𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 ₄₅

➠ ❛Faire le vide en-dessous de tout

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Les heures passaient sans être vues, la nuit s'écoula dans un secret légitime, et le lendemain arriva avec discrétion. Hizashi et Shōta s'installèrent à leur place respective, et lorsque quelques élèves, amis ou bêtes camarades de classe, s'adressaient gentiment à eux pour leur offrir toutes leurs condoléances, seul l'aîné les remerciait avec une jovialité falsifiée. Forçant un sourire comme il le faisait si bien, le jeune Yamada se mit à papoter avec Tomoaki et Ine, jetant bien entendu plusieurs coups d'œil vers le noiraud. Celui-ci s'était endormi sur sa table, et personne ne vint le déranger.

La journée fut étonnamment calme. Bien sûr, Hizashi restait fidèle à lui-même et aimait bien perturber le cours, et même si le professeur fut un peu plus indulgent, il perdit toutefois le contrôle et le renvoya de la classe au bout de la troisième heure, n'en pouvant plus de son énergie.

À midi, il racontait des futilités à Aizawa qui picorait dans son bento dans un genre de quiétude, et Nemuri lui répondait avec un certain entrain. Tout semblait bien aller, comme si rien n'était arrivé, comme si hier encore ils ne pleuraient pas lors d'une cérémonie, comme si une année scolaire entière venait d'être effacée de leur mémoire.

L'après-midi, les dix-neuf élèves de la classe A se retrouvèrent sur le terrain pour l'entraînement super-héroïque. Tout se passa bien. Ils se donnèrent tous, ou presque, à fond, et le soir venu, le jeune Yamada attendit son meilleur ami vers les vélos cadenassés. Lorsqu'il arriva, les mains dans les poches et l'air éternellement blasé, le garçon à l'alter vocal eut un large sourire et lui fit un geste de la main.

« Tu montes avec moi ou Oboro ? »

Ils se dévisagèrent un certain temps, puis le bilingue se corrigea, soudainement mal à l'aise.

« Sorry, je n'ai pas réfléchi. L'habitude. »

Le noiraud prit silencieusement place sur le porte-bagage et étreignit le blond par derrière, la tête dans le second casque. L'énergique, dans un soupir discret, accepta l'absence de répartie et donna un premier coup de pédale pour démarrer, et s'engagea sur la piste cyclable.

La route était dégagée et le soleil brillait peu. Hizashi papotait avec son passager sans que celui-ci ne réponde, et au bout d'un certain temps, il marqua un temps d'arrêt pour laisser passer une voiture qu'il n'avait pas tout de suite remarquée. Prenant sa respiration, il démarra une nouvelle fois son véhicule orange fluo, veillant à être plus attentif cette fois-ci, et au bout d'un certain temps, il arriva devant chez Shōta. Il le laissa descendre et récupéra le casque.

« Je viens te chercher demain à la même heure que ce matin, alright ? »

Aizawa hocha faiblement la tête, tourna les talons et disparut dans la maison. Hizashi fixa un certain temps encore la porte d'entrée, avant de, d'un clin d'œil, perdre son grand sourire. Il baissa la tête, prit une grande inspiration et emprunta la direction de chez lui, où personne ne l'accueillit. Son vélo délaissé dans le jardin, il déverrouilla la porte principale et s'infiltra dans le foyer Yamada. Au vu de l'heure, son père était toujours au travail et sa mère certainement au magasin. Il jeta son sac dans sa chambre et se laissa tomber sur son lit, le bras sur les yeux et les lunettes oranges sur la table de chevet.

Il fondit en larmes. Et cela dura une bonne heure.

Diable ce que ça faisait mal de faire comme si tout allait bien.

.
.
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Épuisé, il se redressa en position assise, s'étira, se leva, et se dirigea vers la salle de bain pour se rincer le visage. Il but plusieurs gorgées d'eau à même le robinet, éteignit le tout et se tint au lavabo pour se regarder dans le miroir. Ses yeux bouffis et ses joues rouges n'avaient rien de discret, mais il devait faire avec. C'était trop dur pour lui de forcer à être de bonne humeur toute la journée. Mais si lui était un bien mauvais menteur, Shōta était celui pour qui il fallait le plus s'inquiéter.

