𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 ₃
➠ ❛Le théorème du trou noir❜
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La semaine avait passé à une vitesse hallucinante, et ce serait mentir que de dire que les élèves de la seconde A regrettaient d'être enfin le weekend, enseveli de devoirs à rendre... En ce merveilleux vendredi après les cours, Hizashi, peu déterminé à prendre de l'avance, attablé près de la porte à côté d'un camarade, discutait joyeusement avec celui-ci, lorsqu'une fille de leur classe vint l'interpeler pour l'accompagner jusqu'à la gare, comme ils rentraient souvent ensemble. Yamada les salua avec un sourire rayonnant et il se rassit à sa table originelle, et posa les yeux sur le livre qu'ils devaient terminer pour la semaine prochaine, posé à même le bois et l'appelant d'une voix plaintive. N'ayant pas la courage nécessaire pour s'approprier l'histoire de ce bouquin si peu captivant, ni aucun autre bouquin d'ailleurs – comme il n'était pas friand de la lecture à l'origine – mais qu'il lui restait tout de même une bonne vingtaine de minutes à tuer avant que son père vienne le chercher en voiture pour aller faire les courses, la tête blonde s'étira longuement, le regard pérégrinant vers la vitre qui donnait sur l'extérieur, tout en mastiquant distraitement son chewing-gum à la pêche. Il attendait que quelque chose de vraiment intéressant se passe. Et ce quelque chose, et bien, portait le nom de Shōta.
Il n'y avait plus personne dans la salle de classe, à part lui. Aussi, lorsqu'il aperçut son voisin de banc se tenir à l'encadrement de la porte, seule la surprise fut lisible sur le visage de l'énergique. Il fit éclater une bulle rose et se redressa sur sa chaise, manquant de peu de perdre l'équilibre de celle-ci qui avait été bousculée sur les deux pieds postérieures.
« Yo Aizawa-san, salua-t-il avec un grand sourire. Tu as oublié quelque chose ? »
Et cela s'avérait être le cas, car le noiraud hocha discrètement la tête et s'avança jusqu'à son bureau. Un trousseau de clefs, que le jeune Yamada n'avait pas remarqué avant, reposait effectivement aux pieds de la table voisine. Se penchant pour le ramasser, blasé, il ne remarqua pas son camarade qui l'observait depuis sa position, la tête soutenue par son poing, un brin amusé.
« Tu n'as pas la tête sur les épaules, dis-voir. »
Le jeu métallique termina sa journée au fond du sac d'Aizawa sans que ce dernier ne tique à la remarque de l'autre. Il lui fit face et remonta la bandoulière de sa besace sur l'épaule.
« Et toi, qu'est-ce que tu fais ici ?
- J'attends mon père, mais il a ce petit quart d'heure bien à lui qui fait qu'il arrive toujours en retard. Du coup je traîne ici en attendant de voir la voiture par la fenêtre. »
Shōta tourna la tête vers ladite fenêtre, pointée du pouce par l'aîné, où la route était visible de l'autre côté de la cour. De là, il pouvait voir les derniers élèves s'avancer sur le trottoir.
« Oi, a BIG idea ! Tu veux peut-être me tenir compagnie ?! »
Les yeux du noiraud se reposèrent sur son camarade, et une grimace lui fut arrachée à la proposition de son interlocuteur. Il changea mollement la bandoulière d'épaule, et enfonça une main dans la poche de son pantalon.
« On m'attend à la maison.
- Il y a tes parents chez toi ? Mais ce sont des clés pour quoi, du coup ?
- ... Ce ne sont pas tes affaires. »
Il tourna les talons, et sortit de la classe sans perdre plus de temps auprès de son voisin de banc.
« O-OKAY ! No prob' ! À lundi, du coup ! ... »
La porte se referma lourdement après le passage de Shōta, et Hizashi baissa la main avec un plus petit sourire... Pourquoi s'entêter à vouloir lui parler ?
Il baissa la tête et lança un regard dépité sur son bouquin.
[...]
Tōya Yamada arrêta la voiture dans le parking d'un petit centre commercial. À peine eut-il le temps de couper le contact qu'il avait jeté un regard dans le rétroviseur. Il vit que son fils regardait par la fenêtre, l'air songeur, et ne semblait pas avoir remarqué qu'ils s'étaient garés. Ce n'était pas souvent qu'il voyait Hizashi aussi calme, cela l'inquiéta un petit peu. Lui qui d'habitude était si énergique et si bavard, le voir ainsi donnait l'impression à l'adulte que quelque chose le tracassait. Son bras passant par-dessus le siège de sa voiture, il se retourna pour s'adresser à l'unique passager de derrière.
« Tout va bien, fiston ? »
L'adolescent sursauta et croisa enfin le regard inquiet de son géniteur. Il secoua vivement la tête et montra ses dents en un sourire plutôt franc.
