haut dans le ciel après tout, imposant et lourd. Il lui tapait sur le crâne, et lui avait même causé une certaine inquiétude quant à la sûreté de ses récoltes.
Il tourna la tête, à droite, puis à gauche, et en ne voyant personne, se décida finalement à poser à ses pieds son caisson d'œufs frais. En soupirant audiblement, il se pencha et ramassa le téléphone poussérieux qui jonchait sur le sol de sa propriété. Il n'était donc pas qu'une illusion.
Étrange.
Ushijima Wakatoshi n'était pas un homme malhonnête. Tout au contraire, il appréciait la sobriété, les petites choses de la vie, et se suffisait à lui-même. L'opulence, ça n'était pas pour lui, et il préférait plutôt vivre simplement que de se prélasser dans le luxe.
L'écran coruscant de ce téléphone ne l'attirait donc pas particulièrement, et il ne sembla pas s'offusquer quand il remarqua le petit diamant qui était incrusté dans la coque. À la place, il lâcha un timide « ah » de surprise, et se décida à l'allumer.
Peut-être qu'en réussissant à le déverrouiller, il pourrait retrouver le propriétaire plus aisément.
« Wakatoshi-kun !! Je suis arrivé ! Ushijima releva la tête si vite qu'il manqua de faire tomber le téléphone. Devant lui, qui traversait la rue après avoir laissé sa voiture grossièrement garée de travers sur le sentier, Tendou lui lançait des grands signes de bras.
Il hocha cordialement la tête alors que son meilleur ami s'approchait de lui en souriant.
— Wakatoshi-kun, qu'est-ce que tu fais aujourd'hui ? T'as des fruits à m'offrir ?
— Bonjour, Tendou, le salua-t-il. Il baissa la tête vers son panier de légumes fraîchement récoltés, puis vers le téléphone, J'allais rentrer quand j'ai trouvé ce téléphone devant le silo. Il ne t'appartient pas ?
La tête de son meilleur ami se pencha doucement sur le côté, ses sourcils arqués.
— Un téléphone ? Comme ça ? Non, je ne vois pas. Tu sais d'où il sort ?
— Il n'est sorti de nulle part. Il était là, sur le sol. »
En simple réponse à son attitude, Tendou esquissa un sourire épuisé. Tout de même intrigué, il se permit de s'attarder sur l'appareil.
« Il y a un code ? Quelque chose ? Tu comptes le garder ?
— Je veux le rendre à son propriétaire, Ushijima récupéra son cageot. Se tenant droit, Tendou devait admettre qu'il était trop exemplaire pour son propre goût.
— T'es beaucoup trop responsable, Wakatoshi. »
Sans rien rajouter, ni même s'excuser pour son intrusion chez lui, Satori suivit le fermier jusque dans son salon. Il s'affala sur le canapé alors que son ami prenait le temps de ranger ses produits, une lueur hésitante flottant dans son regard alors qu'il gardait ses yeux vissés vers l'écran noir. Il avait pris l'habitude de faire comme s'il était chez lui. Après des années d'amitié, Tendou avait cessé les formalités, les batifolages et les petites courbettes.
« Je peux l'ouvrir ?
— De quoi ? la voix d'Ushijima résonna depuis la cuisine. Tendou le savait rien qu'à l'entendre, il devait être accroupi devant un de ses tiroirs, à réarranger ses affaires.
— Le téléphone. Je peux ?
Cette fois, Wakatoshi arriva, moins confiant. D'ordinaire, il l'aurait laissé toucher à tout sans même penser à lui jeter un autre regard. Il avait confiance en lui.
— Tant que tu ne l'abîmes pas, finit-il par accepter. Il était soucieux mais curieux, et se résuma à se pencher sur son canapé pour observer ce que Tendou faisait.
— On pourra trouver à qui il appartient, renchérit Tendou en se rasseyant plus convenablement. Lui aussi voulait en savoir plus, peut-être plus par désir d'aventure que par besoin d'être un bon samaritain, Huh. »
Ce fut le seul son qui quitta ses lèvres en déverrouillant le téléphone. Confus, il le secoua un peu, comme s'il avait été cassé.
« Quoi ? Ushijima vint s'asseoir à ses côtés. Le trouble de son meilleur ami déteignait sur lui, et il se pencha à ses côtés.
— Il n'y a pas de code. Rien, en fait. Le téléphone est vide.
— Comment ça il est vide ? »
Satori ne lui répondit pas explicitement. Il n'avait pas envie de se lancer dans de grands discours pour essayer de faire comprendre à Wakatoshi les affres de la technologie ou des expressions courantes qu'il ne comprenait pas. C'était peut-être ça aussi, vivre reclus ; on n'avait pas les codes sociaux. Tendou avait presque envie de rire.
« Je vais regarder les contacts, voir si on peut trouver quelque chose, informa-t-il. »
À deux penchés devant le portable, ils restèrent consternés à la vue du seul contact rentré dans le système. La lumière factice se reflétaient dans les yeux d'Ushijima, un océan de blanc noyant un seul maigre nom.
« Bo-san, lut-il à voix haute. Perplexe, il préféra ne rien rajouter.
— Tu devrais l'appeler, les iris perçants, Tendou le dévisagea.
— Tu penses ?
— Appelle. C'est la seule piste pour retrouver notre fameux propriétaire, n'est-ce pas ? insista-t-il. »
Et c'était tellement évident qu'Ushijima ne pouvait qu'acquiescer. Il se leva, et sous le regard luisant d'amusement de son meilleur ami, commença à traverser son salon en long, en large, et en travers. Lui qui était si flegmatique, si sage en acquiesçant avec Tendou, se retrouvait régulièrement à arpenter chaque coin de sa maison dès lors qu'il portait un téléphone à son oreille.
Satori avait l'œil insistant, alors que ses iris vagabondaient aux opposés de la pièce, suivants les mouvements de Wakatoshi. Le fermier se permit se retirer momentanément le téléphone de son oreille pour murmurer, de manière presque inaudible :
« Ça sonne. »
Et Tendou ne pouvait rien faire d'autre qu'essayer de cacher ses éclats de rire suite au comportement d'Ushijima.
« Ah ! quand l'intéressé reprit la parole, Satori redressa la tête vivement, ses rires s'évanouissant, Oui, bonsoir ? C'est ... "Bo-san" ?
Silence. Ushijima hocha la tête. Il avait l'air absent, trop concentré sur son appel pour prêter la moindre attention à son environnement.
— Oui. Oui, j'ai récupéré le téléphone. Vous connaissez le proprié– ? Ah. Très bien. Oui, je voulais le rendre– Je ne sais pas comment il est arrivé chez moi ... Monsieur ?
C'était confus, décousu. Ushijima acquiesça à nouveau, la mine un peu plus déconfite.
— Maintenant ? Non, du tout ... Oui, je serais là. Bien évidemment, je n'oublierai pas le téléphone, monsieur, il avait froncé les sourcils en prononçant ces derniers mots, et Tendou crut qu'il allait recommencer à rire en voyant son expression ennuyée. »
Une grimace plaquée sur son visage, Ushijima raccrocha. Les prunelles rivées vers l'écran maintenant éteint du téléphone, il eut du mal à retenir un soupir.
« Alors ? Tendou paraissait beaucoup trop enjoué devant son air affligé.
— Il a dit s'appeler Bokuto. Il était ... Éprouvant.
— Tant que ça ?
— Je dirais qu'il est excentrique.
Satori éclata d'un rire clair et lourd.
— Je pense qu'en terme d'excentrisme, tu n'es pas en manque, mon cher Wakatoshi !
Son meilleur ami lui lança un simple regard de travers. Visiblement, il n'avait pas tout compris, et Tendou commença à se tenir le ventre tant il riait.
— Je dois le voir au plus vite. Il a dit qu'il m'enverrait l'adresse.
Il n'avait pas l'air très impatient. En tant que meilleur ami, Satori décida que c'était son rôle de le motiver ; il sauta sur ses pieds et réajusta sa veste.