Il n'avait pas dit un seul mot de la journée. Littéralement. Mais Hizashi ne pouvait rien y faire, après tout, il faisait pareil mais inversement. Il avait parlé plus que d'habitude, et Dieu seul savait à quel point il était déjà bavard à l'origine.

« Hiza ? Tu es là ? »

Il étira ses lèvres pour paraître mieux et quitta l'étage pour accueillir Chōko, les bras chargés de commission. Elle reçut un bisou sur la joue de la part de son fils tandis que celui-ci la déchargeait des sacs remplis. Elle remarqua son visage rougi.

« Ce soir c'est poulet frit, ton plat préféré, lui annonça-t-elle en espérant lui faire plaisir. »

Et cela fonctionna. Du moins, c'était la façade qu'il laissa paraître sous son masque.

Alors qu'elle cuisinait, son fils restait attablé dans la pièce, son téléphone dans la main. Elle chercha à entamer la discussion.

« Comment était ta journée ?

- Très bien ! »

Sa mère parut surprise mais afficha tout de même un léger rictus.

« Ravie de l'entendre... Tiens, pourrais-tu m'apporter les épices s'il te plait ?

- Tout de suite, mum ! »

Il ponctua son message et se leva précipitamment. Et pendant qu'il farfouillait le tiroir à la recherche du poivre de Cayenne, son téléphone vibra deux fois consécutives.

« Qui c'est ? interrogea la grande blonde avec une pointe de curiosité dans le ton de sa voix. »

Hizashi récupéra son téléphone, le petit bocal d'épice dans une main, et lut la notification qui répondait à son précédent message.

🗨🔊
【Si ça persiste, faudrait lui en parler.】

« C'est Sean, répondit-il en enfonçant son cellulaire éteint dans la poche.

- Vraiment ? Je ne savais pas que tu lui parlais.

- I had a question for him, it's all. »

Il apporta le poivre de Cayenne à sa mère, tout sourire, sentant une nouvelle notification faire vibrer son portable.

🗨🔊
【Surveille ton ami, préviens-moi s'il y a du changement dans son comportement. Mais cela ne devrait pas être inquiétant, ça ne fait que quelques jours que vous en êtes en deuil.】

【Je t'enverrais la liste des symptômes qu'on apprend en psychologie.】

【Et toi, comment ça se passe ?】

💬🎧

【Moi ça va】

🗨🔊

【Tu es sûr ?】

【Micky, un adolescent qui vit ce que vous vivez, ce n'est pas anodin. En plus vous vous trouvez piégés entre la rive de l'enfance et celle de la maturité, vous avez une représentation adulte de la mort mais vous ne savez pas comment la gérer, parce que vous savez que vous deviez l'accepter mais n'y arrivez pas.】

【Tu m'as dit que cela ne fait que cinq jours, c'est très court pour 'aller bien', je trouve.】

【Micky ?】

【Tu es toujours en ligne ?】

Il laissa les messages de Sean en suspens, ne se sentant pas d'avis à lui répondre alors qu'il ne le jugeait pas nécessaire. Ainsi, plusieurs jours de calme s'écoulèrent, jusqu'à ce que le nouveau quotidien du jeune Yamada ne bascule...

[...]

Le blond réajusta la fermeture éclair de son coupe-vent vert et blanc et se remit à pédaler dans la nuit de Musutafu, dans ce froid nocturne qui lui mordillait la chair mise à nue. Cela faisait presque une heure qu'il faisait clignoter sa dynamo à gauche à droite, mais impossible de repérer le fugitif. Au bout d'un certain temps, son téléphone sonna. Il avait reconnu le numéro de Makura Aizawa qui s'affichait sur l'écran et accepta l'appel d'un glissement de doigt malhabile, tandis qu'il veillait à maintenir un certain contrôle de son véhicule.

« Y-yeah ?

- J'ai téléphoné à la police pour prévenir sa disparition. »

Le souffle d'Hizashi fut la seule chose de perceptible, avec le léger vrombissement du mécanisme cyclique de son vélo contre le bitume sec. Il lui était très difficile de distinguer nettement les éléments du décor dans la nuit. Il eut un double appel, c'était sa mère. Il s'excusa auprès de Makura Aizawa et lui promit de donner des nouvelles lorsqu'il le retrouvera, et raccrocha pour discuter avec Chōko.