« Yeah ! Of course ! »
Ils se sourient mutuellement, le plus âgé plus incertain cependant, mais l'invita tout du moins à sortir du véhicule de concert.
L'heure de pointe n'était jamais un très bon moment pour faire ses achats, mais étonnamment, un certain calme persistait à planer dans le petit centre commercial. Avachi sur la barre pour pousser le caddie, ennuyé, un pied posé sur la petite grille, Hizashi se laissait mollement rouler le long du rayon, allant jusqu'au suivant et son voisin. Visiblement, son père prenait un peu trop de temps pour choisir quel brique de lait sa femme lui avait demandé de prendre. Ne faisant que s'éloigner de l'adulte encore et encore, le jeune Yamada dû se résoudre à le retrouver et reposa les deux pieds par terre pour rebrousser le chemin, et ainsi retrouver le rayon frais. Ce fut au moment de traverser l'entrée d'un autre rayon que son charriot manqua de percuter celui d'une femme aux cheveux verts qui passait sagement entre deux rangées d'étalages. Il passa une main dans ses cheveux en soufflant un mot d'excuse, et comme l'inconnue ne le réprimanda pas de ne pas regarder où il avançait, elle-même s'avouant en faute, il put se ressaisir entièrement et perçut un sentiment de soulagement qui dénoua le nœud dans son estomac. Il ne put néanmoins pas détourner son regard de cette charmante énergumène, et ça, la jeune femme l'avait bien remarqué. Elle s'empara d'un pot de crème et jeta un regard gênée en coin à l'adolescent.
La voix de son père attira celui-ci de ses rêveries.
« Excusez-moi, mon fils est un peu... Trop énergique ! Impossible de le garder à l'œil plus de dix minutes. J'espère qu'il ne vous a pas trop dérangée ?
- Daaaaaad ! gémit l'hyperactif en levant dramatiquement les bras.
- Non non, tout va bien, moi non plus je ne regardais pas où j'allais !
- Oh, d'accord... Très bien... »
Tōya posa sa main sur le haut du dos de l'adolescent.
« Vous savez comment sont les enfants...
- Papa, j'ai quinze ans... ! »
Mais personne n'écoutait ses plaintes. Il allait avoir seize ans dans peu de mois, ce n'était pas la mer à boire de comprendre qu'il ne pouvait plus être comparé à un chérubin !
« Oui, le bébé de ma cousine est un peu turbulent, je sais ce que c'est... »
Elle leur sourit chaleureusement.
« On va vous laisser, encore désolés du dérangement !
- Il n'y a pas de mal. »
La femme aux cheveux verts rit doucement, avant de sursauter, troublée.
« Inko ! Ah, mais ça fait des heures que je te cherche, qu'est-ce que tu fiches ?! »
La femme aux cheveux verts se tourna vers la nouvelle arrivante, et s'affola, se rappelant très certainement qu'elle était accompagnée.
« Pardon Mitsuki-chan ! Je suis là !! »
Se détournant finalement des retrouvailles des deux jeunes femmes, le père Yamada se pinça l'arête du nez entre le pouce et l'indexe.
« Ah, les hormones... Hein, Hiza ? En parlant de filles, pas moyen de me rappeler ce que m'avait demandé ta mère. »
Hizashi recouvra son sourire si caractéristique et haussa des épaules.
« Oh pire on s'en fiche, on prend le lait qui nous attire le plus et si jamais ce n'est pas le bon, on dit qu'il n'y avait plus celui qu'elle nous avait demandé ? Noooo PROB' ! »
L'adulte recroisa les yeux trop verts de son fils unique, surpris par son génie. Génie qu'il a dû hériter de son père, se disait le concerné sans cacher sa propre flatterie jusque dans la narration !
« Tu sais, Hiza, c'est une très bonne idée que tu as là. Un homme à marier, moi je dis. »
L'adolescent leva les yeux au ciel, n'aimant que très peu la tournure de leur conversation.
« Papa...
- What ! Je n'ai pas raison ?
- On en a déjà parlé...
- À propos ?
- Mais... Sur mon orientation, dit-il en décortiquant chaque syllabe, les dents serrées.
- Ah, oui ! Oui... Bah... Au cas où tu te trouverais un... boyfriend, murmura-t-il pour ne pas se faire entendre par les autres passants, peut-être que les unions homosexuelles seront légalisées ?
- Vue l'humanité, je ne pense pas, et puis MÊME, je ne pense pas vouloir me marier un jour, soupira-t-il en roulant des yeux derrière ses lunettes orangées. And ya know, je suis un peu jeune pour penser à ces choses-là !
- Trop jeune, trop jeune... »
Il posa dans le caddie une brique de lait au hasard et attrapa une boîte d'œufs qui n'avaient rien demandé, inopportunément posée à portée de bras, pour l'abandonner à son tour dans le charriot que tenait son fils.
