𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 ₃₉

➠ ❛Ses raisons d'agir

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Hizashi, comme un lion en cage, se déplaçait dans son lit à la recherche d'une position confortable. Le jeune Yamada recevait la visite de sa tante pour deux nuits. Il n'aimait pas trop sa tante. Et son fils... Sean, son petit-cousin de quatre ans son aîné, semblait ne pas spécialement l'apprécier. Voire... pas du tout. Et quelque chose le poussait à rendre ce sentiment réciproque. Bref. Il n'était pas ravi de leur visite.

Alors, lorsque la sonnette retentit, Hizashi ne bougea pas le petit doigt pour les accueillir, faisant mine ne pas les avoir entendus. Et pour appuyer son excuse, il enfila son walkman et sélectionna un bon rock pour bien embrouiller ses oreilles. Amely Kaily, la cousine britannique de Tōya, fit résonner sa voix au rez-de-chaussée alors que les deux adultes se retrouvaient dans la joie et la bonne humeur. Le jeune blond, dans un râle d'insatisfaction, pria pour que personne ne vienne l'embêter mais voilà qu'une silhouette aux cheveux bruns venait d'ouvrir la porte, plantant ses grands yeux bleus dans ceux trop vert de son petit-cousin hyperactif. Constatant qu'il ne pouvait plus faire davantage semblant, le plus jeune des deux fit glisser son casque sur la clavicule en veillant minutieusement à ne pas laisser échapper de nouveau râle.

« Hi, Sean-kun.

- Salut Micky, répondit-il dans un japonais adéquat avec un très fort accent qui soulignait son côté étranger. Ça fait longtemps.

- Ouais. T'as même oublié que t'es pas sensé m'appeler par mon deuxième prénom.

- Et toi, combien de fois est-ce que je t'ai dit de ne pas mettre de particule à mon prénom ?

- L'habitude.

- Same. »

Un long instant de silence pesa entre les deux cousins. Hizashi put noter que Sean avait bien grandit et prit de la masse musculaire tout en restant incroyablement fin, comme si le peu qu'il avait était mis en valeur. Il était le petit-fils de la sœur de la mère de Tōya, il avait donc vécu en Angleterre avec Amely, sa mère, et son père. Comme la femme était très proche de son cousin, il n'était pas rare que les Yamada se déplacent jusqu'en Europe pour rencontrer la famille du côté paternelle. Mais depuis que sa grand-mère était partie pour les étoiles, au même titre que sa sœur - la grand-tante d'Hizashi, donc - les cousinades se faisaient regrettablement plus rares. Par conséquent, cela faisait presque six ans que le jeune apprenti héros n'avait pas fait face à Sean.

De son côté, le grand brun était surpris du calme de son camarade. Lui qui avait passé les cousinades de son enfance à se plaindre du bruit qu'il engendrait, il avait de la peine à réaliser qu'Hizashi avait tout simplement grandit et mûrit.

« Les garçons, venez nous rejoindre ! cria le père.

- ON ARRIVE !! répondit Hizashi. »

Sean retroussa le nez. Finalement, son petit-cousin restait le même, comme au bon vieux temps...

Le jeune homme avait beau avoir vingt-et-un ans, Amely ne cessait de s'inquiéter pour lui. Elle aura passé le déjeuner entier à parler de son fils et ô combien elle était fière des études en psychologie qu'il faisait, les championnats de tennis qu'il remportait... Tōya sourit et posa sa main dans le haut du dos de son fils unique pour prendre la parole à son tour.

« L'année prochaine Hiza sera en terminale, dans la filière super-héroïque ! Il est très doué !

- Ah oui ? demanda curieusement sa tante en papillonnant ses yeux noisette, la bouche ouverte comme un poisson hors de l'eau. J'ignorais que tu avais postulé pour Yuei. »

Sean s'étouffa avec son verre de limonade.

« Attends, j'ai un cousin qui compte devenir super-héros et je ne suis pas au courant ?!

- Sean-kun, ça fait depuis qu'on est gamins que je te le répète.

- Mais je ne prenais pas ça au sérieux, tu sais quel âge on avait, Micky ? railla-t-il en reposant son gobelet.

- Ah, yes, j'avait oublié que tu t'en battais les-...

- Hizashi, ton langage.

