𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 ₁₆

➠ ❛Un air de famille

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Hizashi frappa trois coups à la porte et recula d'un pas. Huit secondes. Huit secondes suffirent pour qu'un petit noiraud vienne lui ouvrir. Leurs regards se croisèrent et un sourire bref fut échangé, car il prit Shōta dans ses bras, et celui-ci grimaça sans protester. Celui aux lunettes triangulaires se recula enfin et recoiffa sa mèche flavescente.

« On commence notre programme ? »

Le jeune Aizawa hocha la tête, faisant voltiger un tout petit peu ses cheveux mi-longs.

« Super ! So go Shōta ! »

Porte fermée, il captura sa main de la sienne et le tira jusqu'à son vélo, où deux casques se laissaient suspendre du guidon comme deux lanternes de festival. Il déclipsa celui qu'il avait emprunté à sa mère, d'un pers matte en très bon état, et le posa sur la tête de son camarade tout en faisant glisser son doigt de chaque côté de son crâne pour caler sa frange derrière les oreilles. Le plus jeune le laissa faire, et se permit de lier de lui-même l'attache sous son menton. Agilement, Hizashi enfonça sa propre protection orange, aplatissant sa coupe au gel, et se jeta sur la selle. Il invita son ami à prendre place sur le porte-bagage. D'abord hésitant, il finit néanmoins par le rejoindre, ne se lassant pas de marmonner pour lui-même que c'était trop dangereux de monter à deux. Le premier coup de pédale l'obligea d'avoir le réflexe de se coller au dos de Yamada en passant ses deux bras autour de lui. Il voulut jurer, l'insulter de tous les noms d'oiseaux qu'il détenait dans son lexique, mais la prise de vitesse et les sauts dans les gravillons échoués le maintenaient soudé au conducteur, le front enfoncé entre les omoplates et les yeux fermés à leur paroxysme. Si Hizashi ne le lui avait pas fait remarquer, Shōta aurait pu continuer de compresser son abdomen jusqu'à l'étouffer. En contrepartie de cette délivrance, le bilingue ralentit le deux-roues orange fluo, de concert avec les pauvres battements de cœur du passager.

Lorsqu'Aizawa accepta s'habituer un minimum à ce moyen de transport pour le moins dangereux, le vélo freina progressivement jusqu'à un grand bâtiment à la couverture ancienne. Se débarrassant de bon cœur de son casque, n'écoutant que d'une oreille le jeu de cadenas dans son dos, ses yeux, trop sombres et trop cernés, dévisageaient avec émerveillement la librairie. Il sursauta lorsque Yamada posa sa main sur son épaule, venant la faire glisser le long de son bras comme un courant électrique, pour finalement enfermer son poigné entre ses doigts frais. Il l'entraîna jusqu'à la porte et la poussa de l'autre main. Si le plus jeune avait été spectateur de ses actions, ses jambes, elles, n'eurent besoin d'aucun ordre pour suivre le mouvement de l'énergique.

Voilà une petite modeste trentaine de minutes que le fanatique de lecture s'était refermé sur lui-même, dans un pouffe jaune soleil, un livre inconnu à son meilleur ami dans les mains. La moitié du duo, quant à elle, prenait son mal en patience et longeait les étagères en déchiffrant les titres des œuvres, le corps courbé sur le côté, notant bien que l'épaisseur d'un livre n'en faisait pas le prix dans la proportionnalité. C'était tout de même sympa une librairie avec un coin lecture, il n'en connaissait pas énormément dans la région. Il n'était pas sensé en connaître tout court, mais avait fait quelques recherches pour trouver un lieu plutôt proche de leurs rues respectives qui pourrait plaire à son meilleur ami. Il se disait ne rien aimer, mais Hizashi dut bien se rendre à l'évidence : il en fallait peu, très peu, pour faire plaisir à Shōta.

Il arriva à la fin d'une énième rangée de bouquins et s'apprêtait à entamer une nouvelle tracée lorsque ses yeux trop verts dérivèrent sur l'ouverture qui dévoilait les escaliers et un bout de l'étage inférieure, dont l'entrée.

« Shōta, je vais un peu me balader au rez-de-chaussée.

