Une impression de déjà vu


Trois jours après le départ du prince Joachim pour Singapour, Amalia devait rencontrer à nouveau Estelle Neffrey. Pour donner l'illusion d'un échange entre éditrice et auteur, la jeune femme avait imprimé son pseudo manuscrit avant de quitter le palais royal.

Michele et Benjamin l'avaient observée sans rien dire puis le plus jeune des deux vigiles avait souligné qu'elle ne semblait pas très heureuse.

Amalia avait donc continué de jouer la petite comédie mise au point par la journaliste pour justifier leurs rencontres qui devenaient plus fréquentes et elle s'était plainte des délais toujours plus courts réclamés par la soi-disant éditrice. Les deux hommes lui avaient adressé un petit signe d'encouragement lorsqu'elle avait quitté leur bureau et ce n'est qu'après avoir marché deux cent mètres dans les rues de Castello di Gavino qu'Amalia se détendit.

Lors de sa sortie au cybercafé, elle avait eu la désagréable impression d'être suivie et elle commençait à se demander si quelqu'un parmi l'équipe de Michele ne l'avait pas démasquée.

Elle avait pris toutes les précautions pour envoyer sur la boite mail d'Estelle les photos prises avec son smartphone au Mediterranean Palace puis elle les avait également transférées sur une adresse spéciale qu'elle avait créée rien que pour elle et elle avait ensuite vérifié à plusieurs reprises que les clichés avaient bien disparus de la mémoire de son téléphone.

Estelle Neffrey avait appelé dès le lendemain au château, en ayant toutes les peines du monde à cacher son enthousiasme, et elle avait exigé de rencontrer Amalia au plus vite.

La jeune femme ne s'en rendait pas compte mais elle tombait petit à petit dans le piège tendu par la journaliste.

Cette dernière, qui avait bien compris l'ampleur du ressentiment d'Amalia envers l'héritier de San Gavino, avait pour ambition d'installer définitivement le dégoût et la rancœur dans l'esprit de sa jeune employée sans que celle-ci n'en ait conscience.

Quand Amalia entra dans le restaurant japonais où Estelle l'attendait, la chroniqueuse s'empressa de se lever pour aller la serrer dans ses bras tel deux grandes amies qui se retrouvent après une longue séparation.

Un peu étonnée, Amalia ne dit rien et elle se sentit perplexe en entendant Estelle lui annoncer qu'elle lui payait le repas et qu'elles devaient avoir une très longue conversation.

Estelle Neffrey fit habilement parler la jeune femme au sujet de la réception pour l'inauguration du Yachting festival. Elle l'amena, seule, à démontrer à quel point ce type de soirée était l'exemple même de la déchéance humaine.

La journaliste joua également sur les soucis financiers d'Amalia et sa grande sensibilité. Discrètement, elle lui fit voir un petit article de journal qui évoquait le suicide d'une femme habitant dans le sud de l'île.

Amalia étouffa alors un cri en comprenant qu'il s'agissait de Constance, la malheureuse servante humiliée devant tout le personnel du palais par Joachim de Bourbon-Conti.

- Et pendant ce temps-là...voilà ce qu'il fait...La famille de cette pauvre fille a écrit au prince. Il n'a même pas daigné répondre.

La jeune femme prit la tablette que lui tendit Estelle et elle fit défiler plusieurs photos montrant le prince en galante compagnie lors d'une soirée organisée en son honneur à Singapour.

- Les journaux ne peuvent en parler car tu n'es pas sans savoir que la presse à San Gavino est étroitement surveillée par le Roi Maximilian mais...le pays court à sa perte.

- Comment cela ?

- Pour faire une comparaison, la crise de la dette publique de la Grèce te semblera totalement dérisoire face à ce qui attend la population ici. Bientôt, le parlement sera obligé de reconnaître que San Gavino est au bord de la faillite.

- Et quel est le lien avec le prince héritier ?

- Je rassemble des fonds pour créer un nouveau parti politique. Tu n'imagines pas à quel point les gens en ont marre ici de la monarchie. Il est temps de passer à autre chose, à un régime plus sain.