« Tu sais moi, à ton âge, je flirtais avec tous ce qui bougeait, déjà.
- Dad ! Holy cakes I did not want to know !
- Je dis seulement que j'avais des projets avec la moitié des filles que je présentais à mes parents !
- Je ne te pensais pas comme ça !
- Les gens changent, les goûts aussi. Ma première petite amie était brune.
- And so ?
- J'ai fini par épouser la plus belle blonde du Japon, voire de la Terre !
- Je répète : and so ?! rit-il, ne sachant si l'aveux de son progéniteur devait réellement figurer dans la liste des choses qu'il devait savoir sur son père avant de mourir. »
L'adulte haussa des épaules et invita son fils à avancer jusqu'à la caisse. Tandis que celui-ci posait les articles sur le tapis roulant, ignorant ces dernières minutes d'échange, son père avait le regard attiré vers des porte-clefs qui trônaient près des cigarettes et des cartes rechargeables.
« Regarde, Hiza, est-ce qu'il y en a un qui te fait plaisir ? lui demanda-t-il tout en pointant une boîte Marlboro à la caissière. »
La tête blonde leva la tête vers les accessoires inutiles, et pointa l'un d'eux sans réfléchir, sans même analyser les autres porte-clefs proposés.
« Oh, celui-là est SOOOO cute !! »
Il lui faisait penser à quelqu'un, surtout...
[...]
Sa chambre était plongée dans une obscurité maternelle. Malgré la noirceur, ses nombreuses figurines et posters étaient visibles dans cette pénombre. « So bar scenes weren't an option... Ukulele DJs, only band in the genre... » L'éclat lunaire qui décantait à travers les rideaux violets n'étaient là que l'unique source de luminosité, et encore, les nuages qui s'aventuraient ce soir-là ne la rendaient que plus éphémère encore. « And we're dreaming of Bahamas... So pass around the bottle... » Dans sa main, Hizashi observait sous tous les angles le porte-clefs chat qu'il avait acquis en cette fin d'après-midi. Le dessin d'un petit félin noir avec un ruban jaune autour du cou, serré entre deux plaques en plastique en forme de cercle, surmonté d'une chaînette argentée de qualité rediscutable, était tout bonnement adorable. Il s'étira pour la poser soigneusement sur sa table de chevet, et ferma un instant les yeux.
Tout à coup, la musique se coupa. Son walkman n'était pas débranché après constatation, mais ce fut sa batterie l'unique coupable de ce silence. Dans un râle d'insatisfaction, Hizashi glissa hors de son lit à contre-cœur pour brancher son cellulaire portatif. Une petite lumière fut enclenchée près de son bureau pour trouver une prise libre, et c'est là qu'il remarqua le livre qu'il devait consulter ce weekend, dépassant de son sac à dos et l'appelant d'une voix imaginaire. Comme n'ayant rien d'autre à faire, la tête blonde s'avachit sur sa chaise et ouvrit à la première page.
Ce récit lui procurait un abattement léthifère comparable à l'état supposément immanquable qu'engendraient ces débuts de lignes approximativement comparables à la largeur dimensionnel de l'espace que prenait cette périphrase alambiqué.
En un mot ; barbant.
L'œuvre était présentée avec une biographie. Il la sauta et traversa les pages avec un skateboard imaginaire, se mettant quelques fois à la place du personnage pour mieux s'imprégner de ces mots encrés. Finalement, arrivé au premier tiers du livre, il dut bien admettre que le récit n'était pas si mal, mais comme il détestait lire, il chercha une autre alternative et se demanda si un de ses nouveaux amis aurait la gentillesse de lui résumer le livre lundi matin...
Il était vingt heures passée lorsque son téléphone atteignit la moitié de son chargement total. Hizashi abandonna volontiers son ouvrage, et alluma hâtivement son cellulaire pour s'occuper autrement. Il remarqua alors deux appels manqués d'un contact qu'il n'avait ajouté que tout récemment : Nao Ekoshi. Surpris, mais pas moins curieux, il se laissa tomber sur le dos dans son lit et la rappela en se demandant bien ce qu'elle lui voulait. Peut-être qu'elle avait elle aussi une volonté médiocre pour la lecture ?
Une sonnerie s'écoula dans un léger écho. Puis un deuxième. Et un troisième.
« Allô ? »
À la quatrième elle répondit, sa voix était douce, voire lasse, si propre à elle-même.
« Heeey, Ekoshi-chan, tu as essayé de m'appeler ? »
Petit instant de silence, et son air enjoué le quitta. Il l'appela à nouveau, peu certain qu'elle l'ait entendu.
« Ekoshi-chan ?
- Dis Yamada-san tu es chez toi ?