- Hm hm. »

Il dévala les marches trois à trois, se tenant à la rampe pour ne pas tomber et se concentrant pour faire de grandes enjambées, et il atterrie avec les deux mains sur la moquette grise non sans un sourire fier. Il se redressa et parcourut du regard l'étage et la grande vitrine qui montrait le secret de l'extérieur. Prenant en flagrant délit un vieil homme qui le lorgnait d'un regard indescriptible depuis qu'il avait fait le pitre dans les escaliers, Yamada ne s'aperçut que bien après la dizaine de secondes de flottement qu'une silhouette tournait un peu trop près de son vélo. D'abord perplexe, il le fixa de l'autre côté de la vitrine, avant d'écarquiller les yeux lorsque la main de l'inconnu encapuchonnée se changea en une paire de pinces. Il s'agenouilla près du deux-roues, mais le temps pour trancher la sécurité lui manqua car le propriétaire ouvrit brusquement la porte et courut vers lui en paniquant.

« Hé ! C'est mon vélo !! »

L'encapuchonné ne se retourna pas, mais n'enchaîna pas ses actions tout du moins, mettant même en pause celle envisagée. Seule la reprise de souffle de l'étudiant de Yuei lui parvint.

« C-c'est... c'est mon vélo, si vous me le volez, vous me donnerez un motif valable pour utiliser mon alter sur vous... le menaça-t-il en tremblant des jambes, peu certain de ses propres propos. »

L'inconnu se leva alors, comprenant que cela ne servait à rien de poursuivre son vol, sa main reprenant forme humaine. Il fit demi-tour et passa tellement près de l'adolescent qu'il le bouscula d'un coup d'épaule. Son visage était invisible à cause de l'ombre.

...

Hizashi cligna plusieurs fois des yeux, pétrifié, avant d'avoir une nouvelle crise cardiaque. Depuis combien de temps n'avait-il pas bougé ? La main sur son bras l'avait fait sursauter.

« C'était qui, ce type ? »

Il se tourna vers Shōta et remonta ses lunettes en les poussant de l'indexe.

« Nobody. Un dealer...

- Un dealer ? Tu es sûr ?

- Ouais, il est inoffensif, je lui ai dit que j'étais trop jeune donc il est parti sans insister. On y va ? Tu as acheté quelque chose ?

- Hm hm, fit-il en secouant négativement la tête.

- Comment tu as su que je suis sorti ?

- Je t'ai vu par la vitrine. Tu es sûr que ça va ? Tu as l'air stressé.

- Naan it's fine ! »

Quand bien même le noiraud doutait des propos de son meilleur ami, voyant bien que celui-ci paraissait agité - plus que d'habitude du moins - il décida de lui faire confiance pour une fois. Qu'il s'agisse d'un dealer ou d'autre chose, s'il y avait un réel danger, Hizashi en parlerait... En principe.

« Go voir des chats errants ?

- Tu ne voudrais pas qu'on fasse quelque chose qui te plaise ? »

La question d'Aizawa le prit de court un instant. Il était tellement focalisé sur ses idées qu'il n'y avait pas songé.

« Tu t'ennuyais à la librairie. On n'est pas obligés de faire que des trucs que j'aime. On pourrait...

- It's okay, Shōta ! le rassura-t-il en souriant de toutes ses dents, sincère. Laisse-moi décider du programme, on fera d'autres choses un autre jour. J'aime bien quand tu t'amuses, dis-toi que c'est pour rattraper toutes ces soirées au camp avec les autres où je te forçais de jouer à des jeux que tu n'aimais pas.

- ... D'accord. »

Il passa son bras par-dessus les épaules du plus jeune.

« Aller, souris !

- Je ne souris pas.

- Bien sûr que si, tu m'as prouvé plus d'une fois le contraire ! Do it, pleaaaaaaase... For me ?

- ... »

Il crispa ses lèvres dans une grimace incertaine.

« On dirait la tête de quelqu'un qui mâche des sauterelles grillées et qui trouve ça exécrable.

- C'est toi qui me l'as demandé.

- Mais tu as un joli sourire pourtant ! C'est nul si tu ne le montres jamais ! »

Ils vêtirent leur casque.

« Faut supprimer tes deux autres sourires !

- Lesquels ?