- J'allais dire 'steak', souffla-t-il à son père sans tourner la tête vers lui. »

Le brun et le blond se foudroyaient du regard.

« D'you have any problem with that ?

- Je te comprends très bien en jap', tu sais, ricana malicieusement le britannique, peu mécontent d'avoir appris sa seconde langue grâce à sa moitié de famille nipponne depuis tout petit, au même titre que sa mère. Et pour répondre à ta question, reprit-il en prononçant ce dernier mot dans sa langue natale, non, j'ai aucun problème à ce que mon petit-cousin décide d'utiliser sa voix affreusement chiante à des fins plutôt nobles et respectables.

- Je vais te-... commença-t-il en se levant de sa chaise, le poing serré, avant de se rassoir en serrant les dents sous le regard appuyé de son père.

- Hizashi, sort de cette table, ordonna alors ce dernier, toute trace d'amusement envolée. »

Il se tourna vers son parent, outré, et implora sa mère de dire quelque chose. Mais celle-ci jouait nerveusement avec sa tasse de thé. Comprenant qu'il avait dépassé les bornes, il quitta la pièce en extériorisant sa colère par des gestes brusques.

« You too, Sean, ordonna Amely à l'attention de son fils. »

Le jeune adulte, plus docile, emboîta le pas de son petit cousin jusqu'à la chambre de ce dernier. Dans les escaliers, le blond fit halte et se retourna brusquement, son alter activé.

« LEAVE ME ALONE ! »

Sean se boucha les oreilles, inquiet des quelques tableaux qui frémissaient contre les murs. Lorsqu'un calme nouveau se réinstalla, la voix d'Amely se fit entendre.

« Sean, tu vas dans l'atelier de ta tante. On vous rappellera quand vous saurez vous tolérer. »

Le brun soupira en décollant les mains de ses oreilles, et pointa une direction du pouce.

« C'est là-bas ? »

Hizashi, accablé par son cousin, serra les dents mais se força pour adopter un ton neutre.

« Juste à côté de la salle de bain. »

Sean Kaily, sans remercier, continua sa montée jusqu'à arriver au couloir, d'où il pouvait apercevoir non seulement la salle de bain, mais aussi la chambre du plus jeune. Il observa un instant la dernière pièce dont la porte n'a pas été refermée.

« Il y a un truc que je ne comprends pas. »

Yamada détendit les poings, perplexe.

« Depuis tout petits déjà on était différents mais nos parents s'entêtent à vouloir nous rapprocher. T'es d'accord avec moi ?

- Well. Yeah. Un peu.

- C'est pas que je ne t'aime pas, hein, c'est juste... On ne s'est jamais entendus.

- Tu me trouvais bruyant et toi tu étais arrogant.

- Je ne pense pas que ça ait changé. »

Ses lèvres s'étirèrent en un petit rictus provocateur qui déplut fortement à son petit-cousin.

« Je t'ai toujours trouvé bruyant à en crever.

- Nice.

- Je voulais simplement savoir si c'était toi ou ton alter. C'est pas possible qu'un être humain soit aussi insupportable. »

C'était qu'il était curieux, le jeune vingtenaire.

« Quand ton alter s'est déclaré, on m'a raconté que tu-...

- Je l'ai toujours eu. »

Silence.

« Mon alter. Voice. Je l'ai toujours eu. Ma voix est mon pouvoir.

- Comment ça ? interrogea-t-il, incrédule.

- Mes parents ne sont pas au courant, je ne vois pas pourquoi je devrais t'expliquer. »

Il tourna les talons et s'enferma dans sa chambre. Le laps de temps qui lui servit pour se jeter dans son lit, Sean le passa à fixer la porte sans se mouvoir. Finalement, ignorant dans la plus grande des royautés la consigne de sa mère, le grand brun s'imposa chez Hizashi et referma la porte derrière lui. Le blond râla. Ce ne sera pas son dernier avant la fin de la journée, croyez-moi...

« Man, t'es grave lourd...

- Explique-moi. »

Celui aux yeux trop verts leva les yeux au ciel et lui tourna le dos. Son petit-cousin remarqua une peluche Totoro non loin de là, et la désigna du menton.

« Tu as des peluches toi, maintenant ? Je pensais que tu n'en étais pas fan de ces trucs-là.

- C'est un cadeau.

- D'accord. »

Nouveau silence.