— Allons-y, alors ! Je t'accompagne, Wakatoshi-kun ! »
Le fermier n'eut pas son mot à dire. Il lança un triste dernier coup d'œil aux œufs abandonnés sur son plan de travail alors qu'il se faisait pousser dehors par Tendou.
Dans la voiture, il ne conduisit pas. Obnubilé par le téléphone, il avait du mal à comprendre la frivolité de son ami quant à la situation. Il chantonnait au volant, insouciant. Peut-être était-ce parcequ'il n'avait pas eu Bokuto au téléphone. Peut-être était-ce parcequ'il était moins strict, qu'il avait plus envie d'aventure, et que contrairement à Ushijima, le train-train du quotidien ne lui suffisait pas.
« C'est un lieu désaffecté. L'endroit qu'il m'a indiqué, je veux dire.
— Oh, et alors ? Tu penses que c'est les yakuzas ?
— Il n'avait pas une voix à être de la mafia, Wakatoshi secoua la tête, les yeux fermés. Il fallait rester rationnel.
— Comme si tu avais une idée de la voix que peuvent avoir des mafieux ! un rire rauque s'échappa des lèvres de Tendou, Tu me fais rire, Wakatoshi-kun !
— Ah, bon. »
Quand la voiture pila devant le lieu de rendez-vous, Ushijima était obligé de se confirmer que c'était étrange. L'endroit était effectivement désaffecté, un mélange de friches et containers, et à l'instar de son compère, il était plus réticent à l'idée de s'y risquer.
« Allez viens, Wakatoshi. On ne va pas faire attendre la mafia ! s'exclama Tendou. Il était déjà dehors.
— Arrête de dire ça, exhala-t-il, épuisé. Ce genre d'escapade ne lui ressemblait pas. »
Pourtant, Satori n'avait pas si tort, quand il osait rire des yakuzas. Quand il arriva dans l'usine abandonnée, rongée par la moisissure et la rouille, il ne s'était pas attendu à voir deux soldats armés se tenir derrière un homme affalé dans son fauteuil. Ils étaient silencieux, des statues menaçantes, prêtes à s'animer si les deux nouveaux arrivants faisaient un pas de travers.
Il n'avait pas remarqué de prime abord la personne assise sur les genoux de l'homme aux cheveux teints. C'était peut-être pour cette raison qu'il était aussi avachi dans son siège.
La mafia, Wakatoshi en était certain, il en faisait partie. Outre les armes et pistolets évidents, sa posture et tenue était telle que s'il l'avait croisé dans la rue, il aurait baissé les yeux. Les manches de chemise retroussées, les chaînes et bijoux en or, les cheveux plaqués en arrière ; il n'instaurait pas une atmosphère de paix et tranquillité. Wakatoshi n'était pourtant pas quelqu'un qui se laissait marcher sur les pieds, mais dans des situations comme celles-ci, il savait rester humble.
À ses côtés, Tendou ne paraissait qu'à peine plus tendu. Ça ne surprenait pas réellement son meilleur ami ; Satori n'avait jamais vraiment été quelqu'un de normal.
Mais qu'est-ce qu'était la normalité, finalement.
L'homme aux grosses chaînes se redressa un peu. Ses pupilles s'amincirent, son sourire s'élargissant. Il paraissait aux portes du délire, prêt à partir dans un nouveau monde. Ushijima avait la vague impression que c'était lui, le fameux Bokuto qu'il avait eu au téléphone.
Pourtant, avant d'ouvrir la bouche pour leur scier les tympans, il se tourna vers le jeune homme qui était assis sur lui. La main sur sa taille était plus prudente, moins agitée. Il se pencha à son oreille pour lui murmurer quelque chose, ce à quoi l'autre répondit par un silencieux hochement de tête. Il se releva, repassa sa robe du revers de sa main, et se tint droitement aux côtés de Bokuto. C'était une scène intime, et Ushijima sentit qu'il n'était pas à sa place. Il n'avait d'ailleurs rien à faire là.
« Alors ! la voix de Bokuto résonna contre les murs, rebondissant jusqu'à ses tympans. Ils vibrèrent, et Wakatoshi ne put retenir une grimace. Du coin de l'œil, il crut apercevoir Tendou pouffer de rire à sa réaction, Le téléphone.
— Oui, d'une main fébrile, Ushijima sortit de sa poche le portable. Il trébucha presque en s'avançant pour le tendre. Il ferma les yeux, se sentit ridicule, puis reprit quelques pas de recul.
— Keiji, tiens ton téléphone ! s'écria Bokuto en jetant le cellulaire à l'homme qui était précédemment assis sur lui.
— Merci, minauda-t-il. Il n'était pas penaud, si ce n'était confus, Je ne sais pas comment j'ai pu le perdre.
— Ça, c'est aussi pour ça que t'es là ! Bokuto sembla reporter toute son attention sur Ushijima, Pourquoi t'avais le téléphone d'Akaashi ?
— Je ne sais pas, répondit-il honnêtement, Il était devant chez moi, je l'ai vu quand je rentrais de la grange.
— Ça n'a pas de sens ! J'ai déjà questionné Keiji, et je lui fais plus confiance qu'à toi ! commença-t-il à se plaindre. Tendou se tourna vers son meilleur ami, qui haussa les épaules : ils le savaient l'un comme l'autre, ils étaient maintenant loin d'être sortis d'affaire.
— Je ne comprends pas plus que vous, monsieur Bokuto.
— Ça suffit ! le coupa-t-il. À ses côtés, le dénommé Akaashi lui lançait un coup d'œil fatigué. Lui aussi semblait avoir compris que ça allait être long, mais il n'en disait rien, Jusque là, je te tiens à l'œil ! »
Il commença à brandir un pistolet en l'air, comme si c'était normal, comme s'il n'était pas capable de tuer quelqu'un au moindre faux pas. Tendou prit un pas de recul : il n'était plus aussi serein.
« J'aime pas trop qu'on se foute de moi, tu comprends ! geignit Bokuto en fermant les yeux le temps d'un instant. Il passa une main agacée dans ses cheveux. Ses muscles étaient contractés. Peut-être était-il tendu lui aussi, et ça n'était sûrement pas bon signe pour Ushijima, Donc j'aimerais bien avoir le fin mot de l'histoire !
Wakatoshi sembla hésiter, puis il secoua lâchement la tête.
— Je ne vous mens pas.
— Comment je peux en être sûr ?! le poing du yakuza vint s'abattre sur l'accoudoir du fauteuil, assourdissant la pièce. À côté de lui, il sentit Tendou se raidir.
— Bo-san, murmura Akaashi en se penchant vers lui. Il lui murmura quelques mots, cachant sa bouche de sa main droite, comme si Ushijima aurait pu lire sur ses lèvres autrement.
Étrangement, le visage de Bokuto sembla s'illuminer. Les yeux un peu plus pétillants, son rictus se fit plus narquois.
— Bien ! Pour prouver que tu n'as pas volé le téléphone d'Akaashi, tu vas régler quelques corvées pour nous !!
— Pardon ? Ushijima ne pouvait s'empêcher de répondre. Il était incrédule, trop désemparé pour faire sens de la phrase qu'on lui avait adressé.
— J'avoue ne pas avoir envie de le faire ... Mais pas le choix. Donc toi ! Tu vas m'aider à régler ces broutilles, et si tout se passe bien, je considérerais que tu ne me mens pas. »
Il dut se retenir de s'offusquer de l'absurdité de la requête. Il ne pouvait pas se le permettre. Alors, il resta de marbre, impassible, tandis que Bokuto se retournait vers un des hommes armés derrière lui ; il lui lança un téléphone jetable.
« Je te contacterai avec ce portable. Ne le perds pas. Si tu ne respectes pas ce que je te demande, je te tuerai. »
Ah, ça y'est. Il faisait peur. Son regard était pesant, son sourire menaçant. Et bien que ses mains soient propres, Ushijima crut voir tout le sang qui n'était pas sien qu'il avait pu arborer dans son passé ; toutes ses chemises tachées, tous ces moments où il rechargerait son pistolet pour abattre un ennemi à bout portant. Tandis qu'à ses côtés, il crut apercevoir un sourire s'élargir sur les lèvres d'Akaashi, il commença finalement à comprendre en quoi Bokuto était un membre aussi éminent des yakuzas, et qu'il n'était pas un simple lunatique un peu en marge. Il l'avait sûrement sous-estimé. Les sourcils froncés, les lèvres pincées, il fut contraint d'hocher la tête.