- L'effrayant quand tu te bats et le tordu quand tu te forces. »

Il laissa Shōta prendre place derrière lui, et il appuya sur la pédale pour s'engager en bas du trottoir.

« Moi, au moins, mes sourires sont agréables à regarder, on ne dirait pas du tout que je suis constipé !

- Mais bien sûr.

- Mon sourire charmeur en a fait tomber des filles !

- Elles ont dû perdre connaissance devant tant d'imbécilité au mètre cube.

- Ose me dire que tu fais partie de ces personnes jalouses de ma facilité à être génial !

- Je ne suis pas jaloux. T'es ridicule.

- Bien sûr ! (Il ralentit progressivement.) On est arrivés !! »

Il freina devant une ruelle peu convoitée du même quartier, et laissa tomber son vélo contre un mur. Le cul-de-sac se composait d'une benne à ordure près du trottoir, ce fut d'ailleurs derrière celui-ci que le bolide orange fluo fut caché au cas où un autre voleur ne se pointe. Quatre chats se reposaient contre le mur et sur une petite échelle. Hizashi demeurait en retrait pour permettre à son meilleur ami de s'en approcher sans les effrayer à cause de l'énergique. Calmement, Shōta s'accroupit au milieu de la ruelle et tendit sa main, la paume tournée vers le ciel, et interpela les petites boules de poiles. Finalement, curieux, l'un d'eux eut le courage de quitter son repos pour venir sentir les doigts du jeune inconnu, avant d'émettre un ronronnement rassuré sous la douce caresse de celui-ci. Yamada observa la scène en se forçant de ne faire aucun bruit, attendri. Il retomba sur Terre lorsque la moitié de leur duo l'interpela, face à lui, le chat tricolore contre sa poitrine et ses yeux trop noirs incapables de s'en détacher.

« Regarde comme il est beau.

- Je vois ça Shōta, mais rappelle-toi, on ne peut pas prendre de chat errant.

- Mais regarde comme il est doux.

- Tu ne m'avais pas dit que ta mère était allergique aux poiles de chat ?

- Mais regarde comme il est mignon.

- Shōta... souffla-t-il en proie d'être exaspéré, ne pouvant cependant chasser son amusement. »

Un instant de silence. Il s'approcha de son meilleur ami et caressa la boule de poile.

« C'est vrai qu'il est mignon.

- Plus tard j'aurai un chat.

- Je m'en serais douté, ya know ? gloussa-t-il. Je te vois bien dans vingt ans : tu seras un super-héros professionnel, tout le monde t'appellera Eraser Head, tu auras un beau mec et des enfants, et des chats, et un meilleur ami absolument génial qui sera par défaut super ami avec ton mec, et on se fera des sorties, et parfois je tiendrai la chandelle, et peut-être même qu'il voudra que je me joigne à vous pour un plan à trois quand vous vous ennuierez.

- Hizashi !

- What ? demanda-t-il en battant des cils innocemment, ce qui eut l'objet de faire soupirer le noiraud.

- Alors non, personne ne m'appellera Eraser Head tout simplement parce que je refuse de laisser le moindre journaliste m'approcher, donc personne ne me connaîtra. Oui mon mec sera beau, mais pas d'enfant, pitié. Ok pour les chats. Et pas ok pour que tu traumatises mon futur mec jusqu'à le faire fuir. Et encore moins de plan à trois !

- On verra bien dans le futur si j'n'ai pas raison !

- Tu ne peux pas prédire l'avenir. Le futur est une découverte générée par les actions du passé et du présent. Ce serait irrationnel de théoriser sur un évènement qui n'a pas encore lieu de se produire.

- Mais tu peux deviner ce qu'il se passera ! Quand tu vois passer des nuages dans le ciel, tu peux prédire la pluie. Tu manges trop de bonbons, tu vas avoir mal au ventre. Tu ne mets pas de crème solaire avant d'aller à la plage, tu deviens rouge.

- Mais ce sont des faits reproductibles, une suite de vérités générales. C'est facile de dire que si le train démarre, il s'arrêtera au prochain arrêt. C'est parce qu'il a été programmé pour ça. Mais qu'est-ce qui peut programmer une chute en vélo sous prétexte que tu montes dessus ?