« Micky-...

- Hizashi, le corrigea-t-il.

- J'ai envie d'apprendre à te connaître. On est de la même famille après tout.

- Tu n'as jamais voulu jouer avec moi, pourquoi tu as envie de te rapprocher maintenant que j'ai accepté ton rejet, hein ?!! s'énerva-t-il en lui refaisant face, agitant les bras en tous sens. Dis-moi ONLY ONE REASON pour faire abstraction du rejet que m'a fait subir mon plus proche cousin, et on en reparlera !! »

Sean, veillant à ne pas laisser transparaître son expression blessée, resta stoïque.

« On ne peut pas dire que tu étais la crème de la crème non plus, à l'époque.

- Then what ?!

- Then what ?! Then what ? Then what ?... (Une résonnance se fit entendre dans la chambre, naissant de la bouche de Sean qui venait d'activer son alter 'Echo'.) Bah il se passe que les gens changent et essayent de mûrir. Visiblement, il y a toujours une exception à la règle...

- Tu es encore plus immature qu'il y a six ans.

- Et toi alors, c'est quoi ton excuse ? »

Hizashi maintint un certain silence, comme s'il était à court de répartie. Déjà qu'usuellement il n'était pas doué, surtout face à un certain meilleur ami qui trouvait toujours quoi redire, mais là, dire que les mots lui manquaient serait un euphémisme. Il était muet comme une carpe, tout le contraire de ce qu'il était en temps normal. Sean Kaily savait que son cousin n'était pas comme n'importe quelle autre personne qu'il avait pu côtoyer. Et c'était peut-être pour ça qu'il n'a jamais réellement souhaité se rapprocher de lui. Le comprendre. L'aimer. Après tout, il ne lui aurait rien apporté, n'est-ce pas ? Il le reprochait ne pas être suffisament normal, parce que ce qu'il ne comprenait pas lui faisait peur. Mais il savait avoir commis une faute. Car il ressentait la culpabilité de ne pas avoir su le connaître, ne pas avoir su en faire un ami, car il en avait besoin.

Sean se renfrogna.

« Écoute, je... »

Mais Hizashi ne lui laissa pas le temps de parler. Il ouvrit grand la fenêtre et bondit à l'extérieur de sa chambre.

« Micky !! »

Le grand brun accourut jusqu'au rebord de l'ouverture et s'y pencha, jusqu'à apercevoir son petit-cousin se réceptionner à une branche d'arbre afin d'atteindre miraculeusement le jardin, en un seul morceau, avant de s'enfuir à pas de course jusqu'à son vélo posé dans un coin. Sean retroussa ses lèvres en regardant Hizashi partir comme un voleur. Cette performance l'avait néanmoins époustouflé. Qu'avait-il appris d'autres, à Yuei ?

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Hizashi pédala à en perdre haleine, longeait les rues sans les voir, percevait les passants que par des taches floues, et après plusieurs minutes, une vingtaine sûrement, il freina d'un coup sec son véhicule orange fluo qu'il laissa tomber contre le muret devant le foyer Aizawa. La maison était toujours là, même si l'amour n'y était plus. Toutefois, il espérait en recevoir, ou en apporter, en venant ici pour fuir sa famille. Il se précipita jusqu'à la porte et frappa quatre coups, trépignant d'impatience à ce qu'on vienne lui ouvrir. Diable ce qu'il avait envie de voir Shōta, là maintenant tout de suite. Le désir était si vif que la brûlure dans son cœur jetait des pulsations douloureuses dans sa cage thoracique.

Mais personne ne vint l'accueillir.

Alors, bien décidé à voir son meilleur ami, il longea la paroi de la maison et se planta sur la pointe des pieds pour zieuter dans la cuisine. Personne. Il rasa le mur jusqu'à la cour postérieure mais la bais vitrée était non seulement verrouillée, mais aucune silhouette ne se promenait dans le salon. Bien que perplexe, le blond n'avait toujours pas dit son dernier mot. Il leva la tête pour trouver les fenêtres de l'étage supérieure, et avec une agilité qu'on ne lui connaissait que par son expérience à Yuei, le futur héros vocal empoigna le tuyau accroché à la façade pour se hisser quelques mètres plus haut. Sans difficulté apparente, Hizashi saisit le rebord de la fenêtre de la chambre avant de s'y suspendre et, un peu plus laborieusement, souleva son corps pour y jeter un coup d'œil. Personne. Il serra les dents et effectua le trajet inverse, se permettant bien sûr un petit bond pour atterrir dans l'herbe. Il se frotta les mains rougies, les dents serrées. Il devait bien admettre que personne ne se trouvait dans la maison. Il fit demi-tour, bredouille, pour se remettre en selle. La voiture de Makura était là pourtant, mais qui dit qu'elle n'avait pas simplement décidé de faire une petite balade pédestre ? Il appuya sur la pédale et s'engagea sur le trottoir, prenant la direction du foyer des Shirakumo. Avec un peu plus de chance, Oboro s'y trouverait.