« Hiza, tu devrais rentrer, on n'y voit plus rien dehors !...

- Non, je ne rentrerais pas sans lui ! »

Il entendit de l'agitation à l'autre combiné et la voix de son père lui parvint.

« Hizashi, rentre tout de suite, c'est un ordre. Laissons la police s'en charger.

- Il lui est peut-être arrivé quelque chose ! Je l'ai ramené chez lui après les cours mais Aizawa-san m'a prévenu que Shōta est tout de suite reparti après avoir laissé son sac !

- Hizashi !

- Et si un vilain l'avait kidnappé ? Et s'il s'était perdu en essayant de rejoindre son père à Tokyo ?!

- Hizashi !! insista Tōya à l'autre bout du fil.

- Et s'il a fait une tentative de suicide ?!! »

Et là, le silence... Son vélo avait subi un arrêt soudain, si bien qu'il en manqua de perdre l'équilibre. Il semblait saisir quelque chose. Quelque chose qu'il avait redouté, mais qu'il accepta dans la liste d'idées qui lui venaient. Après tout, il ne lui restait plus que ça.

« ... Je crois savoir où il s'est rendu. »

Il raccrocha sans attendre de réponse et pédala fiévreusement jusqu'à une ruelle plutôt familière. Là, au pied d'un des bâtiments, se tenait une échelle rétractable, et à son plus grand soulagement - ou sa plus grande appréhension - celle-ci avait été actionnée et touchait le sol, comme il l'avait redouté. Il se maudissait pour ne pas avoir songé à cet endroit plus tôt. Et s'il était trop tard ?...

Alors, le bilingue laissa tomber son vélo contre le mur de l'infrastructure et dans le noir complet, se hissa jusqu'au sommet de la tour de cinq étages. Pris par l'adrénaline, il arriva bien plus vite que prévu sur le toit, et là, son cœur cessa de battre.

Shōta se trouvait bien là, debout sur le muret, dos à lui. Sa silhouette noire se détachait entièrement de la lumière émise par les fenêtres, les lampadaires et les affiches publicitaires, mettant en valeur sa taille chétive comme un pochoir dans le ciel morose, comme un Saint illuminé par une aura de lumière bleue et violette. Hizashi était tétanisé. Il ignorait combien de temps il se tenait là avant de pouvoir bouger mais lentement, doucement, il s'approcha d'Aizawa... Ce dernier tourna la tête derrière lui, surpris par un second souffle. Sous la stupéfaction de le voir ici, il fit un pas en arrière, et cela força le blond de s'arrêter dans son avancée de peur qu'un mouvement de sa part entraîne une chute de l'autre.

« Shō-chan... »

Le plus jeune ne réagissait pas vraiment. Cependant, il avait pivoté de moitié pour faire totalement face à son meilleur ami. Ce dernier tendit le bras vers le noiraud. Shōta était entièrement muet.

« Je sais que tu as mal, but you're not alone !... Je suis là, on peut surmonter cette épreuve ensemble ! »

Contre toute attente, leurs visages étaient visibles dans la nuit, grâce à la lumière d'un bâtiment voisin. Ainsi, le blond distinguait parfaitement l'expression neutre du plus jeune qui le dévisageait sans réaction.

« On a tous vu que tu ne parlais plus, je pensais qu'il te fallait simplement un peu de temps pour digérer tout ça, j'ai peut-être fait une erreur. »

Le vent se leva et fit flotter leurs cheveux. Hizashi eut même un désagréable frisson de froid.

« C'est stupide... »

Il avait l'impression que cela faisait des siècles qu'il n'avait pas entendu la voix de Shōta. Ce dernier avait baissé la tête en disant ces mots. Il poursuivit sur cette même voix blanche :