- Les probabilités, non ? Soit tu tombes, soit tu ne tombes pas.

-  C'est plus compliqué que ça. Je ne pourrais pas te l'expliquer. Mais pour répondre à ma question, personne ne peut le programmer.

- Même pas un dieu ?

- Je ne sais même pas si j'y crois, alors me dire que mon destin repose sur leurs désirs de me voir agir de telle ou telle manière... Irraisonnable.

- Tu ne fais confiance qu'au destin ?

- Je ne fais confiance qu'à mes agissements, il ne faut compter sur personne, et encore moins en un... dieu. Donc si je veux avoir un mec, c'est parce que j'ai décrété ne pas être attiré par les filles. Si je veux avoir des chats, c'est parce que je me le suis promis à mainte reprise. Si j'ai à mourir demain, c'est parce que j'aurais pris la décision aujourd'hui.

- C'est...

- Ma vie m'appartient tout comme la tienne t'appartient. Si tu veux tel avenir, fais tout pour que cela se produise. Si tu veux devenir un héros, réussis tes années de lycée. Si tu veux du poulet frit au dîner, demande à tes parents.

- Tu t'es rappelé que j'aimais ça !! »

La hausse de sa voix fit fuir le chat que tenait Aizawa dans les bras. Il afficha une mine déçue qui fit rosir les joues du blond.

« Sorry. »

Ils regardèrent le chat se faufiler sous la benne, et un bref instant passa avant que Shōta reprenne la parole.

« Mais quand bien même tu feras tout pour réaliser tes projets d'avenir, d'autres éléments viendront perturber ta quête et modifier le futur que tu te forges. Tu peux forcer le destin pour ne pas avoir d'enfants par exemple, et l'instant d'après, la jolie femme près du comptoir d'il y a neuf mois te dépose un drôle de panier devant ta porte, pour ne plus jamais revenir. L'avenir est plein de surprises... »

[...]

Il était bientôt quatorze heures et les cupcakes étaient absolument divins. Tandis que celui de Yamada se garnissait d'une petite crème parsemée de vermicelles bariolés, celui du noiraud avait l'allure d'un ourson avec sa confiture à la framboise qui dessinait ses oreilles et son museau. Jouant à faire tenir une petite décoration de gomme à l'effigie de sa confiserie, Shōta tâcha de faire abstraction au brouhaha de la table voisine. Son meilleur ami trempa ses lèvres dans son sirop à la pêche, apprécia les mini-bulles qui picotaient contre son palet, et mordit amoureusement son gâteau coloré. Le noiraud continuait de triturer son ours en guimauve, pensif.

« C'est pas vraiment un déjeuner, mais avoue que c'est agréable !

- Hm hm.

- Si tu veux tu pourras passer chez moi, on pourra se faire un vrai goûter si tu as faim !

- Je pense pouvoir tenir jusqu'au dîner.

- C'est toi qui vois ! »

À ce moment-là, le téléphone d'Hizashi vibra en continue contre la table. Il l'alluma pour lire le nom de contact et sourit en voyant qu'il s'agissait d'Ekoshi. Il décrocha et activa le haut-parleur.

« Salut !

- Hey Nao-chan !

- 'lut Ekoshi-san.

- Oh, Aizawa-kun, salut ! C'est cool de t'entendre, désolée, je ne savais pas que vous étiez en sortie... ! (Elle cacha le combinet pour murmurer quelque chose à la personne qui lui tenait compagnie, son père, à entendre la seconde voix.)

- Il n'y a pas de mal, la rassura le blond. Tu appelais pour quelque chose ?

- O-oui, dit-elle en libérant le micro. c'est au sujet de ce mercredi, pour ta fête d'anniversaire en retard. Ça te va si on piquenique sur la plage municipale de Takoba? Ce sont les derniers beaux jours avant l'orage d'après les prévisions, ce serait dommage de ne pas en profiter.