Alors il s'y dirigea.

Lorsqu'il traversa le jardin traditionnel, il se hâta pour frapper à la porte. Une seconde passa. Puis deux. Puis trois. Il se préparait à faire le tour du propriétaire lorsqu'enfin le verrou s'activa. La paroi de bois s'entre-bailla, et une petite fille de six ans lui ouvrit, ses cheveux comme à leur joyeuse habitude en pagaille sous d'innombrable barrettes bariolées. Seiun sourit de toutes ces dents, même s'il en manquait, lorsque ses grands yeux bleu ciel croisèrent ceux trop verts du meilleur ami de son aîné. Elle se jeta dans ses bras.

« Hiza-kun !!

- Hello galactic cloud ! Oboro est là ?

- Ouais ! Il joue avec Shōta dans le salon !!

- Oh, Shōta est là ? répéta-t-il en agrandissant son sourire.

- Je préviens que tu es là ?

- Pas besoin, je m'en occupe ! Thanks girl ! »

Seiun hocha la tête et courut rejoindre ses jouets qu'elle avait délaissés. Hizashi retira ses chaussures et se permit d'entrer, puis se dirigea vers la salle de séjour. Alors qu'il s'apprêtait à contourner le mur pour arriver dans leurs champs visuels, il s'arrêta net, écoutant leurs rires. Visiblement, ils jouaient à un jeu vidéo et s'amusaient beaucoup. Hizashi eut un petit pincement au cœur, plus hésitant à poursuivre son avancée pour les rejoindre.

...

. . .

Il fit demi-tour, remit ses chaussures et ferma discrètement la porte après son passage. Il récupéra son vélo, et moins pressé qu'à l'aller, il pédala en direction de chez lui. Et ses pieds se mirent à frapper leurs coups de plus en plus fort, au-fur-et-à-mesure que la distance qu'il entretenait avec sa maison s'amoindrissait, et sans qu'il ne puisse y lutter, son vélo prit de la vitesse et bientôt, il ne fut même plus capable de distinguer correctement le relief sur la bande d'asphalte qu'il bordait. Il pédala. Pédala. Pédala.

Et tomba. Tout bêtement.

Son vélo vrilla à cause de ce qui semblait être un sachet en plastique qu'il s'était pris dans la roue avant, et son corps avait basculé de lui-même. Comme il ne portait pas de casque, son premier reflexe fut de lâcher le guidon pour se protéger la tête entre ses bras. Il fit plusieurs roulades le long de la pente, et lorsque la gravité le voulut bien, il s'immobilisa au milieu de la petite descente. Il tremblait. Il tremblait si fort qu'il ne savait pas où il avait mal. Si c'était la tête. Les bras. Les côtes. Le cœur. Il n'osa pas se relever. Il n'en avait surtout ni le courage, ni la force. Il aurait bien voulu rester là à pourrir sous le soleil en priant pour que quelqu'un remarque son absence.

« Oi, petit !! Tu vas bien ?! »

Il lui semblait entendre les appels d'un homme, et lorsqu'il releva doucement son coude pour voir de qui il s'agissait plus précisément, il put voir une voiture garée à moitié sur le bord de la route. Son chauffeur, un grand brun aux cheveux irisés avec des petites lunettes rectangulaires, s'approchait de lui à grands pas. Il s'accroupit près de l'adolescent.

« Tu as fait une sacrée chute, est-ce que tu es blessé ? Tu arrives à te relever ? »

Après un instant de silence, Hizashi écarta ses bras égratignés de sa tête et laissa le soleil l'éblouir.

