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La Bastide d'Edra était paisible et peut-être minuscule aux yeux des autres. Une dizaine de familles, à peine, entretenant principalement entre eux, le tout sous la protection d'Edra, un jeune démon Malisss. Elle était cependant prometteuse, le régent semblant justement savoir comment tirer son épingle du jeu pour faire fleurir une cité ! De plus, il n'était pas seul, les foyers qui l'ont suivi l'ont fait avec loyauté, tous, car ils croyaient en lui ! Alors d'année en année, le village commençait à grossir, figurant à présent sur les cartes les plus récentes...

Et pour ne rien gâcher, une fois par semaine, Edra chevauchée jusqu'à la Bastide voisine pour vendre tout le stock en trop ou les quelques fabrications artisanales, amorçant réellement à faire parler d'eux !

Oui la Bastide d'Edra était véritablement promise à un très bel avenir.

C'est aussi dans cet endroit que j'ai grandis avec ma famille, tout à l'Ouest de la Porte, là ou la terre et l'eau fusionnent.

Mon père était pécheur et depuis peu je l'étais également. Nous possédions un petit bateau et il avait une zone bien particulière où aller tendre nos filets ! C'était un quotidien paisible et j'étais heureux, et si les choses ne s'étaient pas mal passées, j'y aurais fait ma vie ! Je sais que j'aurais repris l'embarcation de mon vieux père, apprenant à mon tour à Dylis, mon tout jeune frère l'art du poisson, et peut-être par la suite à mes propres gamins. Je ne serais jamais partie de là, ma vie y était !

Et surtout lui !

Edra et mon père étaient amis d'enfances... Les démons ont une très longue existence en comparaison de celle des humains, cependant, le jour de la naissance de notre régent fut aussi celui de mon père. Ils ont par conséquent fait les 400 coups ensemble et du peu que j'en sais, c'est également grâce au démon que mes parents se sont rencontrés ! Et d'aussi loin que je me souvienne, il a toujours été là, passant la plupart de son temps à la maison, comme un membre à part entière, ce qu'il était sans doute aux yeux de ma famille. Il était le frère de mon père, mon cadet et moi le nommions donc "Oncle" et au fil des années qui se sont écoulées, cette appellation était devenue une plaie à mes yeux.

Une barrière dont je n'avais absolument pas besoin !

Edra était à tomber ! Nous étions peu nombreux dans le patelin, mais toutes personnes célibataires le contemplaient avec une avidité certaine ! Pour autant je ne l'ai jamais vu avoir un regard plus appuyé pour l'une ou l'autre ! Il semblait bien plus intéressé par la construction du mur d'enceinte, ou la simple quantité de poisson attrapé ce jour-là. Il était vraiment occupé, mais il coinçait toujours une heure pour passer un peu de temps avec moi, prenant plaisir de m'expliquer tout ce qui nous entourait.

Les autres villageois me traitaient pareillement que si j'étais le neveu du Régent, et autant Dylis pouvait très bien être considéré comme ça, autant j'ai franchement commencé à espérer autre chose ! Et il l'a très vite compris...

Edra n'a jamais rien dit à ce sujet, mais je sais qu'il en avait conscience. Même mes parents l'avaient remarqué ! Papa m'avait ainsi passé un rabattage d'oreille sur les hormones d'ado et surtout sur les relations si particulières avec les démons ! Certes, la plupart d'entre eux désiraient avoir leur foyer, mais ils vivaient si longuement... Tellement plus qu'il prenait un temps fou avant de l'envisager sérieusement ! Edra n'était même pas encore reconnu adulte par sa Lune... Alors mon père m'a seulement souri, indulgent, sans saisir mes réels sentiments, affirmant que la fascination que je lui portais été normal !

J'admirais Edra, oui, mais c'était bien plus fort ! Et j'ai très vite commencé à être plus direct...

J'étais jeune et sans expérience, j'aurais sans doute souffert d'un rejet trop froid de la part du démon. Au début je pensais qu'il n'osait pas justement par crainte de trop me blesser, mais par la suite, j'ai compris. Je ne le laissais pas indifférent ! Alors j'ai redoublé d'ardeur, encore et encore, chérissant les rares fois où j'arrivais à faire naitre un peu de rouge sur ses joues...

C'était devenu comme un jeu entre nous, un "quelque chose" plein de saveur que nous adorions tous deux. Je plaçais derechef ses mains sur moi, le forçant d'une étreinte alors que je me noyais dans sa chaleur.

Un soir pourtant, ce soir-là justement, nous avons enfin discuté de tout. Lui qui était bien jeune, qui ne pourrait pas se lier avant si longtemps. Une vie sans doute, avant d'être reconnu réellement adulte par ses pairs ! Le fait d'être suffisamment puissant à ce jour pour posséder une Bastide à son nom ne donnait pas le droit de prier sa Mère Lune avant ses 115 ans... Et quand il les atteindrait enfin, je serais déjà un vieil humain ! C'est ce qu'il m'avait dit, piteux, m'avouant qu'il ne pouvait rien contre cela. Je lui avais alors répondu simplement de me laisser rester à ses côtés malgré tout. Je l'aimais si fort... Je voulais réellement lui dédier ma vie !