Je peux t'assurer que nous sommes des milliers à souhaiter l'instauration d'une république. Et nous y parviendrons, je peux te l'assurer. Ce n'est plus qu'une question de temps. Mais, tout se fera dans la légalité. Je veux amener le parlement à modifier la Constitution et mettre fin à la monarchie. Le prince Joachim n'a aucun sens des responsabilités. D'ailleurs, mon correspondant à Singapour m'a communiqué des informations intéressantes. Tu verras demain.

Au sujet de ton contrat, j'ai décidé d'accélérer les choses et j'aimerais savoir si tu as des idées de reportages qui pourraient choquer l'opinion publique.

Amalia acquiesça de la tête au grand étonnement d'Estelle. Tandis qu'elles dégustaient leur soupe Miso, la jeune femme indiqua qu'elle avait un projet qui concernait l'héritier de San Gavino mais elle voulait auparavant avoir la garantie que ses clichés seraient achetés au tarif le plus élevé. Amalia joua la carte du bluff et elle fit comprendre à Estelle Neffrey qu'elle avait quelques pistes pour revendre certaines photos au plus offrant. La journaliste comprit que la jeune femme avait gagné en assurance et, désireuse de conserver l'exclusivité que lui enviaient Voici, Closer et Gala, elle pianota rapidement sur son smartphone.

Une minute plus tard, elle confirma à Amalia qu'elle était d'accord pour réfléchir à une éventuelle augmentation.

- Non, je pense que vous n'avez pas bien compris. Soit vous avancez l'argent, soit je revends mes clichés à un autre magazine. Et croyez-moi ils sont nombreux à vouloir vous concurrencer. Vos articles ont mis le feu aux poudres : lors de l'inauguration du Yachting festival, j'ai entendu l'organisateur annoncer qu'il y avait trois fois plus de journalistes présents par rapport aux années précédentes. Et je ne vous dévoilerai pas mes projets.

Estelle Neffrey réfléchit un instant : elle était coincée à son propre jeu et elle ne pouvait se permettre de voir d'autres revues lui voler ses informations.

Rapidement, elle envoya un nouveau message :

Elle veut nous doubler. Arrange-toi pour qu'elle reçoive un petit avertissement.

Puis, elle observa Amalia avec un grand sourire :

- Et bien, je vois que tu prends de l'assurance. Tu iras loin Amalia, très loin. Je suppose que ces projets dont tu ne veux pas me parler sont susceptibles de nous apporter une certaine audience ?

- J'en suis convaincue.

- Bien, nous sommes donc d'accord. Je te revois dans deux semaines ?

- Je ne sais pas. Cela dépendra du prince héritier. Je vous contacterai moi-même.

Le lendemain matin, avec une impression de déjà vu, Amalia lu le nouvel article qui accablait Joachim de Bourbon-Conti.

L'héritier de San Gavino provoque une grave crise diplomatique avec Singapour.

À Singapour, il est difficile d'ignorer les sympathiques affichettes blanches barrées de rouge placardées dans le métro, la rue, un taxi ou encore un centre commercial...

Le cœur économique de l'Asie étonne, amuse et intrigue les étrangers avec ses interdits.

Certaines « mauvaises langues » n'hésitent pas à parler de « dictature propre » et il est vrai que certaines lois et interdictions peuvent paraitre excessives et démesurées.

Manifestement, le prince Joachim n'en avait pas conscience et, suite à une soirée privée à laquelle il a participé, il aurait eu des gestes déplacés à l'égard d'une femme. Il faut savoir qu'à Singapour, une simple main aux fesses involontaire peut coûter très cher.

Dans le cas de l'héritier de San Gavino, un témoin sur place indique avoir vu le futur souverain faire des avances à une jeune serveuse qui a porté plainte dès le lendemain matin.

Mais ce n'est pas tout, un petit sachet de cocaïne a été retrouvé par une femme de chambre dans la suite qu'occupe le prince Joachim au Ritz Carlton Millenia.

Pour cette « négligence », le futur souverain risque une amende d'au moins 10 000 euros.