« J-je vais bien... »

Il essaya de se mettre assis et fort heureusement, l'inconnu l'aida en faisant glisser sa main dans son dos.

« Tu es sûr ? Est-ce que tu veux que j'appelle tes parents ? Je pourrais t'amener chez toi, aussi, si ce n'est pas possible autrement. »

Le jeune Yamada baissa les yeux sur ses bras et ses jambes dénudés par son short.

« Je peux rentrer sans problème. »

Il grimaça en se mettant sur ses deux jambes. Heureusement pour lui, il ne semblait souffrir que de bonnes écorchures et d'hématomes. Il a subi pire, il était un futur héros, après tout.

« Tu es sûr, petit ? Ce n'est pas un problème, j'amenais simplement mon fils pour une petite balade. Il a de la peine à dormir. C'est juste pour te rassurer ! Je ne suis pas un kidnappeur ou n'importe quelle autre ordure qui te voudrait du mal... »

Le père de famille se gratta nerveusement la nuque.

« Enfin, je ne te force pas, si tout va bien alors me voilà rassuré... »

Hizashi tourna la tête vers son véhicule non-motorisé et réfléchit en vitesse.

« Mon vélo n'est pas vraiment en état. Vous pourriez m'aider, finalement ! »

Le brun suivit le regard du lycéen et comprit le problème. Il s'avança jusqu'à la bicyclette et l'inspecta.

« Effectivement, il aura besoin d'une petite réparation.

- Je saurais m'en occuper, vous pourriez me conduire jusque chez moi, please ? »

Acquiesçant, l'adulte souleva le vélo et le transporta jusqu'au coffre de sa voiture.

« Au fait, je m'appelle Masaru Bakugo.

- Hizashi Yamada !! »

Il ouvrit la portière arrière de l'automobile et vit un siège de bébé où reposait un petit blondinet à la chevelure explosive. Celui-ci babillait dans son coin sans prendre en compte l'inconnu qui avait prit place sur la même banquette que lui.

« Dis-moi, Hizashi, où est-ce que je te dépose ? »

L'interpelé redescendit sur Terre et croisa le regard de Bakugo dans le rétroviseur. Il expliqua la route à prendre pour rejoindre sa rue, sans donner l'adresse tout à fait exacte, et après des remerciements sincères et un aurevoir, le blond tenta tant bien que mal de transporter son vélo jusque chez lui. Il passa à côté des deux voitures garées dans l'allée, et par une porte non-cloisonnée, il pénétra dans le garage. Hizashi dégagea ses affaires de radio pour libérer la table sur laquelle il posa son vélo, les roues tournées vers le ciel. Il s'essuya le front avec l'avant-bras, mais ses blessures encore vives brûlèrent au contact de la sueur, le faisant grimacer. Il avait toutefois peur de la réaction de ses parents si jamais il risquait de franchir le pas de la porte, Dieu seul connaissait leurs réactions lorsqu'ils verront leur fils de retour dans un état pareil. Alors, le prenant sur lui pour retarder ce moment pénible, le jeune blond à l'alter vocal attrapa quelques outils utiles - ou pas du tout, il n'était pas bricoleur - et essaya de rabibocher son véhicule orange fluo.

Après avoir remis en place la chaîne au dérailleur, il se permit une petite pause pour se poser dans un coin de la pièce. Il passa une main dans ses cheveux blonds décoiffés pour les dresser au mieux et souffla un bon coup. Il n'avait vraiment pas de chance, aujourd'hui. Qu'avait-il fait pour mériter un tel karma ? Avait-il fait quelque chose de mal ? Dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Cela arrivait souvent, sans doute, mais pourquoi est-ce que cela se retournait contre lui... ? Il faisait vraiment de son mieux pour ne pas laisser transparaitre ses véritables sentiments, ses véritables états d'âme. Il parlait fort. Oui. Très fort. Et beaucoup. Mais la vérité, c'était qu'il était muet. Il se taisait pour ne pas blesser. Il se taisait parce qu'il n'avait pas les mots. Il se taisait pour être le seul à souffrir. Il se taisait pour protéger ceux à qui il tenait le plus. Il se taisait en espérant être un jour capable d'hurler sa douleur.

Mais tout ce qu'il pouvait hurler, c'était du mensonge.

Il ferma les yeux.