« Très bien. »
Il sentait son cerveau être martelé, son front lourd, et le simple fait de sentir son crâne devenait intolérable. Sa tête était basse quand il quitta les lieux, les sourcils froncés, le regard embrumé. À ses côtés, de manière similaire, Tendou ne disait rien. C'était pourtant plus insolite que son meilleur ami ne se prononce pas, et il comprit que ses envies d'aventure et d'expédition avaient vite été refroidies. Il daigna lui jeter un coup d'œil contemplatif ; les iris de son compère étaient fixés vers le ciel, perplexes. Décidément, ça n'était pas leur journée. Ushijima reporta son attention vers le sol et enfonça ses mains dans ses poches, renfrogné. Il n'avait pas envie d'être là.
Il avait l'impression de spiraler dans une situation qui n'allait définitivement pas lui être bénéfique. Il n'avait cependant plus le choix d'en sortir, et accepta alors sa situation avec un soupir défaitiste.
« Qu'est-ce qu'ils vont te forcer à faire ? après leur marche silencieuse vers la voiture, Tendou osa enfin se poser la question à voix haute, Enfin ... T'en penses quoi ?
— Je ne sais pas, Tendou, grogna-t-il, Je suppose qu'il m'enverra un message. »
Satori plissa les yeux face à sa réponse, une moue douteuse se dessinant sur ses lèvres. Il préféra ne rien rajouter, et secoua la tête avant de s'engouffrer dans la voiture. Les doigts s'enroulant autour du volant, il prit une grande inspiration, laissant ses poumons s'imprégner de l'odeur ambiante du cuir. À ses côtés, Ushijima se crispa sur son siège. Il avait le regard rivé vers le téléphone jetable que lui avait donné Bokuto.
C'était rare pour lui de serrer les dents. C'était rare que quelqu'un réussisse à s'ancrer sous sa peau, à toucher là où ça faisait mal. C'était rare qu'Ushijima s'énerve.
Tendou était intrigué.
« Que se passe-t-il ? s'enquit-il
— Il veut mes poules.
— Pardon ?
— Bokuto. Il ... Il veut que je lui donne mes poules, il cacha son visage derrière une de ses mains, épuisé, Je ne sais même pas comment il a réussi à savoir que j'étais fermier.
— C'est la mafia. Ils doivent avoir des espions partout, il enfonça ses clés dans la voiture, ses pensées s'effaçant face au vrombissement soudain du moteur.
— Ça ne t'intrigue pas ?
— Hm ?
— Pourquoi diable les yakuzas chercheraient-ils à avoir des poules ?
— Tu sous-estimes les poules, je pense. »
Tendou ricana doucement. Wakatoshi eut du mal à s'imaginer la mafia se cacher derrière une armée de poules. Il ne comprenait pas. Il ne pouvait pas comprendre.
Alors que le paysage défilait devant ses yeux, arbres et routes tout aussi similaires les uns que les autres, tout aussi fades les uns que les autres, il sentit son mal de crâne le reprendre.
Il n'avait pas prévu que sa journée se passe de la sorte.
Quand Tendou pila dans l'allée familière devant sa ferme, il soupira presque de soulagement. La poussière, le foin, la campagne japonaise. C'était sa maison.
« Tu comptes les lui donner quand, tes poules ?
— Dès demain ...
— Tente de te reposer. »
Il ne distingua pas le marmonnement qu'il eût comme réponse, et pouffa de rire avant de refermer la vitre. Planté sur le sentier, immuable, Ushijima attendit que la voiture de son ami disparaisse dans l'horizon pour se décider à tourner les talons et sortir ses clés de maison.
Une fois entré, il jeta un las coup d'œil aux œufs qui trônaient toujours sur son plan de travail, exactement là où il les avait laissés. Il se sentait apathique, incapable de prendre conscience de la journée qu'il venait de passer, et traîna des pieds, ses membres lourds comme le plomb, jusque sa chambre. Il prit à peine le temps de retirer ses chaussures pleines de terre, de boue, avant de s'écrouler dans son lit avec autant de grâce qu'une enclume. Il avait l'impression d'être un poids lourd pour sa propre vie.
En fermant les yeux, il était persuadé qu'ignorer le téléphone aurait été un meilleur choix de vie.
N'ayant pas fermé ses volets, sa nuit lui fut arrachée des mains par un soleil resplendissant, et il fut happé hors de son monde sans rêve.
Grommelant, il se redressa. Sa bouche était pâteuse, ses bras engourdis, et sa nuque le tiraillait peu agréablement dès qu'il tournait la tête doucement vers la gauche.
Il avisa à sa propre incapacité. Il aurait dû se doucher, se changer, prendre le temps de se coucher correctement.
Sa langue tapa contre son palet de manière déçue. Si elle avait pu agir de son propre gré et lui dire qu'il avait manqué de jugeote, elle l'aurait probablement fait.
Il se leva, s'étira, et se décida à commencer sa journée de travail instantanément ; il n'avait pas pu être aussi présent que prévu la veille. Ce fut donc avec des yeux mi-clos et des sourcils en pagaille qu'Ushijima traîna des pieds jusque ses champs ; il devait s'assurer que ses plantations ne manquaient pas d'eau.
Alors qu'il avait du mal à enfiler ses gants de jardinage, le manque de sommeil le rattrapant déjà, les crissements de pneus d'une voiture vinrent le tirer de ses contemplations. Aux aguets, il se retourna brusquement, toujours accroupi au milieu des épis de blé, pour examiner une voiture aux teintes cobalt déraper dans l'allée.
Il cligna des yeux, désabusé, et sans un bruit, resta de marbre tandis qu'un policier se précipitait hors du véhicule. À ses côtés, son collègue paraissait moins précipité, moins hâtif.
« Police ! l'énervé aux cheveux blonds tambourina à la porte de sa maison, Ouvrez, Ushijima ! Vous êtes en état d'arrestation !! »
Ses cris manquèrent de faire tomber le principal intéressé à la renverse. Son cœur commença à tambouriner dans sa poitrine, il le sentait remonter, se coincer dans sa gorge, jusque dans sa bouche.
Étaient-ils au courant pour ses rencontres mafieuses ? Avait-il été jugé un danger primordial ? C'était absurde !
« Rendez-vous, Ushijima ! Nous savons que vous avez l'argent ! »
La confusion rattrapa l'angoisse qui commençait à danser dans ses prunelles. Ses sourcils se froncèrent, bien décidé à rester vissé là où il était.
Quel argent ?
« Officier Miya ... le penaud aux côtés de son policier grimaça, Il n'a pas l'air d'être chez lui.
— On enfonce la porte !
Le jeune aux cheveux verts glapit devant son ordre.
— C'est illégal !
— On a un mandat ! Il a volé une banque, c'est nécessaire ! »
Wakatoshi ne comprenait pas. Il ne comprenait rien. Lui ? Voler une banque ? Il n'était pas somnambule, et même s'il l'avait été, il doutait que l'argent soit une de ses lubies somnifères.
Il ne se dénonça pas, il ne se redressa pas. Il ne se décida pas à aborder les deux policiers. Entre l'entêtement du blond, et la possibilité d'une garde à vue qu'il ne méritait en rien, il préférait se laisser aller.
Alors, dès que l'officier défonça sa porte d'entrée d'un coup d'épaule et s'engouffra à l'intérieur en criant à tue-tête, il se faufila jusqu'à son garage. Ushijima n'avait jamais aimé fuir ; il trouvait ça lâche. Il avait toujours affronté ses problèmes de face, prêt à faire face à la justice, qu'importe les conséquences. Il avait toujours gardé la tête haute, le regard fier, le regard fort. Cependant, se faire arrêter pour quelque chose qu'il n'avait pas fait, ce n'était pas de la justice, si ce n'était de l'injustice.