Nous avions fui la maisonnée familiale, vivant ce moment à l'abri de tout, dans un cocon qui n'appartenait qu'à nous, loin des yeux et des oreilles. Edra a accepté, reconnaissant enfin l'ardeur de mon cœur, et il a même tout toléré cette fois-là. Il m'a fait découvrir le plaisir charnel entre ses doigts, s'appropriant enfin mon corps. Nous nous sommes offert l'un à l'autre, un instant parfait où il n'y avait que lui et moi. J'étais à lui, et il m'a dévoré ainsi ! Comme étant le sien, cette précieuse fois, et le jour qui suivrait...

C'est bien pour ça que nous n'avons rien entendu de l'horreur !

Le village flambait, chaque logis vibrant dans les flammes le tout dans un silence désarmant. Il n'y avait rien ! Pas un seul bruit, comme si la vie s'était déjà éteinte ici. Edra s'est farouchement redressé, me laissant découvrir la fureur des démons Malisss ! Il m'a prié de partir vite et de rejoindre la Bastide voisine pour réclamer de l'aide. Je voulais rentrer chez moi, voir ma mère, Dylis et mon père, mais Edra ne m'a pas donné le choix ! Il m'a promis d'y aller directement et de faire tout ce qu'il pouvait, mais je devinais autant que lui. Il m'épargnait juste l'horreur du spectacle que l'odeur suggérait.

Lui comme moi connaissions parfaitement l'endroit où se situait tous nos proches, comprenant aussi la raison de ce lourd silence !

Mais je n'ai pas pu partir bien loin, même si nous étions en dehors de la Bastide, ils nous ont trouvés. Eux qui venaient de saccagé ma vie en avait particulièrement après l'unique démon de la Bastide, leur cible principale et ils l'avaient découvert. Et malgré l'aura effrayante d'Edra, ils ont dansé autour de lui qui devait en plus me protéger.

Les ricanements étaient insupportables, bien plus que les coups. Ils signifiaient leurs amusements tandis que nous jouions nos existences. Nous le savions tous les deux, nous allions mourir comme tous nos camarades. Edra avait beau essayé, à lui seul et acculé, il ne leur tiendrait pas tête ! L'adrénaline pompait furieusement partout dans mes veines, devenant lave sitôt la première goutte de plasma dégoulina le sable à mes pieds. Son sang. Alors il s'est tourné vers moi et m'a juste murmuré "Merci de m'avoir chéri" puis ce fut tout.

Nous avons tous les deux péri ce jour-là.

Même si je suis revenu à la vie.

En réalité, je me suis réveillé seul et amèrement blessé, dans un lit pourtant confortable. La Bastide voisine a été alertée par les lueurs inhabituelles des flammes et a envoyé de l'aide... C'est ainsi qu'ils m'ont retrouvé, unique miraculé d'une cité devenue sanglante. Je n'ai pas survécu par hasard, c'est Edra qui a tenté le tout pour le tout. La magie des Démons Malisss repose sur l'imaginaire. Il ne peut pas incruster une illusion juste en y pensant, il doit implanté le décor qui va avec, trompé ensuite petit à petit les esprits sur le scripte. C'est ce qu'il a fait ! Il n'a pas pu échapper aux désirs furieux de nos meurtriers qui le ciblaient complètement, mais il a pu troubler leurs visions, leur faisant croire que j'étais mort...

Ils m'ont laissé alors agonisant.

Et j'étais seul !

Les gardes de la Bastide voisine m'ont tout dit. Les Maitres-Chanteurs ont tout détruit chez moi, ma maison étant même là où tout avait commencé. Ils étaient renseignés et étaient au fait qu'Edra s'y trouvait la plupart du temps... Je ne sais comment, mais il savait ! Quoiqu'il en soit, toute ma famille a été identifiée, comme chaque membre du village, la gorge tranchée et calcinée, sans espoir d'y réchapper. Dylis était encore dans son lit, ma mère aussi, seuls les restes de mon père avaient été retrouvés dans le salon... Peut-être nous attendait-il !

Ils étaient morts...

Quant à Edra... On l'a récupéré au centre de ce carnage, la tête coupée et plantée sur un pic, le regard vissé en direction de la mer comme pour dénoncer.

Il était mort...

J'ai été reconnu comme appartenant à la famille d'Edra ! Ce sont donc des Démons Malisss qui m'ont aidé après cela, en mémoire d'Edra ont-ils dit. Ils se sont assurés que je rejoigne une Bastide sécurisée et que je ne manque de rien. C'est ainsi ça que je suis arrivée à Daldrei.

C'était il y a dix ans alors que j'étais qu'un gamin amoureux qui s'est retrouvé avec un cœur crevé, brulant de fureur et de désespoir. Voilà pourquoi, trésor, quand je t'ai rencontré, je t'ai exécré. Si fort que j'en rêvais la nuit ! J'ai nourri cette colère autant que je le pouvais, mais j'ai eut beau me forcer à te détester, toi tu me souriais et j'avais moins mal. Tu savais que j'étais remplie de haine pour toi, tu n'as jamais rien dit et tu l'as laissé vivre, lui permettant simplement qu'elle soit tournée contre toi même si tu n'étais responsable de rien.

C'est parce que tu t'es rapproché de Mika et Daldrei, des démons, les ennemis de "ces gens -là" que j'ai finalement réussi à l'admettre. À t'accepter. Dans ton regard, j'ai reconnu le mien quand je voyais Edra. Tu es beaucoup de choses qui ont fini par me tenir éveiller pour bien d'autres raisons que la colère !

Maintenant tu sais tout Edosan... 

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Prochain chapitre : Du travail sous un beau ciel bleu

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