« On nous fait croire que ça vaut le coup de vivre mais je ne vois pas ce qu'il peut y avoir de beau dans 'prévoir des choses, créer des projets' alors qu'on sait tous que la mort gagne toujours, que rien n'a d'importance puisqu'au final, tout a une fin. Je ne vois même pas le principe de terminer des études, trouver un travail, fonder une famille, donner la vie à des innocents qui trouveront la mort à leur tour. C'est cruel. Tout comme c'est cruel de nous laisser vivre dans un monde où le peu de chose que tu considères comme un Tout pourrait t'être retiré. On t'offre la possibilité d'aimer des gens que tu peux perdre, et être aimé par des gens qui un jour n'en auront peut-être plus rien à faire avec toi. Je ne voulais plus m'attacher pour des raisons bien futiles et égoïstes, et l'univers m'a puni pour avoir fait l'erreur de faire une exception pour Oboro. J'ai quitté le rationnel pour des sentiments ridicules et voilà le résultat... C'est sûrement bête de dire ça dans une telle situation, mais je n'ai peut-être pas le droit d'être heureux, juste vivre ma vie sans but précis si ce n'est de veiller sur les autres... »

À l'entente de ces mots, de ces dires, Hizashi sentit une lourde colère gronder en lui. Il feula, agitant les bras en tous sens avec rage et indignation.

« Ouais, t'as raison, c'est bête de dire ça, très bête ! It's totally stupid !! Parce que je suis fou amoureux de toi et tu t'en fiches totalement ! Moi je t'aime, moi je veux de toi, te voir vivre, grandir, finir tes études, trouver un travail and I dunno, me marier avec toi, peut-être que j'en aurais envie plus tard !! Je veux te rendre heureux !! »

Il fit un pas en avant et Aizawa ne recula pas. Il déchaîna sa furie sans filtre, sans plus rien cacher. Il se mettait totalement à nu devant lui. C'était la première fois qu'il ne mentait pas sur ses véritables états d'âme, la première fois qu'il avouait tout ce qu'il avait sur le cœur. La première fois depuis une éternité qu'il s'ouvrait, tout simplement.

« Tu n'es pas le seul à souffrir, moi aussi j'ai mal ! J'ai mal de vivre parce que je ne comprends pas les gens, je ne comprends pas notre société de détraqués, je ne comprends pas pourquoi ces injustices ! Ici pour être reconnu, il faut faire de grandes choses, et moi comme un mouton à cinq pattes stupides j'essaye de suivre le mouvement en essayant d'être comme tout le monde, et Oboro aussi sans doute ! Moi aussi il était mon ami ! Mais je n'ai pas envie de sauter d'un toit pour autant ! Je te pensais plus intelligent que ça ! Les gens croient que je suis heureux, et toi, tu as su dès notre rencontre que je ne l'étais pas, que j'avais une personnalité joyeuse et une âme détruite piégée dans un corps excentrique ! Tu le savais, tu me l'avais dit, and then now I confirm ; je suis juste une erreur de l'univers, je suis tout le temps triste et je suis amoureux du seul gars du Japon qui s'habille comme un émo et qui se contredit plus souvent qu'il ne change de pull ! So yeah, peut-être bien qu'un jour on va tous mourir, mais je ne vois pas le concept de mettre un terme à une vie aussi inutilement ! Oboro ne méritait pas de mourir, c'est vrai, c'était injuste, mais il n'aimerait sans doute pas te voir agir comme tu es en train de le faire. Lui aimait vivre. Et il nous aimait. Il n'aimerait sûrement pas qu'on fasse cette connerie aussi jeune. Pas alors que nous n'avons rien accompli encore. »

Shōta tremblait de tous ses membres, et sa lèvre inférieure grelottait sous sa peine.

« Ce n'est pas parce que je passe mes journées à parler fort et inutilement, ce n'est pas parce que j'ai l'air d'un imbécile heureux que je le suis vraiment, j'ai dix-sept ans, et toi aussi dans quelques mois, on est des gamins pour nos parents et pourtant, pourtant, j'ai l'impression d'endosser le rôle le plus pénible de l'univers. Je ne l'ai pas demandé mais ce qui m'aide à tenir le coup, c'est aider les autres. J'aime les voir sourire, leur redonner espoir. Ça me pousse à en avoir pour moi, et ça va mieux, Shōta. C'est dur parce que quand rien ne va, je dois faire mine que je vais bien et j'encourage les autres à suivre cette pensée. Je vais mieux parce que c'est l'impression que je donne. Et pour le moment ça me va très bien. J'adore faire le con pour faire rire, j'adore parler fort, pas seulement parce que je veux cacher mon silence, mais aussi parce que j'ai l'impression d'enfin exister. J'aime me sentir vivant. J'aime me sentir à ma place. J'aime me sentir spécial aux yeux des gens... J'ai envie de devenir un super-héros pour ces raisons. Et c'est pour ces raisons-là que je veux vivre. »

Les coins des yeux du noiraud se mouillaient et il renifla. Il répondit dans un souffle, la gorge serrée.