- Great idea ! Shōta, ça te va ? »

Hochement de tête peu convaincu. Ces plages n'étaient pas aussi belles que ce qu'il avait vu chez les grands-parents d'Hizashi - il n'aimait pas la plage mais il tolérait disons - toutefois, ce qui l'inquiétait surtout était de devoir se confronter aux imbéciles qui formaient le groupe d'amis de son aîné. Entre les neurones en moins et les cries – en plus de ceux de son meilleur ami – il avait souvent mal au crâne à devoir gérer cette sociabilisation forcée. Pourquoi est-ce qu'ils s'entêtaient à vouloir l'intégrer ? Il serait bien plus à l'aise dans son vieux sac de couchage rouge avec un pot de pompote sur les genoux.

« Super ! On fait comme ça alors !

- Oui ! On se voit dans deux jours, bye les garçons. »

Le téléphone se tut sous le regard des deux jeunes. Finalement, ce fut Shōta qui brisa le silence, il ne s'était même pas rendu compte que la table voisine venait de décamper.

« Tu l'appelles par son prénom.

- Euh... Well, yes ? »

Il ne savait pas trop quoi répondre à cette affirmation. Il était vrai qu'après réflexion, Hizashi et Nao avaient convenu de s'appeler par une appellation plus intime, étant amis depuis la rentrée eux aussi. Shōta aussi avait ce privilège concernant son meilleur ami, mais sans la particule, ce qui surprenait quiconque s'en apercevait. Ils ne se connaissaient pourtant que depuis cinq mois, mais leur proximité autant bien psychologique que physique les avaient inconsciemment poussés à s'exprimer comme s'ils se connaissaient depuis toujours, ou peut-être, comme aimait tant le répéter Yamada, s'étaient-ils rencontrés dans leur ancienne vie... Et aussi étonnant que cela puisse paraître, le noiraud, si froid et distant, avait été le premier à l'appeler par son prénom. Une erreur, sans doute, puis une agréable habitude.

« Tu es jaloux ? »

Oh que non, il ne l'était pas. Parce qu'Aizawa, contrairement à Nao, était la seule personne à être appelé par son prénom aussi intimement. Pas de particule de politesse, pas d'appellation amicale. Juste un prénom. Une voix. Un regard. Un sourire. Et parfois même une main sur son épaule.

« Tu fais ce que tu veux, Hizashi. »

Mais il ne pouvait masquer son rictus lorsqu'il détourna le regard, notant bien qu'il pensait réellement ce qu'il disait. Il n'était pas jaloux. Hizashi faisait ce qu'il voulait. Mais Shōta avait les privilèges que Nao Ekoshi n'aura jamais.

Lorsqu'ils eurent terminé leurs confiseries, seize heures sonnaient à la montre du bilingue. Ils eurent un échange visuel bref qu'ils brisèrent par l'enfilement de leur casque respectif.

« Où est-ce qu'on va ? demanda Hizashi pour la première fois de la journée.

- Je ne sais pas. Tu n'as prévu rien d'autre ? »

Le blond tenait le vélo à côté de lui, une main sur le guidon et l'autre sur la celle, pensif.

« Non. »

Shōta le fixa en attendant une meilleure réponse. Le blond le comprit bien, et détourna le regard.

« On peut rentrer regarder un film, si tu en as envie. À moins que tu préfères que je te ramène ?

- Tu peux me ramener chez moi. »

Yamada le regarda à nouveau, déçu à l'idée de devoir mettre un terme à leur journée.

« ... J'ai de bons DVD, reprit le noiraud en posant ses yeux trop noirs sur le vélo. »

Un sourire. Un nouveau croisement de regard.

« Super, faisons comme ça alors ! »

[...]

« J'suis rentré. »

La porte se referma derrière les deux garçons, le plus âgé légèrement crispé. Faire bonne impression, faire bonne impression, faire bonne impression. Son meilleur ami l'escorta jusqu'au salon où était sagement assise la mère. De face, elle était le portrait craché de son fils, les cheveux plus bruns, les yeux rubis et les joues roses en plus. Relevant doucement la tête, elle les lorgna derrière ses lunettes rectangulaires. Son fils. L'ami de son fils.

« Bonjour Shōta, bonjour l'ami de Shōta.

- M'man, il s'appelle Hizashi... C'est lui que tu as ramené l'autre jour...

- Bonjour Hizashi-kun.

- G-goodafternoon, Aizawa-san ! »

L'adulte termina de pianoter sur son téléphone sans plus faire attention aux deux adolescents.