Désarmé, il se rua à sa voiture et enclencha le moteur. Ses roues commencèrent à crisser contre les graviers, et son vieux tacot ronronna bruyamment avant de finalement se décider à quitter son garage. Il dérapa, zigzaguant sur la route alors qu'il essayait de surmonter son désarroi. Il avait agi dans la hâte, mais son esprit était toujours embrumé.
Qu'était-il censé faire, dorénavant ? Était-il un fugitif ? Serait-il pris en chasse ?
Les questions noyaient ses réflexions, et se rendre au poste de police pour y trouver des réponses ne lui paraissait pas viable.
Inconsciemment, il fusa sur la route jusque chez son meilleur ami. Dans ses délires lunatiques, il était le seul à être capable de l'aider à se sortir de ce bourbier sans fond.
En sortant de sa voiture, Ushijima lui adressa un regard dépité. C'était une épave ; suintante de rouille et de poussière, chaque démarrage semblait la faire souffrir. C'était un miracle qu'elle roule encore, et au vu de ce qui l'attendait, il doutait qu'elle tienne le coup encore suffisamment. Il secoua la tête et leva les yeux vers l'appartement de Tendou.
Il était là, sur le balcon. Dansant sans musique, tournoyant dans le vent dans son manteau en cuir, il n'avait l'air de ne tenir à rien, désintéressé de la vie, se mouvant au fil de l'air sans donner d'importance au monde qui l'entourait. C'était étrange, mais presque hypnotisant.
« Tendou ! ses mains se portant à sa bouche comme mégaphone, il chercha à attirer son attention.
Dans sa chorégraphie silencieuse, Satori ne put que l'entendre, et il s'arrêta net, se tournant vers Wakatoshi. Il se pencha au bord de son balcon, faisant grimacer son meilleur ami – il aurait pu tomber.
— Wakatoshi-kun ! Que me vaut ce plaisir ? s'écria-t-il depuis son deuxième étage, Tu as besoin d'aide pour tes poules ?
Misère. Entre ses maigres heures de sommeil et le débarquement des deux policiers trop insolites chez lui, il en avait oublié ses affaires mafieuses.
Tendou, devant son air renfrogné et ses sourcils soudainement froncés, éclata de rire.
— Ne me dis pas que tu avais oublié !
— J'ai d'autres problèmes, peut-être encore plus urgents. Descends ici, lui ordonna-t-il finalement.
— J'arrive, j'arrive, mon cher ami ! chantonna-t-il. »
Il disparut dans la pénombre de son chez lui, et ne réapparut en bas que quelques minutes plus tard. Ses lacets n'étaient pas noués, signe qu'il n'avait pas pris le temps de s'attarder sur quoi que ce soit.
« Quel semble être ton nouveau problème ?
— Je suis poursuivi par la police. On m'a semblablement accusé d'avoir braqué une banque.
Désabusé, Tendou cligna des yeux. La bouche entrouverte, il finit par s'esclaffer, trop sarcastique au goût de son meilleur ami, qui se raffermit un peu plus.
— Tu l'as vraiment fait ?
— Évidemment que non.
— Et alors ? Si tu n'as pas l'argent, tu n'as rien à craindre. Pourquoi as-tu fui ?
— J'ai pris peur. Ils paraissaient très peu professionnels, en se souvenant des manigances du blond hyperactif, Ushijima ne put que soupirer lassement.
— Donc, tu n'as pas d'argent ? le regard de Tendou glissa vers la piteuse voiture de Wakatoshi, Tu en es sûr ?
— Évidemment, Tendou ! Pourquoi t'occupes-tu tant de cet argent ?
Les mains enfoncées dans ses poches, le rouge s'approcha mollement de l'épave. Pilant devant les places arrière, il les pointa du doigt à travers la fenêtre crasseuse.
— Ici. Il y a des gros sacs qui dépassent.
— Quoi ? fut le seul son que les cordes vocales d'Ushijima réussirent à balbutier. »
Il se précipita aux côtés de Tendou, et avec horreur, réalisa qu'il disait vrai. Sur son siège arrière, trois gros sacs inconnus trônaient fièrement, pleins à craquer. Dans sa célérité, il ouvrit frénétiquement la porte pour les lancer hors de sa voiture. Le souffle tremblant, il s'en rapprocha et tira sur la fermeture éclair d'un des intrus.
À l'intérieur, cachés comme une précieuse mine d'or, des liasses de billets de dix mille yens. Ushijima crût s'étouffer.
« Je n'ai pas volé de banque ! s'écria-t-il en se tournant vers son ami, priant pour qu'il le croie.
— Je me doute, Wakatoshi-kun. Ça ne te ressemblerait pas. Pour autant, tu dois avouer que toutes les preuves sont contre toi, Tendou paraissait apitoyé, presque attristé devant son état si inhabituellement paniqué.
— Qu'est-ce que je fais, Tendou ?
— On jette les sacs, prend la fuite, et espère que la police ne nous retrouve pas alors qu'on gère ta quête mafieuse à côté.
— Et ma ferme ?
— Wakatoshi-kun, la voix de Satori était stricte, trop sèche pour qu'il n'y prête pas attention. Ses iris sanguinolentes stoppèrent net toutes ses pensées troublées, Oublie ta ferme. Oublie ta vie. C'est fini, tu es fini. »
Wakatoshi resta abasourdi. Devant ses airs sévères, il avait l'impression d'avoir perdu le Tendou qu'il avait tant connu. Ses prunelles étaient froides, voyant plus loin que sa simple enveloppe corporelle ; elles le mettaient mal à l'aise. Il resta bredouille, incapable de se faire à l'idée qu'il était censé tout abandonner. Rigide, il ne répondit rien.
Et Tendou se remit à rire.
« Sauf si tu veux réellement continuer à travailler à ta ferme alors qu'on a l'occasion de vivre l'aventure d'une vie ! Et prendre le risque de se faire attraper et par la loi et par les yakuzas ! Tu es bête, Wakatoshi-kun ! »
Ses éclats de rire tonitruants ne le rassurèrent en rien. Il décida d'ignorer son mal être pour se reprendre en main.
« Allons-y, alors, conclut-il, Réglons cette histoire de mafia, et ignorons la police, la loi, et ces magouilles qui ne font pas sens.
— J'approuve ce plan, un sourire narquois, puis une approbation, Allons chercher tes poules. »
Ushijima n'avait jamais été aussi reconnaissant pour son acolyte. Décidant qu'une voiture en meilleur état et non traquée par la police serait de meilleure augure, ils préférèrent sauter dans le bolide de Satori, et abandonner le tas de rouille métallique derrière eux.
Ils coururent, à droite, à gauche, esquivant postes de police et magasins trop bondés.
Ils avaient largué les sacs illégaux au beau milieu de la nuit, dans le centre-ville, le cœur lourd à l'idée de devoir se séparer de tant d'argent pour Tendou, l'esprit léger en ne sentant plus peser sur sa conscience ce crime qu'il n'avait pas commis pour Ushijima. Dans la semaine qui suivit, gros titres dans les journaux, la police confuse, scandales apparaissant et théories se faisant entendre sur les réseaux. En arrivant sur les lieux, l'officier Miya s'en était arraché les cheveux, incapable de comprendre le but et raisonnement de son fugitif. Son partenaire était resté de marbre, désorienté ; l'affaire était lunaire.
Quand ils arrivèrent finalement devant Bokuto, traînant derrière eux une dizaine de cages emplies de poules criantes et gueulardes, Akaashi, immuablement posé aux côtés du chef mafieux, grimaça visiblement et prit un pas de recul, avant de fermement se faire attraper le poignet par son amant, pour le garder à sa place.
« La prochaine fois, je préférerai que tu viennes seul, amèrement, il jeta un œil douteux à Tendou, qui lui lança un regard noir.
— Est-ce vraiment nécessaire ? s'étonna Ushijima. Devant lui, les poules continuaient de piailler. Il ne comprenait toujours pas ce qui intéressait autant les yakuzas dans ses volailles.