« On s'est mal compris, je ne compte pas sauter... »

Hizashi défronça les sourcils, les bras ballants. Sa colère retomba en même temps que ses épaules. Aizawa, luttant pour ne pas éclater en sanglots, tenta de s'expliquer laborieusement.

« Un jour je t'avais dit qu'avoir peur du vide, c'était simplement avoir peur de tomber. Maintenant que je me retrouve là avec le choix entre mes mains, je me rends compte que je n'ai plus peur... Je crois que si je sautais là, maintenant, ça ne me ferait pas grand-chose. Je pourrais d'ailleurs le faire. Il y a cinq étages. Je ne sentirais rien. »

Son meilleur ami sentit les larmes lui monter aux yeux. Non, ne fais pas ça. S'il te plait. Je t'aime. Reste avec moi. Ne saute pas. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, fort, si fort qu'il se sentait crever de l'intérieur. Il se battait contre l'envie tyrannique d'hurler. Il se battait contre l'envie de bondir à sa suite si jamais il le faisait.

« ... Mais ce serait trop facile. »

Shōta, après avoir murmuré ces mots, ces ultimes mots, descendit du rebord et à peine se retourna-t-il que le blond se jeta sur lui. Il le serra dans ses bras aussi fort qu'il le pouvait, jusqu'à n'être mentalement plus capable de rompre l'étreinte. Le noiraud, honteux, les rouges fiévreuses, l'enlaça à son tour et vint nicher son visage dans le coupe-vent du bilingue. Il fut secoué d'un sanglot qu'il avait jusque lors refoulé, et ne put s'empêcher de lui demander entre deux hoquets :

« M-mais Zashi, je ne comprends pas, à quoi ça sert de vivre si tout ce qu'on fait n'a aucun objectif rationnel... ?

- J'n'en sais rien, Shō. Mais je veux vivre avec toi, parce que j'ai l'impression que tu mets du sens là où il n'y en a pas. Et parce que j'en ai marre de t'aimer sans que tu ne sois heureux. Laisse-moi t'aimer, s'il te plait, laisse-moi aussi te donner un sens à ta vie. Laisse-moi être la raison de ta vie. »

Il caressa longtemps la chevelure obsidienne de son meilleur ami, interminablement, le regard perdu dans le vague, le temps qu'il recouvre ses esprits et puisse aligner deux pensées correctes. Le temps leur parut long, mais ils en profitèrent comme s'il n'en restait plus. Ils en profitèrent pour se calmer. Pour comprendre la situation. Savoir qu'il y avait une détresse à soigner, et que seule la présence de l'autre pouvait réduire la souffrance qui ne faisait que grandir.

« Shō-chan... Tell me, just... Pourquoi est-ce que tu t'es rendu ici... ?

- ...

- C'étaient quoi tes intentions de départ ?... insista-t-il difficilement, entourant entièrement l'arrière de la tête de son meilleur ami pour le maintenir collée à sa cage thoracique.

- Je ne sais pas vraiment, tout est flou encore... Mais je crois, pour la première fois de toute ma vie, le vide m'appelait, et en revenant sur le toit, j'ai compris que ma plus grande peur était devenue ma dernière sortie de secours, avoua-t-il laborieusement, la gorge sèche, les yeux baissés et les poings serrés dans le tissu vert et blanc du coupe-vent de son aîné. »

Aîné qui, à la révélation, contracta ses muscles sans qu'il ne puisse y lutter.

« Tu y avais pensé, hein ?

