Provocations

Joachim prit un dossier sur son bureau et il le jeta par terre : il détestait perdre son sang-froid de la sorte et il n'avait surtout pas prévu une chose pareille.

Il tremblait....il tremblait car il avait la désagréable impression de perdre le contrôle de sa vie.

Non, en réalité, il l'avait perdu dix ans auparavant lorsque son père avait exigé qu'il mente au sujet de la tragédie qui avait emporté ses amis.

Il passa une main sur son front trempé de sueur : il se sentait à la fois glacé et brûlant.

Comment cette petite garce avait-elle pu le bousculer de la sorte ? Elle cachait bien son jeu mais il était persuadé que derrière son apparence discrète pouvait se cacher une redoutable manipulatrice.

Et il ne la laissait pas indifférente, c'était écrit dans ses yeux.

Voulait-elle le faire tomber ? Le piéger ?

Elle n'était même pas attirante : elle était ce genre de femme qu'on ne remarque pas, qui ne fait pas se retourner les hommes sur son passage. Même avec des vêtements corrects aucun charme ne se dégageait d'elle. Comparé aux délicieuses créatures qu'il avait fréquentées jusqu'à présent, Amalia Arcangioli n'avait rien d'une beauté.

Elle emprisonnait en permanence ses longs cheveux châtains dans une queue-de-cheval et elle ne portait aucun maquillage, ce qui avait le don de faire ressortir les cernes autour de ses yeux.

Joachim soupira : non, il cherchait simplement à se convaincre que la silhouette de la jeune femme le laissait de marbre, que ses yeux verts où semblaient briller des reflets dorés n'avaient aucune influence sur lui et que son délicat parfum aux accents floraux ne chatouillaient pas ses narines chaque fois qu'il la croisait.

Lui, attiré par...elle ?

Quelle idée grotesque !

Il ne la choisirait même pas pour une relation de courte durée tant elle le troublait.

Voilà, c'était cela : cette fille n'était pas nette, il le sentait au plus profond de lui-même.

Il fallait qu'il se contienne, qu'il fasse comme s'il n'avait pas ressenti cette puissante vague de désir qui menaçait de l'emporter corps et âme.

Ce n'était pas Amalia Arcangioli qui provoquait tout cela, non. Il était à cran à cause de ce putain d'anniversaire et cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas couché avec une femme.

Tamsyn...il devait la contacter...Elle seule avait ce pouvoir de le détendre, de lui faire oublier tous ses soucis. Sauf qu'il ne pouvait se pointer à Brisbane sans la moindre justification.

Il consulta son smartphone et il jura en constatant que son amie était en voyage d'affaire en Autriche. Le jeune homme sortit alors en coup de vent de son bureau et il manqua de percuter Louise qui était venue s'assurer que le nettoyage des appartements princiers avait bien été effectué.

- Joachim ?

Mais le prince ne prit même pas la peine de lui répondre. Il dévala les escaliers et il entra dans le bureau de Michele Sapiento sans même frapper à la porte.

Amalia, qui avait fini par se persuader que l'héritier de San Gavino avait en tête de la contraindre physiquement, se précipita dans un coin de la pièce en priant pour que ce désagréable personnage ne l'importune pas une nouvelle fois.

Mais Joachim de Bourbon-Conti ne semblait même pas l'avoir vue car il se concentra sur le responsable de la sécurité du palais.

- Franck, Benjamin, Sacha et Hashem ne sont pas disponibles aujourd'hui ?

- Je regrette Votre Altesse, ils accompagnent Sa Majesté la Reine Sofia et Son Altesse la princesse Luiza pour l'inauguration du...

- Demain. Nous partirons à neuf heures. Et qu'aucun d'entre eux ne soit en retard.

- Votre Altesse, vous savez bien que c'est impossible. Il nous faut au moins trois jours de préparation et...

- Et bien dans trois jours alors.

Michele Sapiento s'assit à son bureau en soupirant après le départ du prince Joachim. Amalia, qui savait que les quatre gardes du corps cités par le jeune homme étaient ceux qui l'accompagnaient toujours lors de ses escapades dans la forêt de Matra, cachait difficilement un sourire en comprenant qu'elle allait enfin avoir l'occasion de suivre l'héritier de San Gavino en dehors du palais.

Elle se rendit en ville l'après-midi même pour se procurer tout le nécessaire dont elle avait besoin et acheter son ticket pour la navette. Elle fourra ensuite chaussures, vêtements, sac et cartes topographiques dans une consigne automatique à la gare de Castello di Gavino.

Lorsqu'elle rentra au palais en début de soirée, Amalia se demanda comment elle allait bien pouvoir justifier une absence d'une journée complète à Michele.

Elle songea alors à l'étang de Vignali, situé à cinq kilomètres au sud de la capitale de San Gavino. Il s'agissait d'un lieu exceptionnel et un véritable paradis pour les oiseaux migrateurs et sédentaires.

Un sentier de promenade permettait de découvrir hérons cendrés, aigrettes, canards et mouettes rieuses tout en respectant l'équilibre écologique fragile du site.

Comme elle ne prévoyait pas de suivre le prince Joachim toute la journée, elle aurait largement le temps de se rendre sur place et de prendre de nombreux clichés qu'elle montrerait ensuite à Michele pour appuyer ses dires.

Ce soir-là Amalia se coucha très satisfaite tout en songeant à l'attitude ambiguë du prince Joachim. Elle le détestait et sa manière de se comporter avec elle commençait à l'exaspérer.

Même s'il est terriblement séduisant...

La jeune femme, qui pensait avoir tout vu et entendu de cet homme, eut, dès le lendemain d'autres raisons de vouloir se venger de l'héritier de San Gavino. Elle le croisa alors qu'il sortait de la salle à manger et elle l'observa reproduire les gestes qu'il avait eu pour elle la veille sur Mirela qui n'osait pas broncher.

Écœurée, Amalia pressa le pas pour se rendre à la bibliothèque mais elle fut très vite rattrapée par Joachim de Bourbon-Conti qui affichait toujours son sourire de prédateur :

- Seriez-vous jalouse Amalia ?

Comprenant qu'il essayait à nouveau de la provoquer et de la déstabiliser, la jeune femme le fixa d'un air qu'elle voulait le plus impassible puis elle ne put réprimer un fou-rire :

- Jalouse ? Mais de quoi serais-je jalouse enfin ?

- Et bien...

Le prince saisit délicatement une mèche des cheveux d'Amalia : il s'enorgueillissait du contrôle qu'il était capable d'exercer sur lui-même et en faisant ce geste, il voulait que la jeune femme ne se rende pas compte que cette situation le mettait au supplice.

Il laissa retomber la mèche en ravalant un grognement puis, il saisit Amalia par la taille pour la plaquer ensuite contre le mur du couloir menant à la bibliothèque. Il leva ses poignets de chaque côté de sa tête et il fit mine de l'embrasser.

La jeune femme, bien que totalement paniquée, se répéta inlassablement des encouragements pour que l'héritier de San Gavino ne remarque pas son affolement.

Les yeux bleus électriques de ce dernier, et qui la scrutaient avec intensité, semblaient aussi implacables que les prunelles d'un fauve tandis que sa barbe de trois jours, malgré ses traits aristocratiques, renforçait son air féroce.

- Avouez-le, cela ne vous plait pas que je m'intéresse à d'autres femmes que vous...

- Vous vous méprenez Votre Altesse. Et... vous ne devriez pas prendre vos désirs pour des réalités. Si vous voulez bien m'excuser Votre Altesse, j'ai du travail.

Amalia se dégagea alors de l'étreinte malsaine du prince et elle entra dans la bibliothèque en refermant brutalement la porte derrière elle.

Elle ne devait le laisser l'intimider de la sorte. Il jouait avec elle, il la provoquait pour qu'elle vienne lui manger dans la main comme toutes ces femmes qu'il avait séduites. Il croyait peut-être qu'elle était comme ces bécasses qui finissaient dans son lit mais il se trompait lourdement.

Bien sûr, il était beau. Il était même terriblement sexy et il avait l'allure exquise et ténébreuse du bad boy hollywoodien. Et il le savait naturellement. Il se prenait pour le modèle masculin qui faisait craquer toutes les filles et il n'avait pas à faire le moindre effort puisqu'elles lui tombaient toutes dans les bras comme des mouches. En outre, sa réputation sulfureuse ne faisait que renforcer les fantasmes de toutes celles qui le côtoyaient à longueur d'année et qui n'avaient pas encore eu l'honneur d'être choisies par lui.

Sauf qu'être beau gosse n'excuse pas tout. Et ne vous donne certainement pas tous les droits.

Amalia tapa rageusement du poing sur le bras du fauteuil dans lequel elle s'était laissée tombée. Elle n'était plus l'adolescente naïve d'autrefois, avide d'amour et entichée du mauvais garçon du coin. Non, elle avait muri et elle était bien décidée à ne plus jamais se laisser marcher sur les pieds.

Le prince Joachim aimait la provocation ? Parfait.

Un bon coup de pied dans ses parties intimes et il se tordrait comme un serpent au bout d'un bâton. Voilà ce dont il avait besoin.

L'idée de le voir se courber de douleur devant elle n'était pas pour lui déplaire, bien au contraire. C'était même tentant, très tentant...

Il la croyait faible sans doute et, jusqu'à présent elle n'avait pas renvoyé l'image d'une femme forte. Mais l'aversion qu'elle ressentait pour l'héritier de San Gavino lui donnait l'envie de se battre.

Amalia se rappela alors de ses livres d'enfant vantant les mérites du prince charmant et elle éclata de rire bien malgré elle.

Le prince charmant, tu parles, il est décédé depuis belle lurette celui-là ! Et la vie était loin d'être un conte de fées. La preuve, même si elle travaillait, temporairement, dans un palais magnifique, elle devait se farcir le roi des cons.

Les deux jours suivants, Amalia ne croisa pas une seule fois le prince Joachim, ce qui ne fut pas pour lui déplaire. Adroitement, elle invita Michele et Benjamin à lui parler de l'étang de Vignali et ils l'encouragèrent tous deux à s'y rendre sans plus tarder.

La veille de son expédition dans la forêt de Matra, la jeune femme se sentit terriblement impatiente mais également, nerveuse.

Elle avait promis à Estelle des clichés exclusifs : elle ne pouvait surtout pas se louper.


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Pour ceux et celles qui espèrent toujours, non, désolée, Amalia n'est vraiment pas attirée par Joachim...

Et lui... non mais qu'est-ce qu'il nous fait ???

Une petite excursion en forêt semble se préparer : Amalia va t-elle réussir à atteindre son objectif ?

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