— Depuis quand tu penses avoir le droit de questionner mes volontés ? lui intima Kôtarô, la voix tranchante de haine. »
Wakatoshi n'osa plus ouvrir la bouche, pas même pour s'excuser de lui avoir manqué de respect. Bokuto haussa un sourcil dédaigneux, et en remarquant qu'il resterait à sa place, s'autorisa à continuer.
« Je t'enverrai une adresse, après ça. Il faudra que t'ailles me récupérer des cartons.
— Des ... Des cartons ? questionna Ushijima, confus, Quels cartons ?
— Tu penses que ça te regarde ? claqua le yakuza, agacé. »
Les lèvres pincées, Ushijima se renfrogna, sous l'œil amusé de son meilleur ami. Il ne fut pas assez inconscient pour l'inspecter, lui demander ce qu'il comptait faire avec ses précieuses poules.
Quand ils furent hors de l'entrepôt, il grogna ouvertement, et commença à se plaindre que ça n'en finirait jamais.
« J'ai l'impression de vivre un enfer, se confia-t-il, et Tendou fut incapable de le réconforter. Dans sa misère, il n'avait pas entièrement tort, et Satori ne mentait jamais. »
Wakatoshi n'avait pas pensé si bien dire.
Le lendemain, quand il se gara devant l'immeuble désaffecté, les pneus de la voiture de Tendou souffrant bruyamment sous son freinage hâtif, il resta dubitatif. Cette fois-ci seul, bien conscient que son meilleur ami ne pouvait pas se permettre de l'accompagner dans toutes ses escales morbides et illégales, il enclencha le frein à main, et quitta le vehicule. Contrairement à lui, Satori avait un travail régulier, et n'était pas son propre chef : il n'avait pas le choix que de mener une vie régulière, aux normes sociétales qui lui avaient été imposées dès son plus jeune âge. Ushijima avait toujours été plus libre, plus paisible dans ses choix de vie et ses horaires.
Avec amertume, les prunelles fixées vers l'entrée peu accueillante du bâtiment, il dut admettre qu'il n'était plus très libre, ces temps-ci.
Penaud, cachant sa présence comme il le pouvait, il se dirigea vers le seuil de la bâtisse, toujours aussi tourmenté à l'idée de ce qui pouvait se trouver dans les cartons qu'il allait devoir transporter. La poussière assaillait ses chaussures, et les toiles d'araignée tentaient vainement de l'empêcher d'avancer. Y'avait-il vraiment du traffic dans un endroit si abandonné ? L'air empestait les acariens, venait chatouiller la gorge d'Ushijima et ses narines, lui donnant l'impression qu'à chaque inspiration, la poussière ambiante venait s'accumuler dans ses poumons. Il porta sa main à ses lèvres, s'empêcha de tousser ; il n'était pourtant pas allergique.
Avançant péniblement, se forçant à se diriger d'un pas lourd vers son inéluctable destinée, Wakatoshi finit par tomber face à une porte – la chambranle serait plus exact, car la porte en elle-même n'existait pas. Un trou, délimité, qui n'avait jamais eu la chance de pouvoir accueillir ce pour quoi il avait été créé. Il s'apprêtait à s'y engouffrer quand un râle courroucé lui traversa les tympans. Se figeant net contre le mur, il ne fit plus un bruit.
« C'est n'importe quoi ! s'énerva le porteur de la voix, J'en ai marre !
Il reconnaissait cette voix. Pour autant, prendre le risque d'en observer le propriétaire ne l'attira pas ; il n'était pas assez curieux pour prendre ce risque.
Un bruit sourd, et un fracas. Ushijima sentit ses muscles se tendre de surprise contre son gré.
— Officier Miya ! glapit un autre. »
Ah.
Ushijima pensa à fuir. Il pensa à prendre ses jambes à son coup tant qu'il en était encore temps, à courir jusque sa voiture pour filer jusque l'autre bout du pays avant que les deux policiers qui avaient tambouriné à sa porte ne le repèrent.
« Non ! Ta gueule ! C'est trop, on nous mène par le bout du nez ! On est ridiculisé par ce diable d'Ushijima ! injuria Miya. Dans ses mouvements hargneux, il fit tomber une autre pile de cartons.
— Peut-être que notre informateur n'était pas fiable ...
— Des crèmes au chocolat ! Des dizaines de cartons de crème au chocolat ! s'étrangla le blond, Pourquoi Ushijima a-t-il besoin d'autant de desserts ?! Il nous nargue, c'est une provocation ?! Je vais le traîner dans la boue !
— Peut-être que tout n'est qu'une supercherie, officier Miya–
— Ta gueule, Yamaguchi ! rouspéta-t-il, son nom sec dans sa bouche, Je sais ce que je fais !
— Mais enfin ... Admettez que ça n'a aucun sens ...
— Silence ! Je vais embarquer ce criminel jusqu'en taule moi-même, on a les preuves suffisantes ! Putain ! »
En l'entendant continuer à saccager les boîtes sous les plaintes de son collègue, Ushijima avisa, et tourna les talons. C'en était trop pour lui.
Sur un point, il ne pouvait qu'être d'accord avec Miya : des crèmes au chocolat, pourquoi ?
Pourquoi diantre la mafia aurait-elle besoin de crèmes au chocolat ? Wakatoshi n'était pas idiot, s'ils avaient dû se nourrir, ils auraient sûrement quémandé plus luxueux, plus classe. Du steak de Kobe en grande quantité, des truffes ou du caviar, mais certainement pas des crèmes industrielles.
Alors qu'il enfonçait ses clés dans la voiture, les questions et soupçons troublaient son esprit.
Que faisait la police ici ? Un informateur ? Ça ne pouvait pas être une coïncidence. Leur présence, celle d'Ushijima ; tout était trop concordant et simultané pour que ça ne soit qu'un simple coup de téléphone d'un inconnu l'ayant aperçu au volant de sa voiture par hasard. Il commença à douter : était-ce prévu ? Lui voulait-on du mal ? Toute cette affaire commençait à lui sembler étrangement liée de nœuds invisibles qu'il n'arrivait pas encore à déchiffrer. Allait-ce mener à quelque chose ? Jouait-on avait lui ? Quelqu'un avait-il un but ? Était-ce ce supposé quelqu'un qui avait déposé ce fichu téléphone dans son allée ?
Suite à cette altercation, Ushijima se sentit sombrer dans la paranoïa.
Les foudres de Bokuto suite à son échec cuisant, son incompréhension quant à ses requêtes étranges, et les inquiétudes de son meilleur ami au vu de son état ; il n'en avait que faire.
Il se sentait observé, examiné sous toutes ses coutures. Chacun de ses faits et gestes scrutés, aussi infimes et inutiles soient-ils, chacune de ses paroles entendues.
Il commençait à avoir l'impression d'être suivi, d'entendre des bruits de pas crissants contre les graviers derrière lui quand il allait quelque part. Il se retournait alors, sur le qui-vive, pour remarquer qu'il n'y avait personne. Il prenait garde aux agresseurs au beau milieu de sa salle de bain, la brosse à dents encore moussante dans sa bouche, et vérifiait trois fois ses rétroviseurs avant même d'oser démarrer sa voiture, dès qu'il avait une course à faire.
Sa tête lui tournait, son crâne le tapait. Tout son corps criait douleur, criait aux intrus, aux intrus qui lui étaient invisibles.
Tendou commença à porter une lueur soucieuse dans ses iris aux reflets carminés dès qu'ils s'attardaient sur Ushijima.
Il ne semblait d'ailleurs pas y avoir de fin à son calvaire ; les requêtes de Bokuto s'accumulaient, aussi loufoques, incompréhensibles et inutiles les unes que les autres. Les remarques cinglantes d'Akaashi sur son manque d'efficacité étaient tout aussi dures à avaler, et face à ses pupilles sombres, Ushijima était forcé de ravaler sa fierté. Petit à petit, lui aussi sombrait, ne voyait plus la lumière au bout du tunnel. Sur tous ses chemins, les officiers qui étaient à ses trousses semblaient aussi s'y retrouver, de manière étrangement inopinée.