« Papa est rentré ?

- J'en sais rien et je m'en fiche, répondit-elle sèchement, doublant la vitesse à laquelle elle écrivait son texto. »

Le noiraud soupira et expliqua à son meilleur ami, voyons son interrogation.

« Ils se disputent tous le temps mais restent ensemble. Ne cherche pas, mes parents sont bizarres.

- Je t'entends, Shōta, prévint la mère en se montrant du doigt comme pour signaler sa présence. Tu comprendras nos choix de vie quand tu seras plus grand.

- Hm hm.

- Excusez mon intrusion, s'imposa Hizashi en levant légèrement la main. Mais pourquoi vous ne divorcez pas si vous ne vous aimez plus... ? »

Le regard indescriptible que lui lançait son meilleur ami le fit douter de la qualité de sa question. Pourtant, la mère, loin d'être offensée, leva la tête de son smartphone pour le regarder enfin dans les yeux. Ce fut la première fois qu'il remarquait la rougeur qui lui rongeait le regard - son alter peut-être ? - et il eut un léger froncement de sourcils gêné.

« Parce qu'on ne veut pas départager la garde de notre petit Shōta.

- M'man...

- Il est agréable à vivre, c'est un vrai chat. Il mange ce qu'on lui donne, il dort et ne fait pas de bruit. En plus il sait faire la vaisselle. Et aussi, il ne fait pas tomber de poils partout, j'y suis allergique. Et c'est mon mari qui détient les bouteilles de vin.

- Ok maman tu nous laisses la télé ? On veut regarder un film, Hizashi et moi, interrompit froidement son fils, prêt à sortir ses griffes de félin à la moindre autre remarque.

- ... Ouais. Bien sûr. »

Elle se leva en soufflant du nez et, se massant la nuque sous ses cheveux mal attachés, s'enferma dans ce qui semblait être un atelier. Le temps que le jeune Yamada saisisse l'étrange relation qu'avaient son meilleur ami et sa mère, le principal concerné s'était déjà agenouillé à la recherche d'un film, sur l'étagère au-dessous du miroir noir.

« Elle fait quoi ta mère, dans la vie ? s'intéressa Hizashi en attrapant un boîtier pour en lire le titre.

- Photographe. Elle a un alter qui lui permet d'analyser en un seul regard un objet, une personne, un paysage, pendant dix secondes et déposer sur papier ce qu'elle a imprimé dans son esprit les cinq secondes suivantes. Comme un appareil photo, mais en plus douloureux pour les yeux.

- Elle regarde dix secondes une personne, et cinq secondes la feuille vierge pour que l'image de la personne y apparaisse ?...

- C'est ce que j'ai dit.

- Trop cool ! Et ton père ? C'est quoi son alter ?!

- Effacement de sens. Il lui suffit de toucher une personne pour qu'il lui retire un de ses sens, voire une combinaison. Sa vue, son ouïe... Les deux en mêmes temps s'il est en forme... Mais il n'est pas fier de son alter, alors au lieu de devenir super-héros, il a fini président du club sportif d'un collège.

- So, si je comprends bien, ton alter est une fusion améliorée de ceux de tes parents ? Effacement et regard ?

- Améliorée, non. Modifiée, peut-être. Ma grand-mère pouvait effacer les alters mais pas plus de cinq secondes. J'ai dû prendre d'elle, sans doute, l'effacement d'alter, le regard de ma mère, et la longévité des effets de mon père. Les effets disparaissent lorsqu'il arrête de toucher la personne. »

Il sortit un boîtier de DVD avec un anime qu'Hizashi ne connaissait pas, et qui accepta de le regarder avec plaisir. Il trouvait la vie de son meilleur ami passionnante, quand bien même le concerné ne pouvait en comprendre la raison. Mal à l'aise, il ignora les quelques regards en coin du blond pour suivre le long-métrage.