- ... Peut-être une demi-seconde. »

Shōta prit une respiration si lourde qu'il se sentait submergé par le néant, bien que ses poumons soient remplis d'air. Il avait déambulé un bon moment avant d'arriver ici, toutefois, il ignorait combien de secondes, de minutes ou d'heures, il lui aura fallu pour risquer de se mettre debout sur le rebord en béton, et il s'était tenu là, face à la ville comme le maître falsifié d'un monde inconnu. Ses souvenirs étaient vagues mais durant un instant, si court qu'il n'était pas sûr que cela soit vraiment arrivé, son corps ne demandait qu'à relâcher la pression. Ne demandait qu'à se libérer de ses remords, du poids de la culpabilité de ne pas avoir pu le sauver. Il avait senti l'air sur sa nuque à découvert, le froid taquin d'une nuit automnale qui aurait pu être la dernière, si seulement il n'avait pas compris que quelqu'un l'avait retrouvé.

Si seulement il n'avait pas entendu Hizashi arriver dans son dos.

« Mais je ne voulais pas vraiment le faire. »

Il s'était simplement retrouvé là. Au mauvais endroit. Au mauvais moment. Avec les mauvais démons.

Hizashi prit une profonde inspiration.

« Mais c'est fini ? »

Le noiraud hésita. Il ne put se résoudre à parler, alors Yamada reprit.

« Je t'aime. Tu le sais déjà. C'est pas grave si ce n'est pas réciproque, je veux simplement avoir encore mille et une occasion de te le dire. Je t'aime. Je t'aime comme l'ado bourré d'hormones que je suis, comme un bisexuel qui n'a pas su choisir son camp, comme une étoile qui a décidé d'éclairer un trou noir. Je t'aime. Ça veut pas dire qu'on sera obligés d'être en couple, vivre dans le même foyer avec des enfants et des chats, te faire porter une alliance, nous faire dormir dans la même chambre sans jamais avoir le droit de voir du monde. Ça veut juste dire que là, tu es la personne qui m'aide à me lever le matin, à traverser la journée et me recoucher le soir en rêvant d'un lendemain qui existera malgré mes pensées noires. Tu es la personne qui donne du sens à ce qui n'en a pas à mes yeux, parce que tu es ma logique et ma rationalité. »

Il s'écarta légèrement pour le regarder droit dans ses iris couleurs nuit.

« T'es pas parfait. T'es même carrément le contraire ; t'es cynique, colérique, flemmard, peu investi, négligé, associable, un peu impatient et je pourrais passer la nuit encore à énumérer chacun de tes défauts mais ces défauts, je les aime, parce que c'est une partie de toi, et toi, tu es Tout. À mes yeux you're perfect. Parce que tu sais ce que c'est que de souffrir. De ne pas avoir envie de grandir. D'avoir peur d'être aimé et d'enfiler ton costume pour endosser un rôle que tu ne pourras certainement pas assumer. T'es pas parfait, and me neither. Je veux juste être imparfait avec toi. »

S'écoula alors un long moment de silence, qui s'étirait, s'éternisait dans le cours du temps. Shōta, qui avait écouté sans un mot, ferma les yeux.

« D'accord... »

Celui aux yeux trop verts afficha une expression d'apaisement, et tout devint encore plus calme, que ce soit la tension, son cœur ou encore son souffle. Ses jambes ne le soutenant plus, il se laissa tomber, bêtement retenu par Hizashi qui l'avait alors attrapé sous les bras. Ils se retrouvèrent à genoux, collés l'un contre l'autre, et en quelques secondes, il avait envoyé leur localisation à Makura Aizawa sur son téléphone. Et en quelques secondes, tout allait bien.

Et pour ces quelques secondes, ce Bien persista.

Hizashi reposa son cellulaire et caressa doucement le dos de son ami. Celui-ci murmura :

« Il me manque...

- Il me manque à moi aussi, le rassura-t-il. Mais dis-toi que même quand une étoile meurt, sa lumière contiune de traverser l'espace et le temps.

- Mais la lumière est moins puissante et elle finira par s'éteindre, et nous serions plongés dans le noir absolu... Tout comme le reste de l'univers s'éteindra morceau par morceau, jusqu'à l'obscurité la plus totale, dans un silence infini et un vide sans fin...

- Well, maybe yes, mais rien n'est éternel. Tu le dis toi-même. Alors profite. »

Shōta hocha doucement la tête et serra Hizashi un peu plus fort dans ses bras. Il voulait profiter de son étoile, dans ce cas-là, profiter de sa présence avant qu'il ne s'éteigne à son tour.

Et reprendre ce semblant de contrôle leur faisait un bien fou.

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