Wakatoshi n'était pas retourné à la ferme. Il ne dormait que d'un œil, se tournant et se retournant dans le lit de la chambre d'amis de Tendou, incapable de se laisser aller sous la lourdeur des regards inexistants dans son dos. Après des semaines infernales, il n'arrivait plus à se souvenir de la dernière fois où sa nuit avait fini paisiblement, sans réveil alarmé ou rêves mouvementés.
Assis au bord du canapé qui s'enfonçait sous son pied, vieillissant et ayant du mal à supporter son poids – Tendou n'avait pas les moyens de s'acheter un sofa neuf, et l'avait trouvé dans la décharge publique – Ushijima sirotait son café sans réelle volonté. L'amertume glissant avec difficulté dans sa gorge le tenait éveillé sûrement plus que la caféine elle-même.
« Wakatoshi-kun ... »
Il releva la tête vers Tendou. Il ne s'écriait plus de joie en le voyant ; il restait soucieux, laissant sombrer son enthousiasme devant les iris ternes de son ami. Il n'avait pas envie de se réjouir d'être avec Ushijima quand la vie de ce dernier semblait s'être noyée dans un désastre sans fond.
« Oui ? soupira-t-il. Il posa sa tasse sur la table basse. Ne plus devoir se forcer à boire son café lui remontait un peu le moral.
— Tu me l'avais dit, que tu trouvais que cette histoire était trop louche, n'est-ce pas ? Que ça ne faisait pas assez sens ? lui rappela Satori en prenant place à ses côtés. Les ressorts du canapé grincèrent, et il s'affaissa un peu plus sous le nouveau poids, J'ai voulu me renseigner. Je voulais que tu aies raison, parceque tous ces enchevêtrements mesquins commencent aussi à me faire douter. Il y a quelque chose qui nous échappe.
Il y eut un moment de silence. Tendou eut l'air d'hésiter, et, la mine déconfite, Ushijima finit par oser lui répondre :
— Que veux-tu me dire ?
— Je suis allé au poste de police, plusieurs jours, pour voir si j'y trouverais l'informateur dont tu avais entendu parler. Tu sais, l'épisode crème au chocolat.
— Oui, évidemment que je sais, Tendou, impassible, Ushijima hocha la tête.
— Euh ... Bon, bredouilla le rouge en secouant la tête, Je n'ai rien trouvé là bas, sans surprise. Par contre, en surfant sur les réseaux, j'ai trouvé des comptes qui enquêtaient et théorisaient sur toi.
— Vraiment ?
— Oui, son téléphone dorénavant entre les mains, il commença à fouiner dans sa galerie, avant de planter son écran devant les yeux de Wakatoshi. Il eut un mouvement de recul, louchant devant la luminosité artificielle qui venait de l'agresser, Regarde. C'est un utilisateur du nom de « human_tangerine10 » qui publie le plus. »
Il fronça les sourcils, soupirant audiblement. Reprenant correctement son téléphone, son regard resta rivé dessus, préoccupé, et il secoua lassement la tête.
« Il y a tout un réseau de théories et informations mensongères. Pour autant, c'est ce type qui s'acharne le plus. Et peut-être que ... Peut-être qu'il t'aurait aperçu, et renseignerait la police. Mais, aussi plausible que ça puisse être, ça n'expliquerait pas tout. Comment pourrait-il prédire tes déplacements, l'heure à laquelle tu y vas ? Je ne sais pas, je suppose. Désolé de ne pas être plus utile, Wakatoshi.
Il hésita à lui faire remarquer qu'on avait peut-être placé des caméras autour d'eux. Ça n'arrangerait en rien l'état de son meilleur ami, et n'était en rien plus plausible. Satori restait, et resterait sûrement, impuissant.
— Ne t'en fais pas, Tendou, bien que ses mots soient doux, sa voix était fade et inlassablement monotone, Je suis déjà très reconnaissant que tu croies en moi. Tu en fais déjà suffisamment.
— Je continuerai de me pencher sur le sujet ! J'irais trouver la petite bête, trouver la clé de ce mystère ! il se releva brusquement, braillant ces promesses comme un enfant en quête d'aventure.
Cela fut suffisant pour qu'Ushijima esquisse un timide sourire.
— Très bien. »
Pour autant, le mystère resta toujours aussi épais, ses accrochages avec la police toujours aussi fréquents, alors que Wakatoshi tentait tant bien que mal de se plier aux ordres grotesques de Bokuto, qui ne se lassait toujours pas de le mener par le bout du nez.
Wakatoshi commença à croire que Tendou se battait en ligne contre cet « human_tangerine10 » vaillamment, l'entendant taper sur son ordinateur portable presque tous les soirs, des cris stridents quittant ses lèvres, ses mains venant empoigner ses cheveux tant il semblait irrité par les réponses qu'il recevait.
Néanmoins, il n'obtenait aucun résultat. Ni Tendou, ni lui ; et il commençait à perdre espoir.
Perdre espoir quant à sa liberté, perdre espoir quant à son futur et les possibilités qui l'avaient tant attendu. Collé comme un chewing-gum aux basques des yakuzas, Bokuto ne semblait pas être prêt à se débarrasser de lui, et, dans son classique entrepôt délabré qu'il ne quittait visiblement pas – Ushijima commençait à y penser sérieusement – il accumulait dans l'ombre les babioles et produits loufoques qu'il quémandait tant.
C'était illogique, mais Ushijima avait laissé tomber la logique de sa vie un grand nombre de semaines plus tôt.
En se réveillant un matin, il eut encore l'amère impression de ne pas avoir dormi.
Lundi, mardi, vendredi ou dimanche : il ne savait plus. Le temps n'avait plus de valeur, ses rythmes et habitudes n'existaient plus. Il ne se fiait qu'à ses activités : aller voir Bokuto, repos, fuir les inspecteurs Miya et Yamaguchi, se démener pour ramener à Bokuto ce dont il avait besoin.
Il se leva, alla aux toilettes, se brossa les dents, cracha dans le lavabo, se rinça la bouche. Toujours le même schéma, toujours la même rengaine. C'était sa seule petite échappatoire matinale, celle qui lui permettait de garder pieds sur Terre, de s'empêcher de se perdre indéfiniment.
Tendou n'était pas dans l'appartement, signe qu'Ushijima s'était levé suffisamment tard pour qu'il soit déjà parti travailler.
En haussant les épaules, il se rappela que ça n'était pas important. Aujourd'hui, il allait voir Bokuto une énième fois. Aujourd'hui, il irait sans Tendou pour l'accompagner, un point c'est tout. Il n'y aurait personne pour l'attendre à sa sortie de l'entrepôt, personne pour le questionner sur ses nouvelles demandes, personne pour lui apporter un soutien inébranlable.
Renfrogné, il s'habilla et ne perdit pas de temps à se faufiler dans la voiture. Entre appréhender toute la journée ou se morfondre jusque tard le soir, son choix était fait. Cela faisait longtemps qu'il avait accepté la morosité de sa vie, et la boule au ventre ne l'aiderait pas.
Le moteur ronronna habituellement, chaleureux. Il accueillait Ushijima, l'acceptait au sein du bolide. Parfois, Ushijima se disait qu'il aurait préféré que la voiture le refuse, ne daigne pas s'avancer. Ça lui donnerait une excuse pour ne pas avoir à quitter son nouveau logement.
Malheureusement, la voiture que Tendou lui avait gracieusement laissé était fière, et alors que son meilleur ami prenait semblablement les transports en commun quotidiennement, Wakatoshi avait le luxe de pouvoir se déplacer dans son précieux carrosse.
Il connaissait dorénavant le chemin par cœur, pouvait décrire le paysage sans même l'observer, et savait quand tourner avant même que la route le lui fasse savoir.
Quand il pila finalement devant l'habituel entrepôt délabré, il grimaça, et après un long moment en silence, se décida à relâcher le volant qu'il avait fermement agrippé. Un soupir éreinté s'échappant de ses lèvres, il se dirigea vers le bâtiment, prêt à être jeté en pâture à l'autre bout de la ville pour une raison absurde.
Cependant, le spectacle sous ses yeux une fois qu'il s'insinua à travers les portes coulissantes fut tout autre. Devant lui, un tableau vivant plutôt qu'une réelle scène de vie. Immobiles, figés et amorphes sur le sol, les mafieux qui l'avaient tant tourmenté.
