Cameron
Edward ne me répond pas.
J'ai peut-être été trop vite en exigeant de savoir pourquoi il était toujours dans le placard. Après tout, je suis dans la même situation. Et il a raison, c'est moche ce qu'il fait, ce que je fais. Pourquoi notre société nous oblige-t-elle à sacrifier ainsi une part de nous-même ? J'envie les hétéros qui n'ont pas à poser ce choix.
Je m'empresse d'écrire un nouveau message. Je ne tiens pas à ce qu'Edward se sente mal à l'aise avec moi :
(C) « Désolé, Edward. Oublie. Je ne voulais pas me montrer aussi intrusif. Ça ne me regarde pas. »
(A) « Tu sais, si on est là tous les deux sur ce site, c'est pour apprendre à se connaître. Et plus si affinités, soyons honnêtes. Donc, ça ne me dérange pas que tu poses la question. »
Désireux de rattraper ma gaffe, je décide de me dévoiler un peu plus et de fournir à Edward quelques éléments au sujet de mon propre vécu :
(C)« Alors laisse-moi répondre à cette question en premier. Je me cache parce que je ne veux pas perdre la vie que j'ai réussi à construire. J'ai galéré. Mes parents n'étaient pas riches. »
(A) « Je comprends. Moi non plus, je ne veux pas perdre ce que j'ai. Même si je sais qu'à la minute où ma famille apprend ce que je suis, je n'existerais plus pour eux. »
(C) « Comment tu peux le savoir, Edward ? »
(A) « Par certains commentaires que mon père a déjà eu. Et je me doute que le reste de ma famille n'est pas vraiment ouvert d'esprit ».
Moi, je ne suis pas dans la même situation. Je n'ignore rien des convictions personnelles de mes parents. Ils font partie d'une petite église évangélique ultraconservatrice. Le genre que vous retrouvez souvent dans les bleds paumés de la campagne profonde américaine. Ma mère défend le modèle et les valeurs de la famille traditionnelle avec une ferveur qui me dépasse. Elle est contre le divorce, l'avortement et, bien entendu les homosexuels. Mon père la soutient et ne se prive pas pour le clamer haut et fort. Nous n'avons jamais été sur la même longueur d'ondes, eux et moi. Surtout depuis que j'ai découvert mon attirance pour les hommes. Quitter le Kansas a été une véritable libération.
Donc, d'une certaine manière, j'ai déjà perdu mes parents. Et je me fiche pas mal de leur réaction lorsqu'ils apprendront que leur fils unique est gay, lui qui a eu le culot de les abandonner pour une carrière qu'ils réprouvent.
Non, ce qui me ferait chier c'est de perdre mon job, mon contrat. Je ne suis pas le plus doué et j'ai sans doute dû m'entraîner dix fois plus que les autres à l'université pour mériter ma place. Alors, non, je ne compte pas la lâcher après autant de sacrifices.
Un bip me sort de mes pensées. Oups, Edward s'imagine peut-être que je suis parti sans prévenir.
(A) « Tyler ? Tu es toujours là ? »
(C) « Ouais, désolé. Je pensais à mes parents. Je connais leurs positions sur le sujet depuis des années donc je me fiche de leur avis. Et ils vivent loin de chez moi. Mais je ne veux pas perdre mon boulot. Pas quand j'ai dû batailler des années pour arriver où je suis. »
(A) « Je comprends. Moi, je ne peux pas faire abstraction de ma famille. Mon père me fera vivre l'enfer, j'en suis convaincu. »
(C) « Je me suis fait une réflexion hier soir. Je suis allé dans un bar avec des amis et il y avait deux filles qui se tenaient par la main. Personne ne trouvait ça choquant. »
(A) « Mais quand deux mecs font pareil, là tout de suite, ça ne passe plus. Ouais, je sais. Ça me tue. »
Nous passons plus de deux heures à échanger nos impressions sur les actes homophobes dont nous avons été témoins dans notre vie. Cela nous a fait le plus grand bien. Puis, histoire de consoler Edward, je lui confie, de manière déformée évidemment, le savon que m'a passé Jonathan :
(C) « Tu sais, il y a quelques jours, mon patron m'a engueulé au sujet d'un dossier sur lequel je bosse depuis des années. Je ne risque pas d'être viré mais je ne peux ne plus réagir ouvertement aux conneries de mon crétin de collègue. »
(A) « C'est quand même fou. C'est lui en tort, c'est toi qui trinque. Pourquoi ? »
(C) « Je travaille dans une grosse boite. Disons que mon patron ne veut pas que ça jase partout. »
(A) « Tu n'as jamais envisagé de quitter ton job et d'en chercher un autre ? »
(C) « Je pourrais, oui. Mais, je ne suis pas certain d'avoir le courage de recommencer de zéro. »
(A) « De zéro ? Pourquoi ? Ce n'est pas comme si tu n'avais aucune expérience et que tu n'avais jamais bossé. »
(C) « Ouais mais autre job dit autres collègues, autre mentalité, autre manière de fonctionner. Je sais ce que j'ai actuellement. Qui me dit que je retrouverai un endroit où je me sente bien ? »
(A) « Moi, ça ne me dérangerait pas d'aller voir ailleurs. C'est juste que je ne peux pas. À cause de mon père. »
(C) « Edward, tu as vingt-neuf ans. Comment ton père pourrait-il t'empêcher de faire ce que tu veux ? »
(A) « Tu n'as pas idée de la manière dont il contrôle ma vie... »
Même si nous discutons par écrans interposés, je sens chez Edward une pointe de tristesse. Je ne sais pas ce qu'il fait comme boulot mais j'imagine bien une entreprise familiale où son père dicterait sa loi et tiendrait les cordons de la bourse. J'ai déjà senti à plusieurs reprises qu'Edward n'était pas vraiment libre. Et pas très heureux non plus. Cela m'attriste. Il a l'air d'un gars bien.
J'aimerais pouvoir lui rendre le sourire, lui faire oublier ses ennuis. Alors, même si je sais que cela va m'amener sur une pente glissante, je décide de lancer un sujet qui devrait bien nous divertir :
(C) « Et si nous discutions de trucs un peu plus marrants ? Genre, les pires hontes de toute ta vie ? Ou tes rencards les plus foireux ? »
(A) « Hum...si ça va dans les deux sens alors ! »
Je souris. Je sens que je vais bien m'amuser !
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