Cameron
Je pense n'avoir jamais mis autant de temps à préparer un sac pour un déplacement professionnel. Non, pas que professionnel. Demain, enfin, je rencontre Edward. Après avoir longtemps hésité sur l'endroit idéal, nous nous sommes fixés rendez-vous devant la fontaine Bethesda.
Même si nous avions longtemps plaisanté à ce sujet, je me suis senti obligé de révéler à Edward que je souhaitais que cette première entrevue se fasse dans un lieu public fréquenté.
Je me suis emmêlé les pinceaux en évoquant les craintes que j'avais eues avant de m'inscrire sur BeYourself, celles que je ressentais à l'idée de le voir « en vrai » pour la première fois, et celles de tomber réellement sur un psychopathe.
Je craignais d'avoir bousillé toutes mes chances et qu'Edward me prenne pour un cinglé mais il ne s'était pas moqué de moi une seule fois. Il m'avait assuré qu'il comprenait mes angoisses et qu'elles étaient légitimes. Il m'avait rassuré à plusieurs reprises, m'avait proposé divers endroits très populaires de New York et j'avais senti mon stress diminuer un peu.
Cependant, lorsque je m'étais couché quelques minutes après avoir clôturé ma discussion avec Edward, je n'avais pas pu trouver le sommeil, tiraillé par des émotions contradictoires. Comme lors de mon inscription sur BeYourself.
J'aurais aimé parler avec Jonathan ou encore avec mes anciens potes de l'université. Juste pour vider mon sac et me moquer, avec mes amis de mon attitude ridicule. Malheureusement, c'est impossible.
Pendant plusieurs jours j'ai été tenté d'envoyer un message à Edward pour annuler. Puis, je me suis souvenu de l'une de nos conversations. Il y a un mois et demi, après avoir évoqué pour la première fois la possibilité d'enfin nous rencontrer, nous avons reconnu tous les deux, presque simultanément, que nous avions envie d'aller plus loin. Et de tenter l'étape suivante, si notre premier face à face était concluant.
Je n'ai pas envie de décevoir Edward. Je ne peux pas. Ce serait comme si je m'étais moqué de lui durant plus de quatre mois. Une rencontre ne nous engage à rien, je n'ai rien signé, lui non plus. Mais je dois poursuivre ce cheminement dans lequel je me suis engagé.
Je ne sais pas pourquoi mais je fonde énormément d'espoirs sur ce premier « rendez-vous », malgré mes craintes. J'aurais trente ans en septembre prochain. J'appréhende ce passage à la dizaine supérieure. Naïvement, depuis que j'ai compris mon attirance pour les hommes, j'ai toujours cru que je n'aurais pas trop de problème pour trouver celui avec lequel je pourrais construire une relation durable. Je me suis planté sur toute la ligne.
Même si mon statut de sportif professionnel n'aide pas et que je suis toujours dans le placard, j'espérais vraiment qu'à trente ans, je serai heureux et en couple. C'est très loin d'être le cas. Et je n'ai plus envie de rester seul. J'ai des amis parmi mes coéquipiers, j'ai gardé des liens très forts avec certains camarades de l'université mais cela ne remplace pas un partenaire, un conjoint.
J'ai besoin de quelqu'un à mes côtés. De savoir que lorsque je rentre à la maison, je ne me retrouverai plus en tête à tête avec mon ordinateur ou ma télévision.
Je suis fatigué de cette solitude permanente. C'est ironique, n'est-ce pas ? Je suis l'un des joueurs les plus connus de la MLS, j'ai des milliers de fans sur les réseaux sociaux mais ma vie sentimentale est un désert.
Je me suis montré honnête avec Edward. Je lui ai confié qu'il me plaisait. Que ce que j'avais découvert à son sujet, que sa mentalité et son caractère me donnaient envie d'entamer une relation sérieuse avec lui.
Je ne me voyais pas mentir à ce sujet. Je pense que je l'ai assez induit en erreur sur certains points.