Il repensa à Megumi. Sa dernière petite amie, celle qu'il avait vraiment aimée et regrettait d'avoir laissé filer. Il pouvait revoir ses longs cheveux noirs qui cascadaient le long de son dos, son sourire tendre et son regard de braise qui n'avaient jamais cessé de faire battre son cœur.

.

.

.

« Hizashi-chan ? »

Le blond releva vivement la tête vers elle et croisa son regard kaki.

« Yeah ?

- Ça te fait mal ? »

Il ne s'était pas rendu compte qu'il avait arrêté de sourire. Cependant, il n'essaya pas de recouvrer cette touche de joie qu'il venait de perdre.

« Tu devrais arrêter de les écouter. Tu sais que ce n'est pas vrai. »

Megumi passa sa main sur la joue de son petit-ami pour essuyer ses larmes. Elle avait mal pour lui car il avait accepté les insultes et les moqueries de leurs camarades sans lever la main sur eux. Quand bien même il avait essayé de se défendre en prenant leurs remarques désobligeantes à la rigolade, puis excédé, il avait haussé le ton, et enfin, avait retroussé les lèvres sans savoir que dire de plus pour les faire taire. Parce que même si cela ne lui plaisait pas, d'entendre dire à tout bout de champ qu'il était trop excentrique, bizarre, égoïste... il y avait un certain moment où il ne savait plus trop quoi inventer pour nier. Parce qu'au fond, il savait qu'ils avaient raison.

« Hizashi-chan, viens, on va raconter au professeur que-...

- Non, it's okay. »

Il força un sourire malgré ses larmes et renifla en espérant chasser de cette manière toute sa tristesse.

« Je m'en fiche ! Ils ne m'atteignent pas ! Allons plutôt nous acheter une glace !! »

Son mensonge ne passa pas inaperçu. Megumi déglutit en le regardant droit dans les yeux, malgré les lunettes qui faisaient barrière entre leurs regards. Elle sentit son cœur se serrer. Hizashi, même dans un moment pareil, essayait de la rendre heureuse. Parce qu'il savait ce que cela faisait de se sentir anéanti, seul, triste, et que personne ne devrait se sentir ainsi. Mais Megumi Hitsuyō ne voulait pas qu'il se sente obligé de donner le sourire aux autres si cela voulait dire forcer le sien.

Mais ce qu'elle ne savait pas, malgré qu'on lui reproche de ne pas assez réfléchir, c'était qu'au contraire il réfléchissait trop. Mais personne ne le voyait. Parce que personne ne le voyait pleurer dans son lit le soir en maudissant l'univers tout entier de l'avoir créé aussi différent des autres. Après tout, elle ne savait rien.

« Hizashi-chan, je ne veux pas de glace. Je veux simplement que tu ailles bien. »

Mais l'hyperactif ne l'écoutait déjà plus. Il était en train de farfouiller sur son téléphone l'adresse du plus proche café de leur collège. Alors Megumi, dans un bref triste sourire, se résigna et attrapa la main qui ne tenait pas le téléphone.

« Je t'aime...

- Moi aussi je t'aime, Meg-chan ! »

.

.

.

« Micky ? »

L'interpelé ouvrit les yeux sans s'être rendu compte qu'il s'était endormi. Il se frotta les paupières et croisa le regard empli d'inquiétude de son petit-cousin qui venait d'ouvrir la porte, le téléphone dans la main. Après un instant de flottement, il pouvait entendre la sonnerie de son propre cellulaire, et lorsque son esprit encore embrumé le voulut bien, il comprit que Sean avait essayé de l'appeler et la sonnerie l'avait guidé jusqu'ici.

« Eh bien, tes parents ont eu tellement peur de ne pas te voir dans ta chambre, et je ne te raconte même pas la réprimande de ma mère pour t'avoir laissé partir. Qu'est-ce que tu as fichu ? Pourquoi t'es blessé ? Ça fait longtemps que tu dors dans le garage ? »

Le jeune Yamada éclata de rire.

« Damn, j'ai pas vu le temps passer ! Il est quelle heure ?

- Tu ne réponds pas à mes quest-...

- WOW ! (Fit-il en allumant son portable.) Déjà Seize heures ?? Je MEURS de faim !! »

Il se leva sans plus s'attarder sur ses blessures, comme si elles n'existaient pas, et passa à côté de Sean pour rejoindre la cuisine, laissant ce dernier déconcerté et un tantinet embarrassé. Il jeta un regard à son téléphone où il pouvait voir tous les messages non-lus qu'il avait envoyé à l'énergique, puis soupira, abattu par le légendaire hizashisme de son cousin.