Singapour est l'un des pays possédant les lois antidrogue les plus strictes au monde. La ville-État asiatique est connue pour exécuter nombre d'individus qui violent la réglementation en matière de drogue même si, depuis quelques années, les peines sont souvent moins sévères. En mars dernier à l'occasion de la conférence de l'ONU sur les drogues, Francisco Junior Rockey, un membre du ministère de l'Intérieur singapourien expliquait que la peine de mort « faisait partie d'une approche plus large ». Leur campagne contre l'usage de stupéfiants avait été très remarquée car elle mettait en avant l'acteur Jackie Chan, devenu un ambassadeur antidrogue suite à l'emprisonnement de son fils en Chine.

A l'heure actuelle, il est impossible de savoir quel sera le sort réservé au prince Joachim qui n'a pour le moment pas encore été privé de liberté. Il se murmure que le Roi Maximilian aurait téléphoné personnellement à Tony Tan Keng Yam pour négocier et mettre en avant le principe de l'immunité diplomatique dont bénéficie le prince Joachim.

Des voix indignées s'élèvent dans le pays et les plus fervents partisans de la lutte anti-drogue réclament une condamnation exemplaire.

La mission économique de la délégation de San Gavino a été écourtée en raison de cet incident et, s'il échappe à toute condamnation, le futur roi sera de retour au pays dès demain.

Kylie, qui s'était tue pendant qu'Amalia lisait l'article, exposa son indignation avec véhémence :

- Je me demande ce que Louise trouvera à dire cette fois pour le défendre. Je ne comprends toujours pas pourquoi elle passe son temps à lui trouver des circonstances atténuantes. En tout cas, ce n'est pas très malin d'aller là-bas sans prendre la peine de s'informer au sujet de la législation en vigueur. Et après on s'étonne que la population souhaite une république.

- Ah oui ?

- Ils en ont marre des frasques de son Altesse royale et marre de payer pour lui. D'après Régis, une manif se prépare mais ça ne changera rien. Seul le parlement peut modifier la Constitution. Et ils ne le feront pas.

- Pourquoi ?

Si San Gavino devient une république, celui qui a les faveurs du peuple et qui pourrait alors être élu président, a déjà essayé de faire tomber plusieurs députés mais il n'a jamais réussi à réunir les preuves nécessaires pour les traîner devant un tribunal. Si le parlement modifie la Constitution, une grande partie des députés et de sénateurs actuels seront éjectés de l'assemblée.

- Et ils devront renoncer à un salaire mirobolant.

- Voilà. Donc, sauf retournement de situation improbable, la monarchie a encore de beaux jours devant elle.

En fin d'après-midi, un communiqué de presse fut diffusé par le palais royal pour démentir formellement le contenu de l'article de People and More. Amalia, qui en reçut une copie papier comme chaque employé, fut surprise par le ton employé.

Cette première réaction face à la revue d'Estelle Neffrey était à l'image du prince héritier : glaciale et menaçante. Le texte démentait formellement les accusations lancées contre Joachim de Bourbon-Conti et rappelait que le jeune homme disposait d'une immunité diplomatique. Mais c'est la fin du communiqué qui interpella surtout Amalia : il était clairement stipulé que toute personne qui diffuserait encore de fausses allégations au sujet du prince Joachim, serait poursuivie en justice.

Outre une possible peine de prison, le texte mentionnait également les montants des dommages et intérêts qui seraient réclamés au contrevenant.

Le soir, après un débat passionné avec Régis et Amalia, Kylie déclara :

- Sa Majesté peut menacer autant qu'elle veut, ça ne découragera pas ces gens.

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Note  : toutes les informations au sujet de Singapour sont vraies, tant sur les réglementations que sur la politique anti-drogue.


Bon, voilà Joachim en très mauvaise posture à Singapour...

Dans le même temps, Amalia s'affirme auprès d'Estelle...

Voilà d'ailleurs quelques infos au sujet des véritables projets d'Estelle. Mais,  à votre avis, ira t-elle jusqu'au bout ?

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