- Ouais, pourquoi ? »
Hizashi entendit de l'agitation de l'autre côté du combiné. Pourquoi lui posait-elle cette question ? Il lui avait vaguement expliqué où il habitait, au même titre qu'elle lui avait demandé pourquoi il venait à vélo, mais jamais il n'aurait songé qu'elle remettrait ce sujet sur le tapis. Il se mit assis, inquiet. Que lui voulait-elle ?
« Il y a un problème avec toi ? Tu es devant chez moi ??
- Attends deux secondes que je referme ma veste... 'Fait pas chaud ici... »
Il y avait du mouvement, c'en était certain. On dirait qu'elle se déplaçait en même temps. Mais pourquoi ? Que faisait-il en parallèle ? Que se passait-il ? Est-ce qu'elle se faisait traquer par un vilain ?!
« Ok, je suis là. Enfin non, pas devant chez toi, mais... Moi ça va, mais je m'inquiète pour Shōta.
- Il s'est passé quelque chose de grave ?!
- Je... je n'en sais rien, j'ai dîné chez une amie qui n'habite pas trop loin de chez moi, et en rentrant à pieds j'ai vu de la lumière chez lui, et des cris. Je crois que ses parents se sont encore disputés. J'ai pas pu m'empêcher de m'approcher.
- Eh, Nao-chan, n'oublie pas le vase qu'ils ont jeté par la fenêtre ! murmura la voix de ladite amie qui l'accompagnait.
- 'Encore' ? You mean, ils se disputent souvent ?
- Ils ne sont pas très discrets pour ainsi dire... Mais ce soir c'était vraiment violent, j'ai eu peur... »
Elle semblait à bout de souffle, comme si elle marchait depuis un moment.
« Oi, duh, Ekoshi-chan, qu'est-ce que tu fais ? T'es où, là ? Vous n'êtes que deux ?
- Je fais les cent pas devant chez lui ! Oui, mon amie est avec moi, elle écoute notre conversation. Je suis inquiète. Tout est silencieux, j'ose pas frapper à la porte pour m'assurer que tout va bien. Oh, Yamada-san, tu es bien ami avec Shōta, tu ne veux pas l'appeler et lui demander si tout le monde est encore en vie ?
- En fait... On est pas vraiment amis, et je n'ai pas son numéro... »
Il entendit un faible juron de l'autre côté du combiné. Elles semblèrent réfléchir à toute vitesse tout en discutant discrètement.
« Ok, pas de souci, je... Désolée d'avoir dérangé, on va...
- No, wait ! »
Il s'était promptement levé du lit et cherchait des vêtements dans son armoire. Il ne réfléchissait tout simplement plus à ce qu'il faisait, à ce qu'il disait, tout était devenu machinal.
« Je vous rejoins quand même, on avisera, donne-moi l'adresse.
- D'accord, ne bouge pas... »
Un petite minute d'attente, qui lui parut terriblement long, suffit pour qu'il reçoive une localisation par SMS. Après avoir enfilé ses chaussettes, il eut un couinement de découragement.
« C'est loin, à pieds... Et mon vélo est resté cadenassé dans la cour...
- Demande à tes parents de t'amener ?
- Et je leur dis quoi ?! »
Il vêtait en vitesse un tee-shirt et un jeans propre par-dessous une veste. Il était tout décoiffé et ne prit même pas la peine de ressortir son collier de sous son haut.
« La vérité, non ? Tu vas juste voir si ton ami va bien !
- On est pas amis !
- Tu es la seule personne qui a traîné avec lui de toute la semaine, je ne vois pas ce que vous pouvez être d'autre.
- On ne traînait pas, j'essayais de lui parler.
- Pourquoi ?
- J-j'en sais rien ! C'est comme ça, c'est tout ! Il y a moi qui lui parle, et lui qui... qui dort sans m'écouter !
- Vous êtes toujours ensemble, il a arrêté de te fuir depuis mercredi. Tu n'as pas remarqué qu'il acceptait ta présence ? Il te supporte, il ne dit plus rien. Vous êtes quoi, exactement ?
- Il s'en fiche de moi, et même pas fichu de rester avec moi après les cours.
- ... Pardon ?
- Cet après-midi, je suis resté en classe en attendant de voir mon père débarquer devant le lycée. Aizawa est passé pour récupérer des clés, je lui ai proposé d'attendre avec moi et il m'a ouvertement menti pour ne pas avoir à rester en ma présence.
