Douloureux souvenirs
Les touristes étaient nombreux sur la terrasse de l'hôtel Lisca Bianca. Donnant sur la mer et l'île de Stromboli, l'établissement se situait en face du port de San Pietro, sur l'île de Panarea et, en cette fin septembre, il affichait complet.
Panarea était la plus petite des îles Éoliennes habitées : elle ne mesurait que 2.5 sur 1.8 kilomètre. Mais c'était justement grâce à ces dimensions réduites qu'elle est devenue « l'île VIP » de l'archipel.
En été, des membres éminents de l'élite italienne et européenne ainsi que de nombreuses stars hollywoodiennes rejoignaient les quelques trois cent habitants permanents de l'île.
De nombreux yachts de luxe faisaient leur apparition et leurs propriétaires multimillionnaires venaient goûter avec délice à l'ambiance aristocratique bohème-chic des lieux.
Ceux qui voulaient danser jusqu'au bout de la nuit se rendait à l'Hôtel Raya, un établissement se voulant ouvertement non luxueux mais tendance, tandis que les amateurs de calme et de sérénité préférais se diriger vers les villages de Ditella et Drauto. Là, les heureux résidents pouvaient contemplaient indéfiniment le Stromboli exhalant son magma incandescent dans le ciel étoilé.
Il avait passé la nuit dans l'hôtel Quartara et il s'était senti soulagé de ne pas y dormir plus longtemps car il détestait le blanc et tout, dans l'établissement avait cette couleur. Les transats, le jacuzzi, les murs de l'hôtel, les amphores décoratives, les nappes au restaurant et la chambre. Les oreillers, les draps, la couverture, les rideaux de lit, le tapis dans la salle de bain, la baignoire, les éviers,...tout était blanc.
Il détestait le blanc, cela lui faisait penser à la Grèce et il détestait la Grèce, cet endroit qu'il souhaitait oublier plus que tout au monde. Depuis six mois il ne faisait que songer à sa terrible gaffe et à présent, il voulait tout faire pour se faire pardonner.
Il ne voulait pas faire cette sortie en mer mais il ne pouvait se permettre de snober les rejetons des familles les plus riches et puissantes d'Italie car il avait besoin d'eux pour mener à bien ses affaires.
Il songea que dans moins de vingt-quatre heures il pourrait enfin se détendre dans la villa qu'il avait louée au cœur de la campagne de Catane.
Il se rappela ce que Cesare, l'un de ses meilleurs amis, lui avait dit :
Tu verras, toi qui es si exigeant, il a une conception unique et bien entendu des prestations haut de gamme. Le vendeur m'a indiqué que chaque détail avait été pensé pour que chaque voyage soit une expérience à part. Les espaces extérieurs et intérieurs sont très accueillants et polyvalents, dans le strict respect des normes.
Puis, il lui avait détaillé les caractéristiques de la bête : quarante-quatre mètres de long, seize mètres de large, une capacité homologuées de douze passagers et dix membres d'équipage, écran plasma soixante pouces dans le salon inférieur, équipement pour la planche à voile, la randonnée subaquatique et la pêche et bien entendu, un jacuzzi. Cesare avait également fait appel à un chef ayant trois étoiles au guide Michelin pour élaborer le buffet qui serait servi en mer.
A l'heure convenue, il grimpa dans un petit bateau à moteur afin de rejoindre l'imposant catamaran. Il était le dernier et il salua rapidement ses amis tandis que la musique envahissait déjà le bateau.
Il repositionna ensuite ses lunettes de soleil afin de pouvoir examiner Camille en toute discrétion. Sa robe d'été ivoire lui allait à ravir : elle épousait à merveille chaque courbe de son corps élancé et faisait ressortir sa peau joliment hâlée. Il remarqua qu'elle avait choisi des espadrilles à talons compensés qui lui permettaient de ne pas être la plus petite de tous les invités.
Le vent faisait virevolter ses longs cheveux bruns et les yeux rivés sur la côte qui s'éloignait peu à peu, la jeune femme esquissa un léger sourire. Il prit sur lui pour ne pas se précipiter vers elle et la prendre dans ses bras. Personne ne devait savoir, personne.
Cesare augmenta alors le volume de la musique et les invités se mirent à se déhancher sur des rythmes caribéens endiablés.
Il s'approcha de Camille et se mit à lui parler le plus naturellement possible. La jeune femme le dévisagea de ses beaux yeux verts magnifiquement maquillés.
A nouveau, il fixa ses mèches brunes balayées de reflets dorés : elle était belle, naturellement, et c'est ce qui l'avait attiré lorsqu'il avait croisé son regard pour la première fois il y a douze mois à peine. Il passait le weekend à Milan pour voir des amis tandis qu'elle venait signer un juteux contrat avec la célébrissime maison Armani. Sans le savoir ils avaient des amis communs et ils s'étaient revus le soir même lors d'une soirée privée.
Ils savaient parfaitement qu'une relation était impossible entre eux mais ils n'avaient pu résister à l'attirance qu'ils ressentaient l'un pour l'autre.
Ils étaient fatigués de se cacher mais lui ne pouvait se résoudre à officialiser leur liaison. Ces quelques jours de vacances devaient leur permettre de faire le point et de prendre une décision. Au fond de lui il connaissait la réponse mais il refusait de l'admettre.
Et si...
Cesare vint lui donner une petite tape dans le dos :
- Le bar à tapas est prêt ! Et notre serveur va nous concocter de délicieux breuvages, tu m'en diras des nouvelles !
Pour une fois, il n'avait pas envie de boire et il se contenta d'un jus de fruit. Les autres invités se régalaient avec les cocktails personnalisés qui leur étaient servis mais très vite, ils exigèrent des serveurs qu'ils ouvrent les bouteilles de champagne.
Cesare s'approcha de Camille et il lui tendit une flute qu'elle ne refusa pas. Il l'invita ensuite à danser et elle le suivit en rigolant. Ils étaient bien trop proches à son goût mais il ne pouvait intervenir.
Mécontent, et tout en se demandant à quoi jouait Camille, il se rendit dans l'une des chambres du catamaran pour enfiler un boxer de bain. Il prit une sacoche étanche afin d'y placer son smartphone et ses papiers d'identité puis il partit chercher son masque, ses palmes et son tuba. Ils étaient tous trop soûls pour se rendre compte qu'il avait quitté le bateau.
Lorsqu'il plongea dans l'eau fraiche de la mer, il regretta que Davide, le frère aîné de Cesare n'ait pu se libérer car il était moniteur de plongée et il connaissait les lieux comme sa poche.
Il aimait nager en pleine mer, là où il pouvait s'évader, se sentir hors du temps. Il avait le sentiment que son corps et les flots ne formaient plus qu'un et il oubliait tout.
Il avait toujours été fasciné par la mer : il était toujours émerveillé lorsqu'il voyait des bancs de poissons passer devant lui et il appréciait ces moments loin de tout.
Sans crainte, il se mêla alors à la vie sous-marine et il se dirigea vers les récifs. Après une bonne heure, il remonta à la surface et il grimpa sur un rocher pour admirer le paysage autour de lui. Porté par le courant, il s'était éloigné du catamaran bien plus que prévu et il grimaça.
Bah...de toute façon, ils font la fête, je suis certain qu'ils n'ont même pas remarqué mon absence.
C'est alors que la catastrophe se produisit : une terrible explosion retentit dans les profondeurs du catamaran et la détonation s'entendit à plusieurs kilomètres à la ronde. Les touristes qui se prélassaient sur la plage se redressèrent brutalement tandis qu'il observait la scène, cramponné à son rocher.
La brèche béante crachait des langues de flammes dont il pouvait presque ressentir la chaleur. Des geysers d'eau et de feu montaient vers le ciel tandis que le catamaran semblait, du fond de ses entrailles, vomir l'enfer contre les cieux.
Il pouvait sentir l'odeur âcre de la fumée noire qui commençait à obscurcir le ciel bleu. Il pouvait entendre les hurlements de ses amis, du moins de ceux qui n'avaient pas été tués instantanément.
Tétanisé, il regarda la carcasse de l'imposant catamaran qui commençait à s'enfoncer lentement dans les profondeurs. Incapable de bouger, il vit des corps flotter parmi les débris et c'est alors qu'il la repéra, le visage couvert de sang, s'accrochant désespérément à un transat. Alors il plongea et il se mit à nager aussi vite que possible vers elle.
Mais une nouvelle explosion le força à stopper sa progression pour ne pas être touché par des fragments de la carcasse du navire.
Impuissant, il vit son corps disparaître inexorablement dans les vagues et les remous créés par le naufrage du catamaran.
Il battit lentement des jambes pour s'éloigner mais quelque chose le frôla doucement. Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'il vit le cadavre atrocement mutilé d'une jeune femme flotter à ses côtés.
Il se réveilla, le corps ruisselant de sueur et un instant il se demanda où il se trouvait. Il mit un temps à retrouver une respiration normale puis il s'assit lentement dans son lit.
C'était ainsi chaque année à la même période : il revoyait tout, encore et encore.
Il aurait dû mourir ce jour-là, s'il n'avait pas décidé d'aller nager parce que Camille l'avait énervé par son attitude.
Il était le seul survivant et personne ne le savait.
Les journaux avaient relaté le terrible drame qui avait touché plusieurs familles italiennes très connues.
Giorgio Napolitano avait même exprimé toute sa sympathie pour les proches des victimes dans une brève allocution télévisée.
Depuis, il tentait d'oublier le drame en se noyant dans le travail. La cicatrice qu'il avait au niveau de son épaule était cependant là pour lui rappeler ce fardeau qu'il portait seul depuis ce jour funeste.
Il n'avait même pas pu assister à l'enterrement de Camille. Ce n'était pas à ses parents qu'il avait présenté ses condoléances mais à ceux de Cesare.
Personne n'avait jamais su la vérité, personne n'avait jamais su qu'il avait été présent ce jour-là et personne ne devait le savoir.
Depuis le drame, il s'était fait une promesse : celle de retrouver les commanditaires de cet attentat. Car, oui, il était convaincu que l'explosion n'était pas due à la négligence de Cesare ou de Davide.
Il n'était pas dupe, ses activités y étaient pour quelque chose mais jamais il n'aurait cru que ses ennemis s'en prennent à ses amis.
Cette sortie était totalement imprévue : ils s'étaient tous retrouvés à Panarea par hasard mais il se doutait que leurs moindres faits et gestes étaient constamment épiés. Il avait donné un faux nom à la réception de l'hôtel, il portait une perruque et des lentilles : personne n'aurait pu le reconnaître. Il avait donc commis une erreur ou l'un de ses amis avait parlé ou envoyé un message à quelqu'un. Mais ça, il ne le saurait jamais.
A moins que...
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Enfin des informations au sujet du prologue...
Mais...de qui parle t-on ?
Méfiez-vous des apparences..et n'oubliez pas, il y a déjà eu qques indices précédemment...
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