Lorsque le blond passa le seuil de la pièce, il tomba nez à nez avec sa mère. Celle-ci ne tarda pas pour le prendre dans ses bras, ne cessant de répéter ô combien elle était inquiète. Celui-ci voulut la rassurer, mais à la place un couinement de douleur lui échappa. Elle se recula vivement et, les mains sur ses joues, dévisagea ses blessures avec incompréhension.

« Oh, ça ? Je suis juste tombé à vélo, rien de grave ! »

Il se dégagea doucement pour prendre un paquet de Kitkat pendant que Chōko, eh bien, courrait jusqu'à la trousse de pharmacie. Et pendant qu'elle désinfectait les plaies de son fils, ce dernier, mâchouillant un bâtonnet chocolaté du bout des lèvres, évitait soigneusement le regard calculateur du fils Kaily qui était appuyé contre l'encadrement de la porte.

[...]

Il devait bien être vingt-trois heures lorsqu'il éteignit son téléphone pour se forcer de dormir un peu. Savoir que le futon de son petit-cousin ne se trouvait pas loin de son lit, dans sa chambre, l'agaçait quoiqu'un peu. Mais après sa petite escapade, il jugea bon ne pas importuner davantage sa famille en râlant qu'il souhaitait dormir seul. Alors, dos à dos, les deux garçons tentèrent de s'endormir bien que l'animosité primait sur le chaleureux. Finalement, Sean changea de flan d'appui pour regarder Hizashi qui fixait le mur sans pouvoir fermer l'œil.

« Je veux qu'on apprenne à bien s'entendre, toi et moi. »

Hizashi ne répondit pas, mais ne put s'empêcher un sourire amer.

« Je sais que tu ne dors pas, tu ne t'es jamais endormi cinq minutes après avoir éteint la lumière. »

Il se tourna vers son cousin sans un mot pour rendre son regard. Malgré la noirceur de la pièce, la Lune décantait volontiers à travers les rideaux. Les volets avaient été oubliés.

« Écoute, Micky, je... j'ai aucun ami à l'Université, d'accord ? Et tous ceux du lycée ne me parlent plus. J'aurais espéré que tu...

- Que je joue le bouche-trou ? proposa le mentionné d'une voix neutre.

- Si tu le prends comme ça, j'arrête d'insister. Tu es juste la personne la plus proche de moi qui n'a pas encore décidé de m'ignorer... Quoique, c'est un peu ce que tu fais depuis le départ.

- It's your fault.

- I know, répondit-il dans sa langue natale avec une pointe de regret dans sa voix. »

Un instant de silence perdura. Hizashi le brisa.

« Si tu veux un conseil, souris. Et essaye de rendre les autres heureux. C'est comme ça qu'on se fait des amis.

- C'est comme ça qu'on se fait manipuler, oui.

- Dans l'un ou l'autre cas, tu n'es pas seul. »

Sean soupira.

« À t'entendre on dirait que tu t'en fiches de savoir si les gens t'aiment vraiment pour ce que tu es, ou si tu te contentes d'avoir un peu de compagnie pour ne pas avoir l'impression de parler à un mur.

- Je te laisse faire ta propre idée de qui je suis, visiblement tu n'as pas l'air de le savoir.

- C'est vrai. On n'a jamais réellement discuté, toi et moi. Je ne savais d'ailleurs même pas que tu étais doté de cette capacité. C'est d'ailleurs ce que je te reproche, impossible pour moi de parler avec mon cousin. »

Son petit-cousin de dix-sept ans jugea bon ne pas lui répondre, ce qui eut pour effet inquiéter le brun.

« Micky ?

- Je ne dors pas.

- Alors pourquoi tu ne réponds pas ?

- Je n'ai rien à répondre.

- C'est faux. Du peu que je sache de toi, tu as toujours de quoi dire.

- Jouer les grandes gueules pour raconter tout et n'importe quoi dans le simple but de ne pas laisser de blanc ne veut pas dire que j'ai toujours quelque chose à dire. Ça signifie juste que tu n'es pas digne de mon silence.