- Qu'il te snobe ou qu'il pense à toi, là n'est pas la question. Ses parents viennent de se disputer et la lumière dans sa chambre est éteinte, j'ai peur de le savoir planté au milieu de tout ça. Comporte-toi comme un humain qui a de la compassion et prouve-lui qu'il mérite ton amitié. »
Sur ce point, Nao ne pouvait pas avoir tort, mais cela ne voulait pas dire qu'elle avait raison non plus. Toutefois, ses pas le firent sortir de sa chambre en courant, il dévala les marches si rapidement qu'il manqua de très peu de louper la dernière, et appela son père qui regardait la télévision dans le salon, sans éloigner son téléphone de son oreille.
« Dad, tu peux me conduire chez un ami, là maintenant tout de suite right now ?? »
[...]
« Tu es sûr que ça va aller ? s'enquit Tōya Yamada.
- Oui oui, merci de m'avoir déposé ! Tu peux rentrer, bye ! »
N'attendant pas que la voiture s'en aille, il courut le long du trottoir en cherchant la maison des Aizawa. Son téléphone dans la main, il scrutait chaque numéro avec un stress grandissant avant de tomber sur le bon. Toutes les lumières étaient éteintes. Il hésita de toquer. Peut-être que tout allait bien, maintenant ? Il demeura les bras ballants devant la vieille demeure, tergiversant. Que faire à présent ? Avait-il bien fait de se déplacer ? Et Nao, où était-elle ?
« Yamada-san ! »
Il tourna la tête avec hébétement et vit, de l'autre côté de la route, contre le mur d'un bâtiment semblant être un mini-marché fermé pour la nuit, deux silhouettes assises côte-à-côte. L'une d'elles lui faisaient des signes. Incertain, oscillant, il finit néanmoins par traverser la double voies pour les rejoindre, et comprit qu'il s'agissait de Nao et Shōta. La première se leva et le salua d'une courbette, ravie qu'il soit venu aussi vite, avant de s'écarter presque aussi vivement. Hizashi croisa le regard terne de son camarade qui avait doucement relevé les yeux pour le dévisager, surpris de le voir ici alors que pourtant, il avait été prévenu par la fille. Il avait les jambes ramenées contre lui, et son dos courbé démontrait explicitement qu'il voulait se faire le plus petit possible dans l'univers chaotique qui lui pesait sur ses épaules. Aucun sentiment ne s'en dégageait. Il demeurait simplement là. Comme si tout était normal. Alors que rien autour de lui n'était logique.
« Tu es toute seule ?
- Mon amie est rentrée, il se fait tard.
- Il s'est passé quoi exactement ?
- J'ai eu raison de m'inquiéter, finalement il m'a aperçue seule par la fenêtre et m'a rejoint. Depuis il... ne veut pas rentrer. Je dois y aller mais je ne voulais pas le laisser seul, merci d'être venu aussi vite. »
Ses yeux trop verts se reposa une nouvelle fois sur le noiraud, mais celui-ci évita de justesse un nouvel échange visuel en calant sa tête entre les genoux. Son cœur se serra douloureusement.
« Je vais vous laisser, maman doit être super inquiète que je ne sois pas encore rentrée. Si besoin, vous pouvez venir chez moi ! C'est un peu bizarre, mais vraiment, n'hésitez pas si besoin... Aizawa-kun sait où j'habite, et toi tu as mon numéro. »
Aucune réponse du concerné. Le blond, quant à lui, sourit à son amie, touché, et la salua. Elle s'en alla, soulagée de laisser le garçon entre de bonnes mains.
Hizashi resta un moment ainsi, debout, les bras ballants et ne sachant que dire, avant de se laisser glisser à côté de lui, les jambes croisées et l'arrière de la tête collée contre le mur tapis d'un genre de crépis.
« Hey, mec, tu veux en parler ? »
Son silence monocorde sonna comme un refus. Le jeune Yamada n'insista pas, après tout, ils ne se connaissaient pas assez pour partager ce genre de chose. Pourquoi était-il venu, aussi ? Ils n'étaient même pas amis.
Peut-être... que toutes les fois où Hizashi avait vraiment eu besoin de quelqu'un, il n'arrivait pas à compter sur la moindre oreille – non pas qu'il n'avait personne pour écouter ses problèmes ! – mais lui, il a toujours été là pour les autres, alors, peut-être, essayait-il de combler un vide... ? Mais quel vide ? Celui du ciel ? Il n'avait rien de vide, pourtant, cette noirceur profonde tachetée d'astres prétentieuses.
« Tu sais... »
Sa voix s'était faite incertaine, mais elle était d'une force remarquable pour faire relever la tête du plus jeune. Pas au niveau de la tonalité, mais les mots. Ces mots étaient forts. Et il eut un petite rire sans joie.
« Je t'apprécie vraiment, t'as l'air cool et tu es doué, je ne comprends pas pourquoi tu me rejettes comme ça. Je pensais qu'on pourrait bien s'entendre. »
Shōta demeura silencieux, impassible, et posa son attention sur sa maison, de l'autre côté de la route.