Bokuto était étalé sur le sol, son éternelle chemise noire poisseuse de sang. Au beau milieu de son torse découvert, trois impacts de balle. Il était inerte, son corps flasque et loin de la fermeté qu'on lui avait connu.
Ushijima fut pris d'un renvoi. Sa main se portant à sa bouche, il détourna le regard de ses yeux vitreux, incapable de s'y plonger plus longtemps. Son estomac se retournait, ses tripes se tordaient.
Devant tant de sang, tant de traces de lutte, sa tête commençait à vaciller, à s'embrûmer. Les murs bétonnés, abandonnés, étaient maintenant peints de pourpre. C'était à en vomir, et Ushijima eut du mal à s'en retenir.
Quand le bruit d'une toux étranglée lui scia les tympans, il fut forcé de reporter toute son attention sur les corps jonchant le sol. Il y trouva, éternellement aux côtés de Bokuto, Akaashi qui tentait de ramper sur le sol vers son amant.
Ses jambes réagirent avant son cerveau, et en instant, Ushijima était agenouillé à ses côtés.
« Putain, jura le brun entre deux toux ensanglantées, Putain !
Les mains de Wakatoshi, tentant désespérément d'arrêter ses hémorragies, commencèrent à se noyer dans son sang. Ses doigts se mêlaient à son hémoglobine, appuyant vainement contre sa cuisse, contre son ventre.
— Les urgences ... commença-t-il à expirer, Il faut appeler les urgences.
— Inutile, la voix de Keiji était toujours aussi rêche, toujours aussi haineuse quand elle s'adressait à lui, Incapables ... Ça ne sert à rien.
Ses lèvres étaient rouges. Ushijima le savait ; ça n'était pas du maquillage.
— Putain ... un sanglot le quitta, C'est Hinata ... Enfoiré d'Hinata ... »
Ignorant le fermier paniqué contre lui, il essaya de ramper vers Bokuto. Il continua d'injurier ce Hinata, d'insulter sa mère, sa famille, et tous ses descendants. Les jurons seyaient sa bouche, ils sortaient comme des simples mots, fluides.
Dans son délire morbide, quand il réalisa qu'il était incapable de frôler la main de celui qu'il aimait, il recommença à sangloter.
« Bokuto, l'appela-t-il, Bokuto ...
Même si Bokuto avait été vivant, il n'aurait sûrement pas pu l'entendre. Ses jérémiades étaient si faibles que même Ushijima avait du mal à les discerner.
— Je veux pas, s'étrangla-t-il, Non ... Je veux pas mourir– il cracha un caillot de sang, l'étalant sur le t-shirt jaunisse de Wakatoshi, s'étouffant entre deux sanglots, Bokuto ... Boku– »
Un bruit claqua. Sourd et lourd, il résonna dans le silence de la salle. Il transperça les tympans d'Ushijima, l'assommant momentanément, et traversa la tête d'Akaashi.
Dans ses bras, sous ses mains, le corps du jeune homme se relâcha.
Le corps d'Ushijima resta quant à lui raidi. Ses yeux écarquillés, il sentit les éclaboussures de sang contre son visage, venir tâcher ses cheveux et parsemer ses vêtements. Il arrêta de respirer.
« Bokuto, Bokuto. C'est qu'il me soule, à geindre comme ça, au dessus de lui, une voix reprit. Elle rompit le silence, abusivement suave après le coup de feu, Ah, ça m'énerve. »
Wakatoshi n'osa pas tourner la tête. Il n'osa pas relever les yeux, n'osa pas faire face à l'assassin qui en était le porteur.
Il n'osa pas y croire.
« Eh, tu trouves pas qu'il était lourd, Wakatoshi ? »
Silence.
Dans l'ambiance macabre, son visage resta blême, immuable.
Il ne sentait plus son cœur battre. Il ne sentait plus son souffle. Peut-être était-il encore en apnée. Peut-être qu'éviter de respirer lui éviterait aussi de faire face à cette réalité.
« Eh, Wakatoshi, répéta l'autre, plus ardemment. »
Il ne répondit toujours pas. Les poings fermés contre le corps atonique d'Akaashi, il ne se permit pas de répondre.
« OH ! JE TE PARLE ! il se fit attraper par le col, et en l'espace d'un instant, se retrouva nez à nez avec Tendou. »
Il était fulminant, ses pupilles sanguinolentes, meurtrières. Il secoua violemment son meilleur ami, et le laissa retomber sur ses pieds l'instant d'après.
En claquant sa langue contre son palet, son regard se désintéressa de lui. Il passa une main dans ses cheveux, les ramena en arrière, et lorgna le corps d'Akaashi.
« Faut bien avouer qu'il n'avait pour autant pas tort. Enfoiré d'Hinata. Il a tout gâché. Il faut croire qu'il était une connaissance de ce con de Bokuto, au final.
— Tendou ... ? le son était étouffé, presque terrifié.
Non, presque aurait été mensonger. La voix d'Ushijima était lacée d'horreur.
— Ah ? il se retourna vers lui, Hinata. « human_tangerine10 », tu sais ? Il a découvert la planque de Bokuto, et a balancé aux flics. La descente a eu lieu plus tôt que prévu. Enfin, avec un officier comme Miya, ça ne m'étonne qu'à moitié.
Un cri aigu quitta ses lèvres, une exhalation agacée.
— Ah, ça m'énerve ! reprit-il. Il parlait seul, J'aurais tant aimé te faire tourner en bourrique au moins quelques mois de plus !
— Quoi ? finalement, sa langue se délia. Les mains le long du corps, il les sentit. Elles étaient moites, entre sueur et sang.
— Tu comprends finalement ? J'ai été bon acteur, pas vrai ?
— Je ... c'était rare pour Ushijima de buter sur ses mots, de ne pas trouver les bonnes syllabes, les bons termes à employer, Je ne comprends pas du tout.
— Nuance ! Tu ne veux pas comprendre ! s'écria le rouge en pointant son revolver sur lui, Tendou Satori ! Récompensé d'un oscar pour son rôle d'une vie, que dis-je son rôle d'ami ! Un film débuté au lycée ! Une vraie prouesse ! »
Il leva les bras au ciel, s'acclama tout seul, et tournoya sur lui-même.
Ushijima avait été habitué à ses délires. Depuis le lycée, il l'avait vu jouer avec l'illusion, rire seul et s'animer sans raison. Il en avait l'habitude, mais pourtant, cette fois-ci, il resta de marbre tant la scène était glauque.
« Allez, quoi. Avoue que j'étais incroyable. Tu n'as pas une fois douté de moi !
— Tendou ... balbutia-t-il, tétanisé, Qu'est-ce que tu racontes ?
— Ah ! Excuse-moi ! il haussa le ton, faisant grimacer son compagnon, C'est vrai que tu ne comprends jamais rien ! Laisse moi alors te conter, l'histoire d'un pauvre écervelé. »
Il se plia en avant, s'abaissant devant lui comme un magicien ; sauf qu'à la place du haut-de-forme, son pistolet lui faisait office d'accessoire. Ushijima n'eut aucune réaction face à sa courbette.
« Tout commence le jour où tu ramasses ce maudit téléphone ! La cause de tous tes malheurs, la source de tes tourments ! Ce téléphone, c'est celui d'Akaashi, adjoint du grand yakuza Bokuto Kôtarô ! Avec l'aide de ton fidèle compagnon, tu te décides à le lui rendre !
— Je sais tout ça, Tendou, le coupa-t-il amèrement, C'est ce qu'on a vécu.
Satori s'arrêta dans ses divagations, un sourire narquois au coin des lèvres. Ses yeux lui lancèrent un éclair espiègle.
— Savais-tu aussi que c'était ton si dévoué compagnon qui avait attrapé le téléphone d'Akaashi pour le jeter devant chez toi ?
Ushijima se crispa. Les lèvres pincées, ses sourcils restèrent froncés. Tendou éclata d'un rire rauque.