Au milieu de l'anime, la porte d'entrée s'ouvrit doucement, laissant apercevoir une silhouette imposante. Hizashi déglutit, ayant tout à coup peur de faire mauvaise impression au froid et sévère père de Shōta, qu'il rencontrait pour la première fois. Mettant le film en pause, il bondit du canapé, sous le regard inquisiteur du plus jeune, et se posta nerveusement devant l'adulte. Il était grand, mais ses épaules n'étaient pas plus larges que ce qu'il lui semblait. Ses cheveux noirs de jais coupés sur les côtés étaient reliés à l'arrière de la tête par une minuscule couette bouclée, laissant ainsi son front bien dégagé à l'exception d'une fine mèche qui s'imposait entre les deux yeux, l'un charbon, l'autre bleu-gris. Son hétérochromie transit le jeune blond un instant, le temps de remarquer une petite barbe mal rasée poussant sur son menton fin.

« B-bonjour... J-je... Je suis Hizashi Yamada !! se présenta-t-il en se penchant en avant, la voix peut-être un peu trop forte.

- ... »

Le regard rivé vers le sol, il paniqua. Cet homme, d'après les dires du fils, ne voulait pas qu'il fasse le lycée de Yuei. Il se disputait avec sa mère. Bon sang, et s'il n'appréciait pas Hizashi ? Et s'il empêchait les deux amis de se revoir ?!

« Yamada... Hizashi Yamada... ? »

Sa voix, profonde et grave, fit accélérer son rythme cardiaque.

« Hizashi le voisin de table trop bruyant ? »

L'invité se redressa légèrement, perplexe, et dévisagea le père Aizawa en cherchant pourquoi l'adulte souriait bêtement en le regardant depuis sa grande taille. Et pourquoi ce surnom ?!

« C'est bien lui, n'est-ce pas ? Oui, l'enfant m'en parle tout le temps. Je te voyais blond, c'est fou comme un prénom fait le physique. Donc moi c'est Kiyo Aizawa. Il a invité un ami, il va donc neiger... Je vais chercher la pelle à neige. Makura, où sont les clefs du garage ?

- Euh...

- Et puis, tu ne m'avais pas dit que Shōta avait invité un copain, j'aurais prévu plus pour ce soir... »

La porte s'ouvrit légèrement sur la petite brune qui le dévisageait d'un regard exaspéré.

« Je n'étais pas au courant non plus.

- Donc... Ce sont tes parents ? demanda sans discrétion Hizashi au fils Aizawa, honteux dans son coin.

- Ouais...

- Tu aurais pu m'envoyer un SMS, tu es toujours sur ton téléphone...

- Vas te faire foutre Kiyo.

- Pas devant les enfants, s'il te plait. »

Obnubilé par leurs échanges, la seule chose qui ramena le jeune Yamada sur Terre fut la main tiède de son meilleur ami qui empoigna son avant-bras afin de le tirer jusqu'à l'étage. Là, il les enferma dans une petite pièce mal aérée, avec un lit seulement, et un sac à dos traînant sur le sol. Se cachant le visage entre les mains, Shōta se laissa tomber le long de l'ouverture de bois. Il avait honte d'avoir fait assister son meilleur ami à ça. Ils restèrent un moment dans le silence, comblé par les insultes de plus en plus fortes au rez-de-chaussée et bientôt, des portes qui claquent. Un silence nouveau s'installa. Un silence omniprésent qui était uniquement brisé par leurs souffles.

« Désolé.

- Ce n'est rien, Shōta. »

Il s'assit juste en face du noiraud. Celui-ci baissa les mains pour le regarder droit dans les yeux.

« Tu peux m'expliquer ?

- T'expliquer quoi ?

- Ton père ne ressemble à rien de ce que j'avais imaginé. Il ne veut vraiment pas que tu sois un héros ? »

Son cadet soupira et baissa la tête, veillant à ce que ses cheveux lui tombent sur le visage.

« Il est surprotecteur depuis que je suis petit. Je ne me souviens plus pourquoi, mais du peu que je me souvienne, il y a eu un évènement qui m'aurait traumatisé et il s'en voulait tellement... Ils ne m'ont jamais raconté ce qu'il s'était passé, mais je suppose que ça vient de là ma peur des hauteurs.

- Il a l'air super gentil, en tout cas. Difficile de croire qu'il puisse s'énerver !