- Wow, c'est... je... Je ne savais pas que tu avais des réflexions pareilles... »

Hizashi, pas du tout offensé, posa sa tête sur ses bras pour regarder le plafond laiteux.

« C'est dommage. Personne ne sait qui je suis, finalement. Pas même ma propre famille. Tout le monde me voit comme un idiot en fait.

- Parce que c'est l'impression que tu donnes ! Est-ce que tu agis comme ça avec tout le monde ? Ça expliquerait pourquoi personne ne te connait vraiment.

- What do you mean ?

- Comme une personne qui raconte tout et n'importe quoi sauf la seule chose que tu enfermes au plus profond de toi. »

Après un court blanc, un ricanement résonna dans la chambre du plus jeune.

« I dunno. Possible. Qu'est-ce que ça te change de savoir comment j'agis avec les autres ?

- Ça change beaucoup de choses, crois-moi, dit Sean avec sérieux.

- Qui dit que je dois te croire ? Qui dit que je veux te croire ?

- Parle-moi. Ou à tes parents, ou tes amis, qu'importe. Tu caches beaucoup de choses au fond de toi et ça se voit. Tu caches qui tu es vraiment derrière ta bêtise et j'ai l'impression d'avoir fui toute mon enfance un garçon qui n'est pas ce que je pensais être... »

Hizashi se mit assis et Sean suivit le mouvement comme par automatisme.

« Je ne parle pas, Sean-kun. Je ne suis pas capable de parler de mes problèmes comme toi tu le fais.

- ... Parle-moi.

- Qu'est-ce que tu veux savoir ?

- Raconte-moi cet histoire d'alter.

- ... (Hizashi sourit.) Pourquoi tu tiens tant que ça à savoir ?

- Je te l'ai dit. Je veux qu'on apprenne à se connaître, toi et moi. On est de la même famille. Et visiblement on se ressemble plus que ce que je ne le croyais. ... Et je ne peux pas laisser quelqu'un être triste.

- Well, fine. Je vais te le dire. »

Il regarda un point invisible devant lui, les jambes ramenées contre sa poitrine, avant de reprendre.

« Je suis né avec mon alter, il n'est pas vraiment apparu à l'âge de quatre ans. On m'a raconté que j'ai failli rendre sourds mes parents à ma naissance. Ce n'est pas qu'une simple coïncidence.

- Développe.

- J'ai un ami capable d'annuler l'alter de n'importe qui. Et quand il efface le mien, c'est ma voix dans sa totalité qui disparait, pas seulement quand je parle trop fort. Quand je l'ai réalisé, ça m'a fait un peu bizarre mais en même temps c'est logique. Il aurait très bien pu effacer ma capacité de parler fort, mais non, ça ne fonctionne pas comme ça. Ça fait d'ailleurs très mal de perdre subitement sa voix.

- Et tu me dis que tes parents ne sont pas au courant ?

- They don't need to know.

- Le comble, tu aurais pu naître complétement muet alors, souffla Sean en passant sa main dans ses cheveux, ce qui fit rire Hizashi. Pourquoi tu ris ? Ça ne te fait pas peur ?

- Bien sûr que si ! Parler est le seul moyen que j'ai pour exister. M'enlever ma voix c'est comme enlever une part de mon identité, et quand mon ami annule mon alter, j'ai l'impression que c'est mon identité qu'il efface. De nos jours la discrétion attire l'attention car les gens se doutent bien que quelque chose se cache derrière le silence. En revanche, tout le monde s'en fiche du bruit, ils veulent juste s'en débarrasser en pensant avoir tout entendu. Sauf que l'essentiel n'y était pas.

- Mais c'est terrible de penser comme ça.

- Ce n'est pas terrible, Sean-kun. C'est une solution !

- Mais qu'est-ce qui peut être si pénible à vivre pour que tu réagisses comme ça ?! tenta-t-il de comprendre, pris d'un sentiment de culpabilité qu'il n'aurait jamais su connaître vis-à-vis son petit-cousin. »

Petit-cousin qui, d'ailleurs, se permit un bref sourire avant de se réallonger, non sans oublier de remonter son duvet jusqu'à son menton.

« Chacun à ses raisons d'agir. La mienne est d'exister. Sur ce, good night, Sean-kun, murmura-t-il en simple réponse, les yeux fermés pour un monde meilleur. »

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