« Est-ce que y'a quelque chose chez moi qui te déplait à ce point ? »
Il n'avait pas l'air triste, seulement... curieux ? Il regardait le ciel se ternir de nuages en attendant une réponse. Les étoiles essayèrent de s'imposer dans la vaste voûte au-dessus d'eux. Le gibbeux satellite, en revanche, n'offrait sa clarté qu'un bref instant avant de se camoufler derrière la masse vaporeuse. Rougissait-elle devant la remarque ?
Puis enfin, après un moment sans qu'aucun des deux jeunes garçons ne trouve que dire, Shōta, qui n'avait toujours pas donné suite à la question de l'autre, soupira simplement.
« Ta voix est énervante et me donne vraiment mal à la tête. »
Et contrairement à ce qu'il pensait, Hizashi le prit bien, très bien même, et lui gratifia d'un éclat de rire imprévu qu'il ne pouvait pas contenir quand bien même il aurait peut-être dû. Le plus jeune le dévisagea sans comprendre. Ne l'avait-il pas blessé ? Pourquoi est-ce qu'Hizashi réagissait comme ça ? Son comportement irrationnel le troublait au plus haut point...
« Je pensais que c'était ma personnalité ou mon accoutrement qui te dérangeait. Je suis juste trop bruyant ? Et trop énergique, c'est ça ? »
Le noiraud détourna le regard en fronçant des sourcils, mécontent de la tournure que prenait leur conversation.
« You know, je veux bien faire un effort et apprendre à gérer le volume de mon alter s'il n'y a que ça qui permet de devenir ton ami ! Et peut-être me calmer, je sais pas, je ne promets rien là-dessus !! rit-il à nouveau, se tenant le ventre d'une main tout en se dandinant contre le mur.
- ... En fait, je ne comprends juste pas pourquoi tu veux à ce point devenir mon ami. Je ne suis même pas intéressant. Il y a tellement de meilleures personnes, et toi tu te prends la tête à partager une table avec moi, allant jusqu'à laisser en plan total les gens qui veulent vraiment être tes amis. Tu n'agis pas comme une personne sensée, je ne te suis pas.
- I dunno. Je crois simplement qu'on a tous besoin d'avoir une oreille attentive, et que toi, bah t'en as besoin plus que n'importe qui. Et puis j'suis sûr que tu es un type sympa, c'est pas possible de tout le temps faire la tête.
- Peut-être que je ne suis pas capable d'en faire une autre, tu avais déjà songé à cette possibilité ?
- Oui, mais il y a quelque chose chez toi qui fait que...
- Que... ? »
Comment pouvait-il lui avouer qu'il les voyait tous les deux comme des moutons à cinq pattes ? Ce serait bizarre. Mais peut-être qu'au contraire, la comparaison lui parlerait et il comprendrait mieux où il voulait en venir ?
« Est-ce que tu t'es déjà dit que tu n'avais ta place dans ce monde ?
- ... Souvent.
- J'essaye de m'en faire une. Je veux être comme n'importe qui et me faire accepter.
- Tu ne devrais pas.
- Pourquoi ?
- Les gens ne sont pas intéressants. Ils le sont encore moins quand ils se ressemblent. C'est stupide.
- On devrait accepter nos différences ?
- C'est la signification même d'avoir un alter. Cela montre l'altérité de chacun dans notre société.
- Mais toi, est-ce que tu es d'accord avec ça ?
- Plutôt. Le monde est un peu moins ennuyeux, ainsi.
- Mais du coup j'comprends pas ! Tu t'ennuies ou pas ?! Parce que j'ai l'impression qu'un rien t'énerve.
- Hm.
- C'est quoi le problème ?
- Les gens cherchent trop à vouloir faire comme les autres. C'est usant. Et aussi je trouve tout le monde stupide. Mais c'est subjectif.
- Hahaha ! Donc tu aimes rester seul par défaut ??
- ... C'est relaxant.
- Est-ce que toi aussi tu te sens comme un mouton à cinq pattes ?
- ... Un quoi ?
- Un mouton à cinq pattes ! »
Un certain temps passa durant lequel Shōta méditait sur ses paroles, le visage tourné vers le ciel gris. Ça faisait longtemps que personne ne lui avait parlé ainsi, aussi gentiment et sans arrière-pensée. Lui, il broyait tout le temps du noir, il ne s'était jamais vraiment posé de question à propos des autres. Était-ce égoïste ? Non, c'était juste comme ça. Il y avait les autres, et il y avait lui. Ça ne l'avait jamais dérangé jusqu'à présent.
« Cette métaphore correspond bien à ma vision du monde.
- Tu le vois comment, le monde ?
- Saturé en couleurs, avec du bruit. Beaucoup trop de bruit.
- Au contraire, moi je le vois trop triste, trop fade et incolore.