- Je peux parler de tout avec lui, contrairement à ma mère qui est un peu trop... Elle. Sauf de devenir un super-héros pour le coup. Mon père veut que je fasse comme lui dans le sport, plus sécurisé et plus stable. C'est pour ça que j'ai fait du taekwondo ; pour apprendre à me battre dans un cadre où il pourrait être rassuré. Mais c'est pas trop mon truc, devenir prof de sport ou même en général.

- Ah, d'accord... Et les disputes ?

- 'sont juste chiants. Ils se disputent pas les tiens ?

- Non, pas que je me souvienne. Ah si ! Une fois mon père a planté le rouleau de papier-toilette dans le mauvais sens, my mum n'a pas trop apprécié. »

Un certain temps passa.

« Je pense qu'on va devoir reporter la fin du film.

- Anw, too bad... déplora Hizashi avec un petit sourire. Faut croire que c'est bonne une excuse pour se revoir demain ?

- Ma mère veut me traîner chez le coiffeur et faire les courses, je ne risque pas pouvoir lui échapper. On se revoit mercredi pour ta fête.

- ... Yeah. »

Le blond tendit légèrement le bras pour venir glisser ses doigts dans les cheveux mi-longs de son ami.

« J'ai hâte de te voir avec les cheveux courts.

- J'ai hâte que tu changes de lunettes.

- Hein ?! Mais ils ont quoi mes lunettes ??

- Ils ne font pas assez humain, se moqua Aizawa avec un rictus provocateur. »

En simple contrepartie, le bilingue gonfla les joues.

[...]

Hizashi repensait à la famille de son meilleur ami, et il regardait discrètement la sienne durant le repas. Son père, grand et aux cheveux de blé, avait tout d'un parent cool : il était traducteur, aimait faire des barbecues, jouer au baseball et sortir des 'blagues de daron'. Son alter, il l'utilisait durant les matchs de ce sport américain pour supporter son équipe favoris, et quelques fois, son fils, alors âgé de six ans, restait sur ses épaules et criait joyeusement avec lui. Tōya avait des petites lunettes rondes devant ses yeux bleus, aussi, et avec sa moustache on pouvait facilement le perdre dans un camp de hippies. Tōya Alister Yamada. Moitié japonais, moitié britannique. La classe.

Sa mère, Chōko Yamada, en revanche, était un petit fleuve tranquille qui régulait l'énergie du foyer. De son alter, la femme aux cheveux dorés et aux yeux verts était capable de faire immerger de sa peau des petits insectes faits de magies et, heureusement, éphémère. Au moindre souffle, ils disparaissaient. Sauf qu'à défaut d'avoir un fils qui a passé son enfance à fuir les affreuses choses qui sortaient des bras qui l'enlaçaient le soir, le pauvre a fini par en être traumatisé et depuis, sa mère n'a plus eu recourt à cette douteuse capacité innée. Peut-être que si Hizashi avait hérité de son alter, il aurait aimé les insectes ? Elle ne pouvait s'empêcher de s'imaginer un monde où son fils s'amuserait à faire voltiger des petits papillons dans la salle de classe avec émerveillement. 

« Hiza, tu ne manges pas ? Tu n'as pas faim ? s'enquit-elle en remarquant les coups d'œil en coin de son fils.

- Ah, yes yes, je réfléchissais c'est tout. »

Ses parents échangèrent un regard inquiet tandis que leur progéniture acceptait de poursuivre son dîner. 

Un univers où il serait un mouton à quatre pattes. Où il ne confondrait pas l'anglais avec le japonais. Où il ne passerait pas son temps à hurler sa joie. Où il se contenterait d'une paire de lunettes rectangulaire. Où il serait hétéro. Où il n'oserait pas s'approcher d'un trou noir de peur de ne plus en ressortir. Un univers où tout simplement, Hizashi Yamada ne serait pas leur fils, ne serait pas le rayon de soleil qui illuminait tant leurs journées, n'existerait pas. Les probabilités d'avoir eu un enfant comme lui était si infimes, si inexistantes, que le simple fait de repenser à l'avortement les effraya. Et aujourd'hui, leurs craintes se focalisèrent sur le silence d'un adolescent.

Les comprendre était si difficile en général... Et Hizashi n'a jamais été connu pour confier ses angoisses. Son cœur était aussi silencieux que lui n'était bruyant.

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À jeudi prochain ! 🌞🍂

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