— L'histoire de l'écervelé ! L'histoire de l'écervelé qui se fit trahir par son seul et unique ami ! il posa une main sur son cœur, puis sourit, Moi !
Sous le silence pesant de Wakatoshi, il continua de rire.
— J'ai déposé ce téléphone, sachant pertinemment que ton pragmatisme éternel te ferait le rendre à son propriétaire ! Et Bokuto ... Bokuto n'est qu'un idiot. Un idiot sous mes ordres, qui obéissait à chacune de mes requêtes aveuglément, sans questionner mon autorité, alors que je n'étais qu'une voix au téléphone !
— Bokuto, sous tes ordres ? répéta Ushijima, incrédule.
— Dur à avaler, quand tu croyais si bêtement que je travaillais devant un petit ordinateur, dans un petit box, dans une petite compagnie, pas vrai ?
— Tu mentais depuis ... Depuis tout ce temps ?
— J'AI MENTI DÈS NOTRE RENCONTRE AU LYCÉE ! rugit-il en lui plantant l'embout du pistolet entre les deux yeux. Il était froid, glacé contre sa peau, laissant Wakatoshi aphone.
Les sourcils froncés, les traits épaissis, Tendou finit par se relâcher. Il soupira et recula.
— D'abord, les poules. Te déchirer de ta vie, te faire comprendre ce qu'était la douleur. Ensuite, les crèmes au chocolat. Ça me surprend que tu n'aies pas trouvé le rapport étrange ! Après tout, c'est mon plat préféré !
— Mais ... Ça n'a pas de sens.
— Évidemment, que ça n'avait pas de sens ! Tout était si insensé, et toi, aussi bête que tu sois, tu y as désespérément cherché une logique, sombrant dans une folie jouissive ! Après ça, j'ai continué. Les oranges, les appels lumineux au bord des ponts, les livraisons de colis sans noms aux bureaux de poste. Enfin bon, tu connais la liste.
Wakatoshi était amer. Le regard que lui lançait Tendou le rendait malade.
— Et pour couronner le tout, la police ! La cerise sur le gâteau, la touche finale ! il continua de s'écrier, J'ai pris l'argent récolté par les yakuzas lors du dernier braquage, et ait pris un malin plaisir à les mettre dans ta voiture une fois que tu te fus écroulé chez toi, après cette si dure journée ! La suite, tu la connais, un geste désinvolte de la main, et il soupira, J'ai appelé les flics pour leur donner les informations.
— C'était toi ... ?
— QUI D'AUTRE ! éclata Satori d'un ton théâtral, Ta confiance, si durement gagnée au fil des années, enfin à ma disposition ! Tu me disais tout, et moi, je n'avais qu'à transmettre à cet idiot d'officier qui y croyait dur comme fer. C'était drôle, tellement drôle ! Te voir confus, te voir paniquer. Voir ton visage se dégrader tous les matins, te voir perdre la tête, c'était magique ! C'est fou que tu n'y aies pas pensé ! Hinata a été un parfait bouc-émissaire, mais je ne m'attendais pas qu'il réussisse à remonter si haut. C'est malheureux. »
Ushijima aurait voulu ne pas y croire.
Évidemment, qu'il n'y avait pas pensé. Comment aurait-il pu ? Il baissa les yeux. Son regard était hagard, vaquant, ses pupilles incapables de se focaliser sur un point fixe.
« Pourquoi ? »
Il n'arrivait plus à réfléchir. Ce seul mot résonnait dans les confins de son crâne, enchaînait son cerveau. Son meilleur ami, son ami le plus proche ; il l'aurait trahi, depuis toutes ces années ? Il l'aurait traîné dans la boue si longtemps, prévu un tel plan depuis le début ?
Tendou s'esclaffa amèrement. Il n'avait plus l'air d'humeur à rire.
« Je voulais te voir tomber, évidemment. Te voir souffrir, te voir mourir. »
Ses iris étaient froids et cruels. Ushijima ne connaissait pas ce Tendou. Devant son absence, Satori haussa un sourcil, ennuyé.
« Tu ne t'en souviens pas, n'est-ce pas ? Je m'en étais douté, et ça m'a permis de préparer cette vengeance. Mais se dire que même maintenant, tu es incapable de t'en rendre compte ! il appuya ses mots, et brandit à nouveau son revolver. À chacun de ses mouvements, Ushijima sentait son cœur bondir hors de sa poitrine, criant pour s'évader de sa prison d'os.
— Vengeance ? il se maudissait d'être aussi incapable. Il n'arrivait même pas à parler correctement.
— Et oui ! Vengeance ! Tu veux que je te raconte une autre histoire ? Celle du bouffon sans roi. La mienne, Tendou se pencha en avant, se rapprocha de lui, et lui susurra ces mots, Rappelle-toi, Wakatoshi. Toi et moi, ça remontait de bien avant le lycée.
— Je ... Je ne comprends pas.
Satori s'éloigna et se laissa une nouvelle fois aller à ses éclats de rire, cette fois trop sarcastiques pour qu'Ushijima y reste indifférent.
— Souviens-toi, Wakatoshi ! En sixième ! En cinquième ! J'étais un enfant seul, mal aimé, et c'est toi– toi seul, qui a provoqué ma descente aux enfers ! narra-t-il, Tu jetais ton plateau sur le mien au lieu d'aller à la poubelle, tu me faisais tomber dans la cour devant tout le monde. Et tu l'as toujours fait avec tant d'indifférence ! Tu étais si hautain, as ruiné tous mes espoirs, toute ma vie ! J'ai passé mon collège a être traîné dans la boue, par ta faute ! Ma misère, mon désespoir ... Je dois mes cicatrices à ta simple existence.
Ses mouvements se faisaient brusques. Sa main tiquant légèrement, prise de spasme, il soupira, et prit du temps pour se calmer.
— C'était seulement légitime que je te rende la pareille, et fasse de ta vie un véritable enfer, murmura-t-il, Après avoir changé de collège tant la pression était de trop, je me suis retrouvé dans le même lycée que toi. En réalisant que dans ta condescendance, tu n'avais même pas une idée de mon existence, j'ai décidé que ça serait mon moment de briller !
Haletant, le regard rivé vers le ciel, il finit par se retourner vers Ushijima.
— C'était bien drôle, Wakatoshi. Mais ça s'arrête maintenant.
— Je ... Je ne me souviens de rien, avoua-t-il honteusement. Il avait mal à la tête, et n'arrivait même pas à douter des vérités que Tendou lui avait énoncé.
— Évidemment ! Tu es trop haut pour te souvenir d'un avorton comme moi !
— Je suis désolé, Tendou. Je n'ai jamais cherché à être condescendant.
— C'est un peu tard pour ça, tu ne penses pas ? ricana-t-il aigrement, Ça suffit, maintenant. J'en ai marre de ton inlassable inexpression. Je vais en finir, mettre fin à mes démons. Mettre fin à ta vie.
— Tu ne penses pas que c'est un peu excessif ? se défendit-il. Ses cordes vocales continuèrent de lui faire défaut, et sa voix vacilla.
— C'EST TA MÈRE QUI EST EXCESSIVE ! hurla Tendou, braquant une nouvelle fois l'arme contre son front. »
Wakatoshi prit un pas de recul instinctif. Pour autant, cette fois-ci, Satori n'abaissa pas son arme, les dents serrées de rage, le souffle fulminant.
« Est-ce ça, l'effet papillon ? murmura Ushijima, à bout de souffle.
— Pas du tout, s'esclaffa Tendou, Ça, c'est les simples conséquences de tes propres actions. »
Un silence.
Ushijima n'osa pas bouger. Tendou n'osa pas tirer.
Puis,
« Je ne te demande pas tes derniers mots. Te connaissant, tu les gaspillerais de manière trop apathique. »
Ushijima resta muet.
Fuir aurait été inutile. Il n'était même pas sûr qu'il en aurait été capable.
« Adieu, Wakatoshi. »
Le coup partit.
| THEME 2 |
(Même s'il pourrait en fait rentrer dans le thème 1, mais je vais rien rajouter)
NDA : J'espère que dans tout ce bordel, vous vous serez retrouvés, et que le one-shot vous aura plu !
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