- C'est parce que tu es trop heureux. Ton sourire illumine ton passage et tout autour de toi paraît moins beau.
- C'est ce que tu penses ?
- C'est ce que je remarque.
- Mais est-ce que c'est un compliment ?
- Prends-le comme tu veux, je voyais plus comme un constat. Tu peux arrêter d'être heureux si tu le juges nécessaire, je m'en fiche. Mais tu vois, moi quand je passe, j'ai l'impression d'être une tache d'encre sur une toile vierge.
- Quand tu traverses mon champ de vision, le temps s'arrête.
- Je dois le comprendre comment ?
- 'Dunno. La première fois que je t'ai vu, il y avait eu ce moment de flottement que je ne comprenais pas trop bien. Tout était noir, il n'y avait que toi et moi. Mais il n'y avait pas d'attirement avec nos deux corps, un genre de magnétisme opposé plutôt ! Un peu comme si on se tournait autour. Des planètes, ou un trou noir ! Mais je n'en fais pas une mauvaise image !
- Si tu n'en fais pas une mauvaise image, qu'est-ce que tu veux insinuer ?
- Que la logique est une création humaine. Dans ma vision du monde, les trous noirs ne sont pas méchants, ils sont juste affreusement seuls à penser que personne ne veut les approcher par peur de se noyer dans l'espace-temps. Peut-être qu'ils cherchent à attirer un ami pour passer les années infinies. Le temps s'écoule beaucoup plus lentement dans l'espace, ils doivent se sentir atrocement isolés.
- Tu te sens triste pour un trou noir ?
- Je me sens triste parce que tu ne veux pas faire attention à moi.
- Je ne vois pas le rapprochement.
- Moi je me comprends, il ne faut juste pas penser avec la logique.
- La logique répond aux innombrables questions de l'univers. Elle existe pour donner un raisonnement aux choses, un but, une base, une voie, voire même une identité. L'homme agit par instinct et personne ne remet en cause ces faits, car c'est normal pour nous. Ne pas songer par la logique revient à faire des connections bêtes et erronées. Ce serait irrationnel.
- Moi je remets en question toutes ces choses.
- C'est absurde. Tu es déraisonnable. Et que veux-tu dire par là ?
- Pourquoi moi, pourquoi toi, pourquoi tout ça ? Qui a demandé à ce que ces choses existent ??
- Tu t'éloignes du sujet principal.
- Très bien, alors explique moi par un raisonnement logique ; le bonheur.
- Le bonheur est un état de satisfaction complète qui est caractérisé par sa stabilité et sa durabilité.
- Maintenant explique-moi, toujours par ce même raisonnement, pourquoi tu n'es pas heureux.
- ...
- I'm waiting.
- Je ne suis pas en satisfaction complète, c'est tout.
- Now explique-moi pourquoi ces choses existent. Je parle de toi, de moi, de ma chaussure, de cette route, de ce buisson et de tout ce que tu veux encore.
- Parce que la nature les a créées et l'Homme les a modelés à son image.
- Et pourquoi ?
- Parce que ces choses les rendent heureux. Ils sont là, on les a placées là et on s'en sert pour être satisfait à notre manière, en les regardant ou en les utilisant méthodiquement comme de simples utilitaires.
- So why est-ce que le ciel me fait tant rêver alors que je ne suis pas heureux en le regardant ? Il n'y a rien que l'homme ait pu modeler à son image, rien d'utile pour notre survie, il est juste là pour assouvir notre curiosité. Mais en soit, le ciel est inutile, on pourrait vivre une humanité normal en ayant une coupole d'argent au-dessus de la tête, on ne se dirait pas que nous serions plus heureux avec une infinité sombre et lumineux par-moment, en une bipolarité parfaite. Quand je regarde le ciel, je n'y vois que le visage des gens qui sont partis trop tôt, la Lune qui passe son temps à jouer à cache-cache ou les étoiles qui narguent les trous noirs. Where is happiness ? Il est dans les yeux des gens qui le regardent. C'est comme voir un super-héros. Ils sont là, et quand on ne les voit pas, on reste persuadés qu'ils arriveront tôt ou tard. Parce que c'est beau. C'est secret. C'est grand. Et en-dessous, t'as nous, t'as moi qui me pose des questions sur la logique.
- ... Pourquoi toi tu n'es pas heureux ?
- Mais j'suis parfaitement heureux, moi ! J'ai une famille absolument adorable, pleins d'amis et je fais des trucs que j'aime.
- Tu mens.
- Pourquoi je mentirais ?
- Parce ça s'entend dans ta voix. Et tu souris bizarrement, ça sonne trop faux.
- Je suis un être humain, moi aussi, tu sais... Je peux discuter plus calmement, ce n'est qu'un alter et une manière de me faire une place dans ce monde.
- Non, tu es un mouton à cinq pattes, et ça te rend inconsciemment triste. C'est pour ça que tu essayes de te faire des amis, c'est ce que font les gens qui savent ce qu'ils veulent dans la vie. Et les gens qui le savent ont besoin d'être soutenus, d'avoir quelqu'un à qui se confier.
- Mais moi je veux devenir un super-héros !
- Mais ensuite ? Tu veux prendre la place de quelqu'un qui la mériterait tout autant, travailler dans une agence, te battre ou juste aider, être indépendant ou faire des cafés pour les top dix ? C'est quoi être un super-héros, pour toi ?
- Tu es trop négatif, tu poses des questions là où personne n'en demande.
- Je suis simplement réaliste.
- Pas étonnant que tu sois triste ! Tu réfléchis trop !
- Et toi, tu ne réfléchis pas assez. »
Il lui sourit et se frotta une paupière sous ses lunettes, admettant d'un ricanement qu'il approuvait ses dires. Ils restèrent silencieux plusieurs longues minutes. Le temps parut étonnamment lent mais aucunement désagréable.
Et puis soudainement, Shōta souffla un bon coup, et se releva sous le regard surpris d'Hizashi qui s'était graduellement habitué au mutisme. Le noiraud n'avait pas l'habitude d'avoir de la compagnie, et ce soir, il se sentait trop fatigué pour poursuivre la discussion où ne serait-ce que maintenir ce silence à deux. Avec un peu de chance, ses parents s'étaient enfin endormis, ils devraient être tranquille jusqu'à demain. Autant profiter de se reposer tant qu'il le pouvait.
« Il risque de pleuvoir, je vais rentrer. »
La tête blonde en perdit son sourire l'espace d'un instant, avant de tourner le visage vers la voute cotonneuse, compréhensif.
« Ouais, t'as raison ! Moi aussi je vais y aller. »
Pourtant, il semblait incertain, comme s'il hésitait à le laisser seul à nouveau. Shōta se pinça la lèvre inférieure, regarda sa maison, puis la route, puis le blond. Allait-il vraiment faire ce qu'il s'apprêtait de faire ?
« Tu veux que j'aille voir si quelqu'un est suffisament réveillé pour te ramener ? Ou que je te montre où habite Ekoshi ?
- Hein, kwa ? Naaan, ça va, t'inquiète ! Je ne vais pas déranger, SEE YA MONDAY ANYWAY ! »
Il passa une main dans ses cheveux blonds pour les redresser, et tourna les talons, une main dans la poche et la seconde en V, se surprenant lui-même d'avoir recouvré l'enthousiasme dans sa voix.
« J'habite pas si loin que ça en plus ! J'y serais dans dix minutes ! mentit-il avec un large sourire que Shōta ne pouvait percevoir depuis sa position, pressentant que ce dernier doutait légèrement de ses paroles.
- Ok. Salut Yamada-san.... »
Et après coup, il lui en aura fallu quarante à pas rapides pour arriver devant chez lui, trempe jusqu'à l'os. Il regretta ne pas avoir appelé son père mais il se faisait vraiment tard, et il craignait de le déranger. Déjà que sa dernière demande était de trop pour la journée... Les lampadaires ont été bons amis, et il avait un alter de taille pour se défendre au cas où ! Du moins, c'était ce qu'il espérait... Heureusement, sa route avait été sans accroc, et il réussit à faire preuve d'un minimum de délicatesse pour ne pas réveiller toute la maison comme il aurait le talent de le faire lorsqu'il n'était pas fatigué.
Il se faufila sous la douche pour chasser la désagréable sensation de froid qui agrippait sa chaire, manquant de peu de fermer les yeux une fois ou deux lorsqu'il jugeait la lave translucide trop agréable contre sa nuque à découvert.
Il devait être vingt-trois heures passées lorsqu'il se glissa sous son duvet, réchauffé et exténué. Le ruissellement sans teint qui coulait le long des tuiles le berça un petit moment, juste le temps qu'il s'habitue au calme de sa chambre, de son esprit, si bien que même le premier coup de tonnerre ne le fit pas sursauter. La dernière chose qu'il vit avant de se lover définitivement dans les bras accueillants de Morphé, fut la Lune qui cherchait à se faufiler entre deux nuages en pleure, à travers la fenêtre dont les rideaux avaient été oubliés.
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Alors, oui, j'ai publié un chapitre entre les deux semaines annoncées :) Je me suis dit que comme j'ai pris pas mal d'avance, je pouvais me permettre de vous offrir un chapitre surprise ^^ Pas d'inquiétude, le chapitre suivant sera publié comme prévu le 9 juillet !
Anyway, j'espère que ce chapitre de 6000 mots (Oups ~) vous aura plu ! Si c'est le cas...
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À jeudi prochain pour le quatrième chapitre •u•
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