Je contemple Central Park depuis la fenêtre de la luxueuse suite qui m'a été attribuée pour mon séjour. Je suis stressé. Évidemment que je suis stressé. Je n'ai rien avalé depuis ce matin. Heureusement que Jonathan ne m'a pas accompagné à l'aéroport car il aurait tout de suite compris que je lui dissimulais quelque chose. Même la maquilleuse qui s'est occupée de moi pour le shooting que mon équipementier avait prévu cet après-midi a trouvé que j'avais l'air malade.
Mon regard se fixe sur l'une des vastes pelouses du parc. Je me rends compte que mes mains tremblent. Bordel, je ne vais quand même pas faire une crise d'angoisse maintenant ? Je décide de m'allonger sur le lit et je parviens à me calmer en réalisant quelques exercices de sophrologie.
Je songe ensuite à demain. À ce moment où Edward découvrira que je ne m'appelle pas Tyler et que je ne vis pas au Tennessee. J'ignore toujours quels arguments présenter pour me défendre, pour justifier d'avoir dissimulé mon identité. Je présume qu'Edward pourra comprendre qu'être une célébrité impose certaines règles de prudence. Quoi que, s'il ne s'intéresse pas au soccer, il ne va peut-être pas réaliser qui je suis vraiment.
Quoi qu'il en soit, je le crois assez mature et posé pour accepter la situation. Maintenant, est-ce que cela le refroidira quant à son envie, qu'il n'a pas cherché à me cacher lui non plus, de débuter une réelle relation amoureuse ? J'ai peur d'avoir grillé une chance unique.
Mais qu'aurais-je pu faire ? Je n'allais quand même pas le contacter en lui balançant dès le départ un « Hello, je suis Cameron Halden, capitaine des Tornados de Charleston. Personne ne sait que je suis gay et je ne tiens pas à ce que la presse sache que je fréquente un site de rencontres. »
Non, je n'aurais pas pu. Non seulement parce que je ne peux pas me permettre qu'un article paraisse dans un torchon à scandales, mais, en outre, parce que je désirais que les personnes avec lesquelles je choisirais de discuter puissent m'apprécier pour ce que je suis et non pour le contenu de mon compte en banque.
Je n'ignore pas non plus que cela pourrait constituer un sacré frein pour Edward. Il n'a jamais évoqué sa situation financière avec moi. Ce qui est tout naturel évidemment. Ce n'est pas le genre de truc qu'on balance à un inconnu. J'espère en tout cas que, si l'attirance que nous ressentons derrière l'écran se confirme dans la réalité, mon statut de joueur professionnel de soccer et ma relative célébrité ne viennent pas tout gâcher.
Je regarde à nouveau mon sac de voyage. J'ai prévu une casquette et des lunettes de soleil pour ne pas être reconnu demain. Même si cela ne devrait pas trop me servir. Je viens rarement à New York et, en général, peu de passants se retournent sur mon passage lorsque je marche en rue. Je suis très connu dans le monde du soccer mais ce sport étant surpassé par le baseball et le football américain, je ne suis pas une icône comme certains sportifs du pays qui ne peuvent pas faire trois pas dehors sans être harcelés par des nuées de fans.
J'envisage de ne pas me montrer de suite à Edward. J'aimerais pouvoir l'observer quelques minutes avant de lui signaler ma présence. J'ai conscience qu'il pourrait ne pas ressembler au portrait que je me suis fait inconsciemment dans ma tête et j'ai peur de ne pas supporter la déception qui en découlerait. Si je peux l'épier juste un peu avant de me manifester, je pourrais mieux contrôler mes réactions par la suite. Surtout si je suis déçu.
Mais dans ce cas, que faire ? Fuir comme un lâche et prétexter une heure plus tard un empêchement ? J'ai tellement placé d'espoirs dans ces échanges avec Edward. Et si je me rends compte que finalement cela ne fonctionne pas entre nous ?
Lorsque le coach m'appelle sur mon smartphone pour aller dîner au restaurant de l'hôtel, je prétexte un fort mal de tête. Je ne suis pas d'humeur et j'ai l'estomac noué par l'angoisse.
Je devine qu'une nuit blanche m'attend. C'est parfait. Même si je peux plaire physiquement à Edward, il s'enfuira en courant en découvrant mes cernes et ma tronche de mort vivant. C